« L’Eastern States ? La Pennsylvanie, en août ? Vraiment ? Ça va pas, non ? En plus, ça prend un doctorat pour réussir à acheter de la bière dans cet état ! ».
À qui je disais ça ? À personne, mais je le pensais très fort en cette chaude soirée de mai 2015 au ravito Gap Creek I installé au mile 69.6 du diabolique Massanutten. C’est que voyez-vous, James Blanford, un des meilleurs coureurs dans l’est du continent, avait dû abandonner quelques heures plus tôt et il nous faisait part de ses plans pour le reste de l’été.
Et qui se retrouve à jogger à mes côtés alors que je me présente à la station Ritchie Road, située au mile 38.5 dudit Eastern States que je m’étais juré de ne jamais faire ? Hé oui, ce même James Blanford !
« J’ai la chienne, t’as pas idée… ». C’était le mot que j’avais laissé à ma douce avant de quitter l’hôtel. Pas ma meilleure idée, ça risquait juste de l’inquiéter. Mais il fallait que je le dise à quelqu’un, il fallait que ça sorte. J’avais une trouille sans nom, comme jamais ça m’était arrivé avant une course.
J’avais peur de quoi, vous me demandez ? Comme ma mère l’avait prédit, j’avais peur de la chaleur. De la cr… de chaleur. Je savais que j’allais avoir chaud, mais jamais je ne m’étais imaginé qu’il ferait aussi chaud. Quand nous sommes arrivés vendredi en fin d’après-midi, le mercure indiquait 35 degrés et l’humidité était à couper au couteau. L’été a été chaud au Québec, mais ce n’était absolument rien comparé à ça. Et j’allais me taper 100 (102.9, en fait) miles dans de telles conditions… J’en tremblais dans mes shorts.
J’ai tout de même décidé de suivre mon plan à la lettre : partir rapidement vers le devant du peloton, question de ne pas me retrouver dans un embouteillage lorsque la première grosse montée (celle du sixième kilomètre) allait se montrer la face, puis demeurer « en dedans » pour le reste de la course.
Après les deux premiers kilomètres franchis en 10 minutes (c’est rare qu’on fait du 5:00/km dans un ultra, mais bon…) et 4 kilomètres de single track, la fameuse côte s’est présentée. Hou la la, une vraie de vraie ! Longue, abrupte, elle allait donner le ton au reste de la journée car dès lors, le rythme serait très, très lent.
Pour vous dire, j’ai remarqué que je passais le 20e kilomètre en 3 heures pile. Un calcul rapide me donnait une arrivée en 25 heures à ce rythme-là. Quand on sait qu’on ralentit invariablement en cours de route, ouch !
Toujours est-il que j’avançais, tant bien que mal, malgré la chaleur qui se faisait de plus en plus présente. Dès que je le pouvais, je m’arrêtais pour tremper mon chiffon J (j’ai toujours un chiffon J sur moi, pour les « urgences », si on peut dire) dans les quelques ruisseaux qu’on croisait et m’asperger d’eau. Si bien qu’en arrivant tout près de Lower Pine Bottom (mile 17.8), je me sentais relativement bien.
Ça c’était jusqu’à ce que le bénévole me dise que le ravito était en haut d’une interminable montée… en asphalte et au gros soleil. « I HATE you !!! » que je lui ai lancé, un sourire en coin.
Tout en haut, mon dream team du Vermont (composé de mon père et de ma sœur) m’attendait. Pour la première fois, ils allaient s’étonner de mon relatif état de fraîcheur. Remplissage rapide du réservoir de ma veste que je siphonnais à la vitesse grand V pendant que je me choisissais de quoi bouffer à la table et voilà, j’étais reparti. Non sans avoir constaté, comme me l’avait fait remarquer mon père en me pointant un drapeau américain tout à fait immobile, que le vent était totalement absent. Tant qu’à se sentir dans un sauna de toute façon…
Après être passé par Browns Run (mile 25.8), j’ai pris la direction de Happy Dutchman, (mile 31.6). Les montées et descentes s’enchainaient, la difficulté du terrain étant variable. Des gens me dépassaient, je les redépassais. Bref, un ultra dans ce qu’il y a de plus classique.
