Quand on court, il arrive qu’on se perde dans ses pensées. En fait, c’est ce qu’on souhaite qui arrive, ça veut dire que ça va bien, qu’on se pense pas à sa technique, aux petits et gros bobos…
Ces temps-ci, hormis l’incontournable COVID, mes méninges ont pas mal été sollicités à comprendre ce qui se passait au sud de la frontière lors de mes sorties. J’étais à la fois fasciné et découragé. Je ne compte plus les fois où les sages paroles de mon ami Pierre ont résonné entre mes deux oreilles: « Nous allons venir à bout de la COVID, mais malheureusement pas de la bêtise humaine. »
Mais bon, comme on tâche tant bien que mal de réfléchir en courant, le sujet de la course est difficile à expulser de son cerveau. De toute manière, c’est plus constructif que d’obséder avec l’imbécile qu’ils ont élu et failli réélire, alors…
Bref, ça fait longtemps que j’essaie de comprendre pourquoi je me suis mis à accumuler les blessures ainsi. Certain que l’âge et les milliers de kilomètres parcourus sur mes pieds n’aident pas, mais il y a certainement autre chose… En songeant à la chronologie des événements, je suis arrivé à une théorie, théorie appuyée par l’avis d’un expert. Est-elle bonne ? On verra…
Retour en arrière. Juillet 2015. Malgré un kyste infecté qui nécessite un changement de pansement à tous les jours, je m’aligne au départ du Vermont 100. Il s’agit de mon quatrième ultra en autant de mois. Après cette course, je prévois accompagner un ami lors d’un marathon en septembre et faire un dernier 100 miles pour clôturer la saison. La vie est belle…
Des chemins de terre très ondulés constituant la majeure partie du parcours, je suis chaussé de souliers Pearl Izumi (dont j’oublie le modèle) qui se situent à mi-chemin entre les Nimbus que j’utilise sur la route et les Peregrine que j’utilise pour les sentiers « purs ».
Ça ne parait pas de l’extérieur, mais j’ai inséré des orthèses plantaires dans lesdits souliers puisque je cours avec ces machins depuis mes touts débuts, suite aux conseils d’une physio. Et comme mes pieds sont minces et étroits, je suis également obligé d’ajouter des talonnettes, question de garder mes malléoles à une bonne distance des souliers pour éviter les écorchures.
Comme à peu près tous les coureurs à l’époque, j’ai lu le fameux Born to Run de Christopher McDougall. Ce qu’il raconte à propos des Tarahumaras qui sont capables de courir des distances incroyables en portant de simples sandales est tout simplement fascinant. Je lis également ce qui s’écrit ailleurs et un constat semble s’imposer: si on veut courir pendant des années en évitant les blessures, il faut courir le plus possible « au naturel », soit comme l’être humain courait à l’époque où il chassait le mammouth. Ce qui veut dire éviter les artifices, privilégier des souliers à semelle mince, diminuer progressivement la pente du soulier (la fameuse drop), etc.
Comme tout allait bien, que j’avais seulement des petits bobos ici et là, je préférais fermer les yeux et poursuivre comme j’avais toujours fait. Pourquoi changer quelque chose qui allait bien ?
Les conditions ce jour-là étant relativement clémentes, je suis parvenu à boucler le parcours en moins de 20 heures. Cette course était vraiment dans mes cordes avec ses nombreuses montées et son terrain peu technique, je me suis bien promis d’y retourner. Ma cheville gauche était bien endolorie à la fin, mais je n’en fis pas de cas: je me disais que ça allait passer en une semaine.
Malheureusement, ça ne passait pas. J’étais en mesure de courir, mais pouvais-je me taper 100 miles là-dessus ? Après un test fait au marathon, je me suis rendu à l’évidence: je devais déclarer forfait pour le reste de la saison.
Et c’est là que j’ai pris LA décision: afin d’éviter d’autres blessures de ce genre, j’allais changer ma façon de courir.
Voyant ça sur ce blogue, un fidèle lecteur me mit en contact avec Skechers. L’équipe d’ambassadeurs de la marque étant plutôt clairsemée du côté des ultramarathons, le représentant m’accueillit immédiatement dans la famille. Les paires de souliers se mirent à arriver à la pelletée. Je les trouvais confortables, les modèles de route étaient légers, ceux de sentier faisaient le travail. Bon, ils s’usaient tous rapidement, mais je ne les payais pas, alors… Mes malléoles ayant tout l’espace voulu, les talonnettes n’étaient plus nécessaires. Quant à la drop (de 4 mm), je ne m’en souciais pas.
J’ai fait l’année 2016 au complet sur des Skechers. Une année où il me semblait avoir perdu de la vitesse, mais bon, c’était peut-être à cause de ma nouvelle façon de courir… Ou était-ce tout simplement parce que la vitesse ne m’intéressait plus, ayant définitivement mis l’emphase sur les courses de 100 miles ? Et puis, j’avais tout de même fait une quatrième place à Bromont…
Vers la fin de l’année, alors que je sentais que ça commençais à « s’en venir » côté vitesse, je me suis déchiré un ischio-jambier.
