Des petites vites

Beaucoup de choses à raconter ces derniers temps, mais malheureusement, pas tellement de temps pour le faire. Je dois donc me résoudre aujourd’hui à y aller en mode « petites vites », sinon certaines histoires seront perdues à jamais. Et ce serait tellement dommage… 😉

« C’est le lapin… »

Avant-veille de notre départ pour l’Italie, je suis à mon poste habituel du mardi matin, soit le mont Royal. Tradition oblige, je m’arrête quelques instants sur le belvédère face au chalet, même si ce ce jour-là, la météo n’est vraiment pas propice aux grands spectacles, contrairement à ce qu’elle était quelques jours auparavant. En effet, le ciel est gris, il y a de la brume et même les édifices du centre-ville, pourtant tout près, sont difficiles à distinguer. Alors pour les monts St-Hilaire et St-Bruno, on repassera…

Toujours est-il que pendant que j’admire le non-paysage, je me rends compte que trois dames (à partir de quel âge doit-on abandonner le terme « fille » pour le remplacer par le mot « dame » ?  C’est qu’elles sont tout de même plus jeunes que moi, je dirais…) en tenue de course me jettent des regards furtifs tout en murmurant entre elles.

Bon, qu’est-ce que j’ai, au juste?  Je suis trop vieux pour avoir des substances verdâtres qui me pendent au bout du nez et comme je porte des shorts de course (règle numéro un: il fait plus de 5 degrés, je cours en shorts), pas de risque que ma braguette soit à découvert. Alors, qu’est-ce que c’est ?

J’entreprends de recommencer à courir quand, passant près d’elles, j’entends clairement: « C’est le lapin… Oui, c’est le lapin.. ». Ha ben, du monde qui vient de mon coin de banlieue… Mais suis-je si reconnaissable (tes genoux, du con, il n’y a pas grand monde qui court avec des machins aux genoux !) ?

Au passage, l’une d’elles me demande si j’étais le lapin à la Course des 7. Une petite jasette s’ensuit et j’apprends qu’elle habite à un coin de rue de chez moi. Et pourtant, bien que son visage me semble familier, je ne l’aurais jamais parié. C’est fou à quel point on ne connait pas ses voisins…

Avant de repartir, je lui ai suggéré de jeter un œil à son édition du lendemain du journal local…

L’entrevue

En fait, c’est l’édition de la semaine suivante qu’il aurait fallu qu’elle regarde, mais bon, je ne pouvais pas le savoir.

Car, comme mes amis Face de bouc le savent depuis un bout de temps, on retrouvait ma face en gros plan dans un article du Reflet (dans la version papier, ça faisait presque peur), notre hebdo local. Le sujet ?  Les ultras, bien évidemment.

Pour faire une longue histoire courte, les gens des loisirs de la ville ont parlé de moi aux gens du Reflet et après quelque temps, un journaliste m’a contacté. L’entrevue, qui devait durer une quinzaine de minutes à l’origine, en a duré au moins le double et aurait pu se prolonger encore très longtemps. Pas volubile de nature, je suis difficile à arrêter quand j’entreprends le sujet. J’ai tâché de faire de mon mieux pour être à la fois instructif et précis dans mes réponses. Surtout que, contrairement à ma première expérience dans le domaine, je ne venais pas de tout juste terminer un 160 kilomètres à la course, alors je n’avais pas d’excuse pour dire des idioties !  🙂

Les ultras faisant partie de ma vie depuis quelques années, je m’étonne toujours un peu de voir (ou entendre) des personnes tomber à la renverse quand je parle des distances parcourues. Ben oui, il m’est arrivé de faire plus de 100 miles à pied, je ne suis pas le seul, vous savez…

N’empêche, j’aime toujours quand on me demande quelque chose du genre: « Vous faites ça en combien de jours ? ». Ma réponse, toujours la même: « On part tous en même temps et c’est le premier qui arrive qui gagne. Des fois, oui, on part un matin et on termine le lendemain. ». Ça a toujours un effet bœuf ! 🙂

Monsieur Penven, le journaliste qui a mené l’entrevue, a été hyper-sympathique et très intéressé durant notre entretien. Aussi, il a plutôt bien synthétisé ce que je lui ai raconté afin que ce soit accessible aux gens dits normaux. Il y a bien quelque petites erreurs factuelles dans l’article, mais dans l’ensemble, je suis très satisfait du résultat. Si ça peut aider à promouvoir notre sport et permettre aux épreuves locales de continuer à exister…

Maintenant, c’est rendu que les dames Témoins de Jéhovah qui nous rendent parfois visite le samedi matin m’appellent notre « vedette du Reflet »…

Course à Florence

J’ai déjà raconté mon expérience de course à Rome, je ne peux pas garder sous silence celle que j’ai vécu à Florence, quelques jours plus tard.

