Massanutten, les 53.7 derniers miles… en équipe

Pierre avait son sourire si caractéristique, mais son visage était marqué par l’effort.

« J’ai bien pensé que tu n’étais pas loin. Martin était trop fort, je l’ai laissé partir. Moi, j’ai explosé. Tout ce que je pense maintenant, c’est que je veux juste finir. Pis toi, comment ça va ? »

Explosé, c’était exactement ça. J’avais explosé. On était à la même place. Alors quand il a suggéré qu’on fasse un bout ensemble pour se soutenir, j’ai sauté sur l’occasion. À deux, peut-être qu’on avancerait toujours au rythme du plus lent, mais on serait là pour s’encourager et peut-être que le plus lent, justement, le serait moins.

Avant de quitter, le bénévole nous donna ses conseils. « Profitez bien des 6 prochains kilomètres (oui, il a parlé en kilomètres !  Je ne sais pas si c’est parce que nous avions un accent…  ;-))  pour aller le plus vite que vous pourrez parce que c’est de la route et ça roule bien. Rendus à Habron Gap, mangez jusqu’à ce que votre ventre soit sur le bord d’exploser (tant qu’à être sur ce thème): la section suivante est très longue et très difficile. »

Encourageant, il n’y a pas à dire…

Détail que le gentil bénévole avait omis dans son équation : nous étions à bout. 11 heures à courir, marcher et grimper dans la chaleur et les roches, c’est dur. Pierre et moi étions d’accord : on allait courir relaxe sur les plats et les descentes, mais les montées se feraient à la marche. Et tout comme la mienne, la définition de Pierre du terme « montée » était prise au pied de la lettre : à partir de 1% de dénivelé positif, on appellerait ça une montée.

Ça ne nous a pas empêchés d’arriver à Habron Gap (mile 54.0) au bout du rouleau, ou presque. Mon dream team était là, nous attendant patiemment. J’ai senti une certaine inquiétude dans la voix et le regard de ma tendre moitié. Mon père non plus n’avait pas l’air rassuré par ce qu’il voyait. « On a explosé », ai-je dit simplement.

Mon père, ne comprenant pas trop ce que ça voulait dire, Barbara lui « traduisit » : nous avions frappé le mur. En fait, ce n’était pas vraiment ça. Le fameux « mur », ça arrive en marathon quand les réserves de glycogène sont vidées. Nous, nous avancions à peu près sur nos graisses depuis le départ, mais nous étions quand même fatigués. N’empêche, ça faisait image.

Malheureusement, à cause de la chaleur, je n’avais pas vraiment le goût de m’empiffrer pour la simple et bonne raison que je n’avais pas faim. Je m’entretenais aux gels et c’était à peu près tout. J’avais bien pris quelques bananes et quelques bidules ici et là, mais rien de vraiment consistant. Erreur…

Je me suis donc, un peu à contrecœur, emparé d’un sandwich gelée – beurre d’arachides que je me promettais d’avaler en avançant, dans un bout un peu plus lent (comme s’il y avait des bouts rapides, duh !).

Avant de partir, nous avons averti mon équipe: nous en aurions pour environ 3 heures pour couvrir les 9.8 miles nous séparant de Camp Roosevelt. « Je pense qu’on a le temps d’aller souper au chalet » proposa mon père. Ils avaient le temps en masse, je leur ai confirmé. Si je pouvais sauver de pénibles heures d’attente à mon équipe, je le ferais.

Lueur d’espoir pour la suite : de gros nuages noirs s’étaient amassés au-dessus de nos têtes. L’orage était imminent. Il serait très, très bienvenu.

Avoir de la compagnie, ce ne fut pas seulement un plaisir, ce fut une bénédiction.  Au début, j’avais peur de ralentir Pierre, sachant qu’il est plus rapide que moi. Plus rapide sur route (il est descendu sous les 3 heures à Toronto en mai 2014), meilleur dans le technique (il m’avait mis 20 pleines minutes dans le buffet à St-Donat en 2013). Si je l’avais devancé à Harricana, c’était parce qu’il s’y était momentanément perdu. À Bromont ?  Le petit drapeau mal placé lui avait perdre une vingtaine de minutes et le froid de la nuit avait terminé le travail.

Je lui ai fait part de mes « craintes », il les a repoussées du revers de la main. Je dirais que 95% du temps, c’était lui qui était devant et durant les premières heures, je lui ai répété à maintes reprises que s’il avait le goût d’y aller, de ne pas m’attendre. À chaque fois, il a refusé net. À la fin, j’ai cessé de le harceler avec ça, trop content qu’il soit là pour me montrer le chemin à suivre.

Chemin qui a croisé celui d’un serpent qui n’était pas trop rassurant pour des ignorants comme nous dans le domaine. Habitués que nous sommes aux petites couleuvres moumounes de notre coin de pays, celui-là faisait un bon mètre de longueur et possédait un diamètre qui était ma foi tout à fait respectable. Ayant déjà croisé un spécimen semblable durant une reconnaissance, je m’étais renseigné et bien qu’on retrouvait des serpents venimeux en Virginie, ils ne ressemblaient pas à ça. Mais bon, admettons que ce serpent-là était venimeux et qu’il ne savait pas qu’il n’aurait pas dû être là, on ferait quoi s’il nous mordait, hein ?  On lui dirait qu’il n’était pas supposé être là ?  La belle affaire.  Bref, nous l’avons laissé tranquille et n’avons pas lésiné pour déguerpir.

L’orage a commencé tout doucement pour se transformer ensuite en véritable déluge. Le sentier dans lequel nous devions grimper est devenu un ruisseau, ce qui faisait que nous avions parfois de l’eau aux chevilles, mais on s’en foutait : la pluie était tellement rafraichissante qu’on aurait accepté n’importe quoi. Ou presque.

Quant à la foudre ?  J’y ai pensé un peu, mais pas trop. Ça fait partie des risques. Mais le sol est tellement rocailleux que je doute que la foudre tombe souvent sur les arbres dans ces montagnes. Je m’imaginais juste Michel Morin annoncer aux nouvelles TVA que deux ingénieurs québécois avaient été frappés par la foudre en faisant un ultramarathon en Virginie. Puis j’entendais d’ici Pierre Lavoie, en entrevue exclusive du super bureau d’enquête, dire que les ultras, ce n’était pas bon, que c’était dangereux et patati et patata.

Je pense que j’ai trop d’imagination…

Toujours est-il que l’orage et la bonne compagnie ont fait que je n’ai pas vraiment vu passer cette section supposément infernale. Et quand nous sommes arrivés à Camp Roosevelt (mile 63.9), Barbara nous a fait remarquer que nous avions bien meilleure mine qu’à Habron Gap. Et effectivement, bien que la fatigue ne s’en allait pas, je me sentais beaucoup mieux. Toute idée d’abandonner m’avait maintenant… abandonné. Pour de bon, je l’espérais.

La pause à Camp Roosevelt fut de relativement longue durée, vu que Pierre, qui faisait la course dans la catégorie solo, devait fouiller dans son drop bag pour récupérer sa lampe ainsi que ses vêtements de rechange. Ça faisait bien mon affaire. J’en ai profité pour me reposer et aussi changer ma camisole pour un t-shirt léger, soit celui de Washington.

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Petite pause bienvenue à Camp Roosevelt. Pierre, en arrière-plan, récupère ses choses dans son drop bag.

Pierre s’est aussi amusé à se foutre de ma gueule, racontant à mon équipe que ma technique de « pipi sans arrêter » ne le rassurait pas tellement, vu qu’il était souvent (lire: toujours) devant et que bon, il ne savait jamais ce que je pouvais faire… Ce qui était bon signe, c’est justement que j’avais recommencé à uriner.

Bref, le moral était revenu quand nous avons quitté pour Gap Creek I (mile 69.6). Tous deux avions accepté le fait que la performance, fallait oublier ça, alors nous avancions sans nous presser. D’ailleurs, nous avons beaucoup discuté et ri de l’obsession du temps qu’on a quand on court sur route. Même en marathon, on s’en fait pour des mini-minutes perdues. En ultra ?  Une mauvaise passe peut nous coûter des heures !  On a bien rigolé quand je lui ai raconté mon « sprint » effréné à la fin du Marathon de New York alors que j’essayais de descendre sous les 3h10 (et que j’ai raté… par 8 secondes !). Non mais, on s’en câl…-tu de descendre sous les 3h10 ?!?

Une fois la nuit tombée, avancer rapidement était presque hors de question. Dans des sentiers hyper-techniques, courir relève souvent de l’exploit en plein jour, alors imaginez la nuit… Et comme pour me montrer qu’elle aussi était fatiguée, ma Garmin, après 16 heures de bons et loyaux services, rendit l’âme.

Nous sommes tout de même parvenus à Gap Creek sans trop de problèmes. En tout cas, pas à ce que je me souvienne… J’ai juste eu un petit moment de panique quand j’ai vu le chrono de ma montre n’avait pas démarré au départ. Puis je me suis dit que j’étais encore capable faire des petites soustractions en me basant sur l’heure. Des fois, quand  on est aussi longtemps dans le bois, le cerveau…

Sur place, autre remplissage de la part de mon équipe, fidèle au poste. On nous a appris que Joan était en quatrième position aux dernières nouvelles et bien, bien en avant de nous. Quant à Martin, il voguait en douzième position, une heure et demie devant. Wow, ils étaient en train de nous sortir des performances incroyables !  C’était dément. Nos amis brûlaient le parcours, j’étais très fier d’eux. Je ne pouvais attendre de les revoir à l’arrivée.

Comme je m’apprêtais à repartir, j’ai vu que Pierre était en grande conversation avec James Blanford, un récent vainqueur ici. Homme qui a la réputation d’être extrêmement taciturne, j’ai été surpris de le voir parler si facilement. Puis je me suis dit : a-t-il déjà terminé ?  Calv… !

« Are you done ? » que je lui ai demandé. « Yeah ! » a été sa réponse. Puis, avec un sourire, il a ajouté qu’il s’était blessé au tendon d’Achille et avait abandonné au 38e mile.

Ouf !  Avant qu’on quitte le ravito, il nous a glissé qu’il serait de l’Eastern States, en août. L’Eastern States ?   La Pennsylvanie, en août ?  Vraiment ? Ça va pas, non ?  En plus, ça prend un doctorat pour réussir à acheter de la bière dans cet état (histoire que je vous raconterai un de ces jours) !  Il nous a souhaité bonne chance en nous serrant la main. Cout’ donc, sympathique monsieur, quand même.

Direction Visitor Center (mile 78.1). La section débute (ho surprise !) par une longue montée. Et, fait particulier, c’est une montée que les coureurs doivent se taper deux fois, ce qui la rend si « célèbre » dans le milieu. Je ne sais pas pourquoi, je m’étais toujours imaginé qu’elle se faisait sur la route. Hé non. Après quelques hectomètres sur un chemin de quads assez large qui nous permettait de la faire côte à côte, c’était le retour en single track… et dans la roche.

Dans le single track, je pouvais apercevoir deux lampes frontales en contre-bas qui semblaient grimper très rapidement. J’étais certain que c’était Brian Rusiecki et son pacer.

« Pierre, je pense qu’on va se faire lapper.. .»

Finalement, non, ce n’était pas lui. Nous sommes parvenus aux fameuses assiettes à tarte (des assiettes à tarte jaunes, avez-vous déjà vu ça ?). L’une indiquait à ceux qui avaient parcouru 70.9 miles de tourner à gauche. Pour ceux qui avaient fait 98.1 miles, c’était tout droit. Nous avons évidemment pris la gauche, mais j’avais foutrement hâte de repasser là…

Un peu plus loin, sur la crête de la montagne, un gars est arrivé derrière et s’est mis à nous suivre. Je lui ai offert le passage à quelques reprises, mais non, il préférait suivre le guide. C’était une section hyper-rocailleuse, ça en était presque ridicule. À un moment donné, je n’ai pas pu m’empêcher de dire que ce n’était pas un sentier. Non mais c’est vrai : si je ne peux y amener mon chien pour une promenade, ce n’est pas un sentier. C’est… un foutu paquet de roches, un point c’est tout !

Le nombre de fois où je me suis enfargé… La fatigue aidant (bah, pas besoin de fatigue pour ça, mais bon), j’alignais les combinaisons de mots religieux à une fréquence pour le moins appréciable. Au bout d’un certain temps, pour blaguer, j’ai cru bon de préciser à notre compagnon : « That’s swearing ». Sa réponse ?  « Yeah, I figured it out ». Comme quoi jurer, c’est un langage universel !  🙂

Vu que c’était technique, Pierre me distançait régulièrement et à un moment donné, dans une descente, j’ai raté un virage et me suis retrouvé devant… rien. Heu…

« Pierre !  T’es où ? »

« Fred ?  Ça va ? »

Sa voix venait de plus haut. Notre poursuivant, qui ne s’était pas enfoncé dans le bois, en a profité pour me dépasser et se diriger vers mon ami. Pour ma part, j’ai dû escalader le bout que j’avais fait en trop pour retrouver le « sentier ».  C’est quoi cette manie que j’ai de me perdre alors que je n’avance pas ?

Soulagé de m’être débarrassé de ce parasite, c’est dans la bonne humeur que ce qui nous séparait de Visitor Center a été franchi. En dépassant un gars, je lui ai demandé si ça allait (parce que forcément, si un gars va moins vite que moi, il a des problèmes), il m’a simplement répondu que ses quads étaient trashés. Il allait finir en marchant, considérant qu’il avait encore pas mal de temps avant la coupure.

« I have plenty of time, right ? » s’inquiéta-t-il tout de même.

«Yeah, you have plenty. Good luck, buddy !».

Ha Visitor Center… À la lecture des récits, je m’imaginais une belle grande bâtisse propre et moderne avec des kiosques pour choisir des cartes des sentiers, des préposés pour renseigner les visiteurs, des cartes postales qu’on pourrait acheter. Lors de ma reconnaissance vendredi, c’est sur une vieille bicoque semi-abandonnée sur laquelle je suis tombé. Elle était fermée et semblait l’être depuis belle lurette. Il y avait bien quelques tables à pique-nique et des bancs pour s’asseoir, mais tout ça criait pour une couche de peinture et le gazon n’avait pas été coupé depuis… je n’ose dire quand.

