Ha, une montée ! 🙂 Le sentier est étroit, du style single track et la forêt, très dense. Assez loin devant moi, deux gars. Ok, on va voir si on peut les suivre.
Au début, j’avance au même rythme qu’eux, mais la montée est longue, alors je sens qu’ils fatiguent. Ce que ça peut être pratique, un frame de chat ! 🙂 Je reprends le premier, un costaud dans les 180 livres. Il souffle fort et me fait signe de passer, un peu avec dépit. Je l’encourage en lui disant qu’il va me shifter dans la descente. J’enligne l’autre, une centaine de pieds devant. Rapidement, je gagne du terrain et le rejoins. Sa cloche à ours fait un tout petit bruit, elle semble aussi fatiguée que lui. Il doit être le seul à en avoir une, d’ailleurs. Autre mot d’encouragement, puis je le laisse lui aussi derrière. La montée est suffisamment longue pour que je ne les aperçoive plus une fois rendu dans la partie roulante… qui ne dure pas.
Deuxième section de montée de la montagne Noire. Dans ma ligne de mire, une autre cible. Je rejoins le gars et on fait un bout ensemble. Il me demande si ça achève, la montée, mais je n’en ai aucune idée. Il a la carte, j’y jette un oeil: ce n’est pas clair. Je lui dis de s’imaginer ce que ce serait si on avait à faire ça dans le cadre du 65 km (nous sommes depuis un bout sur le même parcours), que j’étais supposé le faire, mais comme je me remets d’une blessure… Il me répond que je suis chanceux de m’être blessé parce que le 65k, c’est une « ostie de paire de manches ». Je lui parle alors du Vermont 50, que ça m’avait pris 8h42 et on dirait que ça l’achève car je ne le reverrai plus.
Pas loin du sommet, je rejoins un autre gars, qui a un look latino.. On fait un bout dans le lichens en se suivant. Il me lance un « Hello ! » comme j’arrive à sa hauteur au moment d’embarquer sur un chemin de terre, ce à quoi je réponds: « Ça va faire du bien, un boutte en chemin d’terre, hein ? ». Après 2 ou 3 secondes, j’analyse qu’il n’a probablement rien pigé de mon accent québécois. Bah, tant pis. Je le laisse avant la descente pour arriver bien avant lui au dernier ravito, kilomètre 20. Je réclame aussitôt de la bière, mais je dois me contenter de bananes. 2-3 verres d’eau et c’est reparti. 8 petits kilomètres à faire, piece of cake ! 🙂
Cette section commence par du très technique, mais elle devient relativement roulante. Comme je suis maintenant totalement seul, je résiste très bien à la tentation de courir les montées et prends ça relaxe. C’est un entrainement, je ne dois pas l’oublier. Pas le temps de me blesser. Mais les descentes, c’est vraiment frustrant. Non seulement ça va moins vite en descendant, mais je perds mon momentum quand vient le temps de monter par après. Maudite blessure de mes deux !
Je sors du bois et que vois-je ? Le mont Grand-Fonds et une tabarn… de descente. En terre, avec de grosses roches un peu partout. Et ça descend en face de cochon. Merdeux ! Bon ben, pas le choix… Commence alors un long slalom, un enchainement infini de petits pas pour un, ménager mon genou et deux, ne pas me casser la marboulette. Je m’attends à me faire rattraper par 5-6 gars tellement j’ai l’impression d’y aller lentement. Mais non, je suis toujours seul. Et que dire des gazelles du 65 km ? Ils sont partis deux heures avant nous et l’organisation s’attend à ce que le gagnant fasse 4h30 (ce qui me semble un tantinet rapide), alors…
Deux kilomètres interminables à descendre. L’enfer. C’est là que je me rassure sur ma décision de faire le 28 km ici et d’annuler ma présence au Vermont 50: c’était la chose à faire. Mon genou n’aurait pas duré de telles distances sur de tels terrains. Quoi que le 50 km du VT50, dans trois semaines…
Après une éternité, j’arrive en bas. Pas facile de reprendre un semblant de rythme après ça. Ok, 4 petits kilomètres. Coup d’oeil au chrono: définitivement que je vais faire sous les 3 heures. Mais tant qu’à faire, j’aimerais bien faire mieux que 6:00/km, donc 2h48. Sauf que je ne sais pas ce qui m’attend…
C’est un sentier de ski de fond qui m’attend. Vallonné, bien roulant… à part quand il y a des trous de bouette. Et il y en a plusieurs. Certains sont couverts de branches de sapin, mais d’autres, non. Mon soulier reste même pris à un endroit, me rappelant de merveilleux souvenirs de St-Donat. Welcome to the swamp ! Ha hiiiiiii !!!