Ha, Florence… Moins spectaculaire que Rome, la capitale de la merveilleuse Toscane est d’une beauté inégalée (quoi que Sienne ne donne pas sa place non plus). Autre occasion que je ne pouvais, que je ne devais absolument pas manquer.

6 heures du matin encore une fois donc, je me suis élancé. Après avoir longé l’Arno de par ses deux rives (le traversant entre autres par un Ponte Vecchio entièrement désert), je me suis un peu perdu en cherchant la Piazzale Michelangelo, les indications n’étant pas tellement claires. Quand c’était rendu qu’on annonçait un terrain de camping et un autodrome, j’ai reviré de bord, comme on dit chez nous.

J’ai terminé en sillonnant le labyrinthe des rues pavées formant la ville historique, tâchant de passer à travers chaque place connue, devant chaque église ou monument. Visiter une ville à la course avant qu’elle soit envahie, ha…

Territoires inconnus

Je l’avoue bien candidement, je ne lis pas beaucoup. On dirait que ça prend une occasion spéciale pour que je me donne le « droit » de le faire: les vacances, avant le dodo la veille d’une course, les longs voyages en avion (qui n’arrivent vraiment pas souvent), etc.

Ainsi donc, avant de partir en voyage, je n’avais pas encore terminé la lecture de Territoires inconnus, le livre de Pat, que j’avais amorcée lors du lancement. L’avion n’était pas atterri que j’avais passé au travers.

Comme je ne suis vraiment pas objectif, je ne m’éterniserai pas dans une longue tirade dithyrambique. Je vais plutôt me contenter de dire que Pat s’y livre avec une belle simplicité et authenticité hors du commun. Pas de détours, pas de faux-fuyants. Comme ce qu’il est quand on a la chance de le côtoyer le moindrement.

Pour apprendre à connaitre l’homme et aussi, l’ultramarathonien. Car les deux sont indissociables. À lire absolument.

Bromont Ultra, presque six semaines plus tard

J’avais mis la touche finale à ce billet jeudi dernier et avais prévu le publier vendredi soir ou durant la fin de semaine. Or, ça me semblait tellement futile suite aux événements de Paris que je ne voyais vraiment pas pourquoi je le ferais. Maintenant, je tente, tant bien que mal, de revenir à la « normale ». Amis français, si ce billet peut vous changer un tant soit peu les idées, vous m’en verrez plus que ravi. Mon coeur est avec vous, plus que jamais.

Cheville tendre oblige, je suis passé d’un rôle principal à celui de soutien au dernier Bromont Ultra qui s’est déroulé les 10 et 11 octobre derniers. Je dois avouer que l’expérience m’a ouvert les yeux sur la somme colossale de travail qui est requise pour mener à bien une telle entreprise. J’avais beau le savoir dans mon for intérieur, ce n’est jamais la même chose quand on le vit.

Récit d’une fin de semaine en trois actes.

Acte I : le montage

J’ai reçu un courriel me demandant de participer au montage quelques jours avant la date prévue. Comme je savais déjà que j’allais faire les quarts de travail de 16h à 20h le samedi, puis de minuit à 8h le dimanche au ravito principal, j’ai été un peu surpris de voir qu’on réclamait ma présence pour d’autres tâches. Mais bon, j’avais donné des disponibilités pour le vendredi en après-midi, alors je n’étais pas pour me défiler.

Ce qu’il y a de plaisant dans de telles circonstances, c’est que lorsqu’il n’y a plus de travail à faire, hé bien on s’en va, un point c’est tout. Donc, après avoir marqué le stationnement avec des piquets et des cordes, installé des pancartes, monté et déplacé des tentes, tout ça sous la pluie, mes deux compagnons et moi nous sommes retrouvés à ne rien faire. Il faut dire qu’il y avait beaucoup, beaucoup de monde sur place et la fourmilière était vraiment efficace. Déjà, à seulement sa deuxième année d’existence, l’organisation ne donne pas sa place côté logistique. Donc, après avoir erré un peu sur le chemin menant à l’arrivée, me rappelant la dernière fois où j’y avais posé les pieds 12 mois auparavant, je suis retourné à la maison. Deux grosses journées m’attendaient.

Acte II : le ravito

Cours ou cours pas ?  C’était la question existentielle en ce samedi matin. Comme j’aurais à pacer Fanny sur une trentaine de kilomètres le dimanche matin, la raison me commandait de me tenir tranquille. Mais il faisait si beau…

Peine perdue, je suis allé faire un tour. 10-12 km maximum, mais il fallait que je courre. Mon équilibre mental en dépendait.