Mais qu’étaient-ce ces bruits ? Le ravito qui approchait ? Cooool ! Et en plus, j’apercevais un gars devant, j’allais pouvoir en shifter un…
J’avais juste à moitié raison. Il y avait effectivement un gars devant et j’allais indéniablement le shifter. Mais les bruits, c’était lui qui les produisait. En se vomissant le corps. Et il faisait ça avec une puissance admirable, je dois dire. Ça devait lui faire mal jusque dans le… Cœurs sensibles s’abstenir.
Will you be all right ? “Don’t know...” Autre salve conique d’un merveilleux mélange solide-liquide que j’imaginais sûrette sur les bords. Hummm… Do you want me to stay with you ?
Quand il a réussi l’exploit de produire un autre jet, je n’ai pas attendu sa réponse. I’m staying with you. Il ne s’est pas obstiné et nous avons repris le sentier à la marche. Le gars présentait des symptômes de début de coup de chaleur, je ne pouvais tout simplement pas le laisser seul. Sur la route, on s’en fout un peu, il y a toujours du monde. Mais là, dans le milieu du bois ? Il aurait pu en mourir, alors pas question de le quitter.
Fallait tout de même avoir l’estomac bien accroché pour assister à un tel spectacle et pendant qu’il s’exécutait, disons que j’avais une vague pensée pour tout ce que j’avais bouffé depuis le début de la course : sandwichs, fruits, chips, quelques gels. Heureusement que le mélange était assez équilibré, car je n’aurais pas pu garantir sa « stabilité ». Déjà que j’avais laissé tomber le Gatorade à saveur de « pisse de schtroumpf » parce qu’il me donnait des rapports…
Feeling a bit better ? Oui, il allait un peu mieux, assez pour réussir à jaser un peu. Tout jeune (il avait l’air d’avoir 30 ans), le gars venait de Pennsylvanie. Et pas plus habitué que ça à la chaleur locale ? Hé ben… Deux autres nous ont rejoints et quand je leur ai raconté ce qui arrivait à mon nouvel ami, on s’est tous mis à élaborer sur nos symptômes: mains enflées, pas uriné depuis des heures, nausées. Tout ça en riant. Parce que oui, on fait ça parce qu’on a du fun !
Toujours est-il que le ravito est arrivé et à partir de là, je le laissais entre les mains du personnel médical. Il m’a remercié de l’avoir accompagné, je lui ai simplement répondu qu’il allait me botter le derrière avant même que la nuit ne tombe. Lui comme moi n’en croyions pas un mot.
Devant moi, une section facile selon les bénévoles. Yeah right. Y’a rien de facile ici.
Pourtant elle l’était : un beau sentier de motoneige (il y a vraiment des motoneiges ici ? Comment peut-on avoir de la neige ET des serpents à sonnette ?!?), mais c’est là que la providence a décidé que j’allais vraiment commencer à ressentir les effets de la chaleur et souffrir. Dès que je me mettais au pas de course, je sentais la pression grimper à l’intérieur de mon presto. Et juste pour faire exprès, pas un petit maudit ruisseau digne de ce nom dans les alentours, alors qu’il y en avait toujours un dans les parages depuis le début de la course. Juste des minuscules trous de bouette, que je commençais à envisager avec envie. Si c’est bon pour les cochons, ça doit être bon pour moi, non ?
Au moins, il n’y avait plus de roches. Car, parlons-en des roches. Ha, elles étaient moins présentes qu’à Massanutten, mais elles avaient une particularité. Oui mesdames et messieurs, une particularité : elles bougeaient ! Donc, avant de poser le pied, pas moyen de savoir si ce qui se trouvait en-dessous allait se dérober pou pas. La joie.