Comme je niaise un peu, le latino me rejoint. Je le félicite (en anglais cette fois) pour sa cadence et tout sourire, il m’offre de terminer ensemble. Toutefois, le manque d’entrainement commence à se faire sentir. J’ai beau ne pas avoir trop poussé, je suis un peu juste. Quand nous arrivons sur le chemin de terre à 2 kilomètres de la fin, je lui dis d’y aller, de ne pas m’attendre. On se reverra à l’arrivée. Je demeure derrière lui, assez près, mais quand arrive le dernier kilomètre je décroche.
Car le dernier kilomètre, c’est une longue montée, juste assez abrupte pour ne pas être un faux-plat. Mais pas moyen de la marcher, il faut la courir. Bande de sadiques ! C’est dans cette montée que je double un gars qui m’avait shifté dans la partie technique (lalalère !). Voilà, nous longeons maintenant le stationnement du centre de ski. Quelques spectateurs nous encouragent. Je cherche Barbara du regard, mais ne la trouve pas. Puis j’entends Maryse crier mon nom. Elle accourt à ma rencontre, me donne un high-five et me dit qu’elle va me rejoindre à l’arrivée (je dois faire un détour, pas elle).
Petit plat bienvenu, puis dernière montée, encore un coup de fierté pour la faire en courant. Il y a des spectateurs, quand même… Je cherche Barbara, ne la trouve toujours pas. Elle est où ? Je traverse la ligne en arrêtant mon chrono, entends l’animateur annoncer mon nom: good, ma puce a fonctionné. Mon temps: 2:44:51. 15 minutes de moins que ce que j’avais prévu, cadence de 5:50/km. Je ne peux pas demander mieux.
En sortant du petit couloir qui nous est attitré, deux personnes m’attendent: Maryse et mon ami latino. Et les deux me tendent les bras. Heu… C’est que Maryse est beaucoup plus jolie, genre… Je décide de me « débarrasser » du mon partner en premier. Il est tout content, me félicite et me remercie. C’est vrai qu’on a fait une foutue belle course ! Puis c’est l’accolade avec Maryse, ma chère amie, qui est tout sourire. Sa course semble s’être bien déroulée et comme à chaque fois à une arrivée, on se félicite chaleureusement. Arrivent Marie-Claude et Julie avec qui j’échange des high fives. Elles aussi semblent de fort belle humeur.
Où est donc Barbara, mon amour ? La pauvre, comme je lui avais dit que je m’attendais à faire « au moins 3 heures », il fallait qu’elle choisisse ce moment-là pour s’éclipser aux toilettes, pensant qu’elle avait une marge avant mon arrivée. Tu parles d’un timing… Il semblerait que Charlotte me sentait arriver car elle ne voulait rien savoir d’entrer dans le Johnny on the spot. L’instinct animal… Mais ce n’est pas tellement grave. J’embrasse ma chère épouse, celle qui me soutient dans cette activité un peu folle qu’est la course. Si ma blessure a été pénible pour elle, jamais elle ne me l’a fait sentir. Merci pour tout, mon amour.
Bon, le problème avec les courses en sentiers, c’est qu’on n’a aucune idée de ce qui se passe avec les autres concurrents. L’organisation nous tient au courant pour les trois premiers du 65 km (Seb Roulier menait au ravito du 8e kilomètre, mais après ça, son nom n’est plus cité, au point où je me demande s’il ne lui est pas arrivé quelque chose), mais pour les autres… Donc, aucune nouvelle de Seb et JF. Je m’attends à ce qu’ils arrivent 30, peut-être 45 minutes après moi. Mais en sentiers, c’est très difficile à évaluer. En tout cas, j’ai le temps de me changer, ça j’en suis certain. Et je vais le faire parce qu’il ne fait pas chaud pour la pompe à eau !
