Sections 9 et 10 (kilomètres 55 à 71 : le lac Gale)
Pierre a quitté le camp de base avant moi, son compagnon juste après. Celui-ci me rejoint dans le stationnement menant au chemin de terre que nous allons emprunter. En passant, je l’entends me murmurer : « On ne lâche pas le jeune ! ». De quessé ? Hé, je ne me souviens pas la dernière fois où je me suis fait appeler comme ça… et je ne pensais bien que ça ne m’arriverait plus jamais ! 😉
La petite route est roulante, mais comme elle est en montée, je préfère la faire en marchant. Je vois les deux autres courir et s’éloigner. Je suis confortable avec ma décision: avec plus de 100 kilomètres encore à parcourir, je me dis que la route est encore longue. Très longue. Dans le meilleur des cas, je courrai quand je repasserai, dans quelques (ok, plusieurs) heures. Demain matin, en fait ! Hé oui, je vais encore courir demain matin.
Entrée dans les sentiers : ils sont larges, pas tellement techniques. J’adore. Dans une longue montée, je gagne du terrain sur Pierre, assez pour l’entendre raconter à des cyclistes de montagne que nous avons pris le départ à 9h ce matin. J’ai un peu perdu la notion du temps, mais à voir la réaction des gens et aussi et en y pensant le moindrement, je me rends bien compte que nous sommes en fin d’après-midi. Ces personnes achèvent probablement leur journée de vélo alors que nous n’avons pas encore franchi la moitié de notre parcours. C’est vraiment débile comme course.
Sur les bords du lac Gale, je suis frappé par la beauté des lieux. Après à peine un kilomètre à longer les berges du lac, nous arrivons au ravito Balnéa (kilomètre 62). Déjà ? Mon Dieu, une petite étape facile ! Pierre me surprend en s’assoyant. Il faut dire que l’endroit est invitant: bien à l’abri, beaucoup de tables, de la bouffe en grandes quantités, des gens accueillants et de la musique au son de laquelle je m’amuse à « danser », au grand plaisir des bénévoles qui sont d’office. C’est certain que pour les gens dits normaux, ce ne devrait pas être l’air qu’on a après 60-65 kilomètres de course. Mais bon, c’est l’air que j’ai, alors…
Notre compagnon quitte le premier, Pierre et moi suivant pas tellement loin derrière. Sauf que mon « modèle » croise sa famille en chemin et s’arrête pour leur jaser un peu. Je poursuis donc seul, jusqu’à ce que j’arrive sur les traces de celui-dont-je-ne-saurai-jamais-le-nom. Son non-verbal indique clairement qu’il est dans un creux. Il n’offre aucune résistance quand je le dépasse. Je le perds de vue rapidement. Serait-il cuit ?
J’évolue donc maintenant complètement seul dans les beaux sentiers du secteur du lac Gale. Au bout de 2 ou 3 kilomètres, je croise un coureur qui ne fait pas partie de la course. Je lui dis bonjour, il me répond… que je suis en quatrième position ! Je cite alors Robert DeNiro : « C’est à moi que tu parles ? ». Car je trouve totalement incongru que je sois en quatrième position, surtout que je sais pertinemment que Joan et Thibault sont devant. Je ne peux pas croire qu’il n’y a seulement qu’un autre coureur devant moi.
« Tu es dans le 160 kilomètres solo, non ? ». Heu, oui… « Ben t’es en quatrième position, mon loup. ». Mon loup ? C’est ma femme qui m’appelle comme ça, tu sauras ! Mon loup, franchement… Mais la nouvelle qu’il m’apporte est tellement bonne que je ne lui en tiens pas rigueur.
Je vogue donc, profitant de chaque instant de ce bonheur que je suppose passager. Très passager même, car j’entends maintenant des pas derrière. La cadence est rapide, je suis définitivement en train de me faire shifter. Au revoir quatrième position !