Un gars muni de bâtons de marche m’a rejoint puis dépassé. Ça a l’air efficace ces machins-là, je devrais peut-être essayer. Un peu plus loin, alors qu’il était arrêté pour faire son petit pipi (certainement doré), je lui ai fait la remarque comme quoi il était chanceux car moi, ça faisait un bon 6 heures que je n’avais pas uriné.
Il se mit alors en frais de me faire peur… et de réussir. 6 heures ? Tu ne t’hydrates pas assez qu’il disait. Ben oui Chose, je siphonne mon réservoir de 2 litres entre deux ravitos et ce n’est pas assez ? Et il en remettait, me parlant de coup de chaleur, etc.
Voilà, mon moral était atteint. Cette chaleur, c’était trop pour moi, mon corps de Québécois ne pouvait tout simplement pas s’y adapter. Et les idées d’abandon commencèrent à s’immiscer dans mon esprit. Il était encore tôt, si je fermais boutique, on passerait une nuit tranquille à l’hôtel, puis on pourrait retourner à la maison une journée en avance…
Comme quoi les dieux de la course en sentiers n’étaient pas tous contre moi, ils ont mis Blanford sur mon chemin. En le reconnaissant, je me suis arrêté et me suis mis à lui jaser ça. Il sautait une année, il était là comme crew pour un de ses amis et allait le pacer pour les 22 derniers miles. S’il se rendait.
“Hey, you’re here to run, not to talk !”. Celle que je présume être sa femme. James, très gentil, s’est offert de continuer à la « course » avec moi jusqu’au ravito et sur ces minuscules 200 mètres, il a changé ma course. Car même lui, il a de la difficulté à uriner quand il fait chaud et il a découvert que finalement, forcer les choses, ça ne donne rien. On a continué à échanger un peu et nous sommes arrivés à ma gang. Savoir qu’un coureur d’élite vit les mêmes choses que moi m’a rassuré. Merci James.
Je devais toutefois en avoir le cœur net et suis monté sur la balance. Verdict : 141.8 (pour mes amis européens, ça donne environ 64 kg). 4 livres de perdues depuis le départ, moins de 3%. Pas l’idéal, mais rien de dramatique. Alors l’autre avec son coup de chaleur…
Or donc, après avoir vidé mon réservoir d’eau sur ma tête et l’avoir rempli de LG1, puis m’être remonté le moral auprès de mon dream team en tâchant de manger un peu, je suis reparti, prêt à affronter la section au soleil, sous la ligne électrique.
“How the fuck did I miss that turn ?!?”. C’est ainsi que je fais la connaissance de Jess, une blondinette qui revient en sens inverse à toutes jambes, alors que je gravis les derniers mètres d’une xième montée sous le soleil de plomb. Quand une femme utilise le mot en « f », c’est qu’elle est en petit crapaud, c’est le moins que l’on puisse dire. Tâchant de profiter de son adrénaline, je tente de m’accrocher à elle quand nous retrouvons finalement les bois, mais c’est peine perdue, elle s’envole (presque) littéralement.
Ça n’empêche pas que nous quitterons Hyner Run (mile 43.2) ensemble pour la longue montée graduelle de 9 kilomètres, accompagnés son pacer. Elle a l’air de s’être calmée et placote sans arrêt. Pour ma part, j’ai repris du poil de la bête et c’est la crainte de tomber sur une section technique qui m’empêche de leur demander le passage.
Au sommet, ho miracle : je dois m’arrêter pour uriner. J’allais pouvoir m’en vanter à mon crew à notre prochaine rencontre ! 🙂
Cet arrêt combiné à la descente très technique qui a suivi ont fait que je me retrouve seul. Bah, pas grave, on a la vie devant soi. Le ciel s’est couvert, mais ça fait des heures qu’on entend le tonnerre gronder et qu’il ne se passe rien. Et là, il gronde à nouveau. Ben oui, des promesses…
Car je souhaite de la pluie depuis le début. Une averse de 10 minutes à chaque heure, ce ne serait pas trop demander, non ?
