La première moitié

Maintenant que nous avons la “permission”, nous les noirs, autant ceux du demi que ceux du marathon,  approchons de la ligne de départ. Nous partirons deux minutes derrière les autres, alors c’est vraiment définitif pour moi: pas question d’essayer de rattraper ce retard pour ensuite suivre le lapin de 3h05. Ça m’amènerait à faire 3h03 et c’est tout simplement impossible. Et ça, c’est sans compter l’effet taxant sur mon organisme qu’une telle poursuite en début de course entraînerait.

Merde, toujours pas nerveux… mise à part cette foutue envie de pisser qui s’amuse à me hanter. C’est l’histoire d’Ottawa qui se répète: pas moyen de me soulager comme du monde avant de partir. Je compte donc faire comme à ce moment-là: attendre l’occasion idéale, puis peut-être reprendre le peloton de 3h15 au passage. En fait, c’était mon plan alors et je ne m’étais jamais arrêté. Est-ce que la même chose va se produire aujourd’hui ?

Klaxon et c’est notre tour. Nous partons en marchant et il me semble que ça marche encore quand vient le temps de passer le tapis chronométrique. Puis soudainement, on démarre le chrono et c’est parti !  Il y a beaucoup de monde, mais les forces étant bien équilibrées, ça avance bien. Le boulevard est très large, ça aide beaucoup. Comme d’habitude en course, mon réchauffement n’est pas adéquat, alors j’ai de la difficulté à prendre un rythme. Je dois aussi zigzaguer au travers des gens, comme à chaque départ, mais rien de majeur. Le parcours est vraiment bien dessiné. Ha, il y a bien quelques perdus qui avancent à pas de tortue, mais ils sont vraiment l’exception.

Premier kilomètre en 4:39. Ouais, bon, pas fort fort. Pour faire 3h15, je dois aller à 4:37 de moyenne, alors je suis un peu en retard. À Ottawa, ma Garmin m’avait donné un 4:30 de moyenne (mais il y a toujours 1 ou 2 secondes d’erreur en course), alors déjà 9 secondes de retard sur Ottawa. Bah, on s’en fout un peu…

Je manque le premier mille (les markers sont seulement en milles, pas de kilomètres ici) qui est situé devant Love Park. Une fois rendu sur Arch Street, je reconnais immédiatement le Centre des Congrès (j’en aurai la confirmation plus tard, il est vraiment immense: il fait trois pâtés de maisons de long et un de profond) où avait lieu l’expo-marathon. C’est à cet endroit que je décide d’enlever mes gants.  Mes poches étant bien évidemment pleines de cossins, je dois les enfouir dans la poche arrière de mon coupe-vent. Ouais, je suis encore chargé comme un bourriquot: un imperméable jetable dans ma poche arrière, des ziplocs de Power Bar coupées en morceau dans les poches de mon coupe-vent, des gels (6 au total !) dans mes poches de shorts et bien sûr, ma ceinture d’hydratation avec 6 bouteilles de Gatorade. Incorrigible. On dirait que ça me rassure d’avoir toujours tout ça avec moi et bon, on ne peut pas dire que ça n’a pas marché jusqu’à maintenant, non ?

Devant le Centre des Congrès, nous passons devant une poignée de spectateurs parmi lesquels se retrouve un adorable schnauzer miniature qui attend patiemment que les gens aient fini de passer. Ce qu’il aurait fait des beaux petits bébés avec notre pétasse… Je ne peux m’empêcher: “Ha, soooo cuuuute !!!”, au grand plaisir de sa maîtresse qui semble étonnée que je puisse seulement parler pendant que je cours. Ben heu… oui !

Un peu plus loin, mes yeux de pervers-pépère aperçoivent une superbe paire de jambes. Je ne sais pas pourquoi, c’est comme un radar, je ne les manque jamais. Leur propriétaire est une femme qui me semble jeune (mais de dos, on n’est certain !) portant une longue queue de cheval de couleur foncée à l’extérieur de sa casquette. Elle est accompagnée de deux amis: un gars d’un côté et une fille de l’autre. Ouais, je pourrais me faire à l’idée de passer 3 heures derrière eux, moi. Quoi qu’à l’âge qu’elle semble avoir, j’aurais plus envie de lui demander si on va croiser sa mère sur le parcours, genre…

Bon, avec tout ça, j’ai cru apercevoir mon 2e kilomètre franchi en 4:32. Ok, c’est mieux. Arrive ensuite une longue descente sur Race (!) Street en direction du fleuve Delaware. Je me rends compte que mon entrainement pour les ultras donne vraiment des résultats: alors que la plupart des gens gardent le même rythme ou même freinent en descente, je me laisse aller. Du même coup, je laisse donc la superbe vue que j’avais derrière moi et dépasse par le fait même une centaine de personnes supplémentaires pour me retrouver sur Columbus Boulevard, le long du Delaware.

