Direction Boston

En direction de Charles River

Ok, le plan est maintenant de relaxer jusqu’à Charles River, de façon à être prêt pour les fameuses Newton Hills qui suivront. Si tout va bien, une fois rendu en haut de Heartbreak Hill, il me restera à peine plus de 8 km, la majeure partie en descente. Piece of cake.

Comme tout bon bon plan, celui-ci se verra évidemment bousillé. Tout d’abord, il fait plus chaud que prévu, au point où je dois sortir mon t-shirt de mes shorts (chose que j’aurais dû faire au départ) et me mets à regretter de ne pas avoir enfilé une camisole. Dire que je gelais en arrivant à Hopkinton…

Peut-être est-ce à cause de la chaleur qui monte ou peut-être parce que je suis (encore) parti trop vite, mais toujours est-il que je suis frappé par un autre type de blues: celui du demi cette fois. Celui-là se manifeste quand le coureur, une fois la mi-parcours franchie, se met à penser qu’il lui en reste autant que ce qu’il a de fait. J’ai bien pris un gel avant Wellesley College, mais on dirait qu’il ne veut pas « embarquer ». Merde.

Je commence à essayer de me convaincre qu’il ne s’agit que d’un blues, que c’est passager. J’en ai vu d’autres, ça finit toujours par passer. Enfin, presque toujours. Alors que les collines de Wellesley défilent sous mes pieds, je m’efforce de ralentir un peu, question de prendre des forces.  J’essaie aussi de me changer les idées en pensant stratégie. Depuis mes petits arrêts « forcés » (hum hum) à Wellesley College, ma cadence moyenne est rendue à 4 :22/km. Si je compte que chacune des Newton Hills va coûter une seconde à cette moyenne, je serai à 4:26 en haut. Comme ça descend beaucoup dans les 8 derniers kilomètres, le rythme visé de 4:25 demeure fort jouable.

Arrive la descente vers Charles River. Longue et plutôt douce, elle précède la première des fameuses montées. Il s’agit du dernier moment de répit pour le coureur avant le grand test. J’essaie donc d’en profiter, jusqu’à ce que… mon mollet droit crampe. Là, en pleine descente, à la hauteur du 25e kilomètre (passé en 1:49:58). La crampe s’est pointée comme ça, sans avertissement.

“Merde, merde, merde !  Shit, shit, shit !  Fuck, fuck, fuck ! »  que je me dis,  sans oublier, évidemment, les jurons bibliques de circonstance. Des crampes qui commencent à 17 kilomètres  de l’arrivée, avec les Newton Hills encore à faire… Je fais quoi avec ça, moi ?

Ok, mode damage control, pas le choix. Je diminue la longueur de mes foulées, question d’enlever un peu de pression sur les muscles. Il me faut maintenant baisser la cadence juste assez pour que tout tienne et éviter que ça se mette à cramper de partout. Puis je reprends ma mantra de l’Ultimate XC et de l’ultra intérieur : « Bois, bois bois ! ». Dans les deux cas, j’avais réussi à m’en tirer sans trop de dommage.

Newton et ses Hills

C’est donc dans ce merveilleux état d’esprit que j’arrive au bas de la descente et traverse l’autoroute. Voyant la masse de coureurs qui passe sur le viaduc, des camionneurs klaxonnent au passage. Nous répondons en envoyant la main. J’aime bien cette interaction entre véhicules et coureurs lors des grands événements.

Ok, première montée. Vraiment pas difficile… quand on n’a pas 25 km courus trop rapidement dans les jambes. Mais là, ouille ! Je tâche de diminuer encore la longueur de mes enjambées, active mes bras rapidement question de me donner un certain momentum. Arrivé en haut, la première chose qui me passe par la tête est que je ne m’imagine pas m’en taper 3 autres…  Coup d’œil à la moyenne : 4:23/km. Ok, j’ai perdu une seconde dans la montée comme prévu, pas de dommage.

