L’envers de la médaille

J’ai le coeur gros. Couché en position foetale sur le lit (assez confortable, je dois avouer) d’un appartement anonyme de Falkirk en Écosse, je rumine les dernières heures, les derniers jours, les derniers mois. Quand nous avions réservé ce voyage, je jubilais juste à l’idée d’emprunter au petit matin la piste cyclable qui longe le canal pour me rendre à la course jusqu’aux fameux Kelpies.

Ce matin, quand je suis sorti, je n’y croyais pas vraiment. Mais j’ai tout de même tenté ma chance, au cas où mon foutu fessier me laisserait tranquille et me permettrait enfin de goûter à nouveau aux plaisirs de mon sport.

La tentative aura duré un total de 5 enjambées. Tout de suite, une douleur vive, telle une déchirure, a irradié mon corps avec comme épicentre ce maudit fessier. Rien à faire, je me suis rendu aux Kelpies en marchant et (surtout) en maugréant. Disons qu’ils étaient moins spectaculaires comme ça…

Je tente de me retourner en m’appuyant sur mon pied gauche. Autre sensation de déchirure qui traverse mon corps. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les larmes de frustration que je retenais depuis des semaines se sont mises à couler. Et moi de commencer à pleurer comme un bébé. Tout ce temps, tous ces traitements et jamais je ne me suis senti aussi mal. Pourquoi ?  Qu’est-ce qui se passe ?!?

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Plusieurs de mes amis m’ont fait remarqué au cours des derniers mois que je n’étais plus tellement bavard sur ce blogue. Effectivement, je dois avouer que j’ai déjà été légèrement plus loquace…

Il faut tout d’abord savoir qu’il y a eu des changements dans ma vie professionnelle, changements qui ont fait que j’ai eu beaucoup moins de temps libres ces derniers mois. Mais, vous l’aurez deviné, ce sont aussi et surtout les blessures ont causé cette panne d’inspiration. J’avais déjà parlé de mes nombreuses blessures, je n’avais plus vraiment envie d’en parler. À un moment donné…

Quand on est blessé, on reçoit une quantité incroyable de conseils qui, même s’ils sont évidemment donnés avec les meilleures intentions du monde, finissent par agacer à la longue. Sans compter les « Tu courais trop », les « Ce n’est pas normal de courir de même » ou les « T’es blessé aux genoux ? » qu’on entend dès qu’on aborde le sujet.  Disons que je n’avais pas tellement envie de ça non plus…

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« On est chanceux de pouvoir vivre ça, hein ? »

Nous venons de quitter le célèbre champ de la bataille de Culloden, lieu chargé d’histoire et empreint d’une émotion encore palpable aujourd’hui. Nous nous dirigeons vers le Fort George, avant d’aller visiter Uquart Castle, sur les bords du fameux Loch Ness. Bref, ma tendre épouse a bien raison: nous sommes chanceux de pouvoir visiter ce merveilleux pays. Vraiment chanceux

Mais ma tête est ailleurs. Mon corps manque atrocement d’endorphines et je suis envahi par des symptômes de dépression. Ma tête tente par tous les moyens de combattre les signaux que mon corps lui envoie, mais rien à faire: j’ai juste le goût de brailler. Le moindre inconvénient sur la route ou sur un site de visite m’horripile, je broie du noir, n’ai envie de voir personne.

Le fait de savoir ce que j’ai ne m’aide en rien (la météo typiquement écossaise non plus, d’ailleurs !). Je n’ai envie de rien et je ne fais qu’obséder sur une seule chose: quand pourrai-je courir à nouveau ?  Bout de viarge, t’es en Écosse, du con, tu ne pourrais pas tout simplement savourer le moment ?

Heureusement, ma douce moitié est très compréhensive et me laissera dans mon monde ce jour-là. Le soir, nous déciderons que tous les matins, quitte à partir plus tard, j’airai prendre une grande marche, beau temps, mauvais temps, question d’avoir une dose minimale pour être un tant soit peu fonctionnel durant la journée.

Ce jour-là, j’ai compris ce que vivent les gens dépressifs: un enfer. Je ne souhaiterais ça à personne.