Puis, coup d’œil aux résultats préliminaires avant de partir: Seb était passé en tête au 35e kilomètre. Et qui suivaient, 20 minutes derrière ?  Mes amis Louis, Pierre et Martin. J’aurais pu être là. J’aurais être là. Quelle torture !

Ce que j’ai vu sur la route de Bromont ne m’a fait aucunement regretter mon choix de courir. Le soleil était éclatant, les couleurs de l’automne, à leur apogée. Les montagnes m’appelaient, s’il avait fallu que je sois « à jeun »…

À mon arrivée, je me suis rendu au ravito principal où Pat et Joan fixaient au loin, attendant (im)patiemment le premier passage de Seb, au kilomètre 72. Je me suis joint à eux et ai découvert ce qui allait être ma réalité pour les prochaines heures: l’attente. Comme d’autres courses se déroulaient en même temps, c’était difficile de savoir si c’était bien lui qui arrivait quand quelqu’un se présentait tout en haut de la butte qui surplombe le parc équestre.

Puis, il est arrivé. C’était comme l’euphorie dans notre petite troupe. Il est passé en coup de vent et honnêtement, s’il n’avait pas eu à se soumettre à la pesée, pas certain qu’il se serait arrêté. En fait, il est passé tellement vite que François (son équipe de support au grand complet) l’a tout simplement raté.

Recommença ensuite l’attente. Comme mes amis avaient 20 minutes de retard au 35e kilomètre, je m’attendais à au moins 45 minutes de retard ici, sinon une heure. Je piaffais d’impatience, j’avais trop hâte de les voir. Je voulais, je devais savoir s’ils allaient bien. Après un certain temps, n’en pouvant plus, je suis parti en sens inverse à leur rencontre.

Après une éternité, Pierre et Martin se sont présentés au bas du chemin de terre arrivant du lac Gale. Louis les suivait, pas trop loin derrière. J’étais énervé comme un gamin. Comment ça va ?

« Comme après 70 kilomètres » me répondit Pierre qui n’avait pas son sourire habituel. C’est vrai qu’ils étaient dans la partie la plus difficile d’un ultra, soit celle où on commence à accuser le coup sans être rendu à la moitié.

Après leur avoir demandé de quoi ils pensaient avoir besoin, je suis parti à pleine vitesse pour retourner au ravito, question d’essayer de leur préparer le tout. J’avais un sentiment d’urgence, je tenais absolument à me rendre utile. À ce moment-là, j’ai compris pourquoi les bénévoles dans les ultras sont si dévoués : ils attendent des heures avant qu’un coureur daigne se pointer le nez, alors quand il y en a un qui arrive, on veut tout faire pour lui faciliter la vie, comme si on voulait se « racheter » pour le temps qu’on a passé à ne rien faire.

Par la suite, ça a été un peu plus rock’n’roll. Les coureurs se sont mis à arriver plus regroupés et naturellement, les tâches se sont séparées. Julia, la fille de Pat, prenait en note les heures d’arrivée. Pat et Joan s’affairaient aux drop bags et moi, je me suis retrouvé à transporter des chaises, à couper patates et bananes ainsi qu’à diriger les coureurs.

Sauf qu’à un moment donné, avec les équipes de soutien (sans compter l’équipe médicale), on commençait à joyeusement se piler sur les pieds. Pour certains accompagnateurs, ça paraissait qu’ils en étaient à leur première expérience: disons que l’efficacité n’était pas vraiment au rendez-vous. Beaucoup de conversations pas tellement pertinentes se déroulaient, auxquelles s’ajoutaient les coureurs du relais qui venaient piger dans les victuailles réservées aux coureurs des 80 et 160 kilomètres. Bref, c’était le bordel, au point où, à un moment donné, Pat a dû élever la voix et demander à tous ceux qui n’avaient pas d’affaire là de sortir, limitant le nombre de membres d’une équipe de support à une personne. Disons que ça a fait effet.

J’ai aussi été à même de constater une chose: moi qui croyais que j’étais lent aux ravitos, j’ai pu me consoler en observant les autres agir. Et j’en suis venu à la conclusion qu’en règle générale, plus un coureur est lent, plus il prend du temps à un ravito. Certains sont demeurés là une bonne quinzaine de minutes, ce qui est beaucoup trop long. Nous avons même dû en insister pour que quelques-uns finissent par partir, leur rappelant que plus ils tardaient, moins ils auraient le goût de relancer la machine.

Ça n’a pas été le cas de Fanny, celle que j’allais pacer plus tard, et avec qui j’ai fait connaissance alors qu’elle embarquait sur la balance. Après un petit câlin, elle a pris quelques trucs et s’est envolée. Je n’ai malheureusement pas pu la revoir au 80e kilomètre car mon capitaine, sentant que le rush achevait, m’a envoyé au dodo, ajoutant au passage que vu que la nuit serait tranquille, je n’avais pas à me dépêcher pour revenir.