L’ambiance à Newton est extraordinaire. La ville est accueillante, les gens sont chaleureux. Malgré l’abondance de points d’eau, certains spectateurs en offrent tout de même aux coureurs. Je profite donc du service, soucieux de faire entrer le plus de liquide possible dans mon corps. Ma réserve de GU Brew commence à dangereusement diminuer, je devrai peut-être me résigner à prendre du Gatorade… au citron, bien évidemment. Est-ce qu’il faut encore que je fasse l’étalement de mes états d’âme en ce qui concerne le Gatorade au citron ? Ok, juste au cas où que certains ne le sachent pas: je HAIS le Gatorade au citron !!!

17e mille, nous allons bientôt tourner sur Commonwealth Avenue et passer devant la caserne de pompiers. Bill Rodgers dit que c’est ici que le marathon commence vraiment. Il en dit des affaires celui-là ! Hé bien moi, je me demande si le mien n’est pas en train de se terminer. Ceci dit, jusqu’à maintenant, la stratégie de limitation des dégâts semble fonctionner. Des avertissements de crampe ont surgi, mais sans plus. Vais-je pouvoir tenir ce rythme jusqu’à la fin ?

Deuxième montée. Ouch, elle est tough celle-là !  Espèce de parcours de mes deux, je me promets bien de te détester le restant de mes jours !  Mais par miracle, les jambes tiennent. Il faut dire que je suis loin d’être le seul à en arracher et j’avoue que voir des coureurs de mon niveau qui peinent ici m’encourage. J’atteins le sommet avec une moyenne de 4:24/km au compteur. Toujours pas de dommage, mais maudit que c’est dur !  Allez, plus que deux…

Les deux prochains kilomètres devraient me permettre de récupérer un peu, mais ils ne sont évidemment pas plats. En fait, je confonds même une colline pour la troisième « vraie » montée. Vous imaginez ma déception quand ladite montée se présente à moi tout juste après le 19e mille ? Bah, je ne m’étais pas fait tellement d’illusions de toute façon.

Celle-là me donne vraiment du fil à retordre. Les crampes se sont maintenant propagées dans l’ischio. Je suis alors pris dans un dilemme : arrêter pour m’étirer ou pas ?  Certains le font, d’autres continuent d’avancer en claudiquant  (sans compter les autres qui courent comme si rien n’était, les tab…). En marathon, j’ai deux adversaires : le parcours et le chronomètre. Et je dois tenter de trouver qu’est-ce qui sera le plus rapide : m’arrêter pour m’étirer et espérer pouvoir reprendre mon rythme normal par la suite ou poursuivre en mode damage control ?

Je décide de poursuivre en tentant de limiter les dégâts et de garder les étirements seulement si les crampes deviennent très fortes, ce qui n’est pas encore le cas. Pendant que je jongle à tout ça, un spectateur crie sans arrêt : « An American has won !  An American has won ! ». Hein, c’est un Américain qui a gagné ?  Hall ou Meb ?  C’est certainement Meb, Hall avait dit avant la course qu’un top 10 lui apporterait pleinement satisfaction. Mais Meb, il a quel âge, au juste ? (Il aura bientôt 39 ans)  Et les Kenyans ?  Et les Éthiopiens ? Puis, j’ai illumination : le gagnant a déjà terminé !?!  Bout de viarge, je n’ai pas encore fini les maudites Hills à la con et lui est déjà en train de boire de la bière ?  Calv… !

Je parviens en haut de la montée. Coup d’œil à la Garmin : 4:25, toujours dans les temps. Et franchement, je ne vais pas si mal. Est-ce l’effet psychologique d’avoir passé 75% de ces foutues Hills ?  En tout cas… J’aperçois ensuite un gars qui tient une enseigne sur laquelle on peut lire : « Next beer 7 miles away ». Ho yeah !  Ce qu’elle va être bonne celle-là !  (Je sais, je fais peut-être une obsession avec la bière, je crois que je vais en parler à mon psy ;-))

Je passe le 20e mille. Ok, plus que 10 kilomètres et c’est fini. C’est quoi 10 kilomètres, hein ?  C’est moins que mes sorties en tapering cette semaine. Une fois la Heartbreak Hill passée, je serai rendu.