Je me retourne. Une fort jolie fille est effectivement en train de me rattraper. Mais j’ai à peine l’occasion de commencer à réfléchir qu’elle me dit qu’elle court le relais. Ouf ! N’empêche qu’elle court vite quand même ! En temps normal, je n’aurais pas de difficulté à la suivre, bien au contraire, mais on dirait que mon corps entier est conditionné à une seule et unique tâche : faire la distance. Je laisse donc partir l’inconnue.
Le sentier finit par se corser et devenir ma foi, très technique. Je ne m’attendais pas à ça. Monte, monte, monte encore. Mais tout en haut, je me rends compte que l’effort en valait la peine : la vue sur le lac est à couper le souffle. Pour la première fois de ma vie, j’ai envie de prendre un selfie. Mais mon téléphone est bien emballé dans un ziploc, il prend une éternité à allumer… Peut-être tantôt ?
Ouais, il commence à faire sombre dans le bois, vivement le camp de base. En descendant sur le chemin de terre qui m’y ramène, je vois une indication pour la course de 12 kilomètres. Mais moi, je fais le 160, dois-je passer par là ? Je décide de ne pas prendre de chance et retourner au camp de base par le chemin où je suis passé plus tôt.
Il semblerait que ce n’était pas la chose à faire car j’arrive du mauvais côté de la tente où je dois faire prendre mon poids. Oups. L’important est que je ne me sois pas raccourci et il semblerait que non. Sous la tente, Allister. Aussitôt, je lui lance un gros : « I hate you !!! ». Voyant son hésitation quant à savoir si je suis sérieux ou pas, je me jette dans ses bras et lui fait l’accolade. « C’est vraiment un beau parcours que tu nous as fait » que je prends soin d’ajouter.
Je reconnais ensuite ma gang qui m’attend avec un bel enthousiasme. Parmi eux, un intrus : Pat, qui porte des vêtements chauds et une tuque. Ha non, il a dû abandonner… Shit ! Mon expression doit trahir ce que je pense, car il s’empresse de me dire, sur un ton très calme : « C’est pas grave. C’est vraiment pas grave. On va se reprendre !» Je lis la sérénité dans ses yeux, ce qui me rassure un peu. Il n’a pas l’air blessé, probablement qu’il a encore son exploit de l’UTMB dans le corps. Je suis quand même déçu pour lui. C’est un peu beaucoup grâce à lui si je suis ici aujourd’hui… Il nous raconte ce qui s’est passé ici. Oui, on va se reprendre Pat.
Ok, de retour à ce que je peux un tant soit peu contrôler : ma course. La pesée: 146 livres. J’ai perdu 2 livres depuis le départ, c’est parfait. Juste pour satisfaire ma curiosité, je m’informe de ma position. Après vérification, on me confirme : je suis quatrième. Holy shit…
La section a été plus courte que prévu : 15 ou 16 kilomètres plutôt que les 18 annoncés. Ça ne me fera pas pleurer. Mais définitivement que je dois ajouter allonger mes vêtements et partir avec mes lampes frontales. Barbara me demande si je veux « ma » frontale. Je lui réponds que ça m’en prend deux en lui expliquant que c’est essentiel : en effet, si les piles deviennent faibles sur ma lampe, comment les changer si on n’a pas une autre source lumineuse ? Comme pour appuyer mon argumentation, je demande confirmation à Pat qui répond : « Hé oui, toujours deux lampes ».
Ma douce, prévoyant toujours l’imprévisible, sort une deuxième frontale du sac qu’elle transporte. Elle est incroyable ! J’enfile donc mon t-shirt à manches longues jaune-flashant de Boston (autre idée de ma tendre moitié, question que je sois plus visible la nuit), place une lampe autour de ma taille et pendant que Patrick le super bénévole omniprésent (il est partout !) aide Barbara à remplir ma veste, j’enligne l’autre frontale à l’endroit où elle devrait être : sur mon front, bien évidemment ! Dernier accessoire : ma cloche à ours. Pas que ça me tente vraiment, mais bon, au cas où…
Plus que la petite boucle du mont Oak et j’aurai la moitié de parcourue.