Ainsi donc, après avoir mangé un peu, je me suis retrouvé dans mon sac de couchage que j’avais déroulé dans le RAV4. Étonnamment, j’étais foutrement bien, mis à part le fait que pour la première fois de ma vie, j’aurais vraiment souhaité mesurer 5 pouces de moins. Pas évident de dormir quand on est obligé de toujours garder ses jambes repliées. Mais j’ai tout de même réussi à perdre la carte 2 ou 3 heures.

De retour au ravito vers 2h, c’était le calme plat. Tout le monde était évidemment passé depuis belle lurette et mise à part la progression de Seb en tête de course, il n’y avait pas grand-chose d’autre que le suivi des coureurs à faire. Car, dans la nuit froide, il était important de ne pas les « perdre » et de savoir qui était toujours en course et qui avait dû quitter.

On me raconta d’ailleurs l’anecdote d’un coureur qui avait débuté sa deuxième boucle les yeux dans le vide, en chancelant. Joan avait prédit « qu’il ne ferait pas long » et effectivement, des gens l’ont retrouvé quelques centaines de mètres plus loin, couché dans le sentier. Évanoui ou endormi, on ne le sait pas trop, mais avec la froideur de la nuit, heureusement que quelqu’un était là car c’est l’hypothermie qui l’attendait.

Nous avons donc passé ce qui m’a semblé de longues heures à attendre. Il y a eu le départ du 80 kilomètres à 3h qui nous a un peu changé les idées, départ suivi de près par l’abandon de Vincent (après 4 kilomètres de course !) sur cheville foulée. Aussi, un coureur que nous avions « perdu » s’est présenté. Il s’était égaré, en avait ras le pompon et avait fini par retrouver le camp de base. Il s’est emparé de ses affaires et est parti sans dire un mot ou presque. Le parcours avait eu raison de lui.

Puis, ce furent les spéculations autour de l’arrivée de Seb. Son équipe, maintenant composée de François et de la blonde son pacer (dont j’oublie les noms) attendaient avec nous sous la tente. Après une éternité à voir passer sporadiquement des coureurs qui faisaient le relais, nous avons vu deux lampes frontales se pointer au loin.

C’étaient eux !  Branle-bas de combat, Seb s’en venait !  Après des heures, nous aurions enfin quelque chose d’utile à faire !!! Et que fit Seb en arrivant dans la tente ? « Du Coke !!! ». Il voulait du Coke. Il en a calé 2 ou 3 verres, puis est reparti en trombe pour sa dernière boucle de 8-9 km. Son pacer, qui venait à peine de s’asseoir, a laissé échapper un léger soupir de découragement, ayant l’air de dire : « Déjà ?!? ». Et voilà, après toute cette anticipation, nous avions une autre heure à tuer avant qu’il se passe à nouveau quelque chose.

Je l’ai pour ainsi dire passée à jaser avec son équipe de soutien et aussi, à me préparer pour ma matinée. Car j’anticipais le moment où Fanny allait m’appeler pour que j’aille la rejoindre au kilomètre 124. J’avais vraiment hâte.

Tout comme Joan l’an passé, Seb a eu droit à une haie d’honneur pour son arrivée, après un peu plus de 21 heures passées dans les sentiers. Tous les bénévoles et spectateurs présents se sont massés pour l’accueillir. C’est vraiment cool comme façon d’accueillir le grand gagnant. Son plus proche poursuivant allait arriver presque 5 heures plus tard…

Tout sourire et l’air pas trop fatigué comme c’est son habitude, il donnera quelques entrevues avant d’aller prendre une douche bien méritée. Comme on dit dans le milieu: great job !

Une fois la commotion terminée, j’ai commencé à sérieusement m’inquiéter pour Fanny dont je n’avais aucune nouvelle. Finalement, après avoir multiplié les contacts par radio, Pat a fini par apprendre qu’elle poursuivait son petit bonhomme de chemin, lentement mais sûrement.

Autre inquiétude: alors que Seb avait terminé depuis belle lurette, on nous apprenait que Bruno venait de quitter le ravito Balnéa (kilomètre 143). Or, pas de nouvelles de Martin et Pierre. Je me doutais que Louis en arrachait après l’avoir vu quitter péniblement pour son deuxième tour, mais les deux autres ?  Selon mes calculs et les temps de passage à la mi-parcours, ils auraient dû être passés depuis un bout de temps… J’étais persuadé qu’ils s’étaient perdus, surtout qu’ils n’étaient plus en deuxième place, eux les ultramarathoniens aguerris. Pour moi, ça n’avait pas de sens.