La voilà justement. Elle est là devant moi. L’an dernier, j’avais littéralement été terrassé par les crampes tout près de son sommet et ça m’avait tout pris pour terminer. Là, bien que diminué, je me sens plus fort. Les spectateurs occupent les deux côtés de l’avenue, ils sont nombreux et bruyants. L’un deux nous lance : « After the trafic light, it’s all the way down ! ». Je regarde vers le haut et aperçois ledit feu de circulation. Il ne me semble pas si loin. Je sens que mes forces sont encore là, allez un petit effort… et un petit sourire pour la caméra !  🙂

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Un petit sourire dans Heartbreak Hill

Avant de basculer au sommet, un gars portant une camisole des Vainqueurs me dépasse. Moi qui me fais un honneur depuis des années de dire que je ne crois pas aux méthodes du coach Cloutier, que je n’ai jamais été repris en course par un de ses coureurs, ben voilà, je viens de me faire shifter. Je me demande s’il s’entraine « au bon rythme », lui…

Cap sur Boston

Je passe les 21 milles puis entame la descente. L’état de mes jambes m’empêche d’y aller à fond, mais je tiens tout de même un bon rythme. Ma moyenne est maintenant à 4:26 et j’ai bon espoir de pouvoir la conserver jusqu’au bout. Ce que j’aimerais un jour avoir des jambes fraîches pour dévaler cette descente-là à toute allure… On dirait bien que ça n’arrivera jamais !

Je tape les 35 kilomètres en 2:36:58.  Plus que 7 km (7.2, en fait). Un calcul rapide me dit qu’à moins d’un malheur, je ne ferai pas pire que 3h13. Je devrais donc battre mon 3:12:26 de l’an passé (quand je dis qu’on ne pense qu’au chrono quand on court sur la route). Peu après le 22e mille, j’aperçois une enseigne nous annonçant un changement de municipalité. « Ha, enfin rendu à Boston » que je me dis. Erreur. J’entre maintenant dans Brookline, une banlieue assez cossue.

Brookline est synonyme de souffrance pour moi car j’y ai vécu un véritable calvaire 12 mois plus tôt. Car ce n’est pas vrai qu’après Heartbreak Hill, ça descend tout le long. Au Marathon de Boston, il y a toujours une montée qui nous attend quelque part. Déjà, je trouve que le 23e mille prend du temps à arriver. Après m’avoir laissé respirer un peu, les crampes ont repris de plus belle. La foule, extrêmement dense, nous encourage sans relâche, mais je ne l’entends plus. Toute mon attention est tournée vers l’avenue devant moi, à la recherche du prochain mile marker. Plusieurs de mes comparses sont contraints à la marche. Je songe me joindre à eux, mais je repousse l’idée du revers de la main. Depuis un certain temps, je vois des kilomètres de plus en plus lents passer sur ma Garmin: 4:40, 4:42, 4:48… Va falloir que ça finisse par finir un jour, cette maudite course-là !  Aux points d’eau, les gens s’arrêtent pour boire. Je résiste à la tentation de faire la même chose et continue à avancer tout en buvant. J’essaie de réveiller ma carcasse avec un gel, mais ça ne fonctionnera pas vraiment.

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La souffrance dans Brookline. Malgré la faible résolution de l’image, on voit bien le sel sur mon visage…

 

24e mille. 2.2 milles à faire, à peine 3.5 kilomètres. Tu y es presque, dans moins de 20 minutes, tout sera terminé.  Le tapis chronométrique des 40 kilomètres semble prendre une éternité à arriver. Coup d’œil au chrono: 3:00:40. Bon, contrairement à New York, je n’ai pas les jambes pour pousser, alors pas de petite accélération pour finir. De toute façon, les 3h10 sont maintenant hors de portée.

J’entre (finalement) dans Boston avant le 25e mille, dernière petite montée pour passer une autoroute ou une rivière (je n’ai pas regardé), puis l’annonce : « One mile to go ! ».  C’est toujours difficile, mais ça tient. Puis, une année-lumière plus loin, affiché sur un viaduc : « Last kilometer ». Bientôt, je tourne sur Hereford et finalement, aboutis sur Boylston.

Au loin, l’arrivée. Tout autour, la foule, les édifices, Boston. Au lieu de me concentrer sur terminer, je décide de vivre Boston, la course à laquelle j’ai tant rêvé depuis que j’ai commencé à courir. Je regarde tout autour, salue les spectateurs. C’est avec le sourire que je traverse cette mythique arrivée pour la deuxième… et probablement dernière fois.