Ma moyenne est maintenant à 4:29, gracieuseté de la descente. Nous avons passé notre premier point d’eau et je dois dire que l’organisation n’a rien à envier à Ottawa de ce côté: beaucoup, beaucoup de bénévoles, du Gatorade et de l’eau en grandes quantités. Tout roule rondement. Malheureusement, sur Columbus, c’est très monotone. Certains en profitent pour faire une pause-pipi, mais je n’en ressens pas vraiment le besoin urgent, alors je me dis que plus tard, peut-être. Ou peut-être pas du tout… D’autres se débarrassent d’une couche de vêtements superflus en garrochant leur chandail sur le bord du chemin. Mais qui va ramasser tout ça ?

Mais tiens, qui va là ?  Mademoiselle-aux-belles-jambes avec ses amis qui me dépassent. J’essaie de m’accrocher à eux (un gars a des motivations), mais ils vont un peu trop vite à mon goût. Je me dis qu’ils doivent faire le demi et les laisse aller.

Bon, on quitte maintenant Columbus pour retourner vers la ville en empruntant Front Street. Plutôt résidentiel comme coin… D’ailleurs, à une intersection, un policier arrête la circulation: une dame veut sortir de son quartier en auto. Elle n’a pas fini d’attendre, la pauvre. Peu après le quatrième mille, nous arrivons sur South Street, la rue à voir à ce que nous avons compris. Ok, j’ouvre grand mes yeux de touriste et… ne vois strictement rien qui peut sembler intéressant. Ça ressemble à un mélange du centre-ville de mon Victoriaville natal avec la rue quétaine de Niagara Falls. Je vais être poli et je vais dire que je trouve ça… ordinaire. Bon, peut-être parce qu’il y a plus de vie en temps normal…

Ok, coup d’oeil à la cadence: 4:26. Pas mal, pas mal du tout, surtout que je me sens toujours « en dedans ». Nous quittons South Street direction Chestnut Street, via la 6e, au 5e mille (donc 8e km). Déjà presque 20% de la course derrière nous. Sur Chestnut, la foule se densifie. Merde, il est 7h45 le matin et c’est plein, plein de monde. Le bruit est assourdissant, tellement que j’en ris. Il faut dire que les principaux hôtels (dont le nôtre) sont tout près, alors probablement que plusieurs supporters sont là pour leur(s) coureur(s).

C’est qu’il commence à faire chaud… Débute alors le manège d’enlèvement des manches de mon coupe-vent. Comme je suis souple comme un 2 x 4, j’ai toutes les difficultés du monde à défaire les fermetures-éclairs. Ha merde, la Garmin que j’ai installée par-dessus la manche… J’essaie de tirer, rien à faire, la manche est prise. Grr !!!  J’essaie tant bien que mal, ça ne marche pas. Je dois donc me résigner à défaire le bracelet, ce que je voulais éviter par crainte de l’échapper par terre au milieu de la foule de coureurs. Finalement, grâce à ma prodigieuse (hum hum) habileté, je réussis à tout faire sans avoir à m’arrêter. Les manches se retrouvent alors dans ma poche arrière, avec mes gants. Tant qu’à être chargé…

Mais oups, que se passe-t-il ?  Je ne sens rien de particulier, juste un début de “ça va mal”. J’ai à peine 10 km dans les jambes que ça commence à mal aller ?  Non, ce n’est pas possible… Je regarde ma cadence: 4:24 et je suis crispé. Wo bonhomme, on se calme les nerfs, veux-tu ?  Je me force à ralentir un peu et surtout, à me détendre. La route est encore longue, on ne peut pas risquer d’être crispé si vite, non ? Entre temps, une première en marathon: les premiers 10 km ont été fait sous les 45 minutes, soit en 44:24. Ouch, serais-je parti trop vite ?  Non, je ne peux pas croire. J’ai fait un 26 km à 4:23 il y a deux semaines et j’aurais été prêt à continuer. En plus, j’étais seul alors que là, je m’abrite du vent dès que je peux. Nah…  C’est juste une mauvaise passe.

Pour forcer un peu les choses, je décide de prendre une première bouchée de Power Bar, même si je sens mon estomac encore bien plein de mon déjeuner. En traversant le petit pont au-dessus de la Schuylkill, ça va déjà mieux. Ça monte légèrement un peu plus loin, mais une fois arrivés sur la 34e rue, là on peut dire que ça monte pour vrai !  Une belle petite côte comme je les aime, genre où je peux dépasser  bien du monde… Je l’entame donc à bon rythme, prenant bien soin de toujours demeurer “en dedans” question de ne pas arriver en haut à bout de souffle. À la mi-pente, un coureur très mince louvoie de gauche à droite, semblant avoir de la difficulté à se tenir debout. Il avance comme un gars complètement déshydraté à la fin d’un marathon, j’ai l’impression qu’il va tomber d’un instant à l’autre. Je passe à côté de lui et regarde son visage: ses yeux sans vie fixent droit devant. Je dois avouer que je trouve ça un peu freakant. Il ne va pas crever drette là, sous mes yeux !  J’envisage d’arrêter pour l’aider, cherche autour pour des secours. Et puis merde, s’il tombe, il y a assez de spectateurs pour le ramasser après tout… Je poursuis donc mon chemin, un peu ébranlé.

