Matin de semaine

Lu sur l’enseigne extérieure: « Boot camp urbain ». C’est quoi quoi ça, un boot camp urbain ?

Je viens de dévaler de la Gauchetière en sautillant. La neige qui couvrait les rues de notre petite banlieue ce matin n’est pas tombée en ville et il n’y en a plus vraiment qui reste de l’hiver qui s’achève. Mais cette rue, entre Beaver Hall et le quartier chinois est une véritable zone de guerre, alors je la cours comme un sentier. Tout juste avant Bleury, il y a ça. Le boot camp urbain.

Au travers la vitrine, j’observe la demi-douzaine de coureurs qui se tapent des intervalles sur des tapis roulants, les coups de sifflet d’un coach signalant les changements de cadence. Tout près d’eux, d’autres braves s’échinent sur des appareils qu’on retrouve typiquement dans un gym. Il n’est même pas 7 heures, le soleil commence à peine à montrer ses lueurs. Le slogan d’une pub de mon enfance me revient en tête : « Viens jouer dehors ! ». Dire que j’ai envisagé m’abonner à un gym cet hiver pour ménager mon fessier…

Ce matin-là, le thermomètre indiquait -2 degrés. 2 petits centimètres de neige étaient tombés durant la nuit. Pas de quoi fouetter un chat.

Après avoir complété mon échauffement (le seul que je ferai dans la journée, mea culpa)  et enfilé mon coupe-vent orangé-hyper-flashant de Boston 2014, j’ai pris ma frontale dont je n’avais pas vraiment besoin et un brassard réfléchissant. Le but: me faire voir dans la nuit. Une fois le sac Salomon (acheté originalement en vue de l’UTMB, il doit maintenant s’adapter à une autre « carrière ») contenant mon lunch du midi ainsi que quelques trucs utilitaires attaché sur mon dos, j’étais prêt à partir.

Bonne journée mon amour !  Pas de réponse. Elle s’était rendormie. Petit sourire en coin, j’ai éteint la lumière et suis sorti dans la nuit.

Tiens, vent du nord-est ce matin. J’allais l’avoir dans le dos. Premières enjambées un peu raides, mais ça allait mieux que la veille vu que je n’étais pas en lendemain « d’intervalles » (façon de parler). À peine 300-400 mètres franchis, premier obstacle en vue. C’est une situation que j’ai vécue mille fois. À une intersection, un véhicule est arrivé en trombe sur ma gauche. Sa vitesse et son angle d’approche ne laissaient aucun doute : le chauffeur allait à peine ralentir à l’arrêt obligatoire, jeter un œil rapide à sa gauche et s’il n’y avait rien, allait tourner à droite sans regarder. C’est précisément là où je me trouvais.

Déjà que nos rues sont conçues pour être utilisées seulement par des automobiles, quand les automobilistes agissent comme s’ils en étaient les seuls usagers…

Faut croire que je n’étais pas assez voyant. J’ai ralenti, attendu qu’il passe en lâchant quelques jurons, puis repris ma route. Prudemment. Parce que voyez-vous, il s’agissait de ma première sortie sur la neige depuis ma désormais fameuse débarque et comme je trouvais que ça semblait être luisant à certains endroits…

Coin Brébeuf, un pick-up est arrivé en même temps que moi à l’intersection. Lui, il ne pouvait pas me manquer, j’avais la voie libre pour poursuivre sans ralentir.

Erreur. Il est reparti aussitôt. Ben voyons, ne viens pas me dire que tu ne m’as pas vu, du con ! Heille le redneck, c’est-tu si forçant de garder le pied sur le break 2 petites maudites secondes ?!?   Vraiment pas mon matin. Enfin…

Sur la piste multifonctionnelle de la rue St-Laurent, j’ai retrouvé une certaine quiétude et ré-apprivoisé progressivement la surface. Devant, le petit tracteur de la ville poussait la neige. La piste serait dégagée… jusqu’au garage municipal. Après ?  Arrange-toi !