Le vent se lève. Hum, ça pourrait être vrai cette fois-ci… Quelques minutes plus tard, la pluie commence. Ha, ça fait du bien !
C’est qu’elle ne ralentit pas… Ouais, ça finit par être désagréable. Et ça tombe de plus en plus. Merde, c’est que je commence à me les geler ! C’est le monde à l’envers… Alors que mon corps a combattu la chaleur toute la journée, il doit maintenant se battre pour la conserver.
Pas le choix, imperméable d’urgence, que j’avais inséré sans grande conviction dans ma veste. Vivement le ravito, il ne doit pas être bien bien loin…
Aussitôt demandé, aussitôt arrivé : le ravito Dry Run (mile 51.1) est là. J’y arrive, hilare, alors qu’une dizaine de coureurs (dont Jess) et 4-5 bénévoles se tiennent à l’abri du mieux qu’ils le peuvent. Dry Run, sous une telle pluie, c’est drôlement ironique, non ? On dirait bien que je suis le seul à trouver ça drôle.
Il faut dire que ça tombe comme une vache qui pisse, il y a de l’eau partout. Le vent est incroyablement fort, la foudre frappe à une fréquence phénoménale. Ce serait de la pure folie de repartir.
Un bruit assourdissant vient nous faire sursauter. Au même moment, je sens un chatouillement dans mes pieds. « I was shocked !!! » s’exclame une bénévole qui tente de retenir l’abri… que la foudre vient de frapper.
Ouais, ce n’est plus drôle, là… Je n’ai pas peur des orages, mais il y a des limites. Si ça n’arrête pas, je hisse le drapeau blanc. Pas question que je me tape l’autre moitié du parcours dans de telles conditions. Je prends soin de coller mes pieds ensemble et attends que ça finisse par finir.
Un gars est passé et ne s’est même pas arrêté. D’autres se sont tannés d’attendre et sont repartis. Finalement, la pluie diminue progressivement d’intensité et Jess repart. 2-3 minutes plus tard, ce sera mon tour.
Petite section relativement facile débutée sous la pluie et terminée avec mon imper dans les mains. À Halfway House (mile 54.7), une charmante dame avec un dossard de pacer m’accueille. « Do you have a pacer ?». Hein ? Heu… non. J’ai un crew, est-ce que ça fait pareil ? « Ho, sorry… ». Pas trop compris ce qu’elle voulait, probablement une pacer dont le coureur avait abandonné et qui se cherchait un coureur à accompagner. Ça aurait pu être plaisant, mais moi, jaser en anglais quand je suis brûlé…
Ok, changement de souliers, mes Skechers GoTrail Ultra 3 sont complètement détrempés. La pluie a cessé et je sens des débuts d’ampoules sur les côtés des talons.
« Mon Dieu, tes pieds !!! »
Ils sont ratatinés et tout blancs (vous savez, comme les bouts des doigts après un long bain ?), gracieuseté de la pluie. Ajoutez à ça le bleu des orthèses qui ont déteint et mettons que ce n’est pas joli-joli. D’où la réaction de ma petite sœur adorée.
J’observe le tout, prenant mon air de gars qui en a vu d’autres. Pas si pire. Pas d’ampoule en-dessous, on va essuyer ça bien comme il faut et changer pour du sec. Ça devrait être correct. Tant qu’à faire, on change de camisole, puis on embarque les frontales et on reprend la route en prenant bien soin de s’empiffrer. Je pense que ma remontée impressionne mon équipe. Allez, on se revoit dans 9 miles !
9 miles pénibles car en plus d’être très techniques, les sentiers sont rendus glissants au possible suite à la pluie. Je ne compte plus les roches qui ont cogné sur mes chevilles suite à des mini-éboulements. Les mots d’église qui sortent de ma bouche viennent briser la quiétude de la forêt à de maintes occasions.
