De la route aux sentiers: troisième partie

Suite à mon dernier article, Julie, ma partner de la Petite Trotte, m’a souligné que je n’avais pas encore parlé d’un sujet délicat, voire même tabou, mais qui a toute son importance: les besoins naturels.

Effectivement, c’est un élément non-négligeable des courses très longues distances. Mais je n’y avais pas pensé pour la simple et bonne raison que pour un homme, c’est pour ainsi dire pas mal moins compliqué. En effet, qu’on soit sur la route ou dans les sentiers, un buisson, ça demeure un buisson. Et je persiste et signe: même s’il y a des Johnny-on-the-Spot sur quelque course que ce soit, messieurs, faites preuve de galanterie et laissez la place aux dames… si c’est pour un numéro un, bien sûr !

Pour ce qui est des numéros deux, ben… Faut croire que j’ai été très chanceux jusqu’à maintenant car je n’ai jamais eu à m’en « départir » durant une course, même quand j’ai eu à faire plus de 30 heures sur un parcours. Heureusement, parce que contrairement à bien d’autres, mon système a tendance à… Non mais, suis-je vraiment en train de parler de ça, moi là ?  Bref, faire ses « choses » dans la nature, ça fait partie de l’adaptation propre (s’cusez la) à la vie en ultra.

Autre chose que j’ai constatée et dont on parle peu: les catégories d’âge, ça ne veut pas dire grand chose. Ben non. Quand on est 40, 50 ou même 200 sur la ligne de départ, pensez-vous sincèrement que l’échantillonnage soit assez représentatif de la « population » des coureurs ?  Pas vraiment, hein ?

Pour vous donner un exemple, l’an passé à Washington, j’ai terminé premier dans ma catégorie, les hommes de 45-49 ans. Big deal. Je venais tout juste d’avoir 45 ans, alors j’étais borderline dans ma catégorie. En plus, le gars qui a fini devant moi avait 50 ans. Allais-je me pavaner d’avoir « terminé premier » alors qu’un plus vieux m’avait devancé ?  Heu… non.

Autre exemple: lors des trois éditions du 160 kilomètres du Bromont Ultra, le gagnant était un gars dans la quarantaine. En fait, c’est seulement en 2016 que quelqu’un de moins de 40 ans a fini par monter sur le podium. Pas de quoi se vanter « d’avoir gagné » pour les gars dans la vingtaine/trentaine, non ?

À mon humble avis, à moins qu’on fasse une course énorme comme l’UTMB, il y a deux catégories en ultra: les femmes et le classement général. On peut aussi ajouter à ça la catégorie « solo », soit celle qui tient compte de ceux qui font la course sans équipe de support ni pacer. Mon objectif est généralement de terminer dans le top 10% au général et je regarde également où je me trouve par rapport aux meilleures femmes, juste pour donner une idée. Pour le reste…

Maintenant, une affaire que j’ai remarquée au fil des ans: arrivé « crinqué » au départ, ça ne donne rien. L’adrénaline, c’est bien pratique sur 5 km, 10 km ou même un marathon. Mais sur un ultra ?  Ça sert juste à se fatiguer plus vite.

Nous ultramarathoniens sommes souvent affublés de ce surnom de « crinqués ». Pourtant, rien n’est plus loin de la réalité. Vous n’avez qu’à observer les participants sur la ligne de départ d’un ultra: c’est le calme plat. On jase, on rigole, on prend la pose pour les photographes. Quand le départ est donné, c’est en trottinant qu’on quitte les lieux. Il n’y a pas de quoi se presser, la route va être longue de toute manière.

Si j’ai un conseil à donner à quelqu’un qui fait le saut pour la première fois dans ce genre d’épreuve, ce serait de prendre ça relaxe et s’arranger pour suivre un ou plusieurs vieux renards durant les premières heures.

Ok, le gros irritant des ultras par rapport à la course sur route: les foutues loteries. Ha ce que je peux les détester… Pas moyen de s’établir un calendrier de course pour la saison à venir, il faut toujours attendre après les résultats des loteries. Ce qui fait qu’on se retrouve parfois le bec à l’eau.

