Fidèle à la tradition maintenant (presque) établie, voici la première partie du récit de ma dernière course, le 80 km de l’UT Harricana qui s’est déroulé samedi dernier. Aujourd’hui, l’avant-course.
J’arrive au mont Grand-Fonds autour de 17h20 vendredi le 12 septembre. Je veux récupérer mon dossard avant le briefing d’avant-course qui doit débuter à 18h. Dans le stationnement, je sens déjà une certaine fébrilité. En attendant de prendre possession du précieux document, je regarde autour, à la recherche de visages connus. En vain. Il y a bien Patricia, une (ex) blogueuse que je trouvais très drôle à lire, mais on ne se connaît pour ainsi dire pas du tout, même à travers le monde moderne des réseaux sociaux. Il y a aussi Michel, un photographe ultramarathonien… qui prend des photos. Un autre que je « connais » sans connaitre.
Une fois mon dossard en mains, je me dirige à l’étage, bien en avance sur l’heure prévue, bien évidemment. Je tue le temps en lisant les entrevues accordée pas quelques coureurs qu’on retrouve dans un petit livre qu’on nous a remis. Finalement, une fois la petite salle très bien remplie, le briefing peut commencer.
J’écoute distraitement ce qu’on dit en mangeant mes pâtes. Car j’avais prévu le coup : si le briefing devait commencer en retard et s’étirer, je n’avais pas envie de finir par souper à 20h alors que je prévoyais partir du chalet à peine 6 heures plus tard…
En fin de compte, j’apprends deux choses. De un, la course doit se faire en complète semi-autonomie (je sais, attribuer l’adjectif « complète » à « semi-autonomie », ça fait un peu paradoxal). Nous ne pouvons donc en aucun cas nous faire ravitailler autrement que dans les stations d’aide. À ce moment-là, pas question de recevoir quoi que ce soit de la part d’une éventuelle équipe de soutien, même en arrivant au mont Grand-Fonds la première fois après 65 km de course. Et de deux, une course de 125 km sera au programme pour l’an prochain. L’avenir nous dira si j’en ferai partie ou pas. En tout cas, il faudra qu’il y ait au minimum un service de drop bags, car il y a des limites à la « semi-autonomie » !
Instant de panique pendant le petit discours du très sympathique Florent Bouguin, vainqueur l’an passé du 65 km : est-ce que j’ai des épingles pour attacher mon dossard ? J’ignore pourquoi ça me vient à l’idée à ce moment précis, mais je ne dois absolument pas oublier de vérifier ça avant de partir.
Une fois le tout terminé, vérification : effectivement, le sac qu’ils nous ont donné ne contient aucune épingle. De quoi j’aurais eu l’air sans épingles demain, moi ? Après être repassé aux dossards, je croise Pierre à l’extérieur. On placotte un peu. Il fait le 80 km lui aussi. Je m’attends à ce qu’il me prenne environ 30 minutes, même s’il m’avoue avoir pris ça plus relaxe côté entrainement récemment. Ouais ouais, on verra bien !
Samedi matin, 2h15. Je suis prêt à partir. Je vous fais grâce de l’heure à laquelle je me suis levé, mais je vous donne un indice : je suis très lent le « matin ». Alors, pensez à l’heure la plus hâtive que vous pourriez imaginer et ajoutez-y 30 minutes, ça devrait vous donner une bonne idée. Combien d’heures de sommeil vous dites ? Trois, au gros maximum. Et c’est plus que ce que j’anticipais !