Bref, ça faisait dur et j’étais content de passer là en pleine nuit pour m’éviter un tel spectacle. Toujours présente, Barbara m’attendait vêtue de bottes en caoutchouc et portait maintenant un buff sur la tête. Tout sourire, elle avait encore et toujours tout ce dont je pouvais avoir besoin. Quant à mon père, il était parti trouver Picnic Area, la station supposément située tout près que nous n’avons jamais réussi à trouver… même en plein jour. Il est revenu à temps pour nous voir repartir.

3.5 petits miles avant Bird Knob (mile 81.6). Petite étape facile, non ?

Maudit que je peux faire dur ! Quand est-ce que je vais apprendre ? Il n’y a jamais rien de facile à Massanutten. Jamais.

En fait, c’est un nouvel ennemi que je devais maintenant combattre : le sommeil. Je m’endormais de plus en plus, malgré toute la caféine absorbée à travers les gels ou le Mountain Dew aux ravitos. Un petit chocolat à la caféine avait fait son effet en quittant Visitor Center, mais ça n’avait pas duré. J’avais gobé une des pilules de caféine que m’avait fournies Gary Knipling, mais sans résultat.

Faisant part de mon état à Pierre, il m’a dit qu’il fallait qu’on parle plus pour se tenir éveillés. Pas qu’on s’était vraiment tus depuis Indian Grave… Car c’est fou à quel point on peut échanger quand on passe des heures et des heures avec quelqu’un. Nous avons abordé un paquet de sujets, sur le sport, le travail, la vie en général. Je connaissais le camarade de course toujours souriant, j’ai appris à connaitre l’homme. Ces échanges que nous avons eus seront, et de très loin, mes meilleurs souvenirs de ce Massanutten.

Toujours est-il que j’étais en mode zombie quand nous sommes arrivés à Bird Knob, un immense ravito constitué d’une table et d’un petit chapiteau et occupé par un grand total de 3 bénévoles. Personne d’autre en vue, la station n’étant pas accessible aux équipes de support.

J’avais remarqué que Pierre s’assoyait à chaque ravito. Pas longtemps, mais il le faisait à chaque fois. Ça faisait presque 24 heures que j’étais réveillé, je venais de passer les 21 dernières debout. Peut-être qu’une chaise me ferait du bien après tout…

“Beware of the chair” qu’ils disent. J’y serais bien demeuré encore des heures, mais Pierre était prêt à repartir. Coup de pied virtuel au derrière et je le suivais dans le sentier.

Les 6.4 miles avant de rejoindre Picnic Area (mile 87.9) furent interminables. J’avais des hauts et des bas, mais plus souvent qu’autrement, j’étais dans le creux de la vague. Par bouts, je dormais littéralement en marchant. J’essayais de parler, mais ça me demandait un effort de concentration hors normes. Sans la présence de mon partner, je crois bien que je me serais étendu quelque part sur une roche.

J’étais dans le plus creux des creux à Picinic Area. Complètement épuisé, j’avais peine à avancer. Me voyant, Barbara s’est précipitée sur moi pour m’annoncer la mauvaise nouvelle : Martin avait abandonné, trahi par un genou.

L’idée de le rejoindre ne m’a pas que traversé l’esprit, je la considérais très sérieusement. Mais merde, je n’étais pas blessé, j’étais juste fatigué. Très fatigué.

Lisant dans mes pensées, Barbara me dit gentiment : « Si tu veux abandonner, c’est correct, tu sais». Je pense lui avoir répondu que je ne savais pas si j’abandonnerais, mais je ne me voyais vraiment pas repartir. La dernière étape de 6.7 miles ne me faisait pas peur, mais celle de 8.9 qui la précédait, je la voyais comme le mont Everest. Impossible pour moi de seulement la considérer à ce moment-là.

Martin était assis sur le bord du feu, enroulé dans une couverture que Barbara lui avait fournie. Il avait les yeux du gars serein avec sa décision. Je l’enviais un peu, je dois avouer. Barbara m’amena un café, mais je cognais tellement des clous qu’elle devait m’aider à le tenir pour éviter que je le renverse sur moi (avec le recul, ça m’aurait peut-être réveillé…).

Je ne bois jamais de café, je déteste le goût. Je me suis tout de même forcé à en prendre quelques gorgées. Rien à faire, c’était trop mauvais (on m’a ensuite dit qu’il était très fort; comment je peux savoir ça, moi ?). « Il vous reste juste 24 kilomètres » a dit Martin à Pierre qui était venu aux nouvelles.

24 kilomètres. Ce n’était rien et pourtant, c’était trop. Beaucoup trop. Je ne pouvais pas repartir. Je devais dormir. « Un petit 15 » comme on dit. Ça avait marché pour Joan à Bromont, ça avait déjà sauvé une journée en installation suite à une soirée légèrement (hum hum) arrosée, ça me prenait ça, ici et maintenant.

Un lit de fortune avait été aménagé, avec des couvertures et tout le kit. Il était libre et n’attendait que moi. Avant de m’étendre, j’ai confirmé à Pierre que nos chemins se quittaient ici, que je ne pouvais plus avancer. Je lui ai donné l’accolade, l’ai remercié pour tout ce qu’il avait fait pour moi. Puis, je me suis étendu, demandant qu’on me réveille 15 minutes plus tard. Un bénévole m’a bordé, comme on le fait avec un enfant. La dévotion des bénévoles dans les ultras dépassera toujours l’entendement…

C’est alors qu’un phénomène bizarre s’est produit. Tourbillon d’idées dans ma tête. L’effet du café peut-être ?  J’entendais la musique, le bruit. Il y avait beaucoup d’activité sur place. 15 secondes, je ne dormais pas. 30 secondes, je ne dormais toujours pas. Je faisais quoi ? Je repartais ou j’essayais de dormir ?

La voix de Pierre est parvenue à mes oreilles. Il était toujours là ! C’était ma chance, je devais la saisir. Là, tout de suite. 2 secondes plus tard, j’étais assis sur le lit et je clamais haut et fort que je repartais.

Pierre m’a sorti son plus merveilleux des sourires. « T’as changé d’idée ?  Tu viens avec moi ? ». Oui monsieur, pis de la marde si je me plante.

Mon dream team n’était pas trop rassuré de me voir retourner ainsi dans l’obscurité. Pas certain qu’ils m’auraient laissé repartir si j’avais été seul. Une chance que ma mère n’était pas là… C’est à ce moment que je me suis rendu compte de l’utilité que pouvait avoir un pacer dans de telles circonstances : assurer la sécurité du coureur. Là, j’aurais Pierre avec moi, je serais correct.

En partant, nous avons pris la résolution de parler, parler, encore parler. Je me suis donc mis à lui raconter plein de choses un peu plus personnelles (mais pas trop là, fallait pas qu’il s’endorme non plus !). Le café faisait effet, nous avancions bien. Mais bon, le café, c’est dur pour l’estomac et… vous devinez le reste.

Sans vraiment avertir, il y a eu retour d’ascenseur. Arrêtés moins d’une minute, nous sommes repartis, Pierre étant un peu étonné de me voir reprendre aussi rapidement. Puis vint la deuxième « attaque ». Et la brève perte de contact avec la réalité.

Retour au temps présent…

Maintenant, je ne soupçonne plus seulement le café, mais toute mon alimentation depuis le début de la course. Les gels, c’est sucré. Et le GU Brew, c’est acide. À la longue… On le sait, c’est toujours le système digestif qui lâche le premier. C’est ce qui est en train de se produire pour moi. Cool, hein ?

L’effet de réveil de ces « vidanges » ne durera évidemment pas. On dit que lorsque le soleil se lève, on a un regain d’énergie et l’envie de dormir s’en va. Mais quand est-ce qu’il va se lever, votre foutu soleil ?

Décidant de risquer, j’avale un gel bourré de caféine. Quelques centaines de mètres plus loin, il ressort. Même chose avec le GU Brew un peu plus tard. Et comble de bonheur, les efforts que je déploie pour faire sortir les surplus ont des répercussions jusque dans la balle de golf qui a poussé entre mes fesses durant la première partie de la course. Hé oui, mon derrière aurait besoin d’être sauvé !  C’est la joie. (Et pour ceux qui se poseraient la question, non, ça ne faisait pas partie des sujets un peu plus « personnels » que nous avons abordés !)

En fait, je n’ai pas vraiment de douleur à ce niveau, heureusement  (pour votre info, je n’ai pas eu pas à utiliser le petit cadeau de Knipling, soit la révision H d’un onguent très connu). Mais je dois me résigner à ne plus boire ni manger jusqu’à Gap Creek II (mile 96.8). Je ferai une couple d’entorses à cette règle, prenant des mini-gorgées pour demeurer le moindrement hydraté, mais sans plus. Vivement le dernier ravito pour boire de l’eau !

Finalement, peu de temps avant d’aboutir sur un chemin de terre, il commence à faire clair. C’est vrai que le corps répond mieux dans de telles conditions. Nous courons donc côte à côte, espérant apercevoir le ravito à tout moment.

« Là-bas Pierre, il y a une madame qui nous fait des grands signes ! On est proches ! ». Petit problème cependant : mon ami ne la voit pas.  Et comme nous approchons, elle s’évapore. Hallucination. Ha ben, elle est bonne celle-là !

« Là, sur la gauche, un gazébo !  C’est la station ! ». Trop gentil pour me dire que j’ai encore une hallucination, mon coéquipier se contente de me répondre qu’il ne voit pas ça non plus. Finalement, c’était un méchant bosquet d’arbres qui avait décidé de me jouer un mauvais tour. Ha le vilain !

Au loin, une voiture. « Je vois un char, Pierre. Tu ne vas pas me dire que j’hallucine un char !?!  C’est une Volvo, elle est noire ! »  Cette fois-ci, nous hallucinons la même chose. Enfin, le dernier ravito !

Sur place, Barbara m’attend avec un gallon de GU Brew préparé d’avance. Je la mets au courant de mes malheurs : le GU Brew, c’est fini. Tout comme les gels. Je vide mon sac par terre et le fais remplir d’eau. J’essaie de la rassurer en même temps : j’ai eu une très mauvaise passe, mais ça va mieux. Il va falloir que le directeur de course me passe sur le corps avec un bulldozer s’il veut m’empêcher de terminer.

Parlant de lui, Kevin est justement en train de jaser avec Pierre. Ils semblent avoir un running gag entre eux depuis qu’ils se connaissent, soit depuis… vendredi soir finalement.  Si ma mémoire m’est fidèle, il le surnomme « Master », mais je ne sais pas pourquoi. Il quitte le ravito en nous interdisant de prendre plus d’une heure et demie pour faire le reste du parcours.

Une heure et demie ?  Il est fou ou quoi ?  Ça va nous prendre deux heures, minimum !  Est-ce qu’il sait que cette dernière section commence par une maudite montée qui ne finit pas ?

Après avoir dit un dernier bonjour à un Martin souriant et somnolant qui a pris place dans notre RAV4 pour retourner au départ/arrivée, je me mets en frais de me trouver un surnom pour compléter celui de « Master » qu’on a affublé à Pierre. Je suggère « Vomit Man ». Ou pourquoi pas: « The Puker » ?  Il la trouve très drôle et ne semble pas revenir que j’aie réussi à remonter la pente à ce point. Moi non plus, d’ailleurs…

Allez, une dernière côte. On la monte à un rythme raisonnable pour se retrouver aux assiettes à tarte. En fait, à l’assiette à tarte, parce que celle du virage à gauche a été enlevée. Ok, plus qu’une petite descente, puis ce sera le chemin de terre du début qui nous ramènera au point de départ.

« Ils vont nous avoir tenus jusqu’au bout, hein ? ». Commentaire de Pierre dans la « petite » descente. Des roches, encore et toujours des roches. Mes pieds que je sens rendus au vif n’en peuvent plus de freiner.

Finalement, le chemin. Extase. Un coureur est là, le regard dans le vide. Qu’est-ce qui se passe ?

Il n’est pas certain de quel côté aller et il ne veut pas faire un seul pas de trop. Voyant que le ruban a été installé du côté droit à la sortie du sentier, j’en viens à la déduction qu’il faut aller à droite. En plus, ça descend de ce côté et c’est supposé descendre jusqu’à l’arrivée, non ?

Les deux Québécois ne faisons ni une, ni deux, et partons vers la droite. Quelques centaines de mètres plus loin, un ruban jaune nous le confirme : nous sommes dans la bonne direction. L’odeur de l’arrivée nous a revigorés (la pente descendante ne nuit certainement pas), nous courons à pleines jambes. 6 kilomètres. C’est fini.

En point de mire, un autre coureur et son pacer. Nous fonçons sur lui, il n’a aucune chance. Il nous félicite au passage. Une autre position de gagnée.

Je tiens le coup, tant bien que mal. Puis Pierre laisse glisser : « On n’a pas vu la pancarte des 100 miles …».

Ha non, ce n’est pas vrai !  Je ne veux pas voir cette foutue pancarte-là !  Depuis un petit bout, j’espère que nous sommes en-dessous des 6 kilomètres. Il en reste quoi, deux ?  Trois peut-être ? S’il fallait que nous croisions cette maudite pancarte pour ramener la distance restante à 6 kilomètres, je pense que je me mettrais à brailler drette là.

Devant, une autre « victime ». Celle-là marche péniblement. Autre position de gagnée, une troisième depuis que nous avons rejoint la route. Mais mon attention n’est orientée que vers une seule chose : le changement de surface. Quand on sera sur l’asphalte, on sera près. À chaque petit pont, je crois que ça y est. Mais non, il y en a encore et encore. Nous pensions bien que rendus à la montagne, nous aurions à tourner. Négatif, on doit la contourner. Ça vas-tu finir ?

Finalement, l’asphalte. Puis, une indication pour entrer dans le camping. Nous sommes tous près. Il fallait tout de même une dernière montée… Pierre la ferait bien à la course, mais je lui signifie que je n’en peux plus, je vais la marcher. Il m’attend et c’est ensemble que nous reprenons, à la course.

« Je ne sais pas pourquoi, je deviens toujours émotif dans les fins de course ». J’ai peut-être le cœur tendre, mais mon ami l’a encore plus, je crois. Il gardera toutefois sa contenance. Après 17 heures passées ensemble, des liens se sont tissés entre nous et il aurait bien pu se laisser aller. En tout cas, moi je n’aurais eu aucune gêne à le faire.