Sections 11 et 12 : (kilomètres 71 à 80, le mont Oak)
C’est au joyeux son des gueling-gueling de ma cloche que j’attaque le petit bout très roulant dans le champ menant aux sentiers. Je ne peux pas croire que je vais endurer ça toute la nuit… Je pénètre ensuite dans les sentiers du mont Oak, les premiers que j’ai faits à la course lors d’un séjour en camping dans la région il y a quelques années. Dans la forêt, l’obscurité se fait vite sentir et je vis une première : courir à la lueur de la frontale.
Cette section a été affublée de plusieurs surnoms : le labyrinthe et le jour de la marmotte en sont des exemples. Pour ma part, je dirais plutôt des spaghettis. On a l’impression de parcourir un enchevêtrement infini de sentiers constitués de dizaines de virages en épingle. À la longue, à l’obscurité, on finit par attraper le tournis. À maintes occasions, je me demande si je ne suis pas déjà passé par là et ne suis pas en train de refaire le même trajet, encore et encore.
C’est avec joie que j’aboutis sur un poste de ravitaillement (Canaël, kilomètre 77 supposément). Good, je ne me suis pas perdu. Je m’attendais à un petit relais cucul, mais non, c’est un full ravito, alors j’en profite pour m’empiffrer. Juste un peu là… C’est l’heure du souper, non ?
Un peu plus loin dans les dédales interminables, je crois reconnaître quelqu’un. En fait, c’est son manteau que je reconnais : c’est Pierre-Olivier ! Je suppose évidemment qu’il est derrière moi (c’est dire à quel point ces sentiers sont mêlants : on ne sait même pas si quelqu’un est devant ou derrière !) et me dis que finalement, il n’a pas eu trop de problèmes. Tant mieux pour lui. Menacerait-il ma super quatrième place ?
C’est quand je me rends compte quelques minutes plus tard qu’il est devant que je commence à sérieusement me poser des questions. Comment se fait-il qu’il est là ? Je le rejoins, on échange quelques mots. Je vois bien qu’il ne me reconnaît pas, alors je lui plante carrément ma lampe dans la face, question d’être bien sûr que c’est lui (les bonnes manières finissent par se perdre avec les heures de course…).
« Fred ? Qu’est-ce que tu fais derrière moi ? ». Je me demande plutôt ce que tu fais devant moi, chose ! Aussitôt, je lui demande s’il a fait les sentiers du lac Gale. « C’est quoi ça ? ». Tu n’as pas vu le lac ? Le sentier sur le bord, la vue d’en haut… « Non. ». Ha ben bout de viarge, il n’a pas fait la boucle du lac Gale ! J’ai au moins 15 kilomètres de plus que lui de parcourus ! Je lui demande s’il a un GPS, question de vérifier la distance parcourue. Négatif. Évidemment. Cout’ donc, qui est-ce qui court sans GPS de nos jours ? En tout cas, j’en suis à peu près certain: les indications n’étaient pas assez claires au camp de base et il est parti sur la droite au lieu de prendre la gauche. Moi, je connais un peu la géographie du coin, mais ce n,est pas pareil pour tout le monde.
On se suit un petit bout, puis je le distance peu à peu. Après des milliers de zigzags, je sors finalement du bois et me retrouve dans un champ. Il fait maintenant vraiment très noir. La seule façon de me retrouver, c’est de suivre les petits fanions roses plantés à même le sol, un à un. Quand j’aperçois des obstacles fixes utilisés pour les concours équestres, je sais que je me rapproche du camp de base.
