Petite Trotte à Joan: quand les neurones s’emmêlent…

Hands

Touching hands

Reaching out

Touching me…

Touching you !

Sweet Caroline (ta-da ta daaaaa…)

Good times never seemed so good !

Ouais, j’ai beau ne pas pousser au maximum de mes capacités, un ultra, c’est toujours dur sur les neurones. Voyez-vous, c’est la façon que j’ai trouvée pour tenter de changer les idées de ma partner : chanter. Je me disais que ça la ferait immanquablement rire vu que je chante habituellement (lire : toujours) très mal.  Pauvre elle, pognée dans le bois avec un grand fanal qui chante du Neil Diamond… On est sensiblement du même âge (pour la petite histoire, elle est une vingtaine de mois plus jeune que moi), j’aurais au moins pu lui faire le coup des années 80. Mais je me connais, je serais revenu à la charge avec du U2 et dans ces cas-là, je ne suis pas arrêtable. Et comme j’ai la fâcheuse habitude de tenter d’aller chercher exactement la même note que Bono jadis, ses pauvres oreilles auraient certainement demandé grâce. D’où Neil Diamond. Pourquoi lui et pas quelqu’un d’autre ?  Je vous l’ai dit : je suis en train de faire un ultra !  Le pire, c’est que je ne connais pas le reste des paroles, alors je chante toujours le même bout. Pathétique.

« Fred, j’ai tellement l’impression d’être un fardeau pour toi…»  Ha non, je suis un gars d’équipe moi !  Alors si un membre de mon équipe est en difficulté, je l’aide, point. On vit ensemble ou on meurt ensemble. Comme le disait si bien mon vieux chum Chris : « On est un TEAM !  S’il y en a un qui a de la peine, on a tous de la peine. S’il y en a un qui a du fun, on a tous du fun. S’il y en a un qui fait l’amour, les autres on se cr… ! ».

J’ai retenu la citation avant qu’elle sorte de ma bouche, la trouvant légèrement vulgaire et de toute façon, pas tellement appropriée, vu que je fais équipe avec une dame. On ne se connait pas tant que ça après tout, et s’il fallait qu’elle garde cette image de moi… Ha, nos inhibitions sont progressivement tombées depuis le départ qui a été donné par ce bel après-midi de fête nationale (car il semblerait que la St-Jean-Baptiste, ça n’existe plus), mais il ne faudrait pas exagérer. J’ai lancé les premières salves en laissant rapidement aller les traditionnels gaz à effet de serre que j’émets avec la régularité de l’horloge quand je me retrouve dans les sentiers. Au fil des heures, les sons émis se sont même mis à faire partie de nos conversations, comme pour marquer des points d’exclamation à mes phrases.

Aussi, nous avons constaté une évolution dans la façon de « gérer » les besoins naturels. Au début, je l’avertissais que j’étais pour arrêter. Puis, c’était un arrêt avec petit sourire et maintenant, c’est rendu que je me dis qu’elle a déjà vu ça, qu’il n’y a pas grand-chose à voir de toute façon, alors je m’exécute sans cérémonie. L’important est la couleur de ce qui sort, pas l’appareil utilisé.

De son côté, disons que l’aisance avec laquelle elle s’est changée au complet (ben, je pense qu’elle s’est changée au complet) à mi-parcours alors qu’elle était à deux pieds de moi disait tout. Vrai qu’il faisait très noir, mais avec une frontale, on peut voir ben des affaires si on y tient vraiment. Mais ce n’était pas tellement le moment.

« Fred, il est zen… » avait à cet instant constaté Tania qui m’observait fouillant dans mes affaires pendant que Julie effectuait son striptease à deux pas (bon, j’ai une toune de Joe Cocker dans la tête, je me demande bien pourquoi). Effectivement, je me sentais plutôt relaxe. C’est peut-être pour ça que je fais des ultras après tout : pour trouver cette paix intérieure. Et là, sur le bord du chemin du Nordet, bien à l’abri dans une tente-moustiquaire, je l’avais probablement trouvée.

Pas que je l’aie toujours ressentie depuis le départ, loin s’en faut !  Car se perdre dans les bois, en pleine nuit, ce n’est pas la façon idéale de garder son sang froid. À quelques reprises, nous avons perdu la trace du balisage et à chaque fois, j’avais l’impression que le niveau d’inquiétude de ma coéquipière montait d’un cran. En tant que supposément membre expérimenté de l’équipe, je devais garder la tête froide, tenter d’y aller logiquement, contourner les arbres déracinés pour aller voir derrière si… Car contrairement à certaines autres épreuves auxquelles j’ai pris part, le balisage ici est toujours excellent et si on demeure le moindrement attentif, il est presque impossible de se perdre. Mais la nuit, le défi demeure. J’ai peine à imaginer comment on peut s’en sortir au Barkley.

