The North Face Endurance Challenge, DC: l’avant-course

« It seems a little bit unfair to me ! »

Le douanier avait une bouille sympathique, j’ai tout de même sorti mon arme favorite avec lui pour finir de l’amadouer: faire une blague sur les femmes et le magasinage, ce concept qui semble universel. Donc, à la question « Why are you going to Washington », j’avais répondu « I will run a 50-mile foot race and my wife will do some shopping ». D’où la boutade accompagnée d’un sourire. 30 secondes plus tard, nous reprenions la route. Et le pire, c’est que ma douce moitié n’est vraiment pas portée sur le magasinage, mais ça, comment pouvait-il le savoir ?

Se rendre à Washington par la route, c’est long. Mais nous avons été relativement chanceux : aucune entrave routière avant d’atteindre sa banlieue, où la circulation est tout simplement infernale, malgré les 4 à 5 voies de l’autoroute de contournement.

Hier, j’ai fait du repérage pour bien évaluer le temps nécessaire pour me rendre aux navettes. J’ai ensuite pris possession de mon dossard dans une des deux boutiques The North Face où on pouvait le faire (est-ce que deux exemplaires de chaque dossard ont été produits ?  On dirait bien que oui…). Le reste de la journée, je l’ai passée à faire exactement ce qu’il ne faut pas faire la veille d’une course soit visiter la ville en marchant pendant de longues heures et prendre une bonne bière au dîner. Tout ça par une belle journée chaude.

Je ne suis pas allé assister au briefing des coureurs du directeur de course et aux conférences données par Jordan McDougal, multiple vainqueur ici et à Bear Mountain, et l’incontournable (lors des événements The North Face en tout cas) Dean Karnazes. La raison ?  Ça avait lieu à la boutique de Georgetown, qui est située en ville tout en étant loin des stations de métro (bizarre, je sais). En plus, ça commençait à 18h30 (donc 19h – 19h30). Non mais, c’est quoi l’idée de donner des conférences à peine quelques heures avant le moment où on doit se lever ?  Ils ne dorment pas, ces gens-là ?

La nuit a tout de même été très courte, mais je ne me fais pas de souci. Non, ce qui me commence à me faire paniquer à ce moment-ci, alors que je suis dans un « quartier » qui m’est totalement inconnu situé dans une banlieue anonyme de la Virginie, c’est que je ne vois pas l’ombre de ce qui pourrait ressembler à un endroit de départ de navettes.

Mon GPS m’a amené ici, ça semble être la bonne adresse. Or, je fais le tour des différents bâtiments abritant des bureaux et je ne vois ni autobus, ni toilette, ni indication, ni attroupement. Rien. Rien de rien.

Je fais quoi ?  Il est 3 heures, la course débute à 5. Je n’ai aucune carte de la ville, je n’ai pas amené le guide de course qui pourrait m’indiquer d’autres endroits que je pourrais chercher, dont le parc où sera donné le départ. L’appart que nous avons loué est à 30 minutes, j’aurais le temps d’aller chercher ces infos. Qu’est-ce que je fais : je retourne ou je continue à tourner en rond ?  Je dois me décider. Vite.

Finalement, alors que mon rythme cardiaque commence à augmenter dangereusement, un miracle se produit : j’aperçois des autobus jaunes et un petit groupe de personnes. Eureka !

Après une petite ride tranquille en autobus, nous arrivons dans ce qui semble être un joli parc familial sur les bords du Potomac. Je dis bien « semble » parce que vu qu’il fait noir, on n’y voit pas grand-chose.

En fait, on voit une affaire : The North Face. Ils réussissent à rendre « big » un événement de course en sentiers, avec la musique, l’animation, les kiosques. Ha, il y a bien ces choses-là ailleurs aussi, mais on dirait qu’ici, c’est bigger.

Il fait humide et tout de même assez frais, au point où je dois enfiler un t-shirt à manches longues en plus de mon imperméable jetable en attendant le départ. J’envisagerai même d’amorcer la course avec mes arm warmers, malgré la chaleur annoncée.

Parlons-en, de la chaleur. J’en ai fait mention ad nauseam, l’hiver a été atrocement froid au Québec. Environ 25 journées sous les -20 degrés, du jamais vu. J’ai tout de même couru, beaucoup couru, dont un « record » personnel de 484 kilomètres en mars. Mais jamais à la chaleur. Mon corps n’y est donc tout simplement plus adapté, bien au contraire. Les 26-27 degrés prévus ne sont donc pas pour me rassurer…

Ajoutez à ça aucune sortie en sentiers depuis Bromont et très peu de côtes (mises à part les routes dans la campagne des Cantons de l’Est) et ça devrait donner un gars qui n’est pas trop trop rassuré avant de prendre le départ de son premier ultra à être couru au sortir de l’hiver. Disons que ça va me changer de Boston où j’étais ces deux dernières années à pareille date.

