Mon expérience à Boston: l’avant-course

Maintenant que les coupables ont été épinglés, on peut essayer de passer à autre chose. Je vais donc commencer par raconter mon aventure sportive à Boston. Aujourd’hui, l’avant-course, qui a été une expérience en soit.

Il est environ 5h15 quand je mets les pieds dans le lobby de l’hôtel, en vue de prendre la navette de 5h30 qui m’amènera aux navettes qui se rendront au départ. Hé oui, comme je disais: une navette pour aller prendre la navette. C’est ça, Boston. Le préposé de l’hôtel me donne mon lunch dans un petit sac en papier brun. Ouin, ça n’a pas l’air trop copieux comme déjeuner, une chance que j’ai fait quelques réserves tantôt…

Un monsieur dans la cinquantaine est assis, attendant tranquillement la navette. Coup d’oeil à mon sac: numéro 6883. Il me dit que je suis un petit rapide, lui a un numéro dans les 9000. Nous entamons la conversation. Il vient d’Ottawa, en sera à son 4e Boston. Je lui raconte que c’est mon premier et peut-être mon dernier. Car bien que ce soit un rêve de courir ici, ça demeure un cauchemar logistique. Quitter sa chambre à 5h15 pour un départ à 10h…

Il me dit que je dois absolument faire New York, car bien que l’organisation soit incroyable ici, il n’y aurait pas de comparaison avec celle de New York qui est parfaite. Ça tombe bien, c’est déjà prévu dans mon calendrier…

Arrive un jeune à l’air pas trop réveillé. Son numéro: 588 !  Wow !  Tout de suite on lui demande son temps: 2h44. Holly shit !  Nous ne sommes pas encore tout à fait remis de nos “émotions” quand un autre jeune arrive… avec le numéro 547 !  Quand celui au numéro 1142 se pointe le nez, nous ne sommes plus impressionnés.

Nous nous entassons dans la petite van de l’hôtel, direction centre-ville. Le chauffeur nous demande ce que nous ferons à Hopkinton, en attendant le départ. Le jeune 1142, qui n’a pas dit un traitre mot depuis son apparition, me regarde et dit tout doucement: “Try to stay warm…”. Je souris. J’essaie de renchérir, mais je m’enfarge dans mon anglais rouillé et mes blagues tombent à plat. Pas de jokes en anglais, Fred, pas de jokes en anglais… Par après, 1142 déballe le petit sac qu’on lui a donné à l’hôtel. Un véritable festin: une banane et une barre tendre (aux raisins sec, beuh…), qu’il regarde avec la face en point d’interrogation. Comme dirait l’autre, on n’ira pas chier loin avec ça, hein ?

Arrivés en ville, la foumilière est déjà en action. Tout près du parc Boston Common, une longue filée d’autobus scolaires jaunes s’étend vers l’infini. Il y a des bénévoles partout, au moins deux par autobus. Quand un autobus est plein, un bénévole lève un petit drapeau orange, avertissant les coureurs et évitant ainsi des contre-temps. Donc, après une première pause-pipi (l’organisation a évidemment prévu de très nombreuses toilettes dans le parc), j’entre dans un autobus et m’installe à côté d’une coureuse. Quand je peux, je choisis toujours de m’asseoir à côté d’une femme dans les transports en commun: elles prennent habituellement moins de place que leurs congénères masculins qui ont parfois (souvent) l’habitude de s’étendre.

Au moment où je prends place, je sens un petit soulagement: finis les soucis logistiques. Ne me reste plus qu’à me laisser conduire au départ et attendre. Vers 6h15, le convoi se met en branle. On sent la fébrilité dans l’autobus. Le soleil se lève timidement, la journée s’annonce splendide. L’organisation n’a vraiment rien laissé au hasard: les rues par où passe le convoi  sont bloquées et sur l’autoroute, nous avons droit à une escorte policière.

Il y a juste une affaire: Hopkinton, c’est loin. Peu à peu, je sens la nervosité diminuer tout autour de moi. Les yeux auparavant grand ouverts se mettent à fermer. Je me joins au mouvement, malgré une nuit de sommeil pour ainsi dire parfaite (pour la veille d’un marathon, on s’entend).