Nous traversons un petit pont de bois, puis le voilà enfin : le grand champ. Il fallait le courir, nous le faisons sans la moindre hésitation. Je tends la main à mon compagnon, mon coéquipier. Il m’a littéralement tiré jusqu’ici. Je ne sais pas comment je pourrai un jour le remercier.

Joan s’est emparé du micro pour annoncer notre arrivée en français. Puis Kevin prend la relève avec un porte-voix, annonçant le « French Canadian Duo ». Il nous accueillera alors que nous traversons la ligne ensemble.

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L’arrivée du « French Canadian Duo »

Ça faisait 28 heures, 12 minutes et 36 secondes que nous étions partis…

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Avec Kevin Sayers, le directeur de course

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C’est fini, mon amour. Merci pour tout…

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Joan, great job pour ta super 3e place ! You rock !!! Mais dis-moi, me trouverais-tu dégoûtant par hasard ? 😉

 

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Ha ben non, tu veux me prendre dans tes bras maintenant ! 🙂

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Les quatre mousquetaires québécois. De gauche à droite: Pierre, moi, Joan et Martin. Qui est-ce qui a l’air le plus brûlé ?

Massanutten, le calvaire solitaire des 50 premiers miles

Ha ce que je peux être bien !  Couché dans le lit douillet du chalet que nous avons loué, notre petite Charlotte blottie contre mes jambes, Barbara qui dort à poings fermés. Repose-toi mon amour, tu le mérites tellement, après une autre nuit passée à me suivre, à me soutenir. Ce maudit Massanutten à la noix, il est enfin derrière moi, derrière nous !  Mais je l’ai tellement vécu intensément que j’en ai encore des flashbacks alors que je suis ici, dans notre lit. Je pense bien que je vais en avoir longtemps, de ces flashbacks…

« Fred, Fred, ça va ?  Tu vas t’en sortir ?»

J’ouvre peu à peu les yeux. Je reconnais la voix de Pierre, qui m’est maintenant si familière et si rassurante. Ma frontale éclaire les 7-8 dernières gorgées de GU Brew qui jonchent maintenant sur le sol parce mon estomac a tout simplement décidé de retourner la marchandise.

Merde, cette foutue course n’est pas terminée. Nous venons de quitter la station Picnic Area (mile 87.9) et j’ai réussi l’exploit de me vomir les tripes pour la deuxième fois depuis.

« Oui, ça va mieux. Ça a fait du bien de faire sortir le méchant et ça me réveille. Mais tu ne me croiras pas : je me suis endormi après avoir dégueulé ! ». En fait, je me demande si je n’ai tout simplement pas perdu connaissance. En tout cas, j’ai perdu la carte l’espace de quelques instants, c’est certain.

Retour en arrière, quelque 23 heures auparavant.

Le départ s’est somme toute bien passé. Nous sommes partis ensemble, les 4 mousquetaires québécois, à l’assaut du diabolique Massanutten, probablement la course de 100 miles la plus difficile de l’est du continent (le Barkley, ce n’est pas dans l’est, bon !). Rapidement, Joan nous a laissés, Pierre, Martin et moi, pour aller rejoindre ses comparses extraterrestres à l’avant du peloton.

Sur le chemin de terre menant aux premiers sentiers, la bonne humeur régnait dans notre petite troupe. Toutefois, trouvant le rythme légèrement rapide pour cette longue course, j’ai pris la (que j’ai supposée sage) décision de laisser aller mes deux autres compagnons et de marcher dans les montées. Cette stratégie avait été payante sur le long terme lors de mon premier 100 miles, je me disais qu’elle le serait encore une fois ici.

Au premier ravito (Moreland Gap, mile 4.1), deux bénévoles, une table et des cruches d’eau nous attendaient. Point à la ligne. « Vous n’avez pas de verres ? ». Nope. Qu’à cela ne tienne, je me suis accroupi, ai ouvert grand la bouche et l’ai pointée à la bénévole ayant l’air de dire : « Vide ton pichet d’eau là-dedans ».

« Are you serious ? ». You bet I am. Vide !  Elle s’est donc exécutée, au grand plaisir de l’autre bénévole. Je voulais de l’eau, vous en aviez, on pouvait faire de la business. C’est ce qu’on a fait !

En route vers Edinburg Gap (mile 12.1) où mon père allait m’attendre patiemment, je me suis surpris à m’amuser dans le sentier. Et c’est là-dedans que j’ai commis l’ultime sacrilège en me disant : « C’est ça vos fameuses roches ?  Bof… ». Présentement, les mains sur les genoux, tentant de reprendre mon souffle alors qu’un filet de bave coule encore de mes lèvres, je me demande si je n’ai pas été victime d’une indigestion de roches…

« Joan est passé il y a à peu près 15 minutes de ça. Martin et Pierre 5 minutes, pas plus. Ils m’ont dit que tu étais plus sage qu’eux ».  Ouais. Sage ou… je n’avais juste pas le choix ?  Car dès ce moment, je sentais, je savais que je n’étais pas dans un grand jour. Le contraire m’aurait étonné, avec la chaleur annoncée. Donc, exit la perf à la Philadelphie 2012 ou Bromont 2014. Washington il y a seulement 4 semaines de cela ?  Pas sûr… Déjà, je sentais que j’étais en retard sur les temps de passage prévus. Ce n’est jamais bon signe, les retards.

Principe universel ou presque à Massanutten : une station d’aide est toujours située dans un creux. On descend ?  La station s’en vient. Et qu’est-ce qu’il y a après ?  Une montée. Il faut se faire à l’idée. En fait, on dirait qu’il y a bien des affaires dont il fallait se faire à l’idée ici. Dont la chaleur et… les maudites roches.

J’aurais toutefois eu tort de m’en plaindre en me rendant à Woodstock Tower (mile 20.3), car après une longue montée, un sentier somme toute praticable nous amenait à courir sur la crête de la montagne, nous donnant plusieurs points de vue splendides sur les alentours, points de vue qui auraient certainement été plus intéressants si le matin n’avait pas été si humide… et s’il n’y avait pas eu ce qui me semblait être une douzaine de mouches à chevreuil qui bourdonnaient autour de moi.

C’était l’enfer. Pour moi, mouche à chevreuil égale chaleur. C’est vrai, on dirait que je n’en ai autour de moi seulement quand il fait chaud.  Est-ce à dire que c’est lorsque je dégage des odeurs particulières que ces bestioles semblent me confondre avec un cervidé ?  Pourtant, on est en Virginie, non ?  Les mouches devraient savoir à quoi ressemble un cerf de Virginie,  il me semble !  Enfin…

J’ai eu plusieurs pensées pour Joan dans cette section. Le pauvre, il avait dû se la faire à la marche l’an passé, terrassé par la maladie. Marcher dans un sentier qui se court, ça doit être très dur sur le moral, surtout pour un coureur de sa trempe. Faire 12 heures de route pour marcher ici ? Shit…

Fatigué par un coureur qui me collait aux fesses, j’ai pris une pause pour resserrer mes souliers. Passa une première femme, puis une deuxième, accompagnée d’un homme. J’étais seul avec mes mouches quand j’ai repris mon chemin, mais par un miracle quelconque, j’ai fini par rejoindre la seconde femme.

Elle semblait peiner, mais s’entêtait de continuer à courir coûte que coûte, même dans les montées les plus rocailleuses. Rendu sur ses talons, ça m’a brûlé les lèvres de lui conseiller de marcher dans les montées, que ça n’allait pas plus vite de « courir » comme elle le faisait. Mais j’ai décidé de m’abstenir, peut-être savait-elle ce qu’elle faisait. Mais ça semblait tellement laborieux, son affaire…

N’osant pas lui demander le passage, de peur de me retrouver dans une section très technique où elle me recollerait, je suis demeuré à ma position. Loin derrière, la voix d’une autre femme. Plus elle s’approchait, plus je devinais qui en était la propriétaire. C’était Amy Risiecki, j’en aurais mis ma main au feu.

Rendue assez proche, je l’entendais parler de ses courses, de son mari (Brian, l’éventuel vainqueur). Je me suis retourné, c’était bien elle. Elle racontait maintenant à qui voulait bien l’entendre (et même à ceux qui n’auraient pas voulu) qu’elle faisait cette course-là juste pour le plaisir parce qu’elle avait les championnats du monde de course en sentiers bientôt. Mais elle ne pouvait décemment pas ne pas faire Massanutten. Ben oui Chose, un 100 miles juste pour le plaisir. Tu me prends pour une valise ?  Est-ce que j’ai des petites roulettes sur le ventre, moi là ?  Une tite poignée dans le dos ?  Non mais…

C’est qu’elle souffre d’incontinence buccale, cette fille-là !  Pas moyen de lui clore le clapet.  À moins qu’elle souffre d’une malformation et que ça ne puisse pas rester en position fermée ?

Toujours est-il que lorsqu’elle s’est rendue compte qu’une femme me précédait, elle n’a même pas pris le moindre temps d’arrêt dans le débit effréné de ses paroles pour demander : « Kathleen, are you all right ? ». L’autre de lui répondre « I sprained my ankle really bad, not sure if I’ll be able to continue. ».

Kathleen ?  Comme dans Kathleen Cusick ?  Gagnante de multiples ultras, dont le Vermont 100 ?  Et moi qui voulais lui montrer comment courir…

« I’m sure you’re gonna kick my ass, as usual. »

Moi, si elle pouvait juste lui fermer la gueule, je n’en demanderais pas plus…

À Woodstock Tower, une jolie jeune femme était assise, un sac de glace sur le genou. Voyant cela et poussée par une envie irrésistible de faire la course juste pour le plaisir, Amy ne s’est pas attardée et a repris les sentiers. La sachant plus lente que moi sur la route (elle court Boston en 3h25 environ et ne m’a jamais devancé lors d’un marathon), je me disais que la suivre serait peut-être une bonne idée. Et avec un peu de chance, elle pourrait peut-être poursuivre en silence ?

Je peux dire que je ne me suis pas ennuyé. Malgré une carrure pour le moins imposante pour une coureuse, Amy a avalé la section suivante avec une régularité à couper le souffle. Elle marchait les montées et, contrairement à la majorité des gens, le faisait avec les mains sur les reins. Hummm…  Habituellement, quand je vois quelqu’un qui monte avec les mains sur les reins, je prends ça comme un signe de faiblesse et je fonds sur ma proie. Mais elle… Surtout que dès qu’elle mettait à marcher, ses mains allaient là. Double humm…  De toute façon, ce n’étaient pas les 3-4 misérables sorties où j’avais fait des montées qui m’avaient permis de redevenir moi-même dans le domaine, alors je restais derrière. Et j’observais… tout en appréciant le silence car oui, elle a fini par ralentir de ce côté.

Mon étude dura l’heure qui a été nécessaire pour couvrir les 5,6 miles nous séparant de Powells Fort (mile 25.8), où je suis arrivé un petit peu à la traîne, gracieuseté d’un bout technique avant de déboucher sur un chemin de terre roulant.

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Amy Rusiecki escortée par deux compagnons. On peut me voir, un peu à la traîne derrière

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J’arrive à Powell’s Fort, premier marathon de complété

C’est à cette station que j’ai eu la confirmation que son idée de faire cette course « just for fun », c’était de la grosse merde. Alors que j’étais empêtré avec ma veste dont je siphonnais le réservoir à une vitesse phénoménale, elle remplissait ses deux bouteilles, prenait quelques victuailles à manger pour la route et était repartie. Me semble qu’une fille voulant juste s’amuser n’aurait pas attendu son amie blessée…

Car bien que blessée, la dame Cusick nous avait suivis d’assez près et je n’avais pas terminé de remplir mon réservoir qu’elle était repartie elle aussi. Méchante foulure, y’a pas à dire. Est-ce que mentir fait partie d’une stratégie secrète parmi l’élite de ce monde ?  Ceci dit, va falloir que je sois plus efficace lors de mes arrêts…

kathleen

Kathleen Cusick se présente à son tour, supposément sur une seule jambe

J’allais la rejoindre un peu plus loin, profitant du long chemin de terre pour rouler un peu. Lui lâchant un « Great job ! » au passage, elle m’a répondu par un « You too ! » avec une petite voix toute cute. C’est qu’elle est plutôt jolie en plus… Ça m’a donné le goût de l’attendre et courir avec elle.

Il faut croire que cette envie était loin d’être partagée car à la vue d’un ruisseau, je me suis arrêté pour m’asperger d’eau. Elle est passée en coup de vent, sans mot dire. Et je ne l’ai foutrement jamais revue.

Cette douche impromptue, j’en avais grand besoin. Bien qu’il n’était pas encore 10 heures, et malgré l’ombre, la chaleur s’installait peu à peu. Une fille au ravito avait même fait le commentaire qu’elle avait déjà suivi un cours de hot yoga où il faisait moins chaud ! Merde, on avait eu droit à un merveilleux 20 degrés jeudi, pourquoi pas aujourd’hui ?  Pourquoi fallait-il que la journée la plus chaude de l’année tombe sur le jour de la course… encore une fois ?  Tabar…

Et bien que je buvais comme un trou, je ne pissais pas. Sentant mes mains qui commençaient à enfler, la crainte sérieuse d’un début d’hyponatrémie faisait tranquillement sa place dans mon esprit.

Tout comme le doute, d’ailleurs. Les roches, les vraies, avaient fait leur apparition. Nul à chier dans le technique en temps normal, imaginez sans les mois de pratique. Si quelqu’un m’avait vu aller, il m’aurait trouvé pathétique. Pas moyen de prendre le moindre rythme, je devais toujours arrêter, essayer de trouver le meilleur chemin par où passer, les chevilles sollicitées au maximum. Butant à répétition sur les roches, jurant comme un bûcheron, je fis un serment sur l’honneur : plus jamais on ne m’y reprendrait.

Et toujours pas envie de pisser. Après deux arrêts dans la première heure, rien dans les 5 suivantes. Redoublant d’efforts pour ingurgiter du liquide, j’ai fini par m’exécuter. À mon soulagement, ce qui est sorti avait une couleur jaune foncé, ce qui indiquait un petit début de déshydratation, rien d’alarmant.