J’attends mes voisins de chalet (en fait, je devrais dire: voisins de cabanons car leur chalet est minuscule) qui feront le 65 km et qui m’ont demandé de leur donner un lift, question d’éviter à la copine de l’un des deux d’avoir à se taper l’aller-retour au mont Grand-Fonds aux petites heures. La pauvre, elle fait le 28 km, son départ est à 10h. Ça aurait été foutrement chiant pour elle d’avoir à aller les reconduire si tôt. J’étais là, juste à côté, et je fais le trajet de toute façon. En plus, ce sont des gens du Saguenay. Comment refuser un service à des gens du Saguenay ? Sans oublier que la copine en question a un charmant accent français, alors… 🙂
Rendus sur place, le mont Grand-Fonds a été transformé en fourmilière. Les coureurs arrivent, les bénévoles s’affairent avec efficacité dans une belle ambiance relaxe. En passant à côté d’une auto, je remarque qu’elle est couverte de givre. Quand on dit que la température approche le point de congélation… Trimballant une quantité imposante de stock « au cas où », dont ma veste d’hydratation qui a encore coulé dans l’auto (la tab…), je me dirige vers un autobus dont l’entrée est supervisée par une bénévole qui m’appelle en faisant des grands signes. Elle m’accueille avec un large sourire tout en prenant mon numéro avant que j’embarque. Comment peut-on être d’une telle bonne humeur en étant ici à cette heure qu’on ne peut même pas qualifier de matinale ? Il n’y a rien à faire, j’ADORE le monde de la course en sentiers !
Une fois installé dans l’autobus d’un beau jaune spécial écoliers, l’attente commence. Au bout d’un certain temps, des hispanophones arrivent. On nous a parlé de gens de l’Espagne, du Chili et du Mexique hier… Toujours est-il que lorsque vient le moment de partir, la bénévole vient nous donner les dernières instructions et ho surprise, elle le fait en français, en anglais et… en espagnol ! Et bien honnêtement, je n’ai aucune idée laquelle des trois est sa langue maternelle. Ses mots coulent facilement, je ne décèle aucun accent particulier. Il y a des gens polyglottes à l’est de Québec ? Impressionnant, très impressionnant !
Le convoi se met en branle, dans l’obscurité la plus totale. Dire que ça fait bizarre serait un euphémisme. Est-on vraiment samedi matin ? Suis-je vraiment dans Charlevoix ? Et surtout, vais-je vraiment courir la plus longue course de ma vie ?
Comme nous passons dans la ville de La Malbaie, quelques coureurs regardent par les fenêtres et surveillent s’il y a de l’activité dans un bar devant lequel nous passons. Merde, c’est vrai: c’est l’heure de fermeture des bars ! La rue Crescent à Montréal et la Grande Allée à Québec doivent regorger de fêtards et/ou de célibataires qui n’ont pas réussi à « accrocher » quelqu’un. À cet instant précis, je me sens carrément sur une autre planète que ces gens-là. Et je préfère 1000 fois être sur la mienne !
À part ce petit passage, c’est généralement silencieux dans l’autobus. J’essaie de dormir un peu, tout en tenant ma veste de façon à ce qu’elle ne coule pas. Pas facile… Je perdrai la carte quelques minutes, tout au plus.
Nous arrivons au parc des Hautes-Gorges. En tout cas, c’est de là que l’organisation nous a dit que la course partira. Je ne connais pas ledit parc, mais je reconnais la signature « Parcs Québec »: les bâtisses et la disposition des lieux (pour ce que je peux en voir), le stationnement. Il semblerait qu’il est fermé jusqu’en 2015 pour rénovations majeures, mais que l’accès y a été autorisé pour la course. S’ils le disent, moi, je fais confiance. En autant qu’il n’y ait pas un gigantesque trou dans les sentiers…
Après avoir bien pris mon temps, je finis par sortir de l’autobus, question de vérifier la température et peut-être voir où je pourrai faire « sortir le méchant ». En arrivant dehors, je constate qu’il fait encore froid, oui, mais il n’y a aucun vent. Rien, niet. Je vais donc prendre le risque de laisser mon coupe-vent dans mon sac et y aller avec un t-shirt, des arm warmers et des gants. Pour ce qui est du bas, ce sera évidemment des shorts, n’ayant même pas envisagé de courir en pantalons.
Après une tournée à la frontale pour voir si je ne pourrais pas trouver une toilette intime cachée à quelque part (ben oui, alors que le parc est fermé, il y aurait une toilette chauffée disponible juste pour toi, du con !), je m’installe dans la file et attends mon tour aux superbes toilettes bleues. Il y a de la musique, je crois reconnaitre Eminem (vraiment pas un expert), mais à part ça… Vous savez, moi, la musique après 1995, je n’y connais pas grand chose…
Quand arrive mon tour, je m’installe pour faire ce que j’ai à faire (n’ayez crainte, je vais vous épargner les détails !) et un morceau tout à fait différent se met à jouer. Je crois le reconnaitre…
« Pousse pousse, pousse, les beaux gros légu-mes; Miam miam miam, c’est bon d’en manger ! »
Non c’est pas vrai !
