Je tourne ici ou pas ? Cet escalier, il faut que je le monte, non ? À moins que je doive passer tout droit ? Je ne sais plus…
Ça y est, je suis encore perdu. Le pire, c’est que je ne suis même pas dans le bois, en pleine nuit, avec une centaine de kilomètres dans les jambes. Au moins, ça me donnerait une bonne raison. Mais non, pas du tout. Je suis dans une école secondaire et comme ceux que j’appelais « les vieux » jadis, je suis totalement incapable de me retrouver. C’est tellement plaisant de me faire rappeler si gentiment que le vieux, aujourd’hui, c’est moi…
Si au moins j’étais en train de chercher un adolescent ou un prof dans le labyrinthe que représente pour moi cette polyvalente, j’aurais une bonne raison d’être perdu, mais ce n’est pas ça. Je suis en train de courir dans les corridors de l’école avec les jeunes qui s’entrainent en vue du Grand Défi Pierre Lavoie au secondaire et comme de raison, même si c’est la deuxième fois que je viens ici, je n’arrive toujours pas à me faire une image du parcours à effectuer dans ma tête. « C’est par ici, monsieur ! ». Pour la 100e fois, un élève me ramène dans le droit chemin.
On entend souvent des commentaires négatifs sur la génération qui pousse. Ils seraient supposément paresseux, ils passeraient leur temps le nez collé sur leur cell, ne penseraient qu’à updater leur statut sur les réseaux sociaux, ils se foutraient de tout, bla bla bla…
Hé bien depuis que j’ai assisté à la conférence que Joan leur a présentée, ces jeunes-là ne cessent de me prouver que tout ça, ce ne sont que des préjugés. Tout d’abord, à ladite conférence, ils ont écouté attentivement et ont posé un large éventail de questions démontrant hors de tout doute leur intérêt. Puis il y a deux semaines, quand Réjean, le prof responsable, m’a présenté au groupe, ils m’ont accueilli avec une belle main d’applaudissements.
J’ai demandé ce que je pourrais faire pour aider. La réponse de Réjean: « Juste courir avec eux. » Ouais, bon, un lendemain de longue sortie, ce n’était pas l’idéal, mais je n’étais pas pour choker, alors je me suis dit que j’allais faire ce que je sais faire de mieux (ou à peu près): courir. Ce jour-là, j’ai laissé partir le plus rapide, une véritable fusée qui a beaucoup de potentiel, pour accompagner les 2-3 autres plus forts. Pas expansif de nature, je n’ai pas beaucoup jasé, juste suivi. Je me suis dit que je les laisserais me parler s’ils en avaient envie. Ce qui fait que j’ai eu la chance d’échanger avec Thomas, un jeune homme qui présente une belle maturité. Après l’entrainement, il avait une pratique de soccer. Paresseux les jeunes, vous dites ?
À la fin, ça s’est terminé par des high fives et des accolades. Ils avaient compris une chose que les sprinteurs se comprendront jamais: c’est dans le dépassement de soi qu’on trouve la satisfaction. Ce qui est important, ce n’est pas être meilleur que les autres et de les vaincre, mais être fier de ce qu’on accomplit et heureux de voir les autres en faire autant.
Toujours est-il que la semaine dernière, quand j’y suis retourné, j’avais fait un 50 kilomètres la veille, alors j’ai plutôt décidé d’embarquer dans le milieu du peloton, question de prendre ça relaxe. Après 5 minutes, plusieurs ont commencé à profiter de la partie cachée du parcours pour marcher (avouez qu’à leur âge, vous faisiez la même chose !), alors je me suis souvent retrouvé seul… sans jamais savoir quel escalier ou quel couloir emprunter. J’étais tout simplement pathétique. Mais ça m’a permis d’être aux premières loges pour les observer. Bien que plusieurs marchaient, d’autres n’ont jamais arrêté, poursuivant leur chemin avec une belle régularité tout en suivant les consignes données au préalable par leur prof. Quand je les dépassais, je tâchais de les féliciter pour leur ténacité. C’était la moindre des choses que je pouvais faire.
Je sais, je ne suis pas objectif quand on parle du monde l’enseignement. Mes parents étaient enseignants, j’ai plusieurs amis qui sont dans le domaine. Je sais ce qu’ils vivent. Ces gens ont un point en commun: ils ont à coeur la réussite de leurs élèves et ne comptent pas leur temps. Les profs ne pas obligés de faire ce qu’il font pour les jeunes après l’école. Ils ne le feraient pas et seraient payés exactement le même prix. Pourtant ils sont là à les encourager, à courir avec eux, à prendre soin de ceux qui se blessent ou qui ont des malaises. Ils se font de la bile à longueur d’année pour ceux qui vivent des situations difficiles à la maison, qui ne mangent pas à leur faim, qui ont des problèmes de coeur ou avec d’autres jeunes. Ils ne sont pas seulement prêts à « sacrifier » une fin de semaine avec eux pour continuer à jouer aux profs au Grand Défi Pierre Lavoie, ils ont hâte de le faire.
Il n’y a pas de mots pour décrire l’admiration que j’ai pour eux. Je trouve tellement dommage que tant de gens ne se rendent pas compte de tout ce qu’ils font pour leurs enfants…