Temps officiel : 3:11:03

Ils vont vraiment vite !

Quand j’ai couru mon premier marathon en 2007, j’ai conservé une cadence assez constante de 5;17/km tout au long de la course, ce qui correspond à une vitesse moyenne de 11.3 km/h. Avec les années, j’ai travaillé la vitesse en faisant des intervalles, des entrainements en côte, etc. Ce qui fait qu’aujourd’hui, je réussis à tenir 4:30/km sur un marathon, ce qui correspond à une vitesse de 13.3 km/h.

Les coureurs le savent, la différence entre ces deux cadences est loin d’être négligeable. Grâce à cette petite augmentation de vitesse, je suis passé d’un coureur de milieu de peloton à quelqu’un qui se classe dans le top 10% lors des courses auxquelles il participe (exception faite de Boston… et des courses en sentiers !).

Où je veux en venir ?  À l’élite mondiale. J’en ai déjà parlé, mais j’y reviens, encore et toujours: ils vont vite. Vraiment, mais vraiment vite !  Par exemple, pour terminer avec un temps de 2:08:24 à New York, Geoffrey Mutai a dû courir à une vitesse moyenne de… 19.7 km/h !  C’est presque 50% plus rapidement que moi. Certaines personnes ont de la difficulté à aller à cette vitesse-là à vélo ! Vous imaginez la différence entre ces gars-là et les gens « normaux » ? C’est carrément dément.

Comme une image (ou plutôt, un vidéo) vaut mille mots, je vous invite à visionner ceci:

La compagnie Asics, après avoir proposé aux gens d’essayer de se mesurer à Ryan Hall qui courait sur le mur d’un centre commercial, a poussé l’idée un peu plus loin. En effet, dans le cadre du Marathon de New York, des gens ordinaires étaient invités à essayer de courir à la vitesse d’un marathonien d’élite le plus longtemps possible. Pour ce faire, ils devaient courir sur un tapis roulant dont la vitesse montait progressivement jusqu’à celle que tiennent les meilleurs au monde durant un marathon.

En revenant de l’expo-marathon, nous sommes tombés là-dessus par hasard. J’ai eu envie de m’essayer, puis je me suis ravisé. Je me disais que malgré le harnais de sécurité, je risquais de me casser la marboulette. L’avant-veille du marathon, ça n’aurait pas été ma meilleure. Mais je serais vraiment curieux d’essayer !

La première moitié

Maintenant que nous avons la “permission”, nous les noirs, autant ceux du demi que ceux du marathon,  approchons de la ligne de départ. Nous partirons deux minutes derrière les autres, alors c’est vraiment définitif pour moi: pas question d’essayer de rattraper ce retard pour ensuite suivre le lapin de 3h05. Ça m’amènerait à faire 3h03 et c’est tout simplement impossible. Et ça, c’est sans compter l’effet taxant sur mon organisme qu’une telle poursuite en début de course entraînerait.

Merde, toujours pas nerveux… mise à part cette foutue envie de pisser qui s’amuse à me hanter. C’est l’histoire d’Ottawa qui se répète: pas moyen de me soulager comme du monde avant de partir. Je compte donc faire comme à ce moment-là: attendre l’occasion idéale, puis peut-être reprendre le peloton de 3h15 au passage. En fait, c’était mon plan alors et je ne m’étais jamais arrêté. Est-ce que la même chose va se produire aujourd’hui ?

Klaxon et c’est notre tour. Nous partons en marchant et il me semble que ça marche encore quand vient le temps de passer le tapis chronométrique. Puis soudainement, on démarre le chrono et c’est parti !  Il y a beaucoup de monde, mais les forces étant bien équilibrées, ça avance bien. Le boulevard est très large, ça aide beaucoup. Comme d’habitude en course, mon réchauffement n’est pas adéquat, alors j’ai de la difficulté à prendre un rythme. Je dois aussi zigzaguer au travers des gens, comme à chaque départ, mais rien de majeur. Le parcours est vraiment bien dessiné. Ha, il y a bien quelques perdus qui avancent à pas de tortue, mais ils sont vraiment l’exception.