Il est environ 7h quand nous arrivons à destination. Voilà, maintenant va falloir retourner en ville à pied… Une autre armée de bénévoles dirige les autobus vers l’endroit où nous serons débarqués. Puis, nous sommes dirigés à notre tour, vers le Village des athlètes dans notre cas. Une petite marche de 5 minutes, assez longue pour qu’un coureur près de moi lance à la blague que l’an prochain, il va prendre un autobus de la fin du convoi pour ne pas avoir à marcher autant. Très drôle à entendre de la part de quelqu’un qui va se taper 42 km à la course tantôt…

Le Village des athètes est installé sur les terrains de ce qui semble être une école secondaire. C’est gigantesque. On y retrouve bien évidemment des toilettes (duh !), je n’en ai jamais vu autant de toute ma vie. Ottawa ?  Mississauga ?  Pffff !  C’est absolument rien à côté de ça.  Il y a aussi plusieurs tentes abritant les commanditaires qui distribuent ce dont tout athlète pourrait avoir besoin en attendant le départ: Power bar, café, eau, Gatorade, muffins, bagels, bananes. Avoir su, je n’aurais pas amené mon lunch… Il y a aussi de la musique, un animateur qui dirige les coureurs en rappelant certaines consignes et un écran géant.

HopkintonStartArea

Carte du Village des athlètes; remarquez où est situé le départ…

Après une (autre) pause-pipi, je me mets à la recherche d’un endroit où je vais m’installer pour… trop longtemps à mon goût, finalement. Il fait frais et humide, alors le gazon ou le béton me tentent moins. L’idéal serait de trouver une planche de bois. Finalement, ma recherche s’avère infructueuse et je jette mon dévolu sur l’aire de lancer du marteau, qui en en petit gravier. Ce sera mieux que rien.

Voilà, il est 7h15 et la longue attente commence. Heureusement, il ne pleut pas. Mais je dois enfiler toutes les pelures que j’ai apportées et m’asseoir sur mon imperméable d’urgence pour garder le plus de chaleur possible. “Try to stay warm” qu’il disait… Je regarde autour (je n’ai que ça à faire de toute façon !) et constate une chose: il y en a qui sont plus habitués que d’autres. Certains ont amené un livre. Le gars à côté de moi est étendu sur un matelas de sol et bien à l’abri sous une couverture. Ouais, si je reviens un jour, moi aussi je vais être équipé et ce sera un autre gars qui va se dire: “J’aurais dû amener ça ou ça ou ça…”

Tout ce que je peux faire, c’est écouter l’animateur. Au bout d’un certain temps, il commence à me taper sur les rognons parce qu’il a un tic de langage: il finit toujours ses phrases par “if you know what I mean”. C’est vraiment gossant à la longue, surtout pour un auditif comme moi. Et comme il répète toujours les mêmes foutues consignes, à un moment donné…

Un peu comme en avion, j’essaie de vivre lentement, de découper en petites parties les longues minutes qui me séparent du départ. Ainsi, j’ai décidé de manger à 8h puis après, ce sera… hum hum.. heu, faire la file aux toilettes pour heu… if you know what I mean…

7h45, je n’en peux plus de regarder autour et essayer de me trouver une position confortable. Deux autres convois d’autobus ont déposé des milliers de coureurs et maintenant, chaque pied carré du village est occupé. Je mange un peu (quelques bretzels au beurre d’arachides, une banane, mon bagel au beurre), bois beaucoup d’eau, puis… if you know what I mean…

Par après, l’animateur nous invite à aller écouter un psychologue sportif qui nous donnera les derniers conseils avant le marathon. Heu, des conseils 90 minutes avant la course, ça va pas ? Il semble oublier que tout le monde ici a déjà au moins un marathon dans les jambes, on sait à quoi s’attendre. On sait que tout peut rouler comme sur des roulettes ou se mettre à dérailler. On est tous passés par là, pas besoin d’un psy pour installer le doute dans notre esprit.

S’ensuit une demande qu’on ne peut vraiment pas refuser: une minute de silence en hommage aux victimes de la tuerie de Newtown. Du coup, le Village au complet tombe à l’arrêt. Plus personne ne bouge, plus personne ne parle, plus un son. Sauf évidemment la traditionnelle grande gueule qui ne se rend compte de rien et qui continue de se faire aller le clapet. Hello, tu ne te rends pas compte que tu es la seule à parler, chose ?