À force d’argumenter, mon raisonnement a fini pas faire son chemin dans la tête de Pat et Guylaine et voilà, j’avais semé un mini-vent de panique dans l’équipe. Fallait les retrouver !

Finalement, mes amis se sont effectivement perdus quelques minutes, mais ils ont surtout poursuivi en mode plus relaxe et quand Bruno les a rattrapés, ils n’ont pas poussé la note pour le suivre. Cette idée de nous inquiéter de même, aussi…  😉

À 6h, je reçus un appel de Fanny qui approchait du ravito « Chez Bob ». Elle prévoyait arriver au kilomètre 124 à 8 heures, je l’ai assurée que je serais là bien avant, au cas où…

Acte III: le pacing

J’étais bien sûr au Lac Bromont avant 8 heures. Le soleil se levait doucement sur une autre belle journée, j’allais faire une trentaine de kilomètres dans des sentiers, que pouvais-je demander de plus à la vie ?

Je me préparais tranquillement en jetant parfois un oeil à la route, d’où arrivaient les coureurs. À chaque fois qu’il y en avait un qui se présentait, j’espérais que ce soit elle, mais non. Un en particulier, Patrice (ben non, pas celui que vous connaissez…) est arrivé en boitant lourdement. La cheville complètement fichue, ce serait son dernier arrêt. Tout de suite, je lui ai offert de s’intaller dans le RAV4, question de ne pas frigorifier en attendant que sa douce moitié vienne le chercher. Je me suis également occupé d’avertir l’organisation de son DNF. Il était tellement reconnaissant que ça en était gênant…

Un autre coureur était là depuis un bout, sa blonde étant arrivée (elle allait le pacer) en même temps que lui. Elle avait pris le temps de se changer, de s’échauffer et de le masser. Quand je dis que ce n’est pas tout le monde qui passe en coup de vent à un ravito…

Fanny est arrivée comme ils partaient. M’attendant à ce qu’elle prenne 4-5 minutes, je terminais d’ajuster mes affaires et j’étais en train d’annoncer à Patrice que malheureusement, je devais l’évincer (j’avoue que ça me fendait le coeur de le faire et par après, je me suis dit que j’aurais pu juste lui demander de verrouiller les portes du RAV4 avant de partir, du con…) quand je l’ai entendue me lancer: « Je repars tout de suite, je ne veux pas manquer le cut-off ! ».

Hein ?  Déjà ?  Wo-ho, elle ne niaise pas avec le puck celle-là !  Je sens que je vais l’aimer…

Je suis donc parti à sa poursuite, un peu tout croche et ma Suunto neuve (que je ne connaissais pour ainsi dire pas du tout) pas encore prête pour l’action.

Pat m’avait dit: « Elle n’est peut-être pas la plus rapide, mais elle est vraiment tough ! ». Je dois avouer qu’il n’avait pas tort, bien au contraire. Pendant près de 6 heures, ce petit bout de femme qui mesure 5 pieds et pèse 100 livres, qui n’avait pas dormi depuis plus de 30 heures, avançait, encore et toujours, sans jamais se plaindre. Toute une force de caractère !

À la voir progresser, il était évident qu’elle avait mal. « Une ampoule » qu’elle me disait. À part ça, rien. Une vraie de vraie. On a jasé de tout et de rien. De course, évidemment, mais de la vie aussi. Quand elle m’a appris qu’elle était végétalienne, ma curiosité était piquée. Pour la première fois, j’allais avoir l’occasion de savoir c’était quoi, la vie d’un végétalien. Elle pensait peut-être que j’entretenais seulement la conversation pour la distraire, mais non, ça m’intéresse vraiment. C’est bien beau lire Scott Jurek, mais ce n’est pas comme échanger ouvertement sur le sujet.

Je dois avouer que j’ai appris bien des choses intéressantes et comme je le pensais, ce qu’elle trouve le plus difficile, c’est la partie « sociale » de ce mode de vie qui est la plus problématique. En effet, quand les parents et amis ne sont pas végétaliens, on fait quoi quand on est invité à souper ?

