Jeudi matin d’hiver

Maudit que c’est plate !

Je pourrais dire que seulement le bruit de mes pas m’accompagne, mais ce ne serait pas tout à fait vrai. Pour être plus juste, seul mon pied gauche fait du bruit quand il frappe le sol, le droit demeurant silencieux. Je travaille à faire taire le gauche. De toute façon, c’est la seule chose à faire ici…

J’ai commencé à travailler au centre-ville à l’été 2004. Depuis ce temps, j’essaie de franchir le plus souvent possible la distance entre la maison et le bureau à vélo et, depuis quelques années, parfois à la course. Au début, je trouvais ça vraiment cool de pouvoir disposer d’une longue bande asphaltée libre de toute circulation pour me rendre en ville. Imaginez : une piste cyclable, assez large pour accommoder des voitures, tracée en plein milieu du fleuve. Que demander de plus ?

Hé bien, après l’avoir utilisée des centaines et des centaines de fois, je commence à la trouver un tantinet monotone et longuette, particulièrement les quelque 10 kilomètres entre Ste-Catherine et le pont Champlain.

C’est justement là où je me trouve. Je viens à peine de passer la pancarte indiquant le 10e mille de la voie maritime. La piste étant officiellement fermée, je sais que je ne verrai personne ce matin. Il fait encore nuit, ma lampe frontale fixe l’horizon. Au loin, le début de la grande courbe. Je sais c’est là que se trouve la pancarte du 9e mille. Mais ce sont des milles nautiques, pas des milles (miles) terrestres. 1.852 kilomètre dans un mille nautique. Maudit que c’est long !

J’ai mes repères : les usines de Candiac, puis un peu plus loin, l’église de Laprairie qui m’indique la mi-chemin de ces interminables 10 kilomètres. Ensuite, peu après le mille 7, la piste devient une belle ligne droite et devant moi, le pont Champlain. Je sais qu’il est encore loin, mais au moins, j’ai un objectif en point de mire.

Ouais, c’est la dernière fois que je me tape ça à la course, c’est trop emmerdant. Je passe le petit écriteau à la mémoire d’un gars qui a disparu ici en 1977 (je me demande bien où il s’est ramassé, d’ailleurs), puis la pancarte du 6e mille. Le pont se rapproche.

Une éternité plus tard, j’arrive à la roulotte du chantier de réfection de l’estacade. Le gars qui s’apprête à pénétrer à l’intérieur prend une pause à la vue du maigrichon à la frontale qui arrive. Puis il entre, sans dire un mot. Bon, au moins, je ne me fais pas revirer de bord. S’il avait fallu que je doive retourner sur mes pas, je me serais mis en petite boule et aurais appelé ma maman…

Un peu plus loin, le chantier du nouveau pont bat son plein. Bientôt, nous ne pourrons probablement plus passer ici.

Direction pont Victoria. Je ne sais pas pourquoi, je trouve cette petite partie pas mal plus intéressante. Pourtant, ça demeure un long bout de chemin où il ne se passe rien. En fait, presque rien, parce qu’aujourd’hui, c’est une véritable patinoire. 3 kilomètres à chercher la trajectoire idéale (ce qui signifie parfois passer dans la neige), à essayer de demeurer debout, à se demander si le spot plus foncé devant est de la terre ou de la glace, ça tient occupé !  Et ça fait changement de se faire déféquer sur la tête par un goéland (car oui, ça m’est déjà arrivé).

À Victoria, la section menant au circuit Gilles-Villeneuve n’est pas déblayée. Certains fous comme moi sont déjà passés au cours des jours précédents, j’essaie de suivre leurs traces. Sans grand succès.

Première clôture à sauter. Souplesse digne d’une enclume oblige, l’opération est pénible, mais ne manque pas de me faire sourire. Ce que j’aurais l’air con dans une course de style Spartan… Après une autre centaine de mètres à sautiller dans la neige, deuxième clôture, plus basse celle-là. L’opération n’est pas plus élégante. C’est bizarre, quand j’étais jeune, ce n’était pas l’idée que je me faisais des « vieux » qui se rendaient au bureau le matin… Il est où, mon habit-cravate ?  Et ma mallette ?  Des accessoires qui ne font (heureusement) pas partie de ma vie, même si maintenant, c’est moi, le « vieux ».

Ha, le circuit, le retour à la civilisation… Hé non, je dois me farcir une autre patinoire pour m’y rendre. Non mais, c’est-tu moi où c’est plus glissant que tantôt ?

Finalement, du bitume. Je dois tout de même manœuvrer à travers quelques plaques de glace, mais ça va mieux. Passage devant le pavillon du Canada, un employé arrive à son bureau. Il me regarde passer. Un autre qui semble se demander ce que je fais là et/ou d’où je viens.

L’ennui s’est évaporé depuis belle lurette et a été remplacé par l’idée que la destination finale se profile à l’horizon. Sur le pont de la Concorde, le vent est comme d’habitude : à écorner un boeuf. Contrairement à l’été, je suis seul à courir ce matin (pour les fin-fins qui pensent à Joan, sachez qu’il passe plus tard, bon !) et il n’y a évidemment pas de vélo. Je suis seul et me sens… comment dirais-je ?  Privilégié. Oui, c’est ça, privilégié. Les autres sont pris dans la circulation ou dans le transport en commun, mais MOI, je suis dehors et je fais la même chose qu’eux : je m’en vais travailler.

L’autoroute Bonaventure, l’usine Five Roses, il n’y a pas grand-chose de plus laid, on s’entend. Mais je suis DEHORS, alors je peux m’accommoder de quelques horreurs.

Ha le Vieux… J’enchaîne sur les pavés, passe devant la basilique Notre-Dame et c’est la dernière descente avant d’arriver au quartier chinois, à deux pas du saint-siège.

Voilà, rendu. J’ai déjà hâte à la semaine prochaine.

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