Finalement, la section ne faisait pas 7 kilomètres, mais plutôt 9, peut-être même 10 ! J’arrive à une table où il n’y a aucune victuaille d’offerte, ni même d’eau. De quessé ? C’est l’endroit où on peut récupérer son drop bag. Ouais… Le bénévole, voyant que je cherche de l’eau, m’offre sa propre bouteille. Les bénévoles en ultra, c’est vraiment un monde à part.
Barbara me demande si je veux me changer. Non, je me sens correct pour continuer comme ça. « Tu ne vas pas partir de même ? » demande Marie-Claude. Heu… oui. Tu sais, je bouge un petit peu, genre. Pas certain que je vais faire la nuit comme ça, mais pour le moment, pourquoi m’encombrer ?
Pierre et son compagnon arrivent comme je suis pour partir. Avec eux, Pierre-Olivier qui leur dit qu’il s’en va faire le lac Gale. Je ne peux qu’admirer cette honnêteté. Il aurait pu facilement « oublier » cette boucle-là et partir tout de suite pour un deuxième tour. Bon, l’organisation se serait peut-être rendu compte de quelque chose vu que nos numéros sont pris en note à chaque ravito, mais quand même…
Mes supporters vont maintenant quitter, me laissant aux bons soins de Barbara et de mon père. Je les remercie de leur présence. Ça fait tellement chaud au cœur de voir des gens se déplacer ainsi pour venir nous voir… J’avertis mon équipe qu’il se pourrait bien que ça me prenne 2 heures pour franchir les 13 prochains kilomètres. En effet, ils sont techniques par bouts et je n’ai aucune expérience en course la nuit, alors ça risque d’être encore plus long. Je préfère les avertir.
Avant de quitter, mon père me dit : « À partir de maintenant, c’est du bonus. Tu sais, tu n’as jamais couru aussi loin. Alors si ça ne va pas, il n’y a pas de mal à t’arrêter. Ce sera quand même le plus long que tu n’auras jamais fait. ».
C’est drôle, mais l’idée ne m’avait même pas effleuré l’esprit. Dans ma tête, je suis à mi-chemin. Abandonner ? Peut-être l’envisagerai-je plus tard, mais pour le moment, il n’en est même pas question.
Coup d’œil à la Garmin : 10h30 depuis le départ. Ok, on va oublier les 20 heures. Même 22 heures va être difficile. J’essaierai de faire 24 heures, mais à la base, ce que je veux, c’est terminer.
Sections 13 et 14 : camp de base (80k) à Versant du Lac 2 (93k)
Commence mon deuxième tour. Dans l’herbe mouillée, encore une fois. Bien content de ne pas avoir changé de souliers, ça aurait été une pure perte de temps. Une fois dans le sentier qui longe la route, Barbara me klaxonne au passage, je lui envoie la main. À tantôt mon amour !
Dans la partie technique, une belle surprise : elle me semble infiniment plus complexe que lors du premier tour. C’est fou la différence par rapport à mon premier passage ici. C’est comme… le jour et la nuit (duh !).
Suivant les conseils donnés par Joan, je cours avec les deux lampes allumées. Celle à mon front éclaire en permanence où mes yeux regardent alors que celle à ma taille se charge de me donner une bonne idée des petites variations dans le relief. Au fur et à mesure que je progresserai, je vais allumer cette dernière dans les sections techniques et l’éteindre dans les parties plus roulantes, question d’économiser les piles.
Je découvre rapidement un inconvénient majeur à ma frontale. En effet, on peut ajuster l’angle selon lequel on veut qu’elle éclaire. Sauf qu’à chaque fois où mon corps subit un coup le moindrement brusque (genre sauter en bas d’une petite butte), elle s’abaisse et éclaire mes pieds. Je le sais où ils sont mes pieds, espèce de frontale à la con ! Je t’ai achetée pour que tu éclaires devant, pas mes pieds, bout de sacrament.. Des heures durant, elle me fera damner et sortir tous les saints de l’église. Au final, la cloche à ours n’aura peut-être pas servi à grand-chose… 😉
Au relais Cercle des Cantons 2 (kilomètre 87), je m’apprête à faire un squat pour prendre de l’eau à même la champlure du 5 gallons, comme un peu plus tôt dans la journée. C’est à ce moment que je me rends compte que mes quads commencent à me demander grâce : impossible pour moi de faire cette manœuvre ! Oups. Ok, je peux me passer d’eau, mais s’il fallait que je sois obligé de soulager un numéro deux dans le bois… Je préfère ne pas y penser.