Quant au « pourquoi », je dois avouer que son argumentaire était solide et je ne pouvais rien lui opposer. À part que merde, c’est bon, de la viande et du fromage…

Nos discussions n’ont pas empêché le parcours de se dresser devant nous tel un véritable mur. À plusieurs reprises, je me suis dit: « Ha oui, cette partie-là… ». Les gens « normaux » et même les coureurs sur route ne peuvent imaginer ce que les ultramarathoniens doivent affronter comme terrain. J’avais envie de rire, quelques heures plus tôt, quand l’ami de Seb s’était étonné de voir que ce dernier avait pris 2 heures pour parcourir une section de 13 kilomètres. Hé oui, même Seb doit marcher par bouts… 🙂

Malheureusement pour Fanny, le chili absorbé au souper avait décidé de littéralement se transformer en courant d’air intestinal. Moi qui suis déjà plutôt actif de ce côté en temps normal, la fréquence de mes backfires était hallucinante. Au point où elle a fini par me lancer: « Je n’ai jamais vu quelqu’un qui pète comme toi ! ». Heu, comme première impression, on a déjà vu mieux, pas vrai ?  😉

Par contre, je m’arrangeais toujours pour être derrière elle quand ça se produisait. En fait, j’ai passé le plus clair du temps derrière, sauf quand le sentier était assez large pour qu’on puisse évoluer côte à côte. Je ne sais toujours pas si c’était la bonne chose à faire, mais je ne voulais pas qu’elle sente de la pression pour avancer et qu’elle risque une blessure à essayer de me suivre si je tentais de lui donner un rythme plus rapide devant.

Petit à petit, des coureurs du 80 km se sont mis à nous rattraper. À les voir aller, je me disais que dans mes meilleurs jours, j’aurais pu finir dans les 3 premiers. Puis, dans la section autour du mont Gale, ce fut au tour de ceux du 25 km. Et dans ce cas-là, pas question d’un top 3, ni même d’un top 10: de véritables fusées sont passées à côté de nous !  Je suis vraiment fait pour les longues distances, il n’y a pas à dire…

Le seul endroit où elle a perdu un peu de temps a été au ravito du Balnéa où elle a pris le temps d’aller aux toilettes. J’en ai profité pour m’empiffrer de wraps au poulet (ben quoi, je suis omnivore, j’ai le droit !) qui étaient écoeurants comme on dit si bien ici. Fanny, tu manques quand même quelque chose…  🙂

Par la suite, même si c’était la troisième fois que je me tapais cette partie de parcours, j’ai commis l’ultime erreur du pacer: encourager faussement ma coureuse en lui disant que la montée du mont Gale achevait. En fait, ça ne finissait tout simplement plus et à la fin, je ne me croyais plus moi-même quand je pensais que le sommet approchait. À me rappeler l’an prochain: le mont Gale ne finit pas, le mont Gale ne finit pas, le mont Gale ne finit pas…

Une fois rendus en haut, ce fut la longue descente et finalement, le chemin nous ramenant au camp de base. J’essayais de courir pour l’inciter à faire de même, mais après plus de 30 heures de course, il y a des limites à ce que le corps puisse accomplir.

En arrivant au centre équestre, tout de suite après la descente, sa famille l’attendait. L’ayant reconnue au loin, ils se sont tous mis à crier et elle m’a avoué: « Je vais me mettre à devenir émotive s’ils n’arrêtent pas ». Je lui ai donné un « câlin de côté », comme pour lui dire qu’elle pouvait se laisser aller un peu, elle en avait bien le droit.

Mais, bien que mon travail de pacer s’arrêtait là (sa cousine allait l’accompagner pour la dernière boucle de 8-9 km), ce n’était pas fini pour elle et elle est retournée en mode « finissons la job ». Pendant qu’elle était aux toilettes, je vérifiais le contenu de son sac d’hydratation et avant même que je m’en rende compte, elle était repartie. Ouais, c’est une vraie de vraie !

Je ne sais pas combien de temps ça lui a pris pour faire ladite boucle, mais ça m’a semblé très long. Heureusement que je la savais accompagnée, parce sinon, je me serais vraiment inquiété. Et comme j’étais retourné chercher mon auto (à la course, c’étaient deux petits kilomètres par la route) entre-temps, j’avais perdu contact avec sa famille, alors j’étais seul pour l’attendre à une centaine de mètre de l’arrivée…

Puis, au loin, je l’ai reconnue. Les membres de sa famille s’étaient rendus à sa rencontre, au moins 500 mètres avant l’arrivée. Je me suis précipité à leur rencontre et c’est en groupe que nous l’avons accompagnée jusqu’au fil, ses parents insistant pour que je termine à côté d’elle. C’est après 33 heures et 5 minutes d’effort, 55 minutes avant la coupure qu’elle franchira la ligne, en 16e position, deuxième femme à réussir le 160 kilomètres du Bromont Ultra.

Ça terminait de belle façon une fin de semaine vraiment pas comme les autres…

Mes impressions au final ?  Être de « l’autre bord » nous permet d’apprécier et de comprendre le travail incroyable que doivent se taper les membres de l’organisation. Ça nous permet également voir les dessous de ce qui se passe durant une telle épreuve. En plus, comme j’ai eu la chance de jouer de double rôle de pacer et de bénévole, je dois avouer que c’est très gratifiant de savoir qu’on a pu aider de quelconque façon des gens à réussir un tel défi. Immanquablement, des liens se créent. Juste la petite conversation que j’ai eue avec Benjamin, qui était sur un nuage après avoir complété son premier 100 miles valait la courte nuit et les heures passées à attendre.