Toujours est-il que j’arrive tout de même à Slate Run (mile 63.8). En fait, c’est où, Slate Run ? Il y a bel et bien un bistrot où des gens s’amusent en prenant un verre sur la terrasse (belle soirée pour ça), mais la station, elle est où ? Doit-on entrer dans le bistrot ? Moi, si j’entre là-dedans, je n’en sors pas… Ha, une bonne bière en fût…
Un bon samaritain m’indique le chemin à suivre et je retrouve mon équipe derrière, dans le stationnement. Au menu du ravito ? De la pizza, gracieuseté du bistrot. D’ailleurs, qui a eu la brillante idée de se partir un bistrot ici ? En tout cas… Le gars qui arrive juste après moi en dévore une pointe, mais moi, ça ne me dit rien. Je me contente donc des plus traditionnels sandwichs.
Au moment de repartir, léger problème : je ne sais pas où aller ! Et je ne suis pas le seul car les bénévoles ne semblent pas trop au courant. Finalement, quelqu’un le sait et c’est accompagné de mon équipe que je fais les premiers 200-300 mètres dans l’obscurité du sentier. Hé oui, ils veulent savoir « de quoi ça a l’air la nuit ». Hé bien voilà ! « Je ne changerais pas de place avec toi ! » finit par me lancer mon père avant de rebrousser chemin. Ça tombe bien, moi non plus. On est fait pour s’entendre ! 🙂
J’aurais bien aimé qu’on frappe une fameuse montée avant qu’ils fassent demi-tour, mais bon, ce sera pour une prochaine fois. N’empêche, je le dis à chaque fois, mais mon équipe de support accomplit un travail colossal et ce, toujours dans la bonne humeur. Attendre des heures pour me voir passer en coup de vent ou presque, ça dépasse mon entendement.
Oups, que se passe-t-il ? 2-3 kilomètres après le ravito, mes paupières sont soudainement lourdes. Très lourdes. Un gel à la caféine peut-être ? Sans effet. Pourtant, il n’est pas si tard… Ça va passer, ça va passer…
Nope. Et contrairement à Massanutten, je n’ai pas Pierre pour me guider pendant que je suis en train de me transformer en zombie. Allez, on se rend à Algerines (mile 69.1) et on dort là. Un petit coup de cœur…
Rien à faire. Tout ce que mon esprit pense, c’est trouver un endroit où je pourrais dormir. Vite, ça presse ! Ce buisson-là ? Sous cet arbre ? Si ça continue, je vais littéralement tomber de sommeil…
Tiens, une grosse roche plate au pied d’un arbre, le nirvana. Je m’assois, m’appuie le dos et la tête sur l’arbre, éteint mes lampes… et ferme les lumières. Les serpents à sonnette ? Qu’ils aillent se faire voir, je dors ici, point final.
Combien de temps je reste là ? 5 minutes, pas plus. Un coureur passe et me « réveille ». Ok, on va faire un test. Hou la la, que c’est dur de se relever ! Petite marche. Ok. On reprend graduellement le rythme… Toujours ok et miracle, je ne m’endors plus ! Je suis évidemment fatigué, mais au moins, je suis réveillé.
Réveillé au point où je parviens à rejoindre un gars avec qui j’ai joué au yo-yo depuis le début. Pourquoi je le rattrape si facilement ? Il a une grosse ampoule et marche difficilement. Ok, je comprends, mais tu ne pourrais pas te tasser ? Pourquoi dès que je sens que quelqu’un est plus rapide que moi, je le laisse passer et que moi, si je tombe sur du monde qui en arrache, je dois avoir l’odieux de demander le passage ? Tasse-toé, joual vert!
Je parviens à passer dans une montée légèrement plus large et arrive à Algerines (qui est installé en plein milieu du bois) au son d’une cloche. Définitivement que j’ai bien fait de dormir avant…
Sur un grand tableau, le classement : je suis le 26e à passer là. Hé, pas si mal. Avec un peu de chance, un top 20 n’est pas impossible.
