« Ça monte en joual vert ! »
Non, je ne cours pas. Pas encore. Je suis en voiture avec mon père, en train de faire une reconnaissance des différents endroits où se trouveront les stations d’aide que je croiserai sur mon parcours demain samedi et… dimanche, bien évidemment. Pour la circonstance, le dream team des équipes de soutien (constitué de ma Barbara et de son beau-papa unique et préféré) a été reformé. Mon paternel étant en charge de la navigation, il préférait avoir fait le tour auparavant. Et c’était presque indispensable car certaines stations étaient situées dans des endroits tellement reculés qu’il aurait été très difficile de les trouver en pleine nuit.
Ainsi donc, nous sommes en direction de Camp Roosevelt (mile 63.9) après avoir quitté l’endroit où sera établie la station Habron Gap (mile 54.0). Et depuis ce qui me semble être plusieurs minutes, nous montons, montons et montons sans arrêt, par le petite route 675 qui est asphaltée, mais un peu étroite à notre goût par bouts.
J’éclate de rire: « Dire que je vais me taper ça à pied demain… avec 100 kilomètres dans les jambes ! ». En fait, je ne me taperai pas exactement ça, mais certainement l’équivalent en dénivelé, sinon plus, en passant par les sentiers. Mon père rit à son tour, mais je ne suis pas certain qu’il trouve ça vraiment drôle.
Rendus au sommet, la vue est imprenable. Wow ! Nous nous arrêtons pour admirer le tout et constatons qu’un sentier passe effectivement par là. Bon ben, ça a l’air que je vais repasser par ici…
Après être passés par Camp Roosevelt (qui est un ancien camp militaire transformé en camping rustique pour randonneurs et qui était fermé. Pourquoi fermé en mai ? Sais pas, attendent-ils des températures dans les 40 degrés pour accueillir des randonneurs ?), nous nous dirigeons vers Caroline Furnace, le camp de vacances où le quartier général de la course est installé.
Dans un champ, j’aperçois un grand chapiteau et le fameux silo abandonné qui fait partie de la brand Massanutten. Nous sommes vraiment au bon endroit.
Après avoir récupéré mon dossard et mon t-shirt de l’événement (en coton et à manches longues, pas certain qu’il va servir souvent), nous nous installons à une table sous le chapiteau pour attendre le début du briefing des coureurs.
Au bout de quelques minutes, un monsieur que je qualifierais de très sociable passe devant moi et me demande si je suis coureur. Heu, oui… Il se présente alors: « I’m Gary, and you are ? ». Je me présente comme étant Fred de Montréal (les Américains ont de la difficulté à comprendre « Frédéric » quand je le dis au long). Il me donne un vigoureux first bump accompagné d’un large sourire. Et là j’allume: c’est Gary Knipling, une légende ici. Âgé de 71 ans, il a terminé 17 fois cette course et il y va pour une 18ème cette année. Le first bump, c’est un peu sa marque de commerce.
Il semble étonné que je le connaisse, surtout quand je lui parle de son fils (qui a 15 finishes à son actif, preuve comme quoi la difficulté à comprendre certaines choses, ça peut être génétique). Mais il me surprend à son tour quand il me demande si je connais Joan. Hein, il le connaît ? Ma parole, tout le monde le connait ! Cout’ donc, le jour où il va rencontrer le pape, les bonnes soeurs qui vont assister à la scène vont-elles se demander qui peut bien être le vieux bonhomme habillé en blanc qui parle avec Joan Roch ?
Parlant du loup, je surveille leur arrivée à lui, Pierre et Martin du coin de l’œil. Partis à 4h de Longueuil, ils espéraient être ici à temps pour le briefing qui doit débuter à 16h.
Knipling repasse près de nous, des petits ziplocs dans les mains. Il m’en tend un et me montre du doigt deux petites pilules. Elles sont jaunes, mais sont marquées par un grand V. Hum, si elles étaient bleues, ce serait difficile de ne pas faire de blague…
Ce sont des pilules de caféine. Bah, je m’étais très bien débrouillé à Bromont, je doute en avoir besoin. Mais au cas où, ce serait con de ne pas les trainer. Il me montre ensuite une petite enveloppe de Preparation H: « You know what it is. It can save your ass ! ». Le jeu de mots me fait pouffer de rire. Ça aussi fera partie de mon équipement.
À peine 5 minutes avant le début briefing, je vois mes trois comparses apparaître au loin. Ils ont réussi. Je vais à leur rencontre et les accueille avec un « Ha les CANADIENS ! », running gag que j’avais avec mes collègues quand j’ai travaillé au Japon. C’est que pour nous Québécois, peu importe notre allégeance politique, se faire dire que nous sommes canadiens fait toujours un peu bizarre. Nous sommes québécois avant tout… et canadiens durant les Jeux olympiques ! 🙂 D’où la blague, que je suis le seul à comprendre.