Cette minute est tout de même très, très émouvante. J’enlève ma casquette, baisse la tête et songe aux personnes qui ont été touchées par cet acte de barbarie sauvage. Je sens l’émotion monter en moi, les larmes qui commencent à se concrétiser quand l’animateur nous remercie et la vie dans le Village reprend son cours. Ha ben cout’ donc…

9h: il commence à faire plus chaud. J’enlève mes culottes de coton ouaté. Je sais que les départs vont commencer bientôt (9h17 pour les chaises roulantes), mais on ne nous parle de rien. Je suppose que le tout se déroule sur le chemin en face de l’école, mais rien ne transpire. Bizarre. On nous dit que nous allons devoir commencer à nous rendre vers le départ dans les prochaines minutes. Déjà ?  Ben voyons, le départ est dans une heure…

Au lieu de me diriger vers l’endroit désigné, je pars dans l’autre sens, à la recherche d’un endroit tranquille pour une dernière pause-nervosité. J’ai vu un boisé pas loin, ça devrait faire l’affaire. Mais il y a des policiers et des bénévoles partout, alors je dois m’éloigner, m’éloigner. Une bénévole me demande même où je vais. Je lui réponds que je cherche de l’air, qu’il y a trop de monde dans le Village. Je me demande si elle m’a cru…

Finalement, je trouve un endroit plus tranquille, mais me fais arracher la peau des jambes et des cuisses par des arbustes remplis d’épines. Génial. Heureusement, d’autres parties de mon anatomie ne sont pas touchées…  😉

Ok, retour au Village, tout le monde semble se diriger vers l’avant de l’école. Des dizaines d’autobus jaunes y sont garés, c’est là que nous devons laisser notre sac en plastique contenant les effets personnel que nous voudrons récupérer à l’arrivée. Toujours pas de ligne de départ en vue, mais elle est où, donc ?  Comme je me pose la question, la réponse nous est annoncée dans les haut-parleurs: 3/4 de mille plus loin.

Quoi, 1.2 km pour se rendre au départ ? Ils n’auraient pas pu le mettre plus loin ?  (Et moi, je n’aurais pas pu regarder un tantinet la carte du Village des athlètes avant ?)

J’entame donc la traversée d’Hopkinton en trottinant. La plupart du monde fait comme moi. Bah, ça revient à un réchauffement…  De chaque côté de la rue, des barrières. Déjà, des spectateurs nous lancent des encouragements. Certains brunchent sur leur terrain, j’en vois même avec une bière à la main. Wow, à 9h30 le matin, la journée va être longue !

À intervalles réguliers, on voit des bénévoles avec des grands sacs qui récupèrent les vêtements laissés par les coureurs qui ne tenaient pas à les ravoir après la course. Ces vêtements seront donnés à des œuvres de charité. Il y a aussi des habitants de la place qui ramassent le linge. Le Marathon est définitivement un événement ici.

Juste avant d’arriver sur Maint Street où aura finalement lieu le départ, autre pauvre-nervosité (hé oui, encore !). Une fois de plus, des toilettes en quantités phénoménales. Je me demande sérieusement combien il y en a en tout pour cette course… Et surprise, une section exclusivement réservée aux hommes: des urinoirs portatifs !  C’est la première fois que je vois ça et je ne suis pas le seul. C’est certain que si j’avais eu un appareil-photo ou un cellulaire digne de ce nom, j’aurais immortalisé le tout !

Sur Main Street, c’est la marée humaine. Déjà, les couloirs sont bondés de coureurs qui sautillent nerveusement. La rue est en pente ascendante, ce qui me surprend un peu, vu que nous sommes supposés partir en descendant.

Je me dirige vers l’entrée du couloir numéro 7, une bénévole vérifie mon dossard et me laisse passer. J’allume ma Garmin: plus que 10 minutes. Je regarde le ciel, tout bleu, prends une bonne respiration. L’air est frais, juste comme il faut. Le vent est calme, il ne devrait pas nous déranger. Je sens la nervosité qui monte tranquillement, mais pas trop. Et la réalité me frappe soudainement: ça y est, je suis au départ du Marathon de Boston. J’ai travaillé fort pour être ici, j’en ai tellement rêvé. Hé bien là, à ce moment précis, une idée me traverse l’esprit: peu importe ce qui va se passer au cours des 3-4 prochaines heures, rien ni personne ne pourra m’enlever le fait que j’ai mérité ma place ici.

Je suis bien, je suis heureux. Je me sens à ma place. Et j’ai hâte de courir.

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