Ben non, ce n’était pas si pire, il n’y avait presque rien. De toute façon, je devais mettre le cap vers le sud et donc reprendre la rue. J’ai croisé un poids lourd qui lui, a remarqué ma présence et dévié sa trajectoire pour me laisser de l’espace. Je l’ai remercié en lui envoyant la main. J’ai pour mon dire que si on montre notre appréciation de leur comportement aux conducteurs, ils vont poursuivre dans la même veine et à long terme, le partage de la route se fera de manière plus harmonieuse. En tout cas, ça ne coûte pas cher d’essayer.

Après un petit arrêt pour cause de feu de circulation (faut bien traverser la route 132 à quelque part), c’était le faux-plat ascendant (quand on s’éloigne du fleuve, c’est normal que ça monte) dans les petites rues de St-Constant. Arrivé à l’école située à 500 mètres de la gare, vérification de l’heure.

5h47, 19 minutes avant le passage du train. J’ai prévu plusieurs parcours alternatifs selon l’heure de passage à ce point, définitivement que ça allait être un des plus longs ce matin…

Après plusieurs spaghettis dans le quartier résidentiel autour, je me suis retrouvé dans le stationnement de la gare avec 2 minutes d’avance. Le temps de marcher pour faire un petit cool down, le train se présentait.

Je prends toujours la première voiture et demeure debout, près de la porte. Mon objectif est double : éviter de trop figer et aussi, être le premier à sortir. Sans compter que je veux éviter de détremper les sièges…

Coup d’œil autour. L’être humain est un être d’habitudes: toujours à peu près les mêmes personnes, assises à peu près aux mêmes places. Ça fait quelque temps que je n’ai pas vu (et entendu) le moulin à paroles qui racontait les détails ennuyants de sa vie à tue-tête et je ne m’en plains pas. Il y a des gens comme ça qui ont le don de faire connaître à qui veut bien (et à qui ne veut pas) l’entendre les menus détails de leur quotidien. Tu sais, Chose, on s’en fout un peu de l’heure à laquelle tu te lèves ou ce que ton boss t’a dit/pas dit/redit hier…

Au bout d’une trentaine de minutes, tout près du terminus, comme à tous les matins, les plus pressés se sont précipités vers la sortie bien avant que le train s’immobilise. Ce qui fait que j’ai eu à contourner 3-4 personnes une fois descendu sur le quai. Le jour où ils en auront marre de se faire frôler par l’illuminé qui court à proximité des trains, peut-être finiront-ils par le laisser sortir en premier ?

Pas bol ce matin, un autre train est arrivé tout juste avant le nôtre. J’ai donc eu à éviter quelques personnes supplémentaires à l’intérieur de la gare en passant devant l’énorme poster d’un Carey Price affichant un timide sourire. Quand j’étais petit, je rêvais un jour d’aller voir jouer le Canadien au vieux Forum. Aujourd’hui, je prends à tous les jours un train qui arrive au centre Bell et honnêtement, le Canadien, gagne ou perd, bof…

Donc, après être passé en courant devant quelques-uns des buildings les plus imposants au pays, je me retrouve le nez collé à une vitre à me demander ce qui peut bien motiver ces gens-là. Comment font-ils ?  Probablement qu’eux se posent la même question quand ils me voient passer. Comment fait-il ?  Le froid, la neige, le vent… Faut croire qu’il y en a pour tous les goûts.

Le feu tourne au vert, je reprends ma course qui se terminera pas tellement plus loin au complexe Guy-Favreau, tout juste après être passé près de l’arche annonçant l’entrée du quartier chinois. De là, je peux me rendre au Saint-Siège, via le fameux Montréal sous-terrain. L’entrée principale étant toujours verrouillée à cette heure matinale, ça demeure le chemin le plus efficace pour me rendre à mon bureau. J’en profite pour effectuer un deuxième cool down à la marche.

Il est 6h50 quand j’arrive à mon poste. Bon, que s’est-il passé dans nos centrales cette nuit ?

Rome quasiment à moi tout seul

Le voyage en Italie était prévu depuis belle lurette. Comme ma cheville me jouait et rejouait des vilains tours à répétition, j’avais décidé de faire ma pause annuelle durant ces deux semaines de vacances. Ainsi, je ferais une pierre, deux coups: ça me permettrait de passer plus de temps avec ma douce tout en trimballant moins de bagages. Et vu que je serais en Italie, je me disais que la bonne humeur serait au rendez-vous de toute façon, course pas.