Ce soulagement fut bien éphémère. Avançant péniblement, j’essayais de m’encourager en me disant qu’à Elizabeth Furnace (mile 33.3), Barbara aurait rejoint mon père au sein du dream team. Mais l’idée que j’en sois seulement rendu au tiers me décourageait. Je savais qu’il ne fallait pas penser à ça, que je devais prendre les stations une à une, mais…

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Arrivée à Elizabeth Furnace. Je me sens vraiment comme dans un four…

Au ravito, je ne pouvais pas manquer Barbara : elle avait enfilé son plus pétant des t-shirts roses. J’avais juste envie de lui dire à quel point je l’aime, je voulais la remercier d’être là. Je me suis retenu, de peur de devenir émotif et de perdre toute contenance. Je lui ai simplement donné un petit baiser.

« Comment ça va ? »

« Il fait chaud ! ». Crissement, tabarnakement (c’était LE moment approprié pour l’utiliser en adverbe) chaud.

« Mais ça va tenir. » Il fallait que je montre à mon équipe que j’étais au moins un peu positif. Pendant qu’ils m’aidaient à remplir mon réservoir et me fournir en gels, Barbara me tenait au courant de la progression de mes amis. Joan était passé depuis près d’une heure. Pierre, depuis 20 minutes. Quant à Martin, les deux ne s’entendaient pas. Mon père disait qu’il était avec Pierre alors que Barbara, de son côté, disait qu’il n’était pas passé. Or je ne l’avais pas vu à la traîne sur le parcours.

« Pouvez-vous me confirmer le tout ? ». Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’inquiétait. Il fallait que je sache que mes amis étaient ok.

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Un des nombreux remplissages

Comme seulement 4.7 miles me séparaient de Shawl Gap (mile 38.0) et que j’allais les revoir là, je me suis dit que cette section passerait bien. Je me suis donc élancé, le cœur presque léger, non sans avoir dû au préalable enfiler 2 verres d’eau parce que j’avais répondu « Not enough » à un bénévole qui me demandait si je pissais…

Mon évaluation fut une (autre) erreur monumentale. Cette section est constituée d’une suite infinie de roches qu’on doit d’abord grimper, puis redescendre. Des roches, des roches, encore des roches. Bah, en montant, tant qu’à ne pas avancer de toute façon…  Mais en descente ?   Calv… !!!

Kevin, le directeur de course, nous avait ordonné de nous amuser. Hé bien, je contrevenais aux ordres. Je ne m’amusais pas. Pas pantoute. Je voulais juste que ça finisse, ces maudites roches !!!  Et pour ça, j’avais deux choix : ou bien j’allais plus vite, ou bien j’abandonnais. Et comme je ne pouvais pas vraiment aller plus vite…

Oui, abandonner. Moi, le gars qui n’a jamais fait un DNF. Mais avec plus de 110 kilomètres devant moi, je ne pouvais pas m’imaginer faire des roches pendant tout ce temps. C’était quoi le but ?

J’essayais de penser au temps de vacances et à l’argent investis. La prochaine fois, je ferai comme les autres : j’arriverai la veille. Et qu’est-ce que je dirais à Barbara et mon père, qui étaient là juste pour moi ?  Que je lâchais parce que j’étais écoeuré ?  Non, je ne pouvais pas faire ça, je m’en voudrais. Et que dire de tous ceux qui me suivaient à distance, que ce soit ma mère au chalet ici ou mes amis, au Québec ?  Ma patronne aussi suivait mes déplacements. Étais-je pour montrer à ma patronne que j’étais un lâcheur ? Arrêter à cause d’une blessure, ça se justifie. Parce qu’on n’a plus le goût ?  Jamais dans 100 ans !

Comme ça se produit souvent dans de telles situations, un petit miracle est arrivé: j’ai rejoint un autre coureur !  Je peinais, je n’avançais plus et pourtant, je gagnais du terrain sur quelqu’un ?  Peut-être n’étais-je pas seul dans la galère de la souffrance après tout ?

Ceci combiné au fait que l’arrivée à Shawl Gap se faisait par une belle petite descente contribua au retour de mon sourire. Barbara portait toujours son t-shirt rose pétant, elle semblait toute aussi heureuse de me voir. Elle me confirma que Martin était toujours en course, il s’était pointé juste avant Pierre, une vingtaine de minutes avant moi. Joan ?  Il était déjà passé à leur arrivée.

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Petit sourire en me pointant à Shawl Gap. Je dois avouer que le fait de voir mon père engouffré dans le foin pour prendre cette photo n’était pas étranger à mon état d’âme!

C’est donc rempli d’un optimisme renouvelé que je suis parti en direction de Veach Gap (mile 41.1), une station non-accessible aux équipes de soutien. Je ne les reverrais qu’à Habron Gap, au mile 54.0.

Ces 5 kilomètres sur route étaient les bienvenus. Je courais à un bon rythme, tâchant à la fois de progresser tout en me ménageant. Une inquiétude commençait toutefois à me ronger : je ne voyais pas beaucoup de rubans jaunes. En fait, je n’en voyais plus depuis un sapré bout de temps ! Pas de coureurs devant pour me rassurer un peu, pas de coureurs derrière. Que faire ?  Merde, j’avais manqué un virage, j’en étais certain.

Pas trop atteint au moral malgré tout, j’ai rebroussé chemin jusqu’à ce que je croise un autre coureur qui m’a presque traité de con. Finalement, je ne m’étais pas trompé. Je me suis donc ajouté une belle petite distance bien inutilement en faisant marche arrière.

Étonnamment, ça ne m’a pas mis dans tous mes états. J’ai repris la route sans m’en faire, me disant que ces 2-3 minutes perdues n’étaient pas la fin du monde. Je courais les descentes et les plats, marchais les montées et suis arrivé à Veach Gap avec une belle attitude positive.

Comme je mangeais un peu, d’autres sont arrivés, dont une fille qui portait des antennes (oui, des antennes !). Dans la plus pure tradition des ultrarunneuses, elle est passée en coup de vent. Bien déterminé à ne pas la laisser filer, je suis parti derrière elle, la suivant à distance… tout en admirant le paysage !  😉

La contemplation n’a pas duré. Rapidement, je me suis (évidemment) retrouvé dans une montée. Une vraie de vraie. Tous les ultramarathoniens en ont vu des montées. Des centaines, voire même des milliers. Pour ma part, la montagne Noire et la côte de l’Enfer de St-Donat ainsi que le mont Grand-Fonds à Harricana figuraient dans le haut de mon palmarès. Mais celle après Veach Gap, ouch !

Pas qu’elle était tellement abrupte, mais elle ne finissait tout simplement plus. Selon ce que j’ai lu, ce sont 5 kilomètres que je me suis tapé. Avec le soleil à son zénith qui me cognait sur la tête. Les cubes de glace que j’avais enfouis dans ma casquette s’étant vite transformés en eau s’égouttant sur le sol, mon corps tentait tant bien que mal de se refroidir. Et pour ce faire, il faisait pomper mon cœur à tout rompre. Moi, le « grimpeur », j’étais mis dans les câbles par une montée. La mort dans l’âme, j’ai dû me résoudre à m’arrêter une minute pour reprendre mon souffle.

Heureusement pour mon mental, la porteuse d’antennes semblait peiner autant que moi. Je suis parvenu à la garder en point de mire jusqu’à ce que je tombe, après avoir fini par finir de monter, sur un dépôt d’eau. En tout, au moins une cinquantaine de gallons d’eau avaient été déposés là, juste pour nous. Fatigué du GU Brew qui collait dans ma bouche, j’ai bu à grandes gorgées. Puis, demandant pardon à ceux qui suivaient, j’en ai « gaspillé » un peu pour prendre une douche. Mon corps le réclamait.

Comme je m’y attendais, le soulagement apporté fut momentané. Et c’est péniblement que je me suis rendu à Indian Grave (mile 50.1). Tout juste avant d’y parvenir, j’ai remarqué que j’avais pris 11 heures pour atteindre les 80 kilomètres. À Bromont, 10h30 avaient été nécessaires pour parcourir la même distance. Or ici, non seulement me restait-il encore plus de chemin à faire (3.6 miles de plus), mais c’était sur un parcours que je ne connaissais pas du tout. Je voyais mal comment je pourrais faire sous les 26 heures. De toute façon, pour faire 26 heures, fallait que je finisse et ça, c’était de moins en moins sûr… Je marchais de plus en plus souvent des sections qui auraient pu se courir. J’en étais même rendu à me dire que si Joan avait pu marcher à Harricana, j’avais bien le droit de faire de même à Massanutten.

En tout cas, une chose était certaine : je demanderais à mon équipe de seulement me dire si mes compagnons allaient bien. Je ne voulais pas savoir quelle avance ils avaient sur moi, j’avais le moral déjà assez bas comme ça.

Puis, à Indian Grave, surprise : Pierre était là, assis sur une chaise, parlant à un jeune coureur qui semblait au bout de son rouleau.

« Hey, salut le CANADIEN ! »

The North Face Endurance Challenge, D.C.: la dernière boucle et le retour

Great Falls III (mile 29.1) à Great Falls IV (mile 36.0): la troisième boucle

On nous avait dit que le parcours serait à l’ombre. Léger détail cependant : cette évaluation a probablement été faite durant l’été. Or, nous sommes au début du printemps, alors on ne peut pas dire qu’il y a beaucoup de feuilles dans les arbres ! Donc côté ombre, bof… D’ailleurs, moi qui ne mets jamais de lotion solaire, je remarque que mes bras commencent à prendre une teinte rougeâtre. Vais-je me lamenter cette nuit ?

Bon, j’en entends s’étonner : « Quoi, il ne met pas de lotion solaire ?!? ». Hé non. Malgré l’amincissement de la couche d’ozone, ma peau ne brûle que très rarement, alors je n’en vois pas l’utilité. Ce qui explique que j’ai le teint basané à longueur d’année, au point où je ne passe pas un hiver sans me faire demander si je reviens d’un voyage dans le sud. Il est même déjà arrivé qu’un collègue de travail refuse de croire que je n’étais pas allé me faire dorer au soleil au cours des semaines précédentes. Une autre, qui est devenue une de mes meilleures amies par la suite, m’a un jour avoué que la première fois qu’elle m’a rencontré, elle a cru que j’étais du genre à passer mon temps dans les salons de bronzage ! C’est pour dire… Pour la petite histoire, je ne porte jamais de verres fumés non plus. Ça m’emmerde, ces bidules-là et je me dis qu’un iris, ça doit servir à quelque chose, non ?  Donc, si je meurs aveugle et d’un cancer de la peau, ne vous demandez pas pourquoi !

Revenons à nos moutons…

Heureusement, la très longue montée (que plus personne ne court, je tiens à le préciser) se fait dans une partie plus fraiche du parc. Non, je ne sais pas comment ça se fait, mais c’est comme ça ! Une fois dans le sentier, je croise à nouveau mes deux adorables schnauzers. « It’s you again !!! » que je leur lance. Je reçois des aboiements en guise de réponse (les schnauzers ont une légère tendance à être bavards…). Je réussis à caresser le plus brave des deux, échange quelques mots avec les propriétaires, puis me remets en route.

Malgré ce petit intermède joyeux, je sens que je n’avance plus : je suis dans une mauvaise passe. Sentant mon estomac plein, j’ai fait l’erreur de négliger mon apport en gels. J’essaie donc de compenser, en espérant que ça se replace.

Troisième et dernier passage au premier demi-tour. J’avoue que je commence en avoir ras le pompon de ces allers-retours, vivement que ça finisse. Un « tour » de plus et je faisais une demande d’amitié Facebook à la bénévole au sharpie.

À Old Dominion, l’enthousiaste bénévole réussit l’exploit de monter son entrain d’une coche quand il gueule à tout le monde d’ici jusqu’au Capitole que j’en suis à mon dernier passage. La coureuse à côté de moi me demande alors : « Is it really your third pass ? ». Oui madame, et je ne m’en taperai certainement pas un autre !  Au moins, j’aurai réussi à impressionner quelqu’un aujourd’hui…  🙂

Après être passé à côté de la « All American Girl » une dernière fois (elle a perdu son sourire et est maintenant toute « éjarrée » sur sa chaise), j’attaque à fond la caisse la partie technique. Je vole littéralement, laisse sur place plusieurs coureurs. Ça va super bien, ça roule mes affaires, le gel ayant réussi des miracles. En fait, ça va tellement bien que je néglige une racine et en moins de deux, je me retrouve face contre terre.

« Man, are you all right ?» me demande celui que je viens de dépasser. Oui, oui, ça va. J’ai eu la chance de tomber sur de la terre et non des roches. Sauf que j’HAÏS planter après plus de 50 km de course. C’est si dur de se relever… Et pas question que celui qui m’a demandé si ça allait m’aide à me relever, évidemment. Il est reparti devant sans demander son reste. Tu ne perds rien pour attendre, toi…

Je le rejoindrai avant le dernier demi-tour et le laisserai dans mon sillage. Tiens toi !

Sur le chemin me ramenant à Great Falls, j’ai un premier accrochage avec des passants. Alors que le chemin est assez large pour accommoder bien du monde, un troupeau de promeneurs viennent à ma rencontre à 3-4 personnes de large alors que je m’apprête à dépasser une coureuse beaucoup plus lente. Ils s’écartent à peine pour la laisser passer, alors pas de place pour moi. Je m’impatiente et finit par lâcher : « Tassez-vous donc, TABAR… ! ».

Ouais, je commence à être fatigué, je pense…

Great Falls IV (mile 36.0) à Carwood (mile 40.8)

Mes trois boucles sont terminées, ne me reste plus qu’à retourner au départ. À Great Falls, c’est ma dernière chance d’avoir accès à mon drop bag. Comme je m’en doutais, je décide de ne rien changer. Je serais peut-être plus confortable avec mes Montrail, mais le temps perdu pour faire le changement ne pourrait être rattrapé, alors je reste comme je suis.

Sur l’ardoise, il est indiqué que j’en suis rendu à 36.0 miles. Ok, plus que 14, soit un peu plus de 22 kilomètres. Ha, à peine un demi-marathon. 1h30 et ce sera fini !

Je ris intérieurement. Ça ne se passera évidemment pas comme ça. Mais j’ai 5h46 au chrono, alors les 8 heures demeurent dans le domaine du possible.

