« Ouin, si je me plante, je suis un peu dans la m… » – Le soleil était radieux, le ciel sans nuage, le vent à peine perceptible. Et l’air, que dire de l’air ? Il était si pur… Il faisait -12 degrés, mais là-bas, c’est comme lorsqu’il en fait 10 de plus chez nous. Non mais, ce que je pouvais être bien !
Depuis 3-4 minutes, je courais sur la digue du réservoir Eastmain servant à alimenter les centrales du même nom. J’étais là en vue d’une semaine d’essais (dont je vous épargne les détails), mais en ce beau samedi de décembre, comme l’installation des équipements nécessaires était toujours en cours, j’avais décidé de demeurer au camp pour travailler sur d’autres dossiers à partir de ma chambre… et en profiter aller courir.
Sans blague, comment pouvais-je passer à côté de ça ? Des chemins de terre larges, ondulés, où un véhicule passe à toutes les 20 minutes. J’allais demeurer à ma chambre ? Duh ! Je travaillerais quand le soleil serait couché et de toute façon, il n’y a pas que l’argent dans la vie.
Je m’étais donc fait un petit échauffement autour des « roulottes » nous servant d’hébergement, puis m’étais dirigé vers la centrale où auraient lieu les essais, question de connaître la distance à parcourir si jamais il me venait l’idée saugrenue (moi ? Non….) de voyager à la course les jours suivants. Verdict : 5.37 kilomètres. Bof…
Puis, après un crochet par la centrale-sœur, j’avais gravi la longue montée menant à l’endroit où l’eau est amenée dans les deux installations. Comme il y a des centaines de mètres cubes d’eau qui y pénètrent à chaque seconde, je m’attendais à tout un spectacle.
Constat : Re-bof. Un tout petit tourbillon digne de la plus simple des baignoires. Ouais… Et c’est à ce moment que j‘ai aperçu la digue. Elle était si attirante…
Je courais à bon rythme, écoutant le bruit de mes pas sur le sol quand j’ai eu mon flash. Je me voyais glisser ou m’enfarger, me retrouver face contre terre, incapable de bouger. Ou pire, me voyais plonger dans le réservoir. En été, des gens se promènent ici, viennent faire de l’observation d’oiseaux. Mais en hiver… Mis à part quelques renards, mettons qu’il n’y a pas grand monde et je ne pouvais pas vraiment compter sur eux pour aller chercher de l’aide. À -12 degrés, le temps avait beau être sec, ça restait tout de même -12 degrés. Je doutais pouvoir résister longtemps à l’hypothermie. Valait mieux retourner au camp.
Le point d’interrogation – En fin de journée samedi, j’ai appris que les essais étaient annulés suite à un bris d’équipement. Or, comme le prochain avion ne passait que le lundi (hé non, il n’y a pas de vols à tous les jours à l’aéroport de Némiscau, incroyable, non ?), j’ai encore été pogné pour courir sur de la neige sèche et bien tapée. Ha petite vie…
Cette fois-là, j’ai mis le cap vers La Sarcelle, une centrale située… à 110 kilomètres de là. Oui, c’est vaste la Baie James. Et évidemment non, je n’avais aucune intention de m’y rendre (je ne suis pas cinglé à ce point). Je voulais juste essayer un autre chemin.
Si c’était tranquille, vous me demandez ? Pas un chat (seulement un autre renard, en fait). La route enneigée juste à moi, les « crounch-crouch » de mes pieds sur la neige comme accompagnement. Décidément, je finirais peut-être par m’attacher à ce coin de pays…
Un bruit familier est venu déranger mes rêveries: un poids lourd approchait. Il y en a relativement souvent la semaine, mais un dimanche, sa présence m’a tout de même un peu surpris. Comme il approchait, je me suis tassé pour lui laisser le chemin.
« Voyons, qu’est-ce qu’il niaise ? » Il n’avançait à peu près plus. Quand il arriva finalement à ma hauteur, j’ai regardé en direction du chauffeur, question de savoir de quoi il en retournait. Malgré le froid (il faisait tout de même -18 degrés ce matin-là), sa vitre était abaissée et un point d’interrogation avait remplacé son visage. C’était clair: il n’avait jamais vu un gars courir dans ces contrées perdues, se demandait ce que je foutais là et surtout, si j’allais bien. Je lui ai envoyé la main, à la fois pour lui montrer que tout était sous contrôle et aussi, pour le remercier d’avoir ainsi ralenti à ma hauteur.
Il m’a répondu par un signe de la main et a poursuivi sa route, se demandant probablement s’il avait rêvé. En tout cas, il aurait quelque chose à raconter aux boys le soir au souper.
Le selfie – Une fois n’étant pas coutume, j’ai pris l’initiative de me faire un petit selfie ce jour-là après être revenu au camp. Sauf que la température froide aidant, mon nez s’était transformé en véritable robinet en cours de route et comme j’ai supposé que certains de mes lecteurs me lisaient au petit déjeuner, j’ai décidé de ne pas leur faire subir ce spectacle. Ce sera pour une prochaine fois. 🙂
Zatopek – Le lundi, j’ai repris l’avion pour revenir à l’humidité. Mon collègue a dû rester une journée de plus, pour une raison que je vais (encore) vous épargner. Un technicien de la centrale lui a demandé : « Pis, Zatopek est parti ? ».
Voilà, je commence à me faire une réputation à la grandeur de l’entreprise. Et bon, se faire comparer à Zatopek, il y a pire dans la vie, pas vrai ?
Pause forcée, encore… – Novembre a été superbe cette année. Pour la course en tout cas. Donc, par un beau matin, j’étais dans la descente du chemin Olmsted, avec d’excellentes chances de fracasser le prestigieux record du Olmsted-aller-retour-avec-deux-boucles-du-sommet dans la catégorie reine, soit celle des hommes-de-46-ans-qui-habitent-sur-une-rue-portant-un-nom-d’oiseau-qui-fait-rire-le-monde.
Je croise Benjamin, mon « coéquipier » Skechers, qui monte tranquillement en sens inverse. Le record attendra, les copains, c’est plus important. «Tu ne prends jamais de break, toi, hein ? ». Il avait vu que j’étais pas mal à fond. Bah, juste quand je suis blessé que je lui ai répondu, un peu à la blague.
Ben c’est ça, je suis maintenant en break. Encore. À mon retour du grand nord, je faisais un peu de vitesse quand j’ai senti mon ischio droit me demander grâce. Bah, ça va passer…
Ça n’a pas passé. Visite chez Marie-Ève, qui me suggère de prendre une pause, ce serait le bon temps, car mes muscles sont fatigués (elle sait ça comment ?). Ok…
Re-visite, on patiente quelques jours, on essaie pour un petit 10. Re-crack. Comme pour confirmer, j’ai refait un autre essai deux jours plus tard, pour 12 kilomètres cette fois. Je l’ai achevé. En fait, c’est le genre de blessure très traître parce qu’elle ne nous empêche pas vraiment de courir et même, on ne la sent presque pas si on ne pousse pas la note. Mais bon, si je veux recommencer à pousser un peu…
Bref, je suis bien décidé à attendre de ne plus rien ressentir avant de reprendre le collier. Et d’arrêter dès que je sens que la moindre chose ne va pas. À suivre.