Nos « amies » Suunto ne nous ont pas tellement aidés côté humeur. Tout d’abord, même si elles étaient réglées de façon équivalente, elles se sont mises à ne plus dire du tout la même chose côté distance parcourue. Pas tellement pratique. C’est d’ailleurs de leur faute si ma partner a vécu un beau petit découragement quand elle a vu que nous n’avions pas manqué le relais du lac à l’Appel, officiellement au kilomètre 41. Sa Suunto indiquait 47-48 kilomètres, la mienne 43. Je savais bien qu’on ne pouvait pas le rater, mais ne voulais pas la décourager non plus. Et bon, c’est vrai qu’il était pas mal plus loin de la descente de la Noire que dans mes souvenirs…

Puis, il y a eu l’épisode « 65.48 ». Peu après le demi-tour, mon compteur a décidé de jammer pendant de très longues minutes à cette valeur… pour se mettre par la suite à jour périodiquement à des valeurs pseudo-aléatoires. Dans le genre déprimant…

« Ce sont mes pieds qui sont un fardeau ! ». Ça va peut-être la rassurer un peu. Car c’est vrai : mes pieds me font souffrir. Humides depuis notre première traversée du Vietnam, je n’ai pas eu l’occasion de les sécher adéquatement et j’en subis les conséquences : des ampoules qui rendent chaque pas pénible au possible. On ne court presque plus et ça fait bien mon affaire. Plus tôt, j’ai essayé de m’accrocher à un ami habituellement moins rapide que moi, mais ça a été peine perdue. Ok, il n’avait pas passé la nuit sur la corde à linge comme moi, mais quand même.

Pourquoi je ne les ai pas séchés ? À cause du complot. Oui, le complot. Celui fomenté par les millions d’insectes piqueurs qui hantent ces bois. Non contents de s’attaquer aux pauvres visiteurs de la ville, ils poussent le bouchon jusqu’à monter des stratégies dignes des plus grandes campagnes militaires pour nous anéantir.

Les mouches à chevreuil commencent le travail en virant sans arrêt autour de la tête des pauvres coureurs qui ont eu le culot de venir s’aventurer dans leurs contrées. Une fois le travail de sape bien entamé, ils passent le relais aux maringouins qui eux, se séparent la tâche : pendant que certains travaillent à rendre l’intrus complètement fou en bourdonnant dans ses oreilles, les autres commencent à l’affaiblir en lui suçant son sang à partir des parties de son corps exposées à l’air libre, faisait fi des litres d’insecticides appliqués sur sa peau.

Toutes ces actions ont pour but de forcer l’ultramarathonien à repartir au plus sacrant, négligeant ainsi certains détails dans sa gestion de course. Dont le soin des pieds. Le pire, et je l’ignore encore, je subirai le coup de grâce à la sortie du Vietnam, alors que nous viendrons de traverser pour une deuxième fois cette section emblématique de l’événement, coup de grâce qui me sera asséné par les satanées mouches noires. Celles-là parviendront à transformer mes jambes en champ de fraises. Ou en champ de mines, c’est selon.

Avant de quitter, malgré les attaques répétées de ces monstres volants, j’avais tout de même eu la présence d’esprit de prendre à manger dans mon drop bag. Depuis le début de la course, Julie me questionnait sur le nombre de calories qu’elle devrait absorber et j’étais bien embêté de lui répondre. « 355 calories dans une bouteille d’Ensure. Ce sera suffisant, tu penses ? »  Heu, de quessé ?  Moi, les calories, ça ne me dit absolument rien. Ma principale préoccupation quand j’ai décidé quelle bouffe laisser dans mes sacs était que ça résiste aux longues heures à la chaleur. D’où mon choix du combo chips-bretzel-Doritos-noix. Ainsi, avec mes gels et autres barres Fruit 2, j’aurais mes 3 groupes d’aliments : le sucré, le salé et le graisseux. Pour le reste, je me fie à ce que mon estomac me dit et à mon goût du moment. Bon, pas vraiment le temps d’avoir envie d’un banana split, mais pour le reste, je m’accommodais plutôt bien.