Sans trop m’attarder question de ne pas être encore pris derrière mon téteux-à-l’ampoule, je poursuis ma route à travers la nuit. Une route lente, ponctuée de (pas tellement) de hauts et (pas mal plus) de bas et marquée par une conversation que j’ai avec une grenouille. Dis, tu connais le Québécois ? Wrebbitt, wrebbitt, wrebbitt… Je pense qu’elle a décidé de la jouer « hard to get » car elle finit par s’en aller.
Blackwell, mile 80.3. Le capitaine de la station me dit qu’à partir de là, on finit, pas le choix. Heu, si j’ai décidé de passer la nuit, je vais finir, ne t’en fais pas vieux !
James Blanford me reconnait et me demande comment ça se passe. « Not too bad, actually ». Vraiment pas si mal. Et son ami ? Il a abandonné. Ha, c’est triste. Mais si je n’étais pas si gêné, je lui demanderais de me pacer. Sauf qu’il serait encore plus gêné de me refuser, alors je laisse tomber.
Je décide de faire une entorse à ma façon de faire habituelle et m’assois en arrivant pour bouffer. J’informe mon crew pour mon dodo et que ça va mieux depuis. Au moment de partir, je leur dis qu’on se voit dans 12 miles.
« Heu non, c’est la dernière station accessible. ». Mon père fait le tour de ses feuilles et selon l’info dont il dispose, il s’agit bel et bien de la dernière. Je suis persuadé du contraire. Pour en avoir le cœur net, ma sœur va aux infos : j’ai raison. Sauf qu’il y a un léger problème : en plus de ne pas avoir les indications, le réservoir de mon RAV4 est à sec. Oubli de ma part en arrivant vendredi, sans compter le fait que la seule station d’essence de Waterville… n’avait plus d’essence !
Bah, on se reverra à l’arrivée, ce n’est pas la fin du monde. Au rythme où j’avance et avec un tel terrain, ce ne sera pas avant 7 heures.
« On va trouver une solution ! ». Je n’en doute pas une seconde, mais je préfère ne pas me faire d’illusion, au cas où je serais déçu.
Bon, à l’attaque de Skytop maintenant. Une petite pancarte l’annonce : dans 4.5 miles. Puis la montée commence. Ouch. Face de cochon, face de singe, appelez ça comme vous voulez, ça monte en s’il-vous-plait ! Selon les données, ce serait à 17% de moyenne. Avec plus de 80 miles dans les jambes.
En haut, avec le jour qui se lève en arrière-plan, la vue est à couper le souffle. Mais ça ne fait pas 4.5 miles que je monte, ça c’est certain. Hum… Sentier technique qui descend trop longtemps à mon goût. Si ça descend, va falloir remonter, parce que Skytop, il me semble que le mot le dit.
Hé oui, faut remonter. Encore et encore. Calv… Moi qui aime monter, j’en ai marre de le faire en tâchant de demeurer « en dedans » question de ne pas me brûler. En fait, une chance que je suis demeuré « en dedans », car en vérité, je SUIS brûlé.
Mais j’arrive tout de même au ravito sur mes deux jambes. « Skytop » mon c… C’est bien en haut, mais il n’y a foutrement rien à voir. Ceci dit, les bénévoles sont extraordinaires et l’ambiance est à la fête. On m’assure que la descente est douce et sans roches boueuses (Hallelujah !) et que les montées, bien que difficiles, ne sont pas si pires. Bon ben, amenez-les !
Effectivement, c’est une section qui passe plutôt bien (dans les circonstances) et Barrens (mile 92.8) ne tarde pas trop à se montrer. Et qui vois-je dans le sentier ? Ma sœur ! La belle surprise !!!
Ils me racontent rapidement leurs aventures avec la station-service, et pendant que je me ravitaille, mon père effectue un dernier plein de ma veste. Encore une fois, je demande du Coke. Le Coke, ça me donne le coup de fouet dont j’ai besoin à chaque fois.
