Great Falls III (mile 29.1) à Great Falls IV (mile 36.0): la troisième boucle
On nous avait dit que le parcours serait à l’ombre. Léger détail cependant : cette évaluation a probablement été faite durant l’été. Or, nous sommes au début du printemps, alors on ne peut pas dire qu’il y a beaucoup de feuilles dans les arbres ! Donc côté ombre, bof… D’ailleurs, moi qui ne mets jamais de lotion solaire, je remarque que mes bras commencent à prendre une teinte rougeâtre. Vais-je me lamenter cette nuit ?
Bon, j’en entends s’étonner : « Quoi, il ne met pas de lotion solaire ?!? ». Hé non. Malgré l’amincissement de la couche d’ozone, ma peau ne brûle que très rarement, alors je n’en vois pas l’utilité. Ce qui explique que j’ai le teint basané à longueur d’année, au point où je ne passe pas un hiver sans me faire demander si je reviens d’un voyage dans le sud. Il est même déjà arrivé qu’un collègue de travail refuse de croire que je n’étais pas allé me faire dorer au soleil au cours des semaines précédentes. Une autre, qui est devenue une de mes meilleures amies par la suite, m’a un jour avoué que la première fois qu’elle m’a rencontré, elle a cru que j’étais du genre à passer mon temps dans les salons de bronzage ! C’est pour dire… Pour la petite histoire, je ne porte jamais de verres fumés non plus. Ça m’emmerde, ces bidules-là et je me dis qu’un iris, ça doit servir à quelque chose, non ? Donc, si je meurs aveugle et d’un cancer de la peau, ne vous demandez pas pourquoi !
Revenons à nos moutons…
Heureusement, la très longue montée (que plus personne ne court, je tiens à le préciser) se fait dans une partie plus fraiche du parc. Non, je ne sais pas comment ça se fait, mais c’est comme ça ! Une fois dans le sentier, je croise à nouveau mes deux adorables schnauzers. « It’s you again !!! » que je leur lance. Je reçois des aboiements en guise de réponse (les schnauzers ont une légère tendance à être bavards…). Je réussis à caresser le plus brave des deux, échange quelques mots avec les propriétaires, puis me remets en route.
Malgré ce petit intermède joyeux, je sens que je n’avance plus : je suis dans une mauvaise passe. Sentant mon estomac plein, j’ai fait l’erreur de négliger mon apport en gels. J’essaie donc de compenser, en espérant que ça se replace.
Troisième et dernier passage au premier demi-tour. J’avoue que je commence en avoir ras le pompon de ces allers-retours, vivement que ça finisse. Un « tour » de plus et je faisais une demande d’amitié Facebook à la bénévole au sharpie.
À Old Dominion, l’enthousiaste bénévole réussit l’exploit de monter son entrain d’une coche quand il gueule à tout le monde d’ici jusqu’au Capitole que j’en suis à mon dernier passage. La coureuse à côté de moi me demande alors : « Is it really your third pass ? ». Oui madame, et je ne m’en taperai certainement pas un autre ! Au moins, j’aurai réussi à impressionner quelqu’un aujourd’hui… 🙂
Après être passé à côté de la « All American Girl » une dernière fois (elle a perdu son sourire et est maintenant toute « éjarrée » sur sa chaise), j’attaque à fond la caisse la partie technique. Je vole littéralement, laisse sur place plusieurs coureurs. Ça va super bien, ça roule mes affaires, le gel ayant réussi des miracles. En fait, ça va tellement bien que je néglige une racine et en moins de deux, je me retrouve face contre terre.
« Man, are you all right ?» me demande celui que je viens de dépasser. Oui, oui, ça va. J’ai eu la chance de tomber sur de la terre et non des roches. Sauf que j’HAÏS planter après plus de 50 km de course. C’est si dur de se relever… Et pas question que celui qui m’a demandé si ça allait m’aide à me relever, évidemment. Il est reparti devant sans demander son reste. Tu ne perds rien pour attendre, toi…
Je le rejoindrai avant le dernier demi-tour et le laisserai dans mon sillage. Tiens toi !