Et pourtant, je me sens calme. Confiant même. Je regarde les autres, de véritables paquets de nerfs et j’ai envie de rire. Les nerfs, les boys, on en a pour des heures et des heures, ça ne donne absolument rien de s’énerver. Ce sentiment de vieux lion qui en a vu d’autres, je commence l’apprécier de plus en plus.

En observant le monde autour, je remarque une autre chose: c’est le paradis des Hoka. Personnellement, je ne cours pas minimaliste. J’aimerais bien, mais ma technique de course ne me le permet vraiment pas et bon, bien que j’essaie de la modifier, les derniers essais m’ont laissé avec une blessure au tendon d’Achille qui ne finit plus de finir de guérir, alors je continue de courir avec des souliers offrant un certain coussinage. Mais jamais je n’irais jusqu’à courir avec des machins comme ça !  La semelle est tellement épaisse qu’on dirait qu’il s’agit de souliers plate-forme. Ça doit être pesant et encombrant, non ?  En tout cas, le look « coureuse » que je trouve habituellement très reposant pour la vue en prend pour son rhume quand il est altéré par de telles échasses…

Après une longue attente, je laisse mes sacs en consigne et me dirige vers la ligne de départ car je fais partie de la première vague (ne me demandez pas comment ils ont déterminé ça, je n’en ai aucune idée). Le directeur de course nous donne ses dernières instructions, je retiens surtout celle concernant les serpents. Hein, des serpents ici ?  Quel genre de serpents ?  Des petites couleuvres moumounes ou des serpents à sonnette ?  Pas des foutus des mambas noirs toujours ? Bah, connaissant le goût prononcé de nos voisins du Sud pour l’exagération, ça doit être la version couleuvre qui nous attend. De toute façon, avec 300 personnes qui feront trembler le sol, les serpents devraient nous laisser le chemin libre.

Puis, il nous présente Dean en nous énumérant ses différents exploits pour ensuite nous faire part de son défi pour 2016: faire un marathon dans chaque pays membre des Nations Unies. Ouais, 198 marathons dans autant de pays la même année ! Vous vous imaginez la logistique ?  Et combien ça va coûter ?  Sapré Dean, on ne le changera pas !

Toujours est-il que c’est lui qui empoigne le micro pour nous donner un dernier pep-talk avant de se joindre à nous pour la course. Ça me fait bizarre de voir et entendre le célèbre Ultramaratonman dans un contexte plutôt intimiste, dans l’obscurité, entouré d’environ 400 personnes. Je n’écoute pas vraiment ce qu’il dit, sauf quand il demande combien parmi nous n’ont jamais fait un 50 miles. Constatant qu’environ 50% des coureurs de la première vague lèvent la main, j’ai un petit sourire et me dit: « Vous allez vous amuser ».

Quand l’horloge située près de la ligne affichera 5:00:00, le départ sera donné. J’ai hâte.

WHAT ?!?

Dernière station d’aide, plus que 3 kilomètre à faire. Ou du moins, c’est ce que je crois… Le bénévole m’annonce que je dois me taper la foutue « boucle » (ce n’est pas une boucle, c’est un aller-retour, bout de viarge !) de 2.2 miles avant de pouvoir retourner au départ-arrivée, 1.7 miles plus loin. Le soleil de plomb me tape sur la tête depuis des heures et j’ai juste envie d’en finir au plus sacrant, alors la Bonne Nouvelle qu’il m’annonce  a l’effet d’un coup de poing. Le « WHAT ?!? » que je lâche à ce moment-là est plus que senti.

C’est beaucoup plus tard, alors que la ligne d’arrivée a été franchie depuis un bon bout de temps qu’exactement le même mot sort de ma bouche. Mon temps final de 8:18:28 ne m’impressionnant guère pour ce type de parcours, je ne m’attendais pas à des miracles côté classement. Un top 20 peut-être ?

Quand j’ai vu que j’avais terminé 9e, c’est sorti tout seul: « WHAT ?!? ».