« JULIE !!! ». Des coureurs nous rattrapent, nous qui n’avions pas vu âme qui vive depuis que nous avions quitté la mi-parcours, vers 3 heures du matin. Le premier a été Gareth Davies, le grand favori du 60 km. « Sorry !» qu’il nous a lancé de loin, dans la difficile montée de la Noire. J’avais averti Julie : il va passer en coup de vent, avec juste sa petite maudite bouteille à la main. Comme de fait : il était torse nu en prévision de la chaleur à venir et transportait une mini-bouteille, 500 mL tout au plus. Il grimpait cette montagne en sautillant, avec la même aisance que je montais une volée de marches dans ma jeunesse. Je dis souvent que je suis fort en montée, je me ravise : je suis relativement fort en montée. Ce gars-là ne fait pas partie de mon monde. « Wait for us Gareth, we’re coming ! » que je lui ai crié. Il était déjà loin, mais je l’ai tout de même entendu rire. Il va mettre plus d’une heure au second.

Ceux qui nous dépassent proviennent en très grande majorité du 38 km. Et des lecteurs reconnaissent Julie. Mais pourquoi elle et pas moi ? Ok, elle est pas mal plus cute que moi, je vous l’accorde, mais quand même… Peut-être parce qu’elle porte des lunettes de course ?  Ou que ses tenues sont légèrement plus voyantes que les miennes ?  Non mais, c’est-tu de ma faute si Skechers me fournit du linge aussi discret que ma personnalité (on, je dois avouer que j’ai tendance à le choisir pas trop flashant de toute façon) ?  Vrai que son nom apparait sur son blogue, alors que moi, c’est moins évident…

Pas le temps d’y penser trop trop que des lecteurs se mettent à me reconnaitre à mon tour. Plusieurs se présentent (désolé si j’oublie vos noms, il faut me pardonner; vous savez, quand un gars est rendu qu’il chante du Neil Diamond…), nous disent qu’ils ont hâte de lire le récit de notre épopée. Ça fait chaud au coeur de savoir qu’on peut divertir un tant soit peu les gens… ou les aider à s’endormir les soirs d’insomnie. À vous tous, je dis un gros merci.

« Vous cherchez les demandes en mariage, vous… ». La bénévole vient de me vider une quantité appréciable d’eau sur la tête et mon corps en savoure chaque goutte. Il fait chaud en ta… Nous sommes au ravito du lac Bouillon, à 11 kilomètres de l’arrivée. Le chalet que nous avons loué est tout près, on pourrait s’y arrêter et mettre un terme à cette folie. Mais à 11 kilomètres, ce serait vraiment plate. Et la coupure est encore possible. Au pire, on pourrait terminer en même temps que les derniers du 60 km, nous venons d’ailleurs d’en dépasser quelques- uns.

« J’ai peur de m’évanouir dans la montée de la côte de l’Enfer ». Oups. Celle-là, je ne l’avais pas vue venir. Julie venait de me dire de la monter à mon rythme et de l’attendre en haut. Heu… non. Déjà que je n’étais pas chaud à l’idée, s’il fallait qu’elle perde la carte dans la montée pendant que je me débats avec les bestioles tout en m’inquiétant de son sort au sommet… Je vais demeurer derrière, je pense que c’est plus prudent. Je sais, j’ai parfois une certaine tendance à l’euphémisme.

Sous le soleil de plomb, la progression dans la quatorzième (c’est elle qui les a comptées) et dernière grosse montée de cet infernal parcours est (très) lente, mais constante. Et au sommet, les bénévoles qui restent nous encouragent bruyamment. Ma partner s’est rendue, ne reste plus qu’à descendre et ce sera terminé.

Seuls au monde. Premiers partis, derniers arrivés. Les ravitos que nous croisons sont maintenant vides, ayant été nettoyés par les bénévoles qui ont quitté. Le parc des Pionniers sera certainement vide lui aussi, mais on s’en fout, on va avoir réussi. ELLE sera parvenue au bout de ce long et difficile périple.

Galvanisée par l’arrivée qui se pointe et à la pensée de son amoureux qui l’attend, Julie presse le pas. Elle est incapable de courir, mais son passage à travers de la dernière section boueuse est tout simplement magistral, j’ai peine à la suivre.

Quand nous apparaissons finalement à l’embouchure du sentier, c’est la surprise : nous sommes accueillis par des cris de joie et des applaudissements. Des coureurs et des bénévoles en plein démontage des installations nous ont attendus, ces derniers nous ont même gardé à manger… et à boire !  Quelle gentillesse, quelle délicatesse !

Nous nous présentons main dans la main. Voilà, c’est terminé. Elle s’est rendue au bout, après en avoir tant douté.

Bravo Julie, bravo partner. Ça a été un privilège de passer ces heures en sentiers en ta compagnie.

(Pour avoir un récit un tantinet plus exact afin d’en savoir un petit peu plus ce qui s’est passé durant notre périple, je vous suggère le blogue de Julie, où notre histoire est racontée en trois partie: ici, ici et ici. Bonne lecture ! :-))