Je ne sais pas si j’ai mal fait sortir l’air de mon sac d’hydratation, mais toujours est-il que ma mixture de GU Brew n’est pas trop discrète. C’est tout de même pratique pour avertir quand j’approche d’un coureur plus lent (j’en rattraperai beaucoup qui font le 50k). C’est par ce moyen de communication que les deux jeunots qui faisaient la course ensemble sont mis au parfum ce ma présence. La détresse que je lis dans le regard du petit criss d’arrogant à lunettes quand il se retourne pour me voir arriver vaut à elle seule le prix d’entrée. Pis mon jeune, ce n’est pas aussi facile que tantôt ?  Fatigué, peut-être ?  Ça te fait quoi de te faire dépasser par un pépère maigrichon ?  Son style est quelconque, mais tu dois avouer que le bonhomme est plus tough que toi, hein ? N’oublie jamais: « Quebecers are fucking tough ». Mets ça dans ta pipe !

Peu après, les gros obstacles se présentent. Une montée en particulier est très abrupte, me rappelant même Bromont par bouts. Ça commence à être pénible, mais on dirait que ça l’est moins pour moi que pour les autres, car je réussis à rejoindre et dépasser du monde.  Malheureusement, pas beaucoup de participants du 50 miles

Il y en a un qui me dépasse par contre : le meneur du marathon qui passe comme une balle. Il gambade littéralement, sautillant d’un obstacle à l’autre sans ralentir. Il est d’une agilité à couper le souffle, agilité que je n’aurai jamais, et surtout pas avec 6 heures de course dans les jambes. Il sera suivi quelques  minutes plus tard par la première femme du marathon. Une autre qui vient d’une planète dont j’ignorais l’existence…

Carwood (mile 40.8) à Fraiser (mile 43.5)

À Carwood, la fatigue est bien installée. La chaleur et les heures de course font leur effet. Je m’asperge d’eau comme je peux et surtout, remplis mon sac une dernière fois. Je devrai boire beaucoup si je ne veux pas tomber.

C’est là que commence réellement l’interminable retour. Un long single track super beau, mais bon, quand il fait chaud et qu’on est brûlé, on a hâte que ça finisse. Et ça ne finit plus… J’espérais que le Potomac que nous longeons nous apporte un peu de fraicheur, mais non, rien.

Voilà, c’est fait, la souffrance s’est bien installée. Est-elle mentale ou physique ?  Je ne sais plus trop. Plusieurs marchent, je parviens à tenir le coup en ne sachant pas trop comment. À chaque fois que je reprends un coureur, il me lance un « Great job ! » au passage. Great job, ouais…  Si tu savais à quel point je souffre !  Et pourtant, je continue, encore et toujours. C’est dur.

Fraiser (mile 43.5) à Sugarland (mile 49.2)

Peu de temps après la station, j’arrive au ruisseau. Yes !  Je plonge littéralement dedans… ou presque. À quatre pattes par terre, je m’asperge joyeusement un peu partout. Puis, sachant fort bien que c’est la tête qui a le plus d’influence sur comment on se sent, je l’enfonce carrément dans l’eau. Haaaaaaa…

Les coureurs (et particulièrement les coureuses) du 50k admirent la scène de loin, un large sourire leur fendant le visage. Vous devriez essayer, vous verrez bien qui vous dépassera tantôt…

Je suis revigoré. À nouveau, je dévore le sentier. Comme prévu, je rejoins plusieurs personnes du 50k et les dépasse facilement. Puis, peu à peu, la chaleur reprend ses droits. C’est le retour graduel vers l’enfer. Je vérifie mon GPS à tous les 300 mètres, c’est pathétique. J’ai chaud, je n’en peux plus.

La vue du terrain de golf me réjouit un peu : le dernier ravito est proche. Je me permets même de blaguer avec une concurrente à propos du fait qu’on devrait jouer au golf au lieu de se taper un ultra dans une telle fournaise. J’aimais ça, le golf, pourquoi je ne joue plus, donc ?

Finalement, Sugarland, dernière station. À ma Garmin, il y a un peu moins de 77 km d’indiqués. Ok, ce sera à peu près 80 km, les 8 heures sont encore dans le domaine du possible.

Puis, c’est le coup de poing à l’estomac : le bénévole m’informe que je dois faire la loop de 2.2 miles avant de me rendre vers l’arrivée, 1.7 mile plus loin.

WHAT ?!?

Comme dans: « What the fuck ?!? ». Je n’arrive pas à y croire. J’avais bien lu que le parcours faisait 50.9 miles, mais on aurait dit que mon ordinateur mental avait chassé cette donnée. Et comme habituellement le GPS est optimiste (surtout que je m’étais perdu, donc allongé de quelques centaines de mètres), j’aurais dû savoir. Mais j’avais bloqué cette information, comme si en voulant que ça finisse plus vite, ça finirait effectivement plus vite.

Je suis complètement découragé. En plus, tous ceux du 50k que j’ai dépassés n’ont pas à se taper la foutue loop et ils passent tout droit. Je suis en beau fusil. Puis, je vois madame Clark sortir de la loop et me fais une raison : je vais devoir me la taper aussi, que ça me le tente ou non.

Je m’élance donc à contre-cœur sur le petit chemin asphalté. Je croise plein de coureurs du relais marathon, tout pimpants. Certains me dépassent en passant comme des flèches, question de me faire sentir encore plus misérable. I can’t wait for this fucking thing to be over

Je me permettrai de marcher en guise de pause-pipi dans la partie la plus éloignée (et en boucle) de cet aller-retour tellement j’en ai plein les baskets. Et pour la petite histoire, je taperai les 80 kilomètres en 8h01. Si je ne m’étais pas entêté à Sugarland et si je n’avais pas pris du temps pour caresser les chiens, j’aurais fait sous les 8 heures sur 80 km, mais rendu à ce point, je m’en balance complètement.

Après une éternité, je suis enfin de retour à Surgarland. Pour la dernière fois.

Sugarland (mile 49.2) à l’arrivée (mile 50.9)

Cette dernière section est, ho surprise, une pure torture. Par contre, le fait de partager à nouveau le parcours avec les coureurs du 50 km m’encourage car chacun d’eux constitue une cible pour moi : à chaque fois que j’en rejoins un, je me concentre sur le prochain. En serrant les dents.

Ça peut paraitre surprenant, mais les crampes se sont tenues à carreau en cette fin de course. Je me serais attendu à être terrassé à tout moment, mais non. Ha, certaines semblent vouloir se profiler, mais rien de sérieux.

Finalement, j’arrive dans le parc. Et au loin, l’arrivée. J’entends l’annonceur crier mon nom, dans quelques secondes, ce sera fini.

Après 8 heures, 18 minutes et 28 secondes, je traverse la ligne, sous les applaudissements. Enfin…

Le 50k intérieur JOGX de Sherbrooke

Dès que j’ai posé le pied sur le plancher du stade intérieur de mon alma mater, j’ai aimé ce que j’ai vu. La piste me semblait courte, alors 250 tours, c’était fort envisageable (je sais, 200 mètres c’est 200 mètres, mais j’avais un bon feeling). Mais surtout, il faisait frais. Assez pour que je doive enfiler un t-shirt à manches longues avant la course. Rien à voir avec le froid d’avant-course à Boston ou New York, mais j’étais optimiste en vue de l’épreuve.

On nous avait annoncé que la course de 1 km des petits allait débuter autour de 8h15, que le 5k se ferait tout de suite après et qu’à 9h, on donnerait les départs du marathon et du 50k. Comme d’habitude, le 1 km des petits a été retardé et il était autour de 8h45 quand le 5k est parti avec un grand total de… 4 participants. Je me disais que nous ne décollerions jamais avant 9h20-9h30, alors je me suis étendu sur le sol, en mode relaxation.

Or surprise, à 8h55, les organisateurs nous ont appelés à la tente de départ car le 50 km et le marathon allaient partir bientôt. De quessé ?   Je ne pouvais pas le croire. Au point où j’ai pris mon temps pour aller porter mon “survêtement” à ma case avant de me rendre au départ. Je m’attendais à ce qu’on reçoive un paquet d’instructions, qu’il y ait un test avec les puces électroniques, etc.

Mais non, nous allions partir. Drette là, comme on dit, pendant que le 5k se déroulait. Wo-ho, je n’étais pas le moindrement réchauffé, moi là !  J’ai à peine eu le temps de regarder le monde autour, juste assez pour voir que certains avaient l’air de se connaitre et pour spotter les coureurs qui semblaient les plus forts. Il y a des indices qui ne mentent pas: l’âge, la carrure, les jambes, l’allure générale aussi. Certains avaient l’air rapides. Avec un peu de chance, je pourrais peut-être faire un bout avec l’un d’eux, qui sait.

Puis, en moins de deux, le départ a été donné. Je suis parti à ce qui me semblait être un rythme de circonstance, soit celui de mes sorties du dimanche. Je sortais à peine du premier virage qu’il y avait un trou béant entre les autres participants et moi. Étais-je parti trop vite ?  Mon premier tour, couvert en 56 secondes, me confirma que non. Immédiatement après mon passage, le départ du marathon fut donné et assez rapidement, je me suis retrouvé avec un coureur aux fesses. Un gars de mon âge, fait sur ma shape. Après l’avoir laissé passer, je me suis accroché à lui, pour voir…  Grâce au gros chronomètre, il était facile d’évaluer notre cadence. Et quand j’ai vu que nous enfilions les tours à 52-53 secondes, j’ai décidé que c’était trop rapide et ai lâché prise. Nous allions nous revoir.

Depart50k

Le départ du 50 km

Honnêtement, je doute si j’avais 3 tours de complétés quand j’ai commencé à dépasser du monde. Il y avait entre autres un monsieur qui faisait la distance en marche rapide, alors… Dès le début, je dois admettre que les dépassements s’effectuaient plutôt bien. Les gens couraient en ligne droite et les plus lents se tenaient même dans les couloirs 2 et 3. Aussi, à la longue, j’ai fini par reconnaître les gens, alors je savais comment ils couraient. J’avais prévu attendre les lignes droites pour dépasser, question de ne pas allonger mon parcours, mais la différence de vitesse était trop grande pour que j’attende 50 mètres avant d’effectuer la manoeuvre. J’estime donc avoir pris la moitié des 500 virages (oui, 500 !) à l’extérieur du couloir numéro 1.

Gagnants50k

Un des multiples dépassements dans une courbe. Ici, je suis en compagnie de la gagnante chez les femmes, Manon Jacob

Autour du 2e kilomètre, une chose m’a frappé: l’air, bien que frais, était très sec. J’avais la bouche sèche, ce qui ne m’arrive pour ainsi dire jamais. Comme j’avais apporté 4 bouteilles de GU Brew, je me suis promis sur le champ qu’il fallait que j’en passe une à l’heure. Minimum. Au pire, si je finissais mes boissons plus tôt, je passerais au Gatorade fourni par l’organisation.

L’hydratation, justement… Il y avait plusieurs tables dressées tout autour de la piste où nous pouvions déposer nos affaires. C’était la première fois que je courais “allège” et ça me faisait bizarre. Sauf que pour prendre ma boisson, je devais sortir de la piste par l’extérieur, ce qui me faisait faire un détour, et ramasser une de mes bouteilles pour courir un tour ou deux avec avant de la redéposer à l’endroit initial. Finalement, ne trouvant pas cette méthode très efficace, j’ai décidé d’utiliser une table “neutre”, située à l’intérieur de la piste, près de la ligne de départ/arrivée.

Durant la première heure, tout allait assez rondement. J’alignais les tours entre 54 et 56 secondes, dépendant de la circulation. Ayant très rapidement perdu le compte de mes tours (qui se faisait automatiquement à chaque passage grâce aux puces électroniques attachées à nos souliers), je me concentrais sur ma vitesse. Après 30 minutes, nous avons effectué notre premier demi-tour. Il en sera ainsi durant toute la durée de la course: à toutes les 30 minutes, on vire de bord ! J’avoue que ça faisait drôle, la première fois, de voir les gens venir à contre-sens le temps de quelques secondes. J’ai même failli indiquer au premier que j’ai rencontré qu’il allait dans le mauvais sens. Hi le petit cerveau…

FredDemiTour

Un demi-tour, un des sept que j’ai dû effectuer

À un moment donné, comme je commençais à avoir chaud, je me suis dit que si j’enlevais ma casquette… Mauvaise idée. Étant habitué de n’avoir rien dans la partie supérieure de mon champ de vision, les lumières au plafond m’étourdissaient à force de tourner en rond. Pour la première fois, j’ai vu l’utilité d’une simple visière pour courir au lieu de la casquette classique: meilleure ventilation tout en “isolant” les yeux. On en apprend toujours.

Comme c’est maintenant devenu une habitude, j’ai senti une baisse de régime autour des 13-14e kilomètres. Ma cadence demeurait stable dans les 55 secondes, mais c’était plus difficile. C’était le moment de prendre un gel et comme par magie, quelques tours plus tard, tout s’était replacé. C’est aussi à ce moment que mes intestins ont commencé à envoyer des signaux. Heureusement, ce n’était qu’une fausse alerte.

Pour contrer la hausse progressive de la température, l’organisation s’est arrangée pour nous faciliter la vie. Première attention: des petites serviettes humides. Le bonheur !  En plus, c’était parfait pour enlever les petits résidus de GU Brew et de gel. Aussi, le stade étant muni d’une grosse porte de garage, les organisateurs en ont profité pour laisser entrer du bon air pur. Imaginez la sensation: de l’air à -20 degrés qui entre dans un petit stade couvert où courent une trentaine de personnes depuis plus d’une heure. Rafraîchissant, vous dites ?

Phénomène tout nouveau pour moi en compétition: ne pas savoir où j’en étais rendu. J’avais une petite idée, vu que je voyais assez bien ma cadence à chaque tour, mais comment en être certain ?  Il fallait tendre l’oreille quand la bénévole nommait le nombre de tours parcourus par chacun, mais encore là, pas facile de bien comprendre, l’acoustique de l’enceinte laissant à désirer. En plus, il ne semblait pas y avoir d’ordre particulier pour l’énumération du nombre de tours, alors…

Bref, autour du 22e kilomètre, j’ai pris un autre gel. Et j’ai eu un beau boost. Depuis un petit bout de temps, un gars que je dépassais régulièrement me félicitait et/ou m’encourageait à chaque fois que je passais. Mais à partir de là, il était presque admiratif, ça en était gênant. Du genre: “Régulier comme une horloge” ou “Wow, t’es une machine !” sans oublier le “Criss que t’es fort !” (pas certain pour le juron, par contre). Ça faisait plaisir à entendre, mais je me disais qu’il devait certainement avoir déjà vu des coureurs pas mal plus forts que moi… En tout cas, personnellement, j’en connais plusieurs ! (J’apprendrai plus tard qu’il fait partie de cette catégorie)

Peu de temps après, j’ai porté attention à la dame qui annonçait les tours complétés par chacun et j’ai entendu “Sur le 50 km, Frédéric, tu es parti sur un rythme rapide: déjà 125 tours !”. J’ai aussi entendu “Gilles Gervais, 127 tours”. Effectivement, le seul coureur plus rapide que moi m’avait dépassé 3 fois en tout et comme il était parti une minute après moi, qu’il ait parcouru 2 tours de plus, ça tombait sous le sens. En fait, je ne me préoccupais pas de lui, mais plutôt de conserver ma cadence, encore et encore. J’avais dépassé la mi-parcours, mes troubles intestinaux étaient chose du passé. Plusieurs personnes alternaient course et marche, prenaient des pauses aux tables de ravito. Moi je continuais, en mode métronome. Keep moving, comme ils disent. J’avais réussi à trouver une façon de faire qui me convenait, en buvant souvent, alternant eau (les gentils bénévoles remplissaient nos bouteilles à notre demande, vraiment efficaces) et GU Brew. J’accumulais les tours, encore et toujours.