Je compte bien récidiver un jour… mais je préfère courir !  🙂

Rome quasiment à moi tout seul

Le voyage en Italie était prévu depuis belle lurette. Comme ma cheville me jouait et rejouait des vilains tours à répétition, j’avais décidé de faire ma pause annuelle durant ces deux semaines de vacances. Ainsi, je ferais une pierre, deux coups: ça me permettrait de passer plus de temps avec ma douce tout en trimballant moins de bagages. Et vu que je serais en Italie, je me disais que la bonne humeur serait au rendez-vous de toute façon, course pas.

Toutefois, mon ami Didier m’avait glissé que par un beau matin, il avait fait « le footing de sa vie » dans les rues de Rome avant que celles-ci ne soient envahies par les touristes et les Romains qui transforment cette merveilleuse ville en véritable enfer une fois le jour venu.

Avant de partir, j’ai décidé que je ferais deux petites entorses à ma pause: une à Rome, l’autre à Florence. Mais ce ne seraient que des petites sorties faciles, sans chrono ni GPS. Et pas de longues affaires, question de ne pas trainer avec moi ma panoplie de bouteilles, de gels et tout le tralala.

Ainsi donc, dimanche le 25, 6 heures du matin, je sors de l’appartement que nous avons loué dans l’ouest de la ville. Comme le soleil ne se lève qu’autour de 7h30, j’ai ma frontale, mais étonnamment, je vois la lumière du jour qui pointe derrière le dôme de la basilique St-Pierre. Je regarde ma montre, elle indique 7 heures. Hein ?

Ha non, ne me dites pas qu’il et déjà 7 heures… Déjà trop tard, la ville va être bordélique quand je vais y arriver !  Puis j’analyse la situation. Mon iPad ne peut pas s’être trompé de même… Et j’ai une illumination: le retour à l’heure normale se faisant une semaine plus tôt en Europe par rapport à l’Amérique du Nord, j’ai bénéficié d’une heure supplémentaire de sommeil sans même le savoir. Cool !  🙂

Pour une raison que j’ignore, les cartes de la ville de Rome ne présentent à peu près jamais la ville au complet. Ainsi donc, même si notre appartement est situé tout près d’un métro, on ne retrouve le quartier sur aucune carte. Je me fierai donc à St-Pierre (la basilique, pas le saint en tant que tel) pour me guider vers la ville et à partir de là, je me retrouverai bien. J’ai tout de même sur moi une carte ainsi que 7 euros, au cas où.

Je m’élance donc dans les rues désertes, empruntant parfois les trottoirs asphaltés pour éviter les rares véhicules que je croise. Je regarde tout de même où je mets les pieds car pour une raison que j’ignore, les surfaces (particulièrement les trottoirs) sont dans un état lamentable. Quelqu’un peut m’expliquer comment il peut y avoir autant de nids-de-poule sur une surface fréquentée seulement par des piétons et dans un endroit où il n’y a pour ainsi dire jamais d’hiver ?

Premier imprévu: ma course commence en descendant, ce qui fait que je perds St-Pierre de vue. Je progresse donc sur le boulevard en suivant mon sens de l’orientation et me rassure quand je croise une à une les stations de métro qui, je le sais, m’amènent dans la bonne direction.

Deuxième imprévu: j’ai oublié de m’amener une bouteille d’eau. Oups. Je ne cours jamais « allège », comme on dit. Bon ben pas le choix, va falloir que je fasse avec. Au pire, je m’arrêterai pour en acheter une à quelque part.

Mais bon, où ?  C’est qu’il n’y a crissement rien ici et honnêtement, le quartier est foutrement moche. C’est laid, sale et, pour bien dire, pas tellement rassurant pour un maigrichon qui court tout seul. Elle est où, votre si merveilleuse ville ?

Comme je me pose la question, j’aperçois une indication vers le musée du Vatican. Parfait !  J’emprunte cette direction et aboutis à l’entrée. Et que vois-je ?  Des gens qui attendent en file !  Quoi, il est 6h15 – 6h20 et vous attendez pour entrer dans un musée qui ouvre ses portes à 10 heures ? Wow !

Ok, objectif Place St-Pierre. J’entreprends de contourner le Vatican et chemin faisant, je me bidonne en pensant que ça n’arrive vraiment pas souvent qu’on se retrouve à faire le tour d’un pays durant une petite sortie matinale !