J’arrive en haut de la côte et nous enchainons par une belle descente. Yipee !!!  Je me lance donc dedans comme un enfant, sans retenue. Le mort-vivant est maintenant chose du passé (en espérant qu’on parle toujours de lui au présent…), mon esprit est revenu à la course. À la fin de la descente, j’aperçois pour la première fois 4:23 comme cadence moyenne. J’ai un petit sourire: la descente a fucké mes affaires, ça devrait remonter bientôt. Je prends un premier gel (expresso double caféine), question qu’il fasse effet avant la prochaine difficulté.

Quand ?  À la montée suivante, bien sûr. Une vraie de vraie celle-là (pour une course sur route on s’entend), sinueuse pour nous cacher sa longueur véritable. Les autres concurrents semblent découragés et prennent l’extérieur de la première courbe. Question d’atténuer la pente peut-être ?  Hé bien moi, je pique par l’intérieur, je ne ferai pas des détours, no way !  Je monte donc à petites enjambées, me rappelant à quel point les montées du Vermont 50 étaient 100 plus difficiles. En montant, je rattrape un handcycle qui semble peiner dans la montée. C’est qu’il a l’air de pousser un braquet bien trop gros… En fait, est-ce qu’il y a des vitesses après ces machins-là ?  On dirait bien que oui, alors pourquoi reste-t-il sur un tel braquet ?  Enfin… J’arrive en haut, tout près du “Please Touch Museum”  avec un léger essoufflement. Bah, pas grave, on va redescendre bientôt. 🙂

Ok, le mauvais moment est vraiment chose du passé. Sur ma gauche, j’aperçois de superbes maisons de style victorien. Wow, ça doit coûter un bras ces cabanes-là… Nous sommes en plein coeur de Fairmount Park (qui semble-t-il est 10 fois plus grand que Central Park) et je dois avouer que le paysage est bien agréable. Au 11e mille, premier demi-tour du parcours et à mon étonnement, aucun tapis pour enregistrer les temps de passage. Pourtant, il serait très facile de ne pas se rendre là et retourner avant. On dirait bien que les organisateurs comptent sur l’honnêteté des coureurs. C’est vrai que dans le fond, à quoi servirait de tricher à part mentir à soi-même ?

Nous sommes maintenant à deux milles de la mi-parcours. Ces deux milles se feront presque entièrement en longeant la rivière. Et qui dit rivière dit méandres. Je le remarque à chaque course, mais cette fois-ci, c’est encore plus frappant: les gens restent toujours du même côté de la rue, suivant les courbes sans se soucier du chemin parcouru. Pour ma part, je prends toujours le chemin le plus court, donc je passe mon temps à traverser la route. Hé, c’est comme ça qu’ils mesurent le parcours, je ne vais tout de même pas en faire plus !  Quand on sait que 200 mètres, ça se traduit par environ une minute à l’arrivée…

Je vois le Musée d’Art au loin, puis constate qu’il se rapproche tranquillement. Je sais qu’on est dans un faux-plat ascendant pour avoir reconnu cette partie du parcours hier, alors je fais attention pour ne pas pousser trop la machine. Peu après le pont, ça monte, un peu comme à Ottawa après le pont MacDonald,  puis nous passerons devant les marches de Rocky. Depuis quelque temps déjà, des indications très claires nous disent par où aller: les gens du demi tourneront à droite pour se rendre vers l’arrivée alors que nous, marathoniens, irons à gauche.

J’y songe un instant: est-ce que j’ai le goût d’arrêter ?  Est-ce que j’en ai assez comme ça ?  La réponse: non. Ça va super bien, je suis prêt à attaquer la deuxième partie. Devant les marches, mon chrono me donne autour de 1h32. Suis-je sur une cadence de 3h05 ?  Mais finalement, la mi-parcours est pas mal plus loin et je la traverse en 1:33:26. Ok, 3h07. Un PB par 5 minutes, ce serait bien… Quant à ma cadence moyenne, elle est à 4:23 depuis le 11e mille. Ma vessie, de son côté, se tient tranquille.

Perdu dans mes pensées, il ne me vient même pas à l’idée de regarder sur les côtés voir si Barbara est arrivée. Mon cerveau est occupé à une tâche: la course.

Amenez-la, votre deuxième moitié…

Laisser un commentaire

Entrer les renseignements ci-dessous ou cliquer sur une icône pour ouvrir une session :

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s