Premier kilomètre en 4:39. Ouais, bon, pas fort fort. Pour faire 3h15, je dois aller à 4:37 de moyenne, alors je suis un peu en retard. À Ottawa, ma Garmin m’avait donné un 4:30 de moyenne (mais il y a toujours 1 ou 2 secondes d’erreur en course), alors déjà 9 secondes de retard sur Ottawa. Bah, on s’en fout un peu…

Je manque le premier mille (les markers sont seulement en milles, pas de kilomètres ici) qui est situé devant Love Park. Une fois rendu sur Arch Street, je reconnais immédiatement le Centre des Congrès (j’en aurai la confirmation plus tard, il est vraiment immense: il fait trois pâtés de maisons de long et un de profond) où avait lieu l’expo-marathon. C’est à cet endroit que je décide d’enlever mes gants.  Mes poches étant bien évidemment pleines de cossins, je dois les enfouir dans la poche arrière de mon coupe-vent. Ouais, je suis encore chargé comme un bourriquot: un imperméable jetable dans ma poche arrière, des ziplocs de Power Bar coupées en morceau dans les poches de mon coupe-vent, des gels (6 au total !) dans mes poches de shorts et bien sûr, ma ceinture d’hydratation avec 6 bouteilles de Gatorade. Incorrigible. On dirait que ça me rassure d’avoir toujours tout ça avec moi et bon, on ne peut pas dire que ça n’a pas marché jusqu’à maintenant, non ?

Devant le Centre des Congrès, nous passons devant une poignée de spectateurs parmi lesquels se retrouve un adorable schnauzer miniature qui attend patiemment que les gens aient fini de passer. Ce qu’il aurait fait des beaux petits bébés avec notre pétasse… Je ne peux m’empêcher: “Ha, soooo cuuuute !!!”, au grand plaisir de sa maîtresse qui semble étonnée que je puisse seulement parler pendant que je cours. Ben heu… oui !

Un peu plus loin, mes yeux de pervers-pépère aperçoivent une superbe paire de jambes. Je ne sais pas pourquoi, c’est comme un radar, je ne les manque jamais. Leur propriétaire est une femme qui me semble jeune (mais de dos, on n’est certain !) portant une longue queue de cheval de couleur foncée à l’extérieur de sa casquette. Elle est accompagnée de deux amis: un gars d’un côté et une fille de l’autre. Ouais, je pourrais me faire à l’idée de passer 3 heures derrière eux, moi. Quoi qu’à l’âge qu’elle semble avoir, j’aurais plus envie de lui demander si on va croiser sa mère sur le parcours, genre…

Bon, avec tout ça, j’ai cru apercevoir mon 2e kilomètre franchi en 4:32. Ok, c’est mieux. Arrive ensuite une longue descente sur Race (!) Street en direction du fleuve Delaware. Je me rends compte que mon entrainement pour les ultras donne vraiment des résultats: alors que la plupart des gens gardent le même rythme ou même freinent en descente, je me laisse aller. Du même coup, je laisse donc la superbe vue que j’avais derrière moi et dépasse par le fait même une centaine de personnes supplémentaires pour me retrouver sur Columbus Boulevard, le long du Delaware.

Ma moyenne est maintenant à 4:29, gracieuseté de la descente. Nous avons passé notre premier point d’eau et je dois dire que l’organisation n’a rien à envier à Ottawa de ce côté: beaucoup, beaucoup de bénévoles, du Gatorade et de l’eau en grandes quantités. Tout roule rondement. Malheureusement, sur Columbus, c’est très monotone. Certains en profitent pour faire une pause-pipi, mais je n’en ressens pas vraiment le besoin urgent, alors je me dis que plus tard, peut-être. Ou peut-être pas du tout… D’autres se débarrassent d’une couche de vêtements superflus en garrochant leur chandail sur le bord du chemin. Mais qui va ramasser tout ça ?

Mais tiens, qui va là ?  Mademoiselle-aux-belles-jambes avec ses amis qui me dépassent. J’essaie de m’accrocher à eux (un gars a des motivations), mais ils vont un peu trop vite à mon goût. Je me dis qu’ils doivent faire le demi et les laisse aller.