Toutefois, mon ami Didier m’avait glissé que par un beau matin, il avait fait « le footing de sa vie » dans les rues de Rome avant que celles-ci ne soient envahies par les touristes et les Romains qui transforment cette merveilleuse ville en véritable enfer une fois le jour venu.

Avant de partir, j’ai décidé que je ferais deux petites entorses à ma pause: une à Rome, l’autre à Florence. Mais ce ne seraient que des petites sorties faciles, sans chrono ni GPS. Et pas de longues affaires, question de ne pas trainer avec moi ma panoplie de bouteilles, de gels et tout le tralala.

Ainsi donc, dimanche le 25, 6 heures du matin, je sors de l’appartement que nous avons loué dans l’ouest de la ville. Comme le soleil ne se lève qu’autour de 7h30, j’ai ma frontale, mais étonnamment, je vois la lumière du jour qui pointe derrière le dôme de la basilique St-Pierre. Je regarde ma montre, elle indique 7 heures. Hein ?

Ha non, ne me dites pas qu’il et déjà 7 heures… Déjà trop tard, la ville va être bordélique quand je vais y arriver !  Puis j’analyse la situation. Mon iPad ne peut pas s’être trompé de même… Et j’ai une illumination: le retour à l’heure normale se faisant une semaine plus tôt en Europe par rapport à l’Amérique du Nord, j’ai bénéficié d’une heure supplémentaire de sommeil sans même le savoir. Cool !  🙂

Pour une raison que j’ignore, les cartes de la ville de Rome ne présentent à peu près jamais la ville au complet. Ainsi donc, même si notre appartement est situé tout près d’un métro, on ne retrouve le quartier sur aucune carte. Je me fierai donc à St-Pierre (la basilique, pas le saint en tant que tel) pour me guider vers la ville et à partir de là, je me retrouverai bien. J’ai tout de même sur moi une carte ainsi que 7 euros, au cas où.

Je m’élance donc dans les rues désertes, empruntant parfois les trottoirs asphaltés pour éviter les rares véhicules que je croise. Je regarde tout de même où je mets les pieds car pour une raison que j’ignore, les surfaces (particulièrement les trottoirs) sont dans un état lamentable. Quelqu’un peut m’expliquer comment il peut y avoir autant de nids-de-poule sur une surface fréquentée seulement par des piétons et dans un endroit où il n’y a pour ainsi dire jamais d’hiver ?

Premier imprévu: ma course commence en descendant, ce qui fait que je perds St-Pierre de vue. Je progresse donc sur le boulevard en suivant mon sens de l’orientation et me rassure quand je croise une à une les stations de métro qui, je le sais, m’amènent dans la bonne direction.

Deuxième imprévu: j’ai oublié de m’amener une bouteille d’eau. Oups. Je ne cours jamais « allège », comme on dit. Bon ben pas le choix, va falloir que je fasse avec. Au pire, je m’arrêterai pour en acheter une à quelque part.

Mais bon, où ?  C’est qu’il n’y a crissement rien ici et honnêtement, le quartier est foutrement moche. C’est laid, sale et, pour bien dire, pas tellement rassurant pour un maigrichon qui court tout seul. Elle est où, votre si merveilleuse ville ?

Comme je me pose la question, j’aperçois une indication vers le musée du Vatican. Parfait !  J’emprunte cette direction et aboutis à l’entrée. Et que vois-je ?  Des gens qui attendent en file !  Quoi, il est 6h15 – 6h20 et vous attendez pour entrer dans un musée qui ouvre ses portes à 10 heures ? Wow !

Ok, objectif Place St-Pierre. J’entreprends de contourner le Vatican et chemin faisant, je me bidonne en pensant que ça n’arrive vraiment pas souvent qu’on se retrouve à faire le tour d’un pays durant une petite sortie matinale !