Le cauchemar commençait. Allaient suivre une longue série de blessures entrecoupées de retours progressifs. L’année 2017 a été perdue et s’est soldée par un « divorce » de Skechers. Quand je suis parvenu à faire Massanutten en 2018, je pensais bien que c’était enfin reparti. Erreur. À ma sortie suivante, je me suis pété un tendon d’Achille.
Les bas-fonds ont été atteints en août 2019, quand je me suis retrouvé en larmes, recroquevillé sur le lit d’un Airbnb anonyme de Falkirk en Écosse. Après des années à me battre, j’étais sur le point de rendre les armes. Je n’en pouvais plus.
« Tes orthèses sont finies depuis longtemps, tu devrais au moins essayer de les changer… »
Vraies qu’elles étaient plutôt avancées et tenaient (littéralement) avec du duct tape. Mais comme les experts de la course à pied disaient qu’elles étaient inutiles, je ne voyais pas pourquoi j’aurais à les changer. Et si vous vous demandez pourquoi je ne réinsérais pas les semelles d’origine dans les souliers, c’est tout simplement parce que j’avais l’habitude de m’en départir dès leur réception puisque je n’en avais supposément pas besoin…
Bref, au retour, je suis aller consulter un podiatre en vue de me faire fabriquer des orthèses neuves.
« T’es un coureur, toi ! »
À vrai dire, j’en étais un que je lui ai répondu… Ça faisait des mois que je n’avais pas vraiment couru. Heureux d’apprendre que ça paraissait encore un peu.
Il m’a regardé marcher pieds nus sur un plancher en miroir, de tous les angles. Il m’a fait faire toutes sortes de mouvements.
« T’as pas besoin d’orthèses. »
Ah. Bonne nouvelle. C’est juste chiant pour mes semelles…
« Tu dois te blesser souvent aux mollets, hein ? »
Euh… Comment qu’il sait ça, lui ?
« Tout d’abord, les veines qui ressortent sur tes mollets, c’est un problème de circulation. Il va falloir que tu portes des bas de compression pour courir, ça va aider la circulation sanguine dans tes mollets. Tu sais, les joueurs de basket qui portent ça, ce n’est pas pour le look. Les coureurs non plus ! »
Effectivement. Avec mon père et ma soeur qui ont des problèmes de circulation dans les jambes, ça se tenait comme hypothèse. Ok pour les bas de compression. Mais il y avait plus. Beaucoup plus.
« Tu as le pied équin ».
De quessé ?!?
« Le pied équin. Ça bloque quand la cheville plie vers l’avant et ça amène une tension supplémentaire au niveau du mollet. Pour soulager ça, il faut que tu remontes ton talon. Un bon demi-pouce (note à mes amis européens: c’est 12-13 mm). Tu connais les talonnettes Dr Scholl’s ? »
Là, j’étais flabbergasté. Quoi, il faut que je remonte mon talon ?!? N’est-ce pas le contraire qu’il faudrait faire, pour se rapprocher de la course au naturel ?
« Vraiment pas pour toi ! Tu sais, le minimalisme, ce n’est pas pour tout le monde. Les gens ont beau dire qu’Abebe Bikila a gagné le marathon aux Olympiques en courant pieds nus, il a abandonné la fois suivante parce qu’il était blessé… »
En fait, Bikila a bel et bien gagné en courant pieds nus sur les pavés de Rome en 1960, mais il a également gagné en 1964 à Tokyo, sauf qu’il portait des chaussures. C’est à Mexico 1968 qu’il a dû abandonner, étant blessé. Mais bon, j’avais compris l’idée, je n’étais pas pour faire un Paul Houde de moi-même.
J’ai alors fait le lien avec deux de mes amis coureurs qui ont des problèmes récurrents aux tendons d’Achille. Il y en a même un qui a dû se faire opérer. Auraient-ils des problèmes pour la même raison que moi ?
Et puis, si chaque coureur doit trouver ce qui fonctionne pour lui côté nutrition, hydratation ou habillement, pourquoi serait-ce différent pour les chaussures ? Ça fait tout de même des milliers d’années que l’être humain n’a plus besoin de courir pour survivre, l’évolution doit avoir fait son oeuvre…
Je n’étais tout de même pas prêt à reprendre le collier. Mon dos était vraiment pété et ça a pris l’expertise de Rémi (et beaucoup, beaucoup de travail) pour le rendre un tant soit peu fonctionnel.
J’ai surtout décidé de revenir à 2015. Des Nimbus, des talonnettes… mais pas d’orthèses. Pour le moment, ça va. Pas parfait, mais ça va. Sauf qu’à 50 ans, maudit que c’est long reprendre la forme !