Bon, est-ce moi ou est-ce l’obscurité ? On dirait vraiment qu’il y a plus de montées et de descentes que lors du premier tour. Peut-être que je m’en rends plus compte parce que plus tôt, j’avais de la compagnie, alors que maintenant, je suis seul. D’ailleurs, j’ai tellement l’impression de ne pas avancer que je m’attends à ce que Pierre et son comparse me rejoignent d’un moment à l’autre. Mais chaque fois que je me retourne, rien. Pas la moindre lumière. Ça en est presque louche.
J’arrive au ravito Versant du Lac 2 (kilomètre 93) 1h58 après avoir quitté le camp de base. Pas mal comme prévision, hein ? Et surprise : le coureur qui me précède est là. C’est Martin, que je connais de nom, mais que je ne reconnais pas. Avoir su… C’est tout de même la première personne à avoir fait 100 miles à la course en sol québécois (c’était au Pandora 24 en juillet). Il part juste comme je me pointe le nez, mais c’est la première fois que je le vois. Alors que je pense que je perds du terrain, serais-je en train d’en gagner ?

Mon accueil au 93e kilomètre. Pourquoi ai-je l’impression que madame est moins empressée que monsieur ? 😉
Mon équipe est là, fidèle au poste. Je décide de changer de vêtements : j’opte pour le combo t-shirt – coupe-vent, plus chaud pour la nuit et plus flexible aussi car je peux enlever les manches du coupe-vent. Je garderai toutefois les shorts, ne ressentant aucun inconfort à ce niveau (mise à part la foutue clé du RAV4 qui s’amuse à frotter sur mon monsieur).
Le buffet maintenant. Qu’est-ce qu’on fait quand on a envie de tout bouffer ? Car oui, mon estomac se porte super bien. Tiens, je vais essayer un sandwich gelée – beurre d’arachides. On va voir ce que ça donne. En tout cas, c’est bon en ta…
Ok, une grosse section devant. Je prévois 2h30, peut-être même 3 heures pour me rendre au garage du gentil monsieur, à peine 11 kilomètres plus loin. C’est dire à quel point j’ai du respect pour le parcours qu’Allister nous a concocté. J’en avertis mon équipe, au cas où ils voudraient dormir un peu. Mais ça ne semble pas être le cas, ils semblent tous les deux en super-forme.
Sections 15 et 16 : Versant du Lac 2 (kilomètre 93) à Ironhill 2 (kilomètre 104)
Je me disais que cette section serait difficile la nuit. Hé bien, je ne m’étais pas trompé ! Tout d’abord, premières protestations au niveau de mon estomac. Déjà ? Merde, il me reste tout de même plus de 65 km à faire, est-ce que je vais être pogné à ne plus avoir le goût de rien avaler ? Les paroles de Joan en début de course me reviennent en tête : « Les 50 derniers kilomètres sont toujours difficiles ». Comme dirait mon amie Maryse : ishhhhhh…
La première grosse montée (ce que j’avais appelé les « hors d’œuvre » durant la journée) passe plutôt bien, mais la descente qui suit est tout simplement infernale. Toujours sur les freins, toujours sur les talons. Et ma maudite frontale à la con qui s’amuse à éclairer mes pieds à la moindre secousse. GRRRRRR !!!