Sauf que malgré la présence évidente du mur agissant comme frontière, mon sens de l’orientation me joue des tours et je me retrouve sur un autre boulevard anonyme. Et comme à chaque fois que je me perds, je m’entête à poursuivre. Mais après un certain temps, je dois me rendre à l’évidence: le coin ne me dit rien, il n’y a pas l’ombre du moindre monument/musée/ruine connu(e) dans le coin. Pas de station de métro en vue et pas moyen de retrouver mon boulevard sur la carte. Ouais, ça ne va pas bien mon affaire…

J’entre dans un commerce de fleurs (ne me demandez pas pour quelle raison il est ouvert, je n’en ai aucune idée) pour faire ce que je ne fais jamais: demander mon chemin. Moi qui ne parle pas un traitre mot d’Italien…

À force de gesticuler en lui montrant ma carte, le gars finit par (sembler) me comprendre et me dit le nom du boulevard sur lequel on se trouve. Non mais, est-ce que je m’en fous du nom du boulevard ?  Je suis capable de le lire aux intersections, tu sais. Si tu te perds à Montréal, Chose, et je te dis que tu es sur Amherst, est-ce que tu vas être plus avancé ? Je veux savoir je suis, pas comment ça s’appelle !

D’autres simagrées sont nécessaires pour que finalement, il s’empare de ma carte en me montre où devrait se trouver ledit boulevard, quelque part au sud du Vatican. Car, comme je le disais, la carte n’est pas complète et je me suis tellement gourré que j’en suis « sorti ».

Je le remercie et retourne sur mes pas. Finalement, j’avais tourné une centaine de mètres avant de me retrouver sur la Place St-Pierre. Et quand j’y arrive, le spectacle qui s’offre à moi est à couper le souffle. L’immense place est vide. Des milliers et de milliers de chaises sont alignées, en plusieurs sections. Dans quelques heures, elles seront toutes occupées pour la grande messe qui sera célébrée par François lui-même. Mais pour le moment, c’est le silence qui règne. Je pivote sur moi-même, me laissant imprégner par la beauté de l’endroit. Puis je m’éloigne en direction du Tibre, le sourire aux lèvres (sourire qui s’amplifie à la vue d’un « vrai » zouave), incapable m’empêcher de me retourner à plusieurs reprises chemin faisant.

Arrivé au fleuve, je trouve un endroit pour descendre à la piste cyclable qui le longe. Je compte bien faire un petit bout là-dessus pour me rendre à ma prochaine destination, le Circus Maximus.

J’aime beaucoup courir sur le bord de l’eau, je trouve que ça a un côté apaisant. Mais le Tibre, c’est, comment dirais-je ? Brun. Son eau est sale et disons que ses abords ne sont pas en reste: des détritus qui trainent partout, des graffiti sur les murs… Heureusement, la piste cyclable y est fort praticable et dans un assez bon état. Je m’y engage donc, m’émerveillant à chaque enjambée que je suis vraiment en train de courir en plein cœur de Rome. Comme d’autres, d’ailleurs, car quelques coureurs font comme moi et à voir leur allure, la plupart d’entre eux font également partie de la gente touristique.

Arrivé au niveau de l’île Tibérine, un véritable petit bijou, je quitte la piste pour me diriger vers le cirque que Barbara et moi avons traversé la veille, tout comme des milliers d’autres personnes. Aujourd’hui, je dois partager ce vaste terrain de jeu avec un chien qui s’en donne à cœur joie en enfilant les sprints sur le « terre-plein » central. Tout autour de nous, le néant. Ça ne m’empêche pas de ressentir l’intensité qui pouvait régner ici-même, il y a des siècles de ça et à ce moment précis, je souhaite que Rome puisse réussir son pari d’accueillir  les Jeux olympiques de 2024. Ce site serait incroyable pour y tenir certaines épreuves comme le saut en longueur ou le lancer du poids. Pas toutes les épreuves d’athlétisme, mais quelques-unes triées sur le volet, comme à Athènes en 2004 ?  Pourquoi pas ?

M’extirpant de mes rêveries, je me dirige vers l’ultime étape: le Colisée. Ha, le Colisée… Je ne sais pas pourquoi, mais il m’a toujours fasciné. C’est la première chose que nous sommes allés voir en arrivant ici, je devais y retourner, ne serait-ce que pour dire que j’avais couru tout autour.

Ce que j’ai évidemment fait, non sans avoir également pris le temps de m’arrêter pour y toucher. Puis, coup d’œil à ma montre: 7h30. Certains groupes de touristes avaient commencé leurs visites.

La petite sortie matinale était déjà terminée. Didier avait raison courir au petit matin dans une grande ville qui dort toujours, c’est magique…