Sur le chemin me ramenant à Great Falls, j’ai un premier accrochage avec des passants. Alors que le chemin est assez large pour accommoder bien du monde, un troupeau de promeneurs viennent à ma rencontre à 3-4 personnes de large alors que je m’apprête à dépasser une coureuse beaucoup plus lente. Ils s’écartent à peine pour la laisser passer, alors pas de place pour moi. Je m’impatiente et finit par lâcher : « Tassez-vous donc, TABAR… ! ».
Ouais, je commence à être fatigué, je pense…
Great Falls IV (mile 36.0) à Carwood (mile 40.8)
Mes trois boucles sont terminées, ne me reste plus qu’à retourner au départ. À Great Falls, c’est ma dernière chance d’avoir accès à mon drop bag. Comme je m’en doutais, je décide de ne rien changer. Je serais peut-être plus confortable avec mes Montrail, mais le temps perdu pour faire le changement ne pourrait être rattrapé, alors je reste comme je suis.
Sur l’ardoise, il est indiqué que j’en suis rendu à 36.0 miles. Ok, plus que 14, soit un peu plus de 22 kilomètres. Ha, à peine un demi-marathon. 1h30 et ce sera fini !
Je ris intérieurement. Ça ne se passera évidemment pas comme ça. Mais j’ai 5h46 au chrono, alors les 8 heures demeurent dans le domaine du possible.
Je ne sais pas si j’ai mal fait sortir l’air de mon sac d’hydratation, mais toujours est-il que ma mixture de GU Brew n’est pas trop discrète. C’est tout de même pratique pour avertir quand j’approche d’un coureur plus lent (j’en rattraperai beaucoup qui font le 50k). C’est par ce moyen de communication que les deux jeunots qui faisaient la course ensemble sont mis au parfum ce ma présence. La détresse que je lis dans le regard du petit criss d’arrogant à lunettes quand il se retourne pour me voir arriver vaut à elle seule le prix d’entrée. Pis mon jeune, ce n’est pas aussi facile que tantôt ? Fatigué, peut-être ? Ça te fait quoi de te faire dépasser par un pépère maigrichon ? Son style est quelconque, mais tu dois avouer que le bonhomme est plus tough que toi, hein ? N’oublie jamais: « Quebecers are fucking tough ». Mets ça dans ta pipe !
Peu après, les gros obstacles se présentent. Une montée en particulier est très abrupte, me rappelant même Bromont par bouts. Ça commence à être pénible, mais on dirait que ça l’est moins pour moi que pour les autres, car je réussis à rejoindre et dépasser du monde. Malheureusement, pas beaucoup de participants du 50 miles…
Il y en a un qui me dépasse par contre : le meneur du marathon qui passe comme une balle. Il gambade littéralement, sautillant d’un obstacle à l’autre sans ralentir. Il est d’une agilité à couper le souffle, agilité que je n’aurai jamais, et surtout pas avec 6 heures de course dans les jambes. Il sera suivi quelques minutes plus tard par la première femme du marathon. Une autre qui vient d’une planète dont j’ignorais l’existence…
Carwood (mile 40.8) à Fraiser (mile 43.5)
À Carwood, la fatigue est bien installée. La chaleur et les heures de course font leur effet. Je m’asperge d’eau comme je peux et surtout, remplis mon sac une dernière fois. Je devrai boire beaucoup si je ne veux pas tomber.
C’est là que commence réellement l’interminable retour. Un long single track super beau, mais bon, quand il fait chaud et qu’on est brûlé, on a hâte que ça finisse. Et ça ne finit plus… J’espérais que le Potomac que nous longeons nous apporte un peu de fraicheur, mais non, rien.
Voilà, c’est fait, la souffrance s’est bien installée. Est-elle mentale ou physique ? Je ne sais plus trop. Plusieurs marchent, je parviens à tenir le coup en ne sachant pas trop comment. À chaque fois que je reprends un coureur, il me lance un « Great job ! » au passage. Great job, ouais… Si tu savais à quel point je souffre ! Et pourtant, je continue, encore et toujours. C’est dur.