Une fois changé, nous nous dirigeons tous vers la fin de la « montée du stationnement », derrière le chalet et commençons à attendre. J’en profite pour faire mes étirements. Charlotte étant très entreprenante, il devient facile d’entamer la conversation avec une fille qui attend elle aussi, juste à côté. Une jeune femme, fin vingtaine, qui attend son chum. Elle est un peu nerveuse car il était premier du 65 km aux dernières nouvelles. Ha oui ? Son nom ? « Éric Turgeon ». Connait pas. Il semblerait qu’il était à St-Donat, qu’il menait pendant un long bout de temps avant de tout simplement « casser ». Bien hâte de voir c’est qui, je l’ai certainement aperçu. Quoi que les premiers et moi…
Le temps passe et l’inquiétude monte. 3h15. 3h30. Toujours rien. Finalement, un t-shirt orangé monté sur un colosse semble se pointer à l’horizon. C’est JF. La blonde du super-coureur-que-je-ne-connais-pas n’en revient pas qu’un gars avec une telle carrure puisse se taper 28 km en montagnes. Impressionnant, en effet.
Toutefois, sa foulée est pénible. Et tout juste derrière lui, nous reconnaissons Seb, tout de gris vêtu. Lui aussi semble en arracher. L’un comme l’autre ne regarde même pas dans notre direction quand les filles crient leurs encouragements. Ils ont l’air grave, ils souffrent. J’avoue ne pas aimer du tout ce que je vois. J’ai déjà souffert en fin de course, souvent. Mais à chaque fois j’étais heureux de voir les miens, de leur faire un sourire. Ça ne semble pas être le cas ici.
Nous nous précipitons vers l’arrivée. Nos deux comparses arrivent. Ils sont vidés, plus rien. Julie essaie d’aller voir JF, mais celui-ci s’éloigne. Marie-Claude tente de parler à Seb, il la repousse. Puis il se penche et commence à émettre de drôles de bruits. Nausées, vomissements ? Merde, ça va mal. Il a les yeux remplis d’eau. Marie-Claude dans tous ses états, peine à retenir ses larmes. Je lui suggère fortement de le garder à l’oeil car je ne suis vraiment pas rassuré par ce que je vois. Je sais, pas tellement rassurant, le gars d’expérience qui a le regard inquiet…
JF s’assoit sur un pare-choc de camion. Ok, il va s’en tirer. Peu à peu, Seb semble reprendre ses esprits. Ouf ! Quand il finit par pouvoir parler, il me lance: « Un sac de Camelbak, man, c’est ça que ça prend ! ». De quessé ?
Il s’avère que le sac de sa veste Alpha d’UltraSpire (la même que la mienne, sauf qu’il a le format pour homme, pas celui pour petit garçon comme moi) a percé dès le début de la course. Et bien évidemment, le trou était dans le bas du sac, question que les deux litres qu’il contenait se déversent gentiment dans le dos de son propriétaire. À chaque station d’aide, Seb a demandé du duct tape, mais personne n’en avait. Il a donc fait la course en ne buvant qu’aux stations. Certains sont capables de le faire (hein Joan ? ;-)), d’autres, comme moi, non.
Mais tu parles d’une malchance ! J’ai parcouru des centaines de kilomètres avec cette veste et jamais je n’ai eu de problème semblable. Dans sons cas, je crois qu’il en était seulement à sa deuxième utilisation. Il soupçonne que le coin de sa couverture de survie ait frotté sur le sac, finissant par le percer. Mais bon, j’en prends bonne note: pour le prochain ultra, j’aurai un autre sac soit dans mon drop bag, soit amené par ma super-équipe de support. On peut toujours apprendre des autres…
Mes impressions sur la course et d’autres petites anecdotes suivront bientôt.