Bon, on quitte maintenant Columbus pour retourner vers la ville en empruntant Front Street. Plutôt résidentiel comme coin… D’ailleurs, à une intersection, un policier arrête la circulation: une dame veut sortir de son quartier en auto. Elle n’a pas fini d’attendre, la pauvre. Peu après le quatrième mille, nous arrivons sur South Street, la rue à voir à ce que nous avons compris. Ok, j’ouvre grand mes yeux de touriste et… ne vois strictement rien qui peut sembler intéressant. Ça ressemble à un mélange du centre-ville de mon Victoriaville natal avec la rue quétaine de Niagara Falls. Je vais être poli et je vais dire que je trouve ça… ordinaire. Bon, peut-être parce qu’il y a plus de vie en temps normal…

Ok, coup d’oeil à la cadence: 4:26. Pas mal, pas mal du tout, surtout que je me sens toujours « en dedans ». Nous quittons South Street direction Chestnut Street, via la 6e, au 5e mille (donc 8e km). Déjà presque 20% de la course derrière nous. Sur Chestnut, la foule se densifie. Merde, il est 7h45 le matin et c’est plein, plein de monde. Le bruit est assourdissant, tellement que j’en ris. Il faut dire que les principaux hôtels (dont le nôtre) sont tout près, alors probablement que plusieurs supporters sont là pour leur(s) coureur(s).

C’est qu’il commence à faire chaud… Débute alors le manège d’enlèvement des manches de mon coupe-vent. Comme je suis souple comme un 2 x 4, j’ai toutes les difficultés du monde à défaire les fermetures-éclairs. Ha merde, la Garmin que j’ai installée par-dessus la manche… J’essaie de tirer, rien à faire, la manche est prise. Grr !!!  J’essaie tant bien que mal, ça ne marche pas. Je dois donc me résigner à défaire le bracelet, ce que je voulais éviter par crainte de l’échapper par terre au milieu de la foule de coureurs. Finalement, grâce à ma prodigieuse (hum hum) habileté, je réussis à tout faire sans avoir à m’arrêter. Les manches se retrouvent alors dans ma poche arrière, avec mes gants. Tant qu’à être chargé…

Mais oups, que se passe-t-il ?  Je ne sens rien de particulier, juste un début de “ça va mal”. J’ai à peine 10 km dans les jambes que ça commence à mal aller ?  Non, ce n’est pas possible… Je regarde ma cadence: 4:24 et je suis crispé. Wo bonhomme, on se calme les nerfs, veux-tu ?  Je me force à ralentir un peu et surtout, à me détendre. La route est encore longue, on ne peut pas risquer d’être crispé si vite, non ? Entre temps, une première en marathon: les premiers 10 km ont été fait sous les 45 minutes, soit en 44:24. Ouch, serais-je parti trop vite ?  Non, je ne peux pas croire. J’ai fait un 26 km à 4:23 il y a deux semaines et j’aurais été prêt à continuer. En plus, j’étais seul alors que là, je m’abrite du vent dès que je peux. Nah…  C’est juste une mauvaise passe.

Pour forcer un peu les choses, je décide de prendre une première bouchée de Power Bar, même si je sens mon estomac encore bien plein de mon déjeuner. En traversant le petit pont au-dessus de la Schuylkill, ça va déjà mieux. Ça monte légèrement un peu plus loin, mais une fois arrivés sur la 34e rue, là on peut dire que ça monte pour vrai !  Une belle petite côte comme je les aime, genre où je peux dépasser  bien du monde… Je l’entame donc à bon rythme, prenant bien soin de toujours demeurer “en dedans” question de ne pas arriver en haut à bout de souffle. À la mi-pente, un coureur très mince louvoie de gauche à droite, semblant avoir de la difficulté à se tenir debout. Il avance comme un gars complètement déshydraté à la fin d’un marathon, j’ai l’impression qu’il va tomber d’un instant à l’autre. Je passe à côté de lui et regarde son visage: ses yeux sans vie fixent droit devant. Je dois avouer que je trouve ça un peu freakant. Il ne va pas crever drette là, sous mes yeux !  J’envisage d’arrêter pour l’aider, cherche autour pour des secours. Et puis merde, s’il tombe, il y a assez de spectateurs pour le ramasser après tout… Je poursuis donc mon chemin, un peu ébranlé.