Ha les préjugés…

Je tourne ici ou pas ?  Cet escalier, il faut que je le monte, non ?  À moins que je doive passer tout droit ?  Je ne sais plus…

Ça y est, je suis encore perdu. Le pire, c’est que je ne suis même pas dans le bois, en pleine nuit, avec une centaine de kilomètres dans les jambes. Au moins, ça me donnerait une bonne raison. Mais non, pas du tout. Je suis dans une école secondaire et comme ceux que j’appelais « les vieux » jadis, je suis totalement incapable de me retrouver. C’est tellement plaisant de me faire rappeler si gentiment que le vieux, aujourd’hui, c’est moi…

Si au moins j’étais en train de chercher un adolescent ou un prof dans le labyrinthe que représente pour moi cette polyvalente, j’aurais une bonne raison d’être perdu, mais ce n’est pas ça. Je suis en train de courir dans les corridors de l’école avec les jeunes qui s’entrainent en vue du Grand Défi Pierre Lavoie au secondaire et comme de raison, même si c’est la deuxième fois que je viens ici, je n’arrive toujours pas à me faire une image du parcours à effectuer dans ma tête. « C’est par ici, monsieur ! ». Pour la 100e fois, un élève me ramène dans le droit chemin.

On entend souvent des commentaires négatifs sur la génération qui pousse. Ils seraient supposément paresseux, ils passeraient leur temps le nez collé sur leur cell, ne penseraient qu’à updater leur statut sur les réseaux sociaux, ils se foutraient de tout, bla bla bla…

Hé bien depuis que j’ai assisté à la conférence que Joan leur a présentée, ces jeunes-là ne cessent de me prouver que tout ça, ce ne sont que des préjugés. Tout d’abord, à ladite conférence, ils ont écouté attentivement et ont posé un large éventail de questions démontrant hors de tout doute leur intérêt. Puis il y a deux semaines, quand Réjean, le prof responsable, m’a présenté au groupe, ils m’ont accueilli avec une belle main d’applaudissements.

J’ai demandé ce que je pourrais faire pour aider. La réponse de Réjean: « Juste courir avec eux. » Ouais, bon, un lendemain de longue sortie, ce n’était pas l’idéal, mais je n’étais pas pour choker, alors je me suis dit que j’allais faire ce que je sais faire de mieux (ou à peu près): courir. Ce jour-là,  j’ai laissé partir le plus rapide, une véritable fusée qui a beaucoup de potentiel, pour accompagner les 2-3 autres plus forts. Pas expansif de nature, je n’ai pas beaucoup jasé, juste suivi. Je me suis dit que je les laisserais me parler s’ils en avaient envie.  Ce qui fait que j’ai eu la chance d’échanger avec Thomas, un jeune homme qui présente une belle maturité. Après l’entrainement, il avait une pratique de soccer. Paresseux les jeunes, vous dites ?

À la fin, ça s’est terminé par des high fives et des accolades. Ils avaient compris une chose que les sprinteurs se comprendront jamais: c’est dans le dépassement de soi qu’on trouve la satisfaction. Ce qui est important, ce n’est pas être meilleur que les autres et de les vaincre, mais être fier de ce qu’on accomplit et heureux de voir les autres en faire autant.

Toujours est-il que la semaine dernière, quand j’y suis retourné, j’avais fait un 50 kilomètres la veille, alors j’ai plutôt décidé d’embarquer dans le milieu du peloton, question de prendre ça relaxe. Après 5 minutes, plusieurs ont commencé à profiter de la partie cachée du parcours pour marcher (avouez qu’à leur âge, vous faisiez la même chose !), alors je me suis souvent retrouvé seul… sans jamais savoir quel escalier ou quel couloir emprunter. J’étais tout simplement pathétique. Mais ça m’a permis d’être aux premières loges pour les observer. Bien que plusieurs marchaient, d’autres n’ont jamais arrêté, poursuivant leur chemin avec une belle régularité tout en suivant les consignes données au préalable par leur prof. Quand je les dépassais, je tâchais de les féliciter pour leur ténacité. C’était la moindre des choses que je pouvais faire.

Je sais, je ne suis pas objectif quand on parle du monde l’enseignement. Mes parents étaient enseignants, j’ai plusieurs amis qui sont dans le domaine. Je sais ce qu’ils vivent. Ces gens ont un point en commun: ils ont à coeur la réussite de leurs élèves et ne comptent pas leur temps. Les profs ne pas obligés de faire ce qu’il font pour les jeunes après l’école. Ils ne le feraient pas et seraient payés exactement le même prix. Pourtant ils sont là à les encourager, à courir avec eux, à prendre soin de ceux qui se blessent ou qui ont des malaises. Ils se font de la bile à longueur d’année pour ceux qui vivent des situations difficiles à la maison, qui ne mangent pas à leur faim, qui ont des problèmes de coeur ou avec d’autres jeunes. Ils ne sont pas seulement prêts à « sacrifier » une fin de semaine avec eux pour continuer à jouer aux profs au Grand Défi Pierre Lavoie, ils ont hâte de le faire.

Il n’y a pas de mots pour décrire l’admiration que j’ai pour eux. Je trouve tellement dommage que tant de gens ne se rendent pas compte de tout ce qu’ils font pour leurs enfants…