Je viens justement de le vivre. Suite à une discussion autour d’une (deux, trois…) bière avec les amis ultras, j’hésitais à tenter ma chance encore cette année pour l’UTMB. Puis je me suis dit que finalement, si je n’étais pas pris en 2017, je serais assuré de ma place en 2018, alors j’allais me taper le processus encore cette année. Sauf que le tirage n’aura lieu que le 13 janvier prochain. Et d’ici là, une course à laquelle je voudrais peut-être participer dans le cas où je ne serais pas choisi à l’UTMB pourrait ne plus avoir de disponibilités. L’an passé, je m’étais inscrit à l’Eastern States suite à ma « non-sélection ». Eh bien cette année, ce ne sera pas possible car cette épreuve est déjà remplie à capacité. Super plaisant.

D’autres grandes courses utilisent également des loteries pour sélectionner leurs participants: Massanutten, Western States, Hardrock, etc. C’est probablement la façon la plus équitable (surtout que les probabilités d’être choisi sont souvent basées sur plusieurs critères objectifs et quantifiables) de bâtir un contingent de coureurs, plutôt que de les faire se garrocher sur le site de la course au moment où les inscriptions ouvrent. Mais maudit que c’est gossant…

Je sais que plusieurs grands marathons (New York, Chicago, Berlin, Londres) fonctionnent également par loterie pour déterminer les participants, mais dans ces cas-là, les plans B (Philadelphie, Toronto, Montréal au pire) demeurent très accessibles après que les résultats des tirages soient rendus publics. On ne peut pas dire la même chose en ultra…

En terminant, je dirais que la principale différence entre la route et la course en sentiers, et celle avec laquelle il est le plus facile de s’adapter, c’est la camaraderie. À Bromont cette année, c’en était presque comique. Moi l’antisocial, je me suis retrouvé à connaitre quasiment tout le monde. Nous avions l’air de vieux camarades d’école lors d’un conventum: « Hé salut, comment ça va ? », « Pis, Bigfoot/Eastern States/Tahoe/Vermont/World’s End ? », « Comment va ta cheville/genou/hanche ? ». Pierre nous a surnommés « La Ligue du Vieux Poêle ». Ça faisait image.

Sur la route, nous sommes tous des adversaires. Bien sûr,  il arrive que des liens se tissent un peu au fil des kilomètres. On fait des bouts avec un autre coureur, il nous arrive même de jaser. Mais si l’autre faiblit, on ne pense pas l’attendre une seule seconde. Si quelqu’un est pris de crampes ou s’il tombe ?  On passe tout droit en se disant que si besoin il y a, les spectateurs sont là et les équipes médicales ne sont pas loin. Chacun fait sa petite affaire.

En sentiers par contre… L’aide peut être loin et il est primordial de comprendre que malgré que nous soyons tous des compétiteurs, nous sommes avant tout des frères d’armes. « L’ennemi » à abattre, c’est le parcours et si on veut le vaincre, on peut avoir besoin d’aide. En fait, il peut même arriver que l’apport d’autrui soit nécessaire juste pour hisser le drapeau blanc (ce qui arrive souvent en ultra). Laisser seul un compagnon blessé sur le « champ de bataille » est un manquement grave à notre code d’honneur.

Ce n’est pas pour rien que les arrivées en groupe sont si fréquentes dans ce petit monde. Sprinter pour gagner des places à la fin nous semble tellement futile… De toute façon, entre vous et moi, sprinter quand on a 100 miles dans les jambes, bof…

Une autre tradition des ultras, c’est celle d’attendre les autres une fois la ligne d’arrivée franchie. En fait, c’est presque toujours la première question que je pose après avoir terminé une course: comment vont les autres ? On veut voir nos amis réussir, on veut les savoir en santé. Apprendre qu’un camarade a dû abandonner ou tout simplement le voir habillé « en civil » alors qu’on sait pertinemment qu’il n’était pas devant nous fait toujours un petit pincement au coeur. Je préfère mille fois me faire botter le derrière par un copain que de savoir qu’il a dû se retirer. Et je suis certain que la grande majorité d’entre nous pensons ainsi.

Quand on sait qu’un tel ou un tel est toujours en course et qu’il s’en vient, on veut être là lorsqu’il terminera. Alors on attend tant qu’on peut. Parce qu’il arrive que la fatigue nous fasse grelotter et nous entraîne inexorablement vers le sommeil, alors on doit quitter, un peu à contre-coeur. Mais si on réussit à rester… La joie qu’on lit sur le visage d’un coureur qui termine son premier ultra/50 miles/100 miles: priceless.

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