Ils n’ont pas trop l’air fatigués par leur voyage. Joan a les yeux un peu pochés, mais je ne m’inquiète vraiment pas pour lui. Le temps de quelques photos et qu’il ramassent leurs dossards, le briefing peut commencer.
C’est rare que je peux dire ça, mais celui-là est à la fois très utile et tout aussi intéressant. Alternant entre le sérieux et l’humour, Kevin, le directeur de course, et ses acolytes réussissent à passer leur message tout en gardant notre intérêt pendant une bonne heure. Un exploit.
Il y a cependant une de leurs instructions que je ne suivrai pas. Pour ceux qui, comme moi, installent leur dossard sur leurs shorts, ils ont demandé de le faire sur la cuisse gauche, pour des raisons de visibilité afin de pouvoir annoncer notre nom à l’arrivée.
« Ha ben non, je l’installe du côté droit ! ». Martin, se demandant bien pourquoi je tiens tant à ce côté, je lui réponds: « Je ne sais pas si vous êtes ambidextres, mais moi, je pisse à gauche ! ». Celle-là, il y a juste à la table des Québécois qu’elle a été comprise. Et le pire, c’est que j’étais sérieux…
Arrive samedi, le jour J. Ma tête sait que ce sera, et de loin, la plus difficile épreuve de ma vie sportive. Après nous avoir aguichés avec un 20 degrés jeudi, Dame Nature nous en garrochera 10 de plus en pleine poire aujourd’hui. L’humidité ? Elle ne sera pas si mal en milieu de journée, mais elle est à trancher au couteau quelques minutes avant le départ. Pourtant, je ne m’en fais pas. Je ne me sens pas trop nerveux, quoi que Barbara a laissé filtrer hier que je commençais à être un tantinet irritable.
Je suis accompagné de mon père, qui s’est levé à 2h pour être là. Il se rendra ensuite à Edinburg Gap, au mile 12.1 (où je devrais passer entre 6h15 et 6h30) pour ensuite retourner au chalet déjeuner et ramener l’autre moitié de mon équipe championne avec lui à temps pour mon passage à Elizabeth Furnace (encore un nom qui a rapport aux fours, sont-ils vraiment obligés de nous rappeler qu’il va faire chaud ?) au mile 33.3, prévu entre 10h30 et 11h. Quoi, je suis un gars chanceux, vous dites ?
Assis en tenue de course sous le chapiteau, je n’ai pas froid. Merde, il est 3h45 du matin et je n’ai même pas un soupçon de semblant de frisson qui voudrait se pointer. À Washington au moins, je gelais avant le départ. Ouais, là ça commence à m’énerver un peu…
Mes compagnons arrivent, ils ont dormi au camping situé à côté. En fait, Joan et Martin ont dormi. Pierre, bof… Pour ma part, j’ai eu une nuit « normale » pour une veille de course 3-4 heures de sommeil. Ça devrait faire l’affaire. De toute façon, pas vraiment le choix, n’est-ce pas ?
Ce que je remarque surtout, c’est leur équipement. En fait, l’absence d’équipement. Joan, ok, on est habitués: il est vêtu de 2 t-shirts, un à manches courtes et l’autre à manches longues et on devine qu’il va s’en débarrasser en cours de route. De l’eau, de la bouffe ? Nada.
Martin ? Il porte une chemise qui va, et c’est évident (elle a des traces de peinture), prendre le bord assez rapidement. Pour le liquide ? Une bouteille à la main, et pas une grosse: probablement 16 onces, peut-être 20. Tu vas manger quoi ? « Ce qu’il y a aux stations ». Ben oui, comment ne pas y avoir pensé ?
Quant à Pierre, on voit que son linge va revenir à Montréal avec lui, mais il n’a rien d’autre. Il ne croit pas avoir à boire avant Edinburg Gap, alors il a laissé son sac d’hydratation dans son drop bag qu’il récupérera là-bas.
Et moi qui pars avec une veste contenant 2 litres de GU Brew, une douzaine de gels, des gaufres, des Advil, des pilules de caféine, du Preparation H…
Une grosse horloge numérique à été installée tout près de la banderole de départ/arrivée. J’aime beaucoup ce principe: on voit tous l’heure qu’il est, le temps qu’il reste et le départ est donné à l’heure prévue, point à la ligne. Pas de zigonnage ou de départ retardé pour des raisons X ou Y.
À une minute du départ, mon père me donne l’accolade et me chuchote à l’oreille « Amuse-toi ». Ce que le froid n’a pas réussi à faire, mon père l’a fait: me donner un frisson.
Je retourne à mes amis, on se souhaite tous bonne chance. Amenez-le, votre supposé parcours infernal !