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Le tout a commencé par une douleur un peu anodine qui apparaissait quand je tentais de repartir après une pause (pour faire pipi, à un feu rouge, etc.) à la course. No big deal, Annie allait régler ça.

Puis, durant la nuit qui a suivi ma deuxième sortie de vélo de la saison, je me suis réveillé avec le fessier gauche complètement jammé. J’ai tenté (en pleine nuit !) de le détendre avec le rouleau, peine perdue.  Panique. Le dimanche suivant, j’avais une sortie de prévue avec mon ami Didier.

Didier, un fidèle lecteur de ce blogue depuis les premières heures, et moi avions commencé à nous écrire régulièrement au fil des années. Étant séparés physiquement par un océan, nous nous étions toujours promis d’aller faire une petite sortie ensemble si un jour l’un allait visiter le coin de pays de l’autre. Or, sa fille venait de se taper une session d’hiver à McGill (la pauvre est tombée sur probablement le pire des hivers québécois des dernières décennies) et la famille avait décidé de venir lui rendre visite. L’occasion était parfaite pour lui montrer « mon » mont Royal.

Mais là, ce maudit fessier risquait de tout gâcher. Appel en urgence à Annie, qui était parvenue à me débarrasser d’un mal semblable (mais sur l’autre côté) en 2017. Imaginez: ma très dévouée massothérapeute a annulé un déjeuner avec des amies pour me traiter. Me sentir coupable, vous dites ?

Bref, elle est parvenue à me remettre un tant soit peu fonctionnel et j’ai pu aller à la rencontre de mon ami. Sauf que tout le long qu’on courait, ma liberté de mouvement limitée me laissait toujours une enjambée derrière. Didier, qui demeurait visiblement « en dedans » pour ne pas me larguer, passait son temps à se retourner pour m’adresser la parole. J’aurais tellement voulu sortir du chemin Olmsted et aller lui montrer les quelques sentiers de notre « montagne »… Mais j’en étais incapable.

Je me disais qu’il devait s’emmerder royalement, mais quand il m’a invité à remettre ça avant son départ, ça m’a rassuré. Malheureusement, je ne pouvais pas, ayant reçu un autre traitement de masso la veille. Comme on dit chez nous: on se reprendra, cher ami !

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J’ai poursuivi les traitements de masso, me rappelant 2017. Les premières semaines, j’ai continué la course, me gardant de faire des longues distances. Puis, me rendant bien compte que ça empirait et que je commençais à développer des malaises de « compensation », j’ai arrêté complètement de courir. Le vélo servirait d’exutoire.

Sauf que le vélo semblait empirer le mal également. Mais je n’avais pas mal quand je pédalais… Que faire ?  Arrêter toute activité, en plein été ?  Un chausson avec ça ?

Je suis allé voir mon ostéo, celle-là même qui m’avait sauvé en 2013. Elle était plus que confiante que je puisse parcourir les rues de Falkirk, Inverness, Portree et les bords du Loch Lomond à la course. Mais, à peine quelques jours après avoir reçu un quatrième traitement, j’étais au plus bas…

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Près de trois autres mois ont passé. Depuis, j’ai changé ma façon de dormir, ai repris mes traitements en massothérapie. Ça s’est beaucoup amélioré, au point où je ne sens presque plus rien. Je dis bien: presque. Car j’ai bien tenté quelques « retours au jeu », à chaque fois en pensant que ce presque, ce n’était rien. Ça n’a jamais marché. Alors j’attends. (Im)patiemment.

Certains m’ont demandé si j’en étais rendu à la « retraite ». Non. J’aime trop ça pour mettre une croix définitive sur la course. Je suis persuadé que ça va revenir un jour. Quand ? Je l’ignore, mais ça va revenir.

Pourrai-je refaire des ultras ?  Encore là, je l’ignore, mais ce serait un moindre mal de ne plus pouvoir en faire. Le jour où je pourrai sentir à nouveau le vent doux sur mon visage, entendre mes pas qui foulent le sol pour ensuite être envahi par le bien immense qu’on ressent à la fin une sortie, je serai le plus heureux des hommes.

Si je peux épingler à nouveau un dossard sur mes shorts, ce sera juste la cerise sur le sundae. Rien de plus.