Sauf que malgré la présence évidente du mur agissant comme frontière, mon sens de l’orientation me joue des tours et je me retrouve sur un autre boulevard anonyme. Et comme à chaque fois que je me perds, je m’entête à poursuivre. Mais après un certain temps, je dois me rendre à l’évidence: le coin ne me dit rien, il n’y a pas l’ombre du moindre monument/musée/ruine connu(e) dans le coin. Pas de station de métro en vue et pas moyen de retrouver mon boulevard sur la carte. Ouais, ça ne va pas bien mon affaire…

J’entre dans un commerce de fleurs (ne me demandez pas pour quelle raison il est ouvert, je n’en ai aucune idée) pour faire ce que je ne fais jamais: demander mon chemin. Moi qui ne parle pas un traitre mot d’Italien…

À force de gesticuler en lui montrant ma carte, le gars finit par (sembler) me comprendre et me dit le nom du boulevard sur lequel on se trouve. Non mais, est-ce que je m’en fous du nom du boulevard ?  Je suis capable de le lire aux intersections, tu sais. Si tu te perds à Montréal, Chose, et je te dis que tu es sur Amherst, est-ce que tu vas être plus avancé ? Je veux savoir je suis, pas comment ça s’appelle !

D’autres simagrées sont nécessaires pour que finalement, il s’empare de ma carte en me montre où devrait se trouver ledit boulevard, quelque part au sud du Vatican. Car, comme je le disais, la carte n’est pas complète et je me suis tellement gourré que j’en suis « sorti ».

Je le remercie et retourne sur mes pas. Finalement, j’avais tourné une centaine de mètres avant de me retrouver sur la Place St-Pierre. Et quand j’y arrive, le spectacle qui s’offre à moi est à couper le souffle. L’immense place est vide. Des milliers et de milliers de chaises sont alignées, en plusieurs sections. Dans quelques heures, elles seront toutes occupées pour la grande messe qui sera célébrée par François lui-même. Mais pour le moment, c’est le silence qui règne. Je pivote sur moi-même, me laissant imprégner par la beauté de l’endroit. Puis je m’éloigne en direction du Tibre, le sourire aux lèvres (sourire qui s’amplifie à la vue d’un « vrai » zouave), incapable m’empêcher de me retourner à plusieurs reprises chemin faisant.

Arrivé au fleuve, je trouve un endroit pour descendre à la piste cyclable qui le longe. Je compte bien faire un petit bout là-dessus pour me rendre à ma prochaine destination, le Circus Maximus.

J’aime beaucoup courir sur le bord de l’eau, je trouve que ça a un côté apaisant. Mais le Tibre, c’est, comment dirais-je ? Brun. Son eau est sale et disons que ses abords ne sont pas en reste: des détritus qui trainent partout, des graffiti sur les murs… Heureusement, la piste cyclable y est fort praticable et dans un assez bon état. Je m’y engage donc, m’émerveillant à chaque enjambée que je suis vraiment en train de courir en plein cœur de Rome. Comme d’autres, d’ailleurs, car quelques coureurs font comme moi et à voir leur allure, la plupart d’entre eux font également partie de la gente touristique.

Arrivé au niveau de l’île Tibérine, un véritable petit bijou, je quitte la piste pour me diriger vers le cirque que Barbara et moi avons traversé la veille, tout comme des milliers d’autres personnes. Aujourd’hui, je dois partager ce vaste terrain de jeu avec un chien qui s’en donne à cœur joie en enfilant les sprints sur le « terre-plein » central. Tout autour de nous, le néant. Ça ne m’empêche pas de ressentir l’intensité qui pouvait régner ici-même, il y a des siècles de ça et à ce moment précis, je souhaite que Rome puisse réussir son pari d’accueillir  les Jeux olympiques de 2024. Ce site serait incroyable pour y tenir certaines épreuves comme le saut en longueur ou le lancer du poids. Pas toutes les épreuves d’athlétisme, mais quelques-unes triées sur le volet, comme à Athènes en 2004 ?  Pourquoi pas ?

M’extirpant de mes rêveries, je me dirige vers l’ultime étape: le Colisée. Ha, le Colisée… Je ne sais pas pourquoi, mais il m’a toujours fasciné. C’est la première chose que nous sommes allés voir en arrivant ici, je devais y retourner, ne serait-ce que pour dire que j’avais couru tout autour.

Ce que j’ai évidemment fait, non sans avoir également pris le temps de m’arrêter pour y toucher. Puis, coup d’œil à ma montre: 7h30. Certains groupes de touristes avaient commencé leurs visites.

La petite sortie matinale était déjà terminée. Didier avait raison courir au petit matin dans une grande ville qui dort toujours, c’est magique…