Bien que ce n’était pas l’expérience la plus exaltante de ma vie, je me rendais compte que j’étais loin de m’ennuyer, bien au contraire. La musique était bonne (des reprises des années 80, en bonne partie), ambiance relaxe, tout le monde souriait, l’organisation se montrant très efficace. Vraiment, c’est le genre d’expérience à vivre au moins une fois dans sa vie.

Mais bon, une course longue distance étant une course longue distance, il a fallu que quelque chose se mette à clocher peu après qu’on ait annoncé que j’en étais rendu à 150 tours: mon estomac s’est mis à crier famine. Merde, vraiment pas le moment d’avoir faim… J’ai avalé mon en-cas pour ces moments-là: un gel au beurre d’arachides. Ça a semblé faire effet un peu, mais une dizaine de tours plus loin, même affaire. Double merde !  J’ai dû m’arrêter quelques secondes à “ma” table, question de m’emparer de mon ziploc contenant une Power Bar coupée en morceaux.

Un peu plus loin, mon estomac ne criait plus, mais ma cadence avait perdu quelques plumes. Moins que certaines personnes on dirait car, alors que je me disais que ça faisait un bout que je ne l’avais pas vu, j’ai aperçu le meneur du marathon… devant moi. Sa longue foulée toute en fluidité avait perdu de son efficacité et bien que j’en arrachais, je gagnais du terrain sur lui. Une fois rendu sur ses talons, je l’ai suivi un peu, mais après la moitié d’un tour, j’ai constaté qu’il allait définitivement trop lentement, alors j’ai passé.

Il avait ralenti d’au moins 5-6 secondes au tour, sinon plus. Mon esprit compétitif reprenant le dessus, cet épisode me redonna des ailes. De petites ailes, mais des ailes quand même. On annonça que j’étais rendu à 168 tours. Ok, presque 34 km de faits, plus qu’une sortie de semaine et c’était terminé. Une fois de plus, j’ai dépassé celui dont j’apprendrai plus tard qu’il s’appelle Denis (nous nous sommes jasé dans le vestiaire après la course, vraiment sympathique), il m’a lancé: “Ça a donc l’air facile !”, ce à quoi j’ai répondu: “Ça l’est de moins en moins !”. Son comportement en course était remarquable: il se tassait pour me laisser passer à chaque fois, me montrant le passage par l’intérieur. La grande classe.

DenisMichaud

Denis Michaud, un homme très sympathique. J’espère qu’on se reverra bientôt.

Puis arriva ce qui devait arriver: début de crampe à l’ischio droit. Merde, merde, merde !  Pas déjà…  Tout de suite, j’ai mis mon “plan de contingence” en oeuvre: petites enjambées, ralentir un peu et surtout, ma mantra de l’Ultimate XC de St-Donat: “Bois, bois, bois !”. On ne sait pas d’où viennent les crampes. Certains parlent de problèmes du côté des électrolytes et de l’hydratation, d’autres de fatigue musculaire. Si je ne pouvais rien faire pour la fatigue des muscles, j’allais au moins contrôler l’hydratation et les électrolytes. Je me suis donc mis à boire encore plus, alternant toujours eau et GU Brew.

Bien évidemment, les idées noires ont commencé à me traverser l’esprit. Allais-je être obligé d’abandonner ?  De quoi aurais-je l’air ?   Du gars qui a fait son show devant les autres pour ensuite se planter avant la fin ?  Non, ce n’était pas une option. Je me suis mis à penser aux grands ultramarathoniens qui disent avoir appris à apprivoiser la souffrance. J’ai essayé de me mettre dans cet état d’esprit, question de voir où ça me mènerait…

Puis, belle surprise: malgré mes problèmes, j’avais encore une fois le meneur du marathon en point de mire. Je me suis donc concentré sur lui. Je ne regardais plus vraiment ma cadence, y allant au feeling. Et je gagnais du terrain, lentement, mais sûrement. J’allais le dépasser quand il s’est arrêté à sa table quelques secondes. Voilà, nous étions dans le même tour.

Le 200e tour. 40 kilomètres, 80% du parcours derrière moi. J’écoutais où en étaient rendus les autres et beaucoup n’avaient pas encore parcouru 150 tours. Je n’en revenais pas. J’avais dépassé tant de monde aussi souvent ? Puis je me suis mis à penser que je pourrais demander aux organisateurs la permission d’arrêter au marathon et me faire “créditer” mon temps. Il ne me resterait plus que 11 tours au lieu de 50…

Je jonglais sérieusement avec cette idée. Très sérieusement. C’était quoi le but, 50 km ?  Personne ne court 50 km comme ça, sur le plat. Dans le bois, ok, mais ici ?  Non, je ne voyais pas le but. Un marathon, c’est un standard, mais 50 km ?  Ce n’est même pas un “vrai” ultramarathon… En plus, l’annonceuse s’est mise à dire que j’achevais. “Frédéric Giguère en est à son dernier tour !”. Mais j’ai résisté à la tentation d’appliquer les freins au 211e passage, me contentant de lancer “Je fais le 50 !” en passant près d’elle. J’ai aussi porté attention à mon temps: 3:14:30.

Hé, pas mal !  Je me disais que je valais 3h12-3h15 sur marathon présentement, alors moins de 3h15 comme temps de passage, c’était amplement satisfaisant. Maintenant, avais-je le jus pour poursuivre ?

Quelques secondes plus tard, on annonça que Gilles Gervais venait de gagner le marathon (temps de 3:14:13, n’oublions pas qu’il était parti 1 minutes après moi). L’aurais-je battu si j’avais fait “seulement” le marathon ?  On ne le saura jamais. En tout cas, probablement qu’on se serait relancés à quelques reprises durant la course…  Comme il faisait son retour au calme en marchant à l’intérieur de la piste, je suis passé près de lui et lui ai fait un signe “Thumb up” et un sourire. Il m’a répondu en m’envoyant la main et en souriant. J’aimerai toujours ce respect mutuel entre coureurs. On n’est pas là pour s’arracher la tête, juste pour dompter un parcours, une distance. Les coureurs sont plus des frères d’armes que des compétiteurs. En tout cas, c’est comme ça que je vois le tout.

Le reste de la course ne sera plus qu’un dur labeur. Après mon 211e tour, je me suis mis à les compter, pour rapidement ne plus savoir où j’en étais rendu. Les crampes se pointaient le nez de temps en temps, dont une qui m’a parcouru la jambe gauche au complet, de la fesse jusqu’au mollet. Mes rares coups d’oeil au chrono confirmaient ce que je savais déjà: j’avais ralenti. Maintenant, les tours se faisaient en 58, 59 secondes. Il m’arrivait de prendre une pleine minute. La machine est programmée pour tenir un rythme constant sur 42.2 km, pas 50. Denis m’encouragea en me disant que j’avais une avance insurmontable, que je pouvais ralentir. Mais je voulais terminer fort…

Après 3h30 de course, autre demi-tour. Dans ma tête, ce serait mon dernier. J’allais descendre sous les 4 heures, mais par combien ? 4, 5, 6 minutes ?  L’annonceuse nous tenait de plus en plus souvent au courant de nos progrès. 225 tours. 230 tours. Allez, 4 petits kilomètres, ça achève. 235 tours. Une éternité plus tard, 240 tours. 2 kilomètres. À partir de ce moment, je n’ai plus perdu le compte. Je ne savais pas si ça allait tenir, mais je savais que je terminerais. Et que je gagnerais. Moi, gagner une course… C’était dans mes rêves les plus fous, et encore…

245 tours. Ha, le fameux dernier kilomètre. Je courais maintenant dans les rues près de chez moi, il ne me restait plus que la rue des Écluses à parcourir, entre le fleuve et le boulevard St-Laurent. À la fin du 249e tour, j’ai demandé confirmation au passage et l’annonceuse l’a clamé au micro: “Frédéric Giguère, le gagnant du 50 km, est dans son dernier tour ! Et il va battre le record !”. Gagnant. Record. Moi ?!?

Dans le dernier virage, j’ai dépassé une dernière fois Denis. Il m’a tendu la main, m’a félicité chaleureusement. Ça m’a fait tout drôle. Je l’ai remercié, tout aussi chaleureusement. Je le soupçonne d’avoir ralenti pour m’attendre. À la sortie du virage, j’ai eu la vision de Bruce Jenner, terminant le 1500 mètres du décathlon des Jeux de Montréal. Non, je ne m’en souviens pas (j’avais 6 ans, quand même…), mais j’ai vu la photo des centaines de fois et j’ai toujours rêvé de le faire. C’était l’occasion, probablement la seule que j’allais avoir, alors je me suis fait plaisir. Prenant bien soin de me diriger vers l’extérieur de la piste, question de ne pas nuire aux autres participants (car j’allais m’arrêter immédiatement une fois l’arrivée franchie), j’ai traversé la ligne en brandissant les bras dans les airs, comme Jenner jadis.

BruceJenner

Montréal 1976: Bruce Jenner termine son décathlon

Je voulais marcher un peu, faire un tour ou deux dans le couloir extérieur de la piste, question de chasser un peu d’acide lactique de mes jambes (surtout mes quads !), mais j’ai vu que je nuirais quand même, alors je me suis dirigé vers l’intérieur. Les organisateurs sont tout de suite venus me voir, me félicitant avec beaucoup de vigueur. “Tu sais que tu as démolli le record ?  3h53, je ne serais même pas capable de faire ça sur un marathon !”. C’était quasiment trop. Je suis un coureur ordinaire qui s’est adonné à être le plus rapide ce jour-là, c’est tout. Joan et Seb auraient déjà fini de prendre leur douche s’ils étaient partis en même temps que moi…

J’étais tout de même extrêmement heureux quand on m’a remis le très beau petit trophée en bois avec “50km – Sherbrooke 2014 – #1” écrit dessus. J’aurais peut-être dû le montrer un petit peu plus pour la photo officielle, par contre. Que voulez-vous, un gars pas habitué aux honneurs…  🙂

FredMedaille

J’exhibe « fièrement » mon trophée ! 😉

Ultimate XC St-Donat: le Vietnam… et le reste

Hum, ça fait 5 heures que j’avance ?  Donc, mon amie Maryse doit être à la veille de prendre le départ. J’espère que ça ira bien pour elle qui en est à sa première expérience en trail. Dans son cas, je crains surtout la fameuse côte du centre de ski, car à ce que j’ai compris en jasant avec Seb Roulier hier, les sentiers des 11 derniers kilomètres sont relativement faciles (ce que je peux comprendre mal, des fois…). Allez Maryse, on s’envoie des ondes positives, on est ensemble, comme à Ottawa l’an passé !  🙂

En quittant la station, une descente nous attend. Boueuse ?  Bien sûr !  En chemin, on doit traverser des petits ruisseaux. Probablement qu’en temps normal, on peut les franchir en sautant légèrement par dessus, mais bon, on n’est pas en temps normal, alors je dois les traverser avec de l’eau jusqu’aux chevilles. Certains ont même de forts courants… En traversant ce que j’appellerais une rivière, une pancarte: « Bienvenue au Vietnam ». Ha, le voici, le fameux Vietnam. Voyons voir s’il est si pire que ça.

Un trou de boue me semble plus profond que les autres. Hum… pas moyen de le contourner, va falloir passer au travers. Je m’attends à caler jusqu’aux mollets. Erreur:  c’est jusqu’à la taille que je m’enfonce !  Ayoye !  Définitivement que ça n’avancera pas tellement vite au cours des prochaines minutes.

Je progresse donc, du mieux que je peux, dans la soue à cochons. Je continue à boire, le plus souvent possible. Jusqu’à ce que je constate que je commence à siphonner du vide. Plus de GU Brew, merde !  Erreur de débutant: j’ai carrément oublié de vérifier mon niveau de liquide à la dernière station. Mais comme je n’avais fait qu’une douzaine de kilomètres depuis le dernier remplissage, je ne m’en souciais pas vraiment. Sauf qu’à force de boire…

Moment de panique, puis je me calme. J’ai beaucoup bu au cours des deux dernières heures et cette section, bien que laborieuse, n’est longue que de 4 km. En plus, j’ai tout de même calé plusieurs verres à la dernière station, alors je devrais m’en remettre.

Comme j’arrive à la « vraie » rivière, un gars me rejoint (ça ne descendait pas tant que ça, mais c’était technique, alors…). Ho que ça a l’air profond !  Je laisse aller mon pied gauche et touche à… rien !  C’est tellement creux que ma jambe droite plie complètement, sauf que mon pied demeure coincé à une racine. Pas d’appui en bas, coincé en haut sur la rive. Et pour combler le tout, une merveilleuse crampe dans la cuisse et le mollet droits !

L’autre m’offre de l’aide, mais je réussis à me sortir de cette fâcheuse position seul pour me retrouver avec de l’eau jusqu’à la poitrine. La rivière n’est pas large, heureusement !  J’avance à tâtons, cherchant à poser les pieds sur les branches qui jonchent le fond, question de ne pas plonger plus creux, et finis par arriver de l’autre côté. Au bout du compte, ça nettoie son homme et l’eau n’était pas si froide, juste assez pour faire du bien.