Toujours est-il que dans la partie plus roulante menant à la pièce de résistance, je vois quelqu’un à l’écart dans le bois, s’éclairant à la frontale et portant une veste réfléchissante. Appel de la nature. C’est loin d’être la manière la plus glorieuse de le faire, mais voilà, à cet instant précis, je monte virtuellement sur la troisième marche du podium. Je n’ose pas trop y croire. Il y a certainement quelque chose qui va se passer, l’ordre naturel des choses sera rétabli, ça ne se peut tout simplement pas.
J’entame tout de même la montée confiant de pouvoir creuser l’écart sur mes poursuivants. Les montées sont ma force, c’est le moment de l’exploiter. Je monte, monte, monte. Agrippe une racine qui, bien évidemment, s’arrache sous l’effort. Déséquilibré, j’évite la chute de justesse. Grrr ! Je pense à Julie qui aurait bien aimé faire de cette boucle de 55 km son premier ultra. Pas certain qu’elle aurait apprécié…
Je poursuis, allant d’un fanion/ruban rose à l’autre. Puis… plus rien. Je suis rendu dans des roches, des feuilles, des buissons. On dirait qu’il y a un sentier à droite. Je me dirige dans cette direction, tant bien que mal. Rien. MERDE. Je cherche, cherche, cherche. Toujours rien. Tout ce que ma frontale réussit à éclairer, ce sont des feuilles, des roches, des branches. Je ne sais même plus si j’arrive de la gauche ou de la droite, je n’ai plus aucun repère. Je dois me rendre à l’évidence : je suis perdu. Crissement perdu. Calv… !
Bon, je fais quoi là ? Je me mets en boule et je pleure ? Ce qu’il y a de plus intelligent à faire, c’est redescendre et espérer croiser le sentier. Je ne dois pas être bien loin, bout de sacrament ! Et puis, il y a bien du monde qui va finir par passer. Je n’aurai qu’à suivre la lumière des frontales pour retrouver mon chemin. Non mais, tu parles d’une manière loser de perdre la troisième place… Est-ce que j’aurai bien d’autres chances de finir une course d’une telle importance à cette position ?
Justement, je vois une lumière qui s’agite un peu plus bas. Elle semble monter en se dirigeant vers ma droite. Je regarde dans cette direction… J’aperçois un ruban autour d’un arbre. Eureka !!!
Sans plus attendre, je reprends l’ascension de plus belle. Elle est longue. À chaque fois que je pense qu’elle est terminée, elle trouve une autre façon de se poursuivre. Je n’ai jamais vu une montée faire preuve d’une telle imagination pour allonger le plaisir.
Finalement, la descente. Elle est dans toute sa splendeur lobotomique. De dangereuse le jour, elle passe à carrément suicidaire la nuit. Il y a plusieurs pitchs que je dois faire sur les fesses seulement pour rester en vie. À plusieurs reprises, je remercie le ciel d’avoir arrêté la pluie.
Je parviens sain et sauf au relais rue Knowlton 2 (kilomètre 98). Encore une fois, impossible de squatter pour prendre de l’eau, alors j’agrippe une canette de Coke vide laissée sur la table qui me servira de verre. Après presque 100 kilomètres, on est moins gesteux, mettons.
Cette section sur chemins de campagne se fait plutôt bien. Le bruit de mes pas est accompagné par le gueling-gueling incessant de ma cloche à ours, ce qui alerte à peu près tous les chiens du « voisinage ». Je n’ai pas peur de la gente canine, bien au contraire, mais à plusieurs reprises, je prie pour que les propriétaires de voix plutôt menaçantes soient attachés. Avec une chaine, de préférence.
Au ravito Ironhill 2 (kilomètre 104), une surprise m’atttend. Derrière les tables, dans le garage, qui vois-je assis confortablement sur une chaise, enveloppé dans une couverture, ses bâtons de marche à ses pieds ? Thibault.
Au moment même où je le réalise, Barbara apparaît et me lance, cachant mal son enthousiasme : « T’es deuxième !!! ».