J’arrive en haut de la côte et nous enchainons par une belle descente. Yipee !!!  Je me lance donc dedans comme un enfant, sans retenue. Le mort-vivant est maintenant chose du passé (en espérant qu’on parle toujours de lui au présent…), mon esprit est revenu à la course. À la fin de la descente, j’aperçois pour la première fois 4:23 comme cadence moyenne. J’ai un petit sourire: la descente a fucké mes affaires, ça devrait remonter bientôt. Je prends un premier gel (expresso double caféine), question qu’il fasse effet avant la prochaine difficulté.

Quand ?  À la montée suivante, bien sûr. Une vraie de vraie celle-là (pour une course sur route on s’entend), sinueuse pour nous cacher sa longueur véritable. Les autres concurrents semblent découragés et prennent l’extérieur de la première courbe. Question d’atténuer la pente peut-être ?  Hé bien moi, je pique par l’intérieur, je ne ferai pas des détours, no way !  Je monte donc à petites enjambées, me rappelant à quel point les montées du Vermont 50 étaient 100 plus difficiles. En montant, je rattrape un handcycle qui semble peiner dans la montée. C’est qu’il a l’air de pousser un braquet bien trop gros… En fait, est-ce qu’il y a des vitesses après ces machins-là ?  On dirait bien que oui, alors pourquoi reste-t-il sur un tel braquet ?  Enfin… J’arrive en haut, tout près du “Please Touch Museum”  avec un léger essoufflement. Bah, pas grave, on va redescendre bientôt. 🙂

Ok, le mauvais moment est vraiment chose du passé. Sur ma gauche, j’aperçois de superbes maisons de style victorien. Wow, ça doit coûter un bras ces cabanes-là… Nous sommes en plein coeur de Fairmount Park (qui semble-t-il est 10 fois plus grand que Central Park) et je dois avouer que le paysage est bien agréable. Au 11e mille, premier demi-tour du parcours et à mon étonnement, aucun tapis pour enregistrer les temps de passage. Pourtant, il serait très facile de ne pas se rendre là et retourner avant. On dirait bien que les organisateurs comptent sur l’honnêteté des coureurs. C’est vrai que dans le fond, à quoi servirait de tricher à part mentir à soi-même ?

Nous sommes maintenant à deux milles de la mi-parcours. Ces deux milles se feront presque entièrement en longeant la rivière. Et qui dit rivière dit méandres. Je le remarque à chaque course, mais cette fois-ci, c’est encore plus frappant: les gens restent toujours du même côté de la rue, suivant les courbes sans se soucier du chemin parcouru. Pour ma part, je prends toujours le chemin le plus court, donc je passe mon temps à traverser la route. Hé, c’est comme ça qu’ils mesurent le parcours, je ne vais tout de même pas en faire plus !  Quand on sait que 200 mètres, ça se traduit par environ une minute à l’arrivée…

Je vois le Musée d’Art au loin, puis constate qu’il se rapproche tranquillement. Je sais qu’on est dans un faux-plat ascendant pour avoir reconnu cette partie du parcours hier, alors je fais attention pour ne pas pousser trop la machine. Peu après le pont, ça monte, un peu comme à Ottawa après le pont MacDonald,  puis nous passerons devant les marches de Rocky. Depuis quelque temps déjà, des indications très claires nous disent par où aller: les gens du demi tourneront à droite pour se rendre vers l’arrivée alors que nous, marathoniens, irons à gauche.

J’y songe un instant: est-ce que j’ai le goût d’arrêter ?  Est-ce que j’en ai assez comme ça ?  La réponse: non. Ça va super bien, je suis prêt à attaquer la deuxième partie. Devant les marches, mon chrono me donne autour de 1h32. Suis-je sur une cadence de 3h05 ?  Mais finalement, la mi-parcours est pas mal plus loin et je la traverse en 1:33:26. Ok, 3h07. Un PB par 5 minutes, ce serait bien… Quant à ma cadence moyenne, elle est à 4:23 depuis le 11e mille. Ma vessie, de son côté, se tient tranquille.

Perdu dans mes pensées, il ne me vient même pas à l’idée de regarder sur les côtés voir si Barbara est arrivée. Mon cerveau est occupé à une tâche: la course.

Amenez-la, votre deuxième moitié…