Fraiser (mile 43.5) à Sugarland (mile 49.2)
Peu de temps après la station, j’arrive au ruisseau. Yes ! Je plonge littéralement dedans… ou presque. À quatre pattes par terre, je m’asperge joyeusement un peu partout. Puis, sachant fort bien que c’est la tête qui a le plus d’influence sur comment on se sent, je l’enfonce carrément dans l’eau. Haaaaaaa…
Les coureurs (et particulièrement les coureuses) du 50k admirent la scène de loin, un large sourire leur fendant le visage. Vous devriez essayer, vous verrez bien qui vous dépassera tantôt…
Je suis revigoré. À nouveau, je dévore le sentier. Comme prévu, je rejoins plusieurs personnes du 50k et les dépasse facilement. Puis, peu à peu, la chaleur reprend ses droits. C’est le retour graduel vers l’enfer. Je vérifie mon GPS à tous les 300 mètres, c’est pathétique. J’ai chaud, je n’en peux plus.
La vue du terrain de golf me réjouit un peu : le dernier ravito est proche. Je me permets même de blaguer avec une concurrente à propos du fait qu’on devrait jouer au golf au lieu de se taper un ultra dans une telle fournaise. J’aimais ça, le golf, pourquoi je ne joue plus, donc ?
Finalement, Sugarland, dernière station. À ma Garmin, il y a un peu moins de 77 km d’indiqués. Ok, ce sera à peu près 80 km, les 8 heures sont encore dans le domaine du possible.
Puis, c’est le coup de poing à l’estomac : le bénévole m’informe que je dois faire la loop de 2.2 miles avant de me rendre vers l’arrivée, 1.7 mile plus loin.
WHAT ?!?
Comme dans: « What the fuck ?!? ». Je n’arrive pas à y croire. J’avais bien lu que le parcours faisait 50.9 miles, mais on aurait dit que mon ordinateur mental avait chassé cette donnée. Et comme habituellement le GPS est optimiste (surtout que je m’étais perdu, donc allongé de quelques centaines de mètres), j’aurais dû savoir. Mais j’avais bloqué cette information, comme si en voulant que ça finisse plus vite, ça finirait effectivement plus vite.
Je suis complètement découragé. En plus, tous ceux du 50k que j’ai dépassés n’ont pas à se taper la foutue loop et ils passent tout droit. Je suis en beau fusil. Puis, je vois madame Clark sortir de la loop et me fais une raison : je vais devoir me la taper aussi, que ça me le tente ou non.
Je m’élance donc à contre-cœur sur le petit chemin asphalté. Je croise plein de coureurs du relais marathon, tout pimpants. Certains me dépassent en passant comme des flèches, question de me faire sentir encore plus misérable. I can’t wait for this fucking thing to be over…
Je me permettrai de marcher en guise de pause-pipi dans la partie la plus éloignée (et en boucle) de cet aller-retour tellement j’en ai plein les baskets. Et pour la petite histoire, je taperai les 80 kilomètres en 8h01. Si je ne m’étais pas entêté à Sugarland et si je n’avais pas pris du temps pour caresser les chiens, j’aurais fait sous les 8 heures sur 80 km, mais rendu à ce point, je m’en balance complètement.
Après une éternité, je suis enfin de retour à Surgarland. Pour la dernière fois.
Sugarland (mile 49.2) à l’arrivée (mile 50.9)
Cette dernière section est, ho surprise, une pure torture. Par contre, le fait de partager à nouveau le parcours avec les coureurs du 50 km m’encourage car chacun d’eux constitue une cible pour moi : à chaque fois que j’en rejoins un, je me concentre sur le prochain. En serrant les dents.
Ça peut paraitre surprenant, mais les crampes se sont tenues à carreau en cette fin de course. Je me serais attendu à être terrassé à tout moment, mais non. Ha, certaines semblent vouloir se profiler, mais rien de sérieux.
Finalement, j’arrive dans le parc. Et au loin, l’arrivée. J’entends l’annonceur crier mon nom, dans quelques secondes, ce sera fini.
Après 8 heures, 18 minutes et 28 secondes, je traverse la ligne, sous les applaudissements. Enfin…
Très bon ton article, j’adore ton humour. Franchement ce loop à la fin, je compatis tellement. Contente de voir que je ne suis pas la seule à souffrir cependant. Après mon 50KM à Bear, il me semble que tout le monde me disait, ça super bien été pour moi LOL et moi ouff, j’en ai eu pour mon argent mettons… Et dire qu’on paye en plus hahaha.
Merci Julie !
Sincèrement, je crois que tout le monde souffre dans un ultra. Mais c’est une souffrance qui se traduit par une telle satisfaction après la course qu’on en redemande.
Masos ? Peut-être un peu, oui… 🙂
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