« Je suis une carotte-rotte-rotte, je pousse sous ter-re; J’aimerais bien qu’un jou-ou-our, on me déter-re ».
J’hallucine !
« Je suis une tomate-mate-mate, je veux être mangée-ée; J’aimerais bien qu’on vien-ne me récolter ».
Ha ben joualvert ! Ce sont vraiment Jacques L’Heureux (alias Passe-Montagne) et feu Pierre Dufresne (alias Fardoche) que j’entends ! Une chanson de Passe-Partout !!! À 4h30 du matin, alors que je suis en plein milieu de nulle part en train de… Surréaliste, tout simplement surréaliste… C’est qui le zigoto qui a eu l’idée de génie de programmer Eminem et Passe-Partout ensemble ?
Pour ceux qui seraient curieux, voici le « clip » de ladite chanson.
Vous comprenez mon émotion ? 😉
Je finis par m’extirper de mon état second, terminer mon travail pour ensuite me diriger vers l’autobus le plus près (l’organisation a eu la gentillesse de les garder sur place jusqu’au départ, question de nous tenir au chaud; la grande classe !).
Je procède à une dernière vérification de mon équipement. Ma veste est remplie à capacité (2 litres) de GU Brew à l’orange. Elle contient également une vingtaine de gels, deux gaufres, une petite lampe de poche, un sifflet et un briquet (les deux derniers items étant obligatoires). J’ai laissé faire pour la cloche à ours, me disant qu’à la quantité de monde qu’on est, les gros poilus vont se tenir loin des sentiers. Dans mes poches, deux ziploc de Gu Brew de GU Brew en poudre que je compte utiliser aux ravitos des 28e et 56e kilomètres lorsque je referai le plein en liquide. J’ai également ma frontale, bien sûr, car l’obscurité est encore totale.
Après avoir déposé le sac contenant le reste de mes affaires, j’erre un peu au travers des coureurs et bénévoles, toujours à la recherche de visages connus. Je croise Tomas, un des favoris. Puis Florent. Mais à part ça, personne. Il fait tellement sombre…
On nous annonce le départ dans 5 minutes. La fébrilité se sent, mais pas comme dans un marathon. La course en sentiers, c’est tellement plus relaxe… Personne n’est ici pour « faire un temps ». Ok, nous avons bien des objectifs personnels (par exemple, j’espère 9 heures), mais si on ne les atteint pas, who cares ?
J’allume ma Garmin et elle se met à gosser pour trouver ses satellites. Envoye, espèce de machin à la noix ! En attendant, je m’installe dans le milieu du peloton, me demandant si je suis au bon endroit. Dans un marathon, c’est clair. On sait quel temps on vise, quel temps on « vaut » (et on espère que les deux concordent !). Mais avant un ultra ? Who knows ?
La foutue Garmin qui gosse encore . Je l’éteins, la rallume. Toujours la même affaire. C’est bien le temps ! J’envisage alors de faire la course sans référence. De toute façon, la cadence en ultra, ça ne veut strictement rien dire. N’empêche qu’au prix que j’ai payé pour ce gugusse-là…
Aux avant-postes, j’aperçois Joan. Et ho surprise, il est non seulement habillé, mais il porte également des gants ! Est-ce qu’il fait assez froid à votre goût ? Tout juste avant le départ, ma Garmin se réveille enfin. Au-dessus de nous, un petit hélico téléguidé semble nous filmer. En fait, je ne sais pas trop à quoi il pourrait servir s’il ne nous filme pas…
Devant nous, 80 kilomètres de sentiers. J’en connais 28 pour les avoir courus l’an passé. Le reste ? Je vais le découvrir au cours des prochaines heures. Quelle merveilleuse façon de passer un samedi de septembre… J’ai hâte !