Je me masse un peu, question de passer les crampes et laisse aller mon poursuivant. Le Vietnam n’est évidemment pas terminé. On doit maintenant traverser des marais, avec de l’eau passant de la mi-cuisse au nombril, dépendant où on réussit à poser les pieds. L’équilibre est toujours précaire, alors j’essaie de me retenir avec les petits arbres qui longent le « parcours ». Sauf que certains sont déracinés et ne tiennent plus…  J’ai presque l’équivalent d’un marathon dans les jambes et je dois me taper ça.  J’ai vraiment payé pour être ici, moi ?  😉

Mais que vois-je ?  Je ne peux m’empêcher de rire: l’organisation a installé un squelette en plastique portant le t-shirt de l’événement en plein milieu du marais !  Avouez qu’elle est vraiment bonne !

Je finis par sortir de l’eau, mais les petits rubans roses sont toujours installés au-dessus de cette dernière. Shit, devrait-on « théoriquement » toujours avancer dans l’eau ?  Heille, laissez faire !  J’avance donc, dans le semblant de sentier qui longe le ruisseau, en surveillant encore et toujours les rubans roses. Finalement, j’arrive à la traversée de la route 329. Marcher dans deux pieds d’eau qu’ils disaient… Je suis très heureux d’apprendre que mes jambes ne font que deux pieds de long !  Parce que l’eau, elle est jusqu’à ma taille. Et le courant, il est assez fort merci.

Je finis par enfin sortir de l’eau pour emprunter la montée boueuse (duh !!!) qui m’amènera à la station Chemin Wall (km 40.2). Dans la montée, un bénévole avec des jumelles nous regarde arriver et crie les numéros aux autres postés à la station, un peu plus haut. Quand j’arrive sur place, mon drop bag m’attend, devant une chaise. Wow, ça c’est du service !

La bénévole est très, très dévouée. Elle m’offre de m’amener de l’eau pour me rincer les pieds, mais j’hésite: je ne sais pas si je vais changer mes souliers. Ceux que je porte sont complètement détrempés et remplis de boue, d’accord, mais est-ce que ça vaut vraiment la peine si on retrouve autant de boue par après ?  Elle me répond que tous les coureurs qui ont changé leurs souliers ont dit que c’était un pur bonheur. Bon, ok, j’accepte son offre. J’enlève mes souliers et mes bas. Ce que je découvre n’est pas tellement joli. D’accord, mes pieds ne sont pas tellement beaux d’avance, mais le 4e orteil du pied droit est complètement rouge. J’appuie dessus: ouch !  C’est dur et douloureux cette affaire-là !  On dirait qu’il y a une grosse ampoule à l’intérieur, je n’ai jamais vu ça. Bah, tant pis, si ça tient jusqu’à l’arrivée, on verra bien par après.

Tant qu’à faire, aussi bien tout changer: bas (évidemment !), t-shirt, casquette. Ok, je vais garder mes shorts, quand même… Je jette un oeil à la fille à côté de moi et lui demande: « On ne s’est pas vus, tantôt ? ».  Non non, je ne la cruise pas (de toute façon avec l’air que j’ai…). Ben oui, nono, elle fait le 38 km, alors elle a pris un raccourci, ça fait qu’on se retrouve.

Retour à la bénévole, qui m’offre d’aller à nouveau chercher de l’eau pour me rincer les pieds si j’en ai encore besoin, me demande si je désire autre chose. C’est fou à quel point ces gens-là sont serviables. Avez-vous un psychiatre de disponible ?  C’est que je commence à me questionner sur mon état mental… Je la remercie et lui glisse que plusieurs personnes risquent de manquer le cutoff . Ça fait maintenant 6 heures que je suis parti (ouais, presque une heure pour faire 4 km !), il ne reste donc qu’une heure avant la coupure qui se fait ici. Je sais que je suis loin d’être le dernier et demande des nouvelles des premiers, question de me jauger. Selon eux, les tops sont passés il y a seulement une heure et je serais autour de la 15e position.

15e, ha oui ?  De quoi me donner un petit boost. Finalement, le top 10%, c’est peut-être possible, surtout si ça devient plus roulant… Je mange et bois un peu, n’oublie pas de remplir mon réservoir (encore une fois des problèmes avec la petite poudre !) et entame la partie à-peu-près-post-marathon de la course, me sentant presque propre comme un sou neuf.

Ça ne me prend vraiment pas beaucoup de temps avant de me rendre compte que changer mes souliers a été une erreur. Car moins d’une minute après m’être engagé dans la trail, mes pieds sont à nouveau mouillés et la boue reprend progressivement ses droits. De plus, cette paire-là est vraiment usée, au point qu’il n’y a pour ainsi dire plus de crampons sur la partie avant des semelles. Pas l’équipement idéal pour remonter le véritable ruisseau qui coule dans la côte que nous devons grimper.

Suite à la descente je tombe sur deux filles du 38 km carrément arrêtées à une intersection, la face en point d’interrogation. De quessé ?  Elles sont perplexes: elles ne savent pas si elles doivent aller à gauche ou à droite, vu qu’il y a des rubans roses de chaque côté. Avec mon esprit de déduction hors norme, je dis qu’on doit aller à gauche, vu qu’il y a une flèche nous indiquant d’aller dans cette direction.  Et me voilà parti aussitôt.

Peu de temps après, j’arrive à la station Lac Lemieux (km 44). C’était donc le bon chemin. 🙂  On me demande tout de suite si je sais où est la première femme du 58 km. Ils en ont vu du 38, mais pas du 58. Je leur annonce que leur attente tire à sa fin: elle est probablement à 5 minutes derrière moi, 10 tout au plus.

Plus loin, après un peu de boue, je crois voir un mirage: un chemin de terre praticable !  Enfin, on peut avancer !  J’enclenche donc une vitesse supérieure et finis par rejoindre un autre gars. Je lui glisse au passage: « Ça va bien, hein ? », ce à quoi il me répond: « C’est bien d’enfiler les kilomètres ». Effectivement !  C’est le bonheur, enfin je suis dans mon élément: une surface comme à St-Bruno. 🙂

Et question de me motiver encore plus, la station lac Bouillon (km 47) approche. Je sais que mes parents m’y attendront avec du GU Brew tout prêt. Mais j’ai surtout hâte de les voir. J’adore voir mon monde durant une course, c’est fou à quel point c’est motivant.

Après avoir traversé un chantier de construction inoccupé, je les aperçois, bien installés avant la station. Je m’arrête, embrasse ma mère, échange une poignée de main avec mon père. Une mère, ça s’inquiète toujours, alors la mienne me demande si ça va. Je leur dis que « c’est de la cr… de m… ! « , leur parle de mes crampes et de mon orteil « d’une couleur bizarre ». Elle me suggère de faire voir ça par un aide médical, je réponds que je n’ai pas le temps. On remplit mon réservoir, pose pour la photo (finalement, le cell de mon père n’a pas fonctionné, God knows why) et je repars… en prenant soin de mon tromper de chemin en quittant la station. Heureusement qu’il y avait quelqu’un pour m’aiguiller vers le bon endroit, sinon…

Je vois la pancarte du départ du 11 km. J’ai une petite pensée pour Maryse: est-ce que ça a bien été ?  Comment s’est déroulée sa course ?  Et la côte ?  Au moins, je me dis qu’elle n’aura pas vécu la foutue bouette comme moi (ce que je peux être dans le champ, des fois)…

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Mon amie Maryse à l’arrivée. Elle m’a dit qu’elle avait trouvé ça très très dur, mais son beau sourire semble indiquer qu’elle n’a pas totalement détesté…

Je reprends un concurrent du 38 km, puis le laisse dans mon sillage aussitôt. Ça va vraiment bien mes affaires. J’arrive au pied de la montagne. Sur une enseigne: « Côte de l’enfer ». Amenez-la, votre côte !  Dans l’infolettre, l’organisation nous avertissait qu’elle prenait entre 15 et 45 minutes à gravir. Je regarde mon chrono en entamant l’ascension.

Elle est boueuse, mais on a vu pas mal pire. Toutefois, la pente est vraiment, vraiment raide. Il est même parfois difficile d’avancer sans prendre appui sur les mains. Ce que je suis content de ne pas la faire en descendant (quand je pense à Sophie et Jocelyn qui se sont tapés ça…) !  Je rejoins des concurrentes du 38 km et les perds de vue rapidement. Je continue, à un bon rythme. Le souffle est un peu court, mais ça va. Puis j’arrive au bout. C’était ça votre côte de moumoune ?

Heu non, c’est seulement un virage. À ma gauche, une autre face de cochon se présente à moi. OK… Allez, on monte encore !  Mes quads font leur travail. Les jambes font un peu mal, mais c’est très tolérable. Arrive le sommet. Est-ce vraiment le sommet ?  Il y a un indice qui ne trompe pas: les télésièges arrêtent ici, alors la montagne ne peut pas tellement monter plus haut, n’est-ce pas ?

Coup d’oeil au chrono: ça m’a pris 13 minutes. Non !?!  Plus vite que le « minimum » prévu ?   L’élite doit faire ça en moins de 10 minutes, je ne peux pas croire…

Je suis les petits rubans jusqu’à l’entrée du bois où une merveilleuse surprise m’attend: de la cr… de bouette !  Ok, pas de panique, c’est juste une petite section. Erreur. La descente de la montagne commence par un single track très étroit, à flanc de montagne. Je dois avancer les pieds penchés sur le côté, les chevilles sont sollicitées au possible. C’est extrêmement pénible. Devant moi, un gars du 38 km et je n’arrive pas à le rattraper. À un moment donné, c’est carrément un précipice qu’il y a sur ma gauche et pas moyen de prendre appui solidement. C’est débile, cette affaire-là !

Puis, c’est la descente, la vraie. Aussi abrupte que la montée de tout à l’heure, avec de la boue en bonus. Je dois me tenir aux arbres pour ne pas dégringoler, arrêter à tout bout de champ pour essayer de trouver une trajectoire le moindrement potable. Et la plupart du temps, je ne trouve rien. Un gars me rejoint, j’essaie de passer aux mêmes endroits que lui, mais il va trop vite et je finis par le perdre de vue. Maudite descente à la m… !!!

Après une éternité, j’atteins la station Ravary (km 52.5), un autre coureur sur mes talons. Un bénévole nous lance: « 20e et 21e » !  Quoi ?  J’ai perdu 5 places depuis le chemin Wall ?  J’aurais plutôt dit que j’étais « kif-kif », moi (j’ai dépassé pas mal de monde dans la partie roulante)… Je m’informe des premiers: toujours une heure devant. Je commence à douter de cette info, mais bon, je me dis que dans le pire, c’est 1h30.

Moi qui pensais tomber sur du roulant vers la fin, la suite mettra mon moral à dure épreuve. Roche, boue molle et profonde, un véritable calvaire. Je m’accroche aux arbres pour ne pas tomber, j’avance plus lentement qu’une tortue. Je tombe à quelques reprises, invoquant tous les saints de l’église au passage. Je suis officiellement en tab…, je me jure qu’ils ne me reverront plus ici.

Et j’ai une pensée pour Maryse, qui s’est tapée ça comme première course en trail, la pauvre. Dans le genre baptême de feu, c’est difficile de trouver mieux. Ou pire, c’est selon. J’essaie (je dis bien: j’essaie) de me consoler en me disant que les sentiers étaient peut-être dans un meilleur état quand elle est passée. Car nous, les débiles du 58 km, passons après tout le monde.

Un autre coureur arrive derrière. Comment ça se fait que les autres sont si habiles dans la boue et pas moi ?  Je le laisse passer et poursuis en silence. Finalement, je sors de la foutue boue. Un jeune garçon m’avertit que la prochaine station (329, km 54.5) est proche. C’est la dernière, je me permets un bon Coke en plus de l’eau. Quand je dis à la jeune bénévole que ça fait plus de 8 heures que je suis parti, elle passe proche de tomber dans les pommes: elle n’en revient pas qu’on puisse « courir » tout ce temps. Hé oui…

Ha, enfin, le parcours de cross !  C’est roulant, quel bonheur !  Et pour nous encourager, les distances sont maintenant marquées à tous les 500 mètres. Je cours à ce qui me semble être une très vive allure (alors qu’en fait, je vais à peine à 5:00/km !). Devant moi, le dernier qui m’a repris dans la section boueuse. Lentement, mais sûrement, je gagne du terrain sur lui. Arrivé tout près, je songe à lui jaser un peu et lui offrir de terminer ensemble. Puis je me ravise: il ne m’a pas dit un traitre mot d’encouragement tantôt, alors que j’en arrachais, qu’il aille se faire voir. C’est mon derrière qu’il aura dans son champ de vision.

Je le dépasse donc sans laisser sortir le moindre son de ma bouche. Tiens toé !  Je passe les petites pancartes, une à une. La fin est proche !  Dans les 500 derniers mètres, on sent l’effervescence. Il commence à y avoir des spectateurs, chaque personne que je croise lance des encouragements. Mes chevilles font mal, je crains des troubles au niveau des tendons, comme j’en ai déjà eu, mais ça me passe 100 pieds par-dessus la tête: rien ne va m’arrêter !

Petit bonjour au photographe en passant, et finalement, dernière petite descente et je vois l’arrivée. Sur ma droite, ils sont là: mes parents, ma soeur, une de ses amies et Maryse, ce qui m’étonne, vu qu’ils ne se connaissent pas (Barbara n’a pas pu venir, les entités canines zoothérapeutiques comme notre Charlotte étant pour ainsi dire canina non grata au nord de St-Jérôme)… Je donne des high five à tout le monde. On m’annonce au micro: 24e place du 58 km !  Quoi, 24e ?!?  Bah, on s’en fout…

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Un petit bonjour au photographe

Aussitôt la ligne d’arrivée franchie, on m’enlève ma puce électronique (comment elle a fait pour tenir à ma cheville dans cette schnoutte, je l’ignore), me félicite, me donne ma médaille. J’ai à peine le temps de sortir de l’aire d’arrivée que Maryse apparait devant moi. Elle s’est téléportée ou quoi ? On se donne la grosse accolade de coureurs, se félicite mutuellement. Puis ma famille arrive. Autres accolades (mais pas trop, je suis tellement dégueux), autres félicitations. Je suis vraiment chanceux d’avoir tout ce beau monde autour de moi…

Deux ultras derrière la ceinture. Prochaine étape: l’Ultra-trail Harricana, le 7 septembre. J’ai déjà hâte.