Pas de Coke. Comment ça, pas de Coke ?!? Même les élites prennent du Coke ! « On a du Ginger Ale et du café ». Beuh… Ouin, va falloir faire avec.
Des gens parlent français derrière, je leur placote ça un peu. Ils attendent un coureur que je ne connais pas qui serait 45 minutes derrière moi. Ouais, bon, parle parle, jase jase, j’ai une course à faire moi ! 16 kilomètres ? Bah, une heure et c’est fini ! 😉
Un des membres de l’équipe de support québécoise part à rire, car il sait de quoi je parle : moins de 4 minutes au kilomètre. Bon, ok, ça va prendre un peu plus de temps…
Mon équipe me suit encore une fois dans le sentier. C’est vraiment le fun, ces petits moments-là en famille. Peut-être ma petite sœur voudra-t-elle me pacer un jour, qui sait ? Mais bon, comme c’est courable, je commence à jogger et leur dit un dernier au revoir.
Dès le début de la section, je rejoins Jess, qui marche avec des bâtons. Elle est au bout du rouleau. Quant à moi, je me sens revivre. Tel qu’on m’en avait parlé, c’est roulant, alors j’y vais au pas de course. Mon objectif de 30 heures est hors de portée, mais peut-être que descendre sous les 31 heures, si jamais…
Ça va bien mon affaire, ça va bien… Les kilomètres doivent passer, jamais je ne croirai (ma Suunto a rendu l’âme depuis des heures) ! Puis, un ruisseau à traverser, une petite montée, des racines plein le sol, pas moyen de reprendre un rythme… et je frappe un mur. Merde, merde, merde ! Je n’avance plus !
Et ne voilà ti pas un gars qui arrive à pleine vitesse et me laisse sur place. You’re flying, man ! « Yeah, I’m finally feeling good ! ». Ha pis, va donc ch… !
Les gels ne font pas effet, je suis fatigué comme en pleine nuit. Pourtant, la lumière du jour devrait me réveiller, mais il n’en est rien. J’avance péniblement, un pas à la fois. La section de 6.5 miles s’éternise, elle ne finit plus !
Après 2-3 éternités, Hacketts (mile 99.1), dernier ravito. Du Coke, je veux du Coke !!!
Pepsi, ça fait pareil ? Ok, on y va avec ça. « Only 3.8 miles left ! ». Ils sont comment, ces 6 foutus kilomètres ? Plats, droits, sans roches ni racines ?
Bien sûr que non ! Techniques au bout, je n’en peux plus. Puis une montée. La dernière. Allez, un petit coup de cœur, ça achève.
Au fur et à mesure que je monte, je remarque que de plus en plus, les chances que je doive descendre avant l’arrivée sont grandes. Ha non…
Hé oui ! Une face de singe pas possible. À tout moment, j’ai peur qu’un pied parte et de me casser la figure. Freiner, freiner, toujours freiner. 10 fois plus pénible que monter. Et pourtant, je rejoins un gars et son pacer. À ce point de la course, il faudrait bien terminer ensemble, mais il n’avance tellement pas (il ne faut vraiment pas avancer pour aller moins vite que moi) que je passe en lui lâchant un encouragement.
Je croise un monsieur qui m’assure qu’il ne reste qu’un demi-mile. Ça achève, ça achève…
La pente s’adoucit finalement et comme je reprends le pas de course, j’entends les deux zigotos que je viens de dépasser approcher. Ils passent en coup de vent en arrivant dans le parc, avec l’arche d’arrivée en vue. Cheap shot, mais ce n’est pas tellement grave : c’est fini.
31:38:44, 24e sur 197 au départ.
Ça aurait pu être mieux, mais ça aurait pu être pas mal pire !

Recevoir un câlin de la part d’une des organisatrices, un des « bénéfices marginaux » de terminer cette course… 😉
Comme ils disent: Eastern States, pas pour les débutants !