En terminant, je vous suggère fortement de visionner ce petit bijou  qui a fait le tour de la petite communauté. Gracieuseté de Michel Caron, un ultrarunner de Sherbrooke. Ça donne une excellente idée de ce par quoi nous sommes passés !  🙂

Ultimate XC: avant le Vietnam

Tel que mon compagnon dans l’autobus me l’avait dit, la course commence en single track ou à peu près. Ce n’est pas l’idéal avec le troupeau au départ, mais 58 km, c’est long, alors pas de quoi s’énerver.

Déjà, la boue commence à faire son apparition. De grandes flaques, parfois remplies d’eau, parfois tout simplement… de la boue. Merde, ça s’annonce mal pour la suite. Si c’est comme ça tout le long, on risque d’avoir bien du plaisir… Plusieurs, dont moi, hésitent, essaient de trouver une trajectoire leur permettant de garder les pieds au sec. Une fille se met à chiâler: « On va se les mouiller de toute façon ! ». Bon point, mais c’est dit sur un ton qui vient me chercher. Je ne sais pas pourquoi, mais sur le moment, je lui souhaite de s’étendre à plat ventre dans la prochaine mare, question de me faire plaisir un peu.

Bon, du calme, ça ne donne rien de se fâcher si tôt. Tel que prévu, je fais les premiers hectomètres derrière Pat et Rachel Paquette, une fille de Victo que je sais très forte. Sauf que dès qu’on frappe la première montée (qui arrive assez rapidement merci), je décide de passer. Le peloton commence vraiment à s’étirer et j’en profite pour dépasser pas mal de monde. Ha, l’avantage d’être bâti sur un frame de chat…

Suit ensuite la première vraie montée. Elle est longue celle-là, trèèèèès longue. Je continue à dépasser du monde, puis je me mets à les distancer, au point de me retrouver fin seul, comme à l’entrainement. Wow, je me demande bien où je suis rendu dans les positions… Mais c’est évidemment beaucoup trop tôt pour penser à ça. Je poursuis mon ascension, dans la boue et les roches.

Arrive la descente: infernale. Ça descend comme dans la face d’un cochon, au point où je dois parfois m’asseoir pour passer d’une roche à une autre. Les fougères cachent les obstacles, rendant le tout encore plus périlleux. J’avance tellement lentement que je finis évidemment par me faire rattraper. Merde, ce que je donnerais pour être moins peureux !

Dans la transition nous amenant à la Montagne Grise, la boue reprend de plus belle. Et quand ce n’est pas la boue, ce sont les roches qui rendent ma progression laborieuse. Je ne compte déjà plus les fois où je me suis enfargé. Arrive (enfin) la montée de ladite Montagne Grise. J’avance à un relativement bon rythme, au point de réussir à recoller ceux qui m’avaient dépassé dans la descente. l’un d’eux me fait signe de passer, mais connaissant mes talents de descendeur, je décide de demeurer derrière.

Bien m’en fait: dans la descente, presque aussi folle que la précédente, je perds rapidement de vue mes compagnons. Et sans surprise, je me fais encore rejoindre par d’autres. Comme je me fais shifter, je glisse au gars: « Je suis tellement pourri dans les descentes ! », ce à quoi il répond: « L’important, c’est arriver vivant… ». Ouais, sage réflexion, le jeune. Je ne suis tout de même pas pour me tuer ici, hein ?

J’arrive à la station Nordet (10.5 km). Ça semble être un refuge pour les randonneurs ou quelque chose du genre. Je joue au gars habitué: j’avale 2-3 morceaux de bananes, cale deux verres d’eau  en vitesse et repars en lançant: « on se revoit à la prochaine descente ! » aux deux qui venaient de me dépasser et semblaient vouloir prendre leur temps à la station.

Hé, j’en ai oublié mon malaise à la jambe droite !  Je m’étais dit qu’après 10 km, je serais fixé. Bonne nouvelle: tout est parfait de ce côté.

Nouvelle section de boue. Je sens un gars qui me suit, on progresse à la même vitesse. Puis dans une descente, il arrive ce qui est rapidement devenu une habitude: il passe devant moi. S’ensuit un bout plus vallonné et miracle, c’est sec !  Je suis mon partenaire à distance, quand il applique les freins, se retourne et me dit: « Je pense qu’on a passé tout droit ! ». Shit, j’ai fait exactement ce que le directeur de course avait dit de ne pas faire: suivre l’autre. On regarde tout autour, pas le moindre ruban rose. Double shit !  Nous rebroussons chemin et j’aperçois assez rapidement où nous avons manqué le virage. Deux coureurs arrivent sur les entre-faits et nous les avertissons: ils s’apprêtaient à faire la même erreur. C’est donc à quatre que nous poursuivrons notre chemin.

Ok, pas trop de dommages, on a vu à temps. Je discute bouette avec les autres à mesure que nous avançons. Elle est vraiment omniprésente, au point de nous empêcher de courir les sections qui devraient être roulantes. Les deux de devant semblent habitués et ont décidé d’y aller « conservateur » en partant. Je demeure donc avec eux, même en montée, question de me ménager un peu moi aussi.

Comme la station suivante (l’Appel, km 17) est située sur les bords d’un lac, après une descente, j’arrive un peu après eux. Mais ce n’est vraiment pas grave. Une surprise nous attend toutefois: les bénévoles assignés à la station sont couverts des pieds à la tête pour se protéger des insectes. Ils portent même le « full face ». Il y a des bibittes, ha oui ?

Pendant que je porte une certaine attention à la table des victuailles (il n’y a pas de patates, juste des chips, bout de v… !), lesdites bibittes se font un devoir de me rappeler qu’en effet, elles sont bien présentes. Sales bestioles !  Dans le genre motivation pour ne pas niaiser sur place… J’avale donc encore des bananes et de l’eau, puis c’est un nouveau départ.

Avant de quitter la station, je demande aux bénévoles s’il y a moins de boue devant. Un coureur qui me précède me dit de m’attendre à pire. Et vlan dans les dents pour le moral !

À la sortie de la station, une pancarte nous dit qu’il nous reste 41 petits kilomètres à faire. Ça fait presque deux heures et demi que nous sommes partis et il reste encore un marathon à faire dans cette schnoutte ?  Ho la la…

Je ne sais pas si j’ai fait 50 pas quand je me retrouve dans le lac de l’Appel, de l’eau jusqu’aux mollets. Le gars derrière moi me dit que l’an passé, on pouvait presque passer à sec. Ça va être beau dans le Vietnam tantôt. Arrive ensuite quoi ? De la boue. L’autre avait raison: c’est encore pire que tantôt. Tout ce qui me vient en tête, c’est l’annonce de KIA d’il y a plusieurs années: « Welcome to the swamp !  Ha hiiiiiii! ». Je ris tout seul, ne cessant de me répéter « Ha hiiiii !!! ». Ça y est, je viens de perdre la raison…

Comme c’est une partie descendante, je me retrouve encore seul. Dans la boue. Ha hiiii !!!  Puis arrive la montée de la Montagne Noire. Rapidement, j’entends des voix devant moi. Ho yeah, des gens à rattraper !  Je monte à rythme constant et me rends compte que c’est une femme qui est devant moi: c’est une concurrente du 38 km. Déception. Je poursuis mon chemin, à l’affût des autres voix, devant. Deux autres concurrentes du 38 km. Je les double et continue à monter, pour finalement arriver dans le derrière d’un gars du 58 km (enfin) qui avance avec deux filles du 38 km. Ils semblent avoir beaucoup de plaisir, alors je demeure avec eux. Je pourrais bien demander le passage, mais je préfère relaxer un peu.

On échange des blagues, genre « Quelqu’un fait le 5 km cross-country avec moi l’an prochain ? » ou « Vous connaissez un bon psy ? ». Une coureuse parle du fait que nous sommes des « coureurs des boues ». Bref, l’atmosphère est plutôt détendue.

Finalement, j’aurais peut-être dû passer… Je finis par le faire peu de temps avant le sommet, puis arrive à la station d’aide bien nommée (Montagne Noire, km 24.4), le point le plus haut du parcours. La vue doit être magnifique… quand il fait beau. Mais pas trop le temps pour ça. J’enlève ma veste d’hydratation pour vérifier le niveau de GU Brew qu’il me reste. J’ai bien fait: c’est presque vide. Je demande alors l’aide d’un bénévole pour l’emplir d’eau, ce qu’il fait de bonne grâce (ils sont extrêmement gentils et serviables, ça en est gênant). Arrive maintenant le moment fatidique: je dois transvider la poudre que je traine avec moi dans le réservoir pour faire mon super-mélange. Sauf que la foutue poudre est dans un petit pot de pilules. Vous savez, les petits pots à l’épreuve des enfants… Mes deux mains étant déjà pas mal occupées à tenir le réservoir à la verticale, disons qu’enligner les petites flèches en même temps, ça tient de l’exploit. Ma femme fait de l’arthrite et nous n’avons pas d’enfant, il n’y aurait pas moyen d’avoir des petits pots faciles à ouvrir ?!?

Je dois donc encore quémander de l’aide, mais il y a d’autres coureurs… Et pendant que j’essaie de me débrouiller, Rachel et deux autres compétiteurs arrivent à la station. Finalement, le bénévole se libère à nouveau et vient me sauver. Je vois alors les autres repartir. Merde, je suis maintenant derrière la première femme…

Une femme du 38 km arrive et annonce aux bénévoles que sa journée est terminée. Elle est souffrante (sa voix indique un bon mal de gorge) et espérait que peut-être… Mais non, ça ne fonctionne pas, alors elle abandonne. Je l’envierais presque… si ce n’était du fait qu’elle doit demeurer sur place, exposée aux bibittes, jusqu’à ce que les derniers soient passés.

Bon, retour à mes affaires, ce n’est pas le moment de se laisser aller. Une fois l’opération remplissage terminée, je remercie le bon samaritain, prends une gorgée d’eau et me voilà reparti. Le groupe n’est pas tellement loin devant, je devrais être en mesure de les rejoindre.

Dès les premières enjambées de cette nouvelle section, encore de la boue. Épaisse, profonde, impossible à éviter. Je n’entends plus les voix du groupe devant, mon moral commence à descendre. Puis, en extirpant pour la xième fois mon pied de la boue, crampe dans l’ischio gauche. Pas foudroyante, mais assez pour faire mal. Cramper à 33 km de l’arrivée, il ne manquait plus que ça !  Merde, merde, merde !!!

Je m’arrête (déjà que je n’avançais pas vraiment de toute façon) et me masse la cuisse, question de faire passer le tout. Mon cerveau tourne à toute vitesse: qu’ai-je fait ou plutôt que n’ai-je pas fait ?  Première évidence: dans mon empressement, j’ai carrément oublié de prendre des bananes à la dernière station. Il est possible que mon niveau en électrolytes soit bas et ça n’a certainement pas aidé. Et deuxièmement, je n’ai pas encore uriné depuis le départ, donc mon hydratation n’est pas à point non plus.

Que faire ?  J’envisage de retourner à la station pour prendre des bananes, puis rejette l’idée. Me reste une chose: boire mon GU Brew, qui est à la fois source d’eau et d’électrolytes. À partir de maintenant, je ne cesserai de me répéter: « Bois, bois, bois, bois… ». J’avale un gel expresso full caféine et espère pour le mieux.

Je poursuis lentement du mieux que je peux en prenant soin de faire des petits pas et de protéger ma jambe gauche. Et je bois. Ça semble fonctionner un peu.  Arrive l’intersection Lac Lézard, l’endroit où les parcours du 38 et du 58 km se séparent temporairement. Un bénévole y est posté, question de nous diriger vers le bon chemin. Je fais mine de prendre le 38 km, question de couper court et je ne sais pas si c’est par gentillesse, mais il semble trouver ça drôle.

Après quelques répliques côté crampes, je sens les sensations revenir peu à peu. Aussi, je suis dans une section un petit peu plus roulante: il y a moins de boue et les dénivelés sont somme toute acceptables.

Puis un miracle se produit: j’aperçois Rachel et ses compagnons au loin. YES !!!  En peu de temps, je suis sur eux. Je les suis un petit bout, puis elle me dit que je peux passer, ce à quoi je réponds: « Je ne dépasserai certainement pas une fille de Victo ! ». Sa réponse: « Hein, comment ça se fait que tu sais ça ?!? ».

Commence alors la conversation. Je me présente, lui apprends que j’ai été élevé à deux rues de chez elle (mais à quelques années de différence), que c’est par ma mère que j’ai appris qu’une fille de mon patelin natal faisait des ultras, etc. C’est fou à quel point on peut jaser quand on passe des heures dans le bois comme ça. Ce n’est pas dans un 10 km sur route qu’on pourrait faire de même !

Au bout d’un certain temps, je remarque une chose: je suis légèrement plus rapide qu’eux. Probablement à cause du fait que nous sommes dans une partie moins technique et moi le gars qui court sur route… En tout cas, je finis par passer. Tout juste avant, nous croisons des randonneurs, un couple dans la cinquantaine. Faire de la randonnée dans de telles conditions, faut le faire !  Finalement, pas certain que c’est moi qui ai besoin d’un psy…

Les crampes semblent être chose du passé, la bonne affaire. Tout juste avant d’arriver à la station Inter-Centre (km 36.3), une montée. Une belle « petite », qui me rappelle beaucoup celle de l’antenne de télécommunication du mont St-Bruno que je me suis tapée si souvent. Je vois quelqu’un qui me précède, j’espère bien le reprendre, mais finalement, la côte n’est pas assez longue et nous arrivons à la station presque en même temps.

Sur place, un coureur est bien installé sur une chaise. Il n’a vraiment pas l’air pressé de repartir. Coup d’oeil à la bouffe offerte: à peu près rien. Chips, bananes, bretzels. Je demande s’il n’y aurait pas des patates à un moment donné, le bénévole me répond qu’il n’y en a pas cette année. Bon, va falloir faire avec… Je prends ce que je peux, avale 2-3 verres d’eau, autant de Gatorade. Coup d’oeil au chrono: un peu plus de 5 heures depuis le départ, il est donc midi.

À la sortie de la station, une pancarte nous indique qu’il nous reste 21.7 km à faire. Bah, la distance d’un demi-marathon, piece of cake. 1h30 et c’est fini !  😉  Il semblerait que je ne suis pas le premier à la sortir, celle-là… Sans blague, je crois que les 8 heures sont encore possibles, malgré les conditions.

Devant moi, en bas de la côte, le fameux Vietnam. À nous deux !