2014, mieux que 2012 ?

Une autre année qui s’achève. La tradition étant maintenant bien établie, je vous offre aujourd’hui chers lecteurs une petite rétrospective de mon année de course à pied. Avec mes bons et mes moins bons coups.

Tourner en rond – La dernière fois que j’en ai parlé, c’était lors d’une conférence donnée par Joan. Il présentait l’ultramarathon sous toutes ses formes et parmi celles-ci, il y avait la version consistant à courir 50 kilomètres sur une piste. La première réaction des gens quand ils prennent connaissance de telles épreuves se résume généralement à un gros « Ouach ! » ou un « Beurk ! » de dégoût.

Et pourtant, je dois avouer que je n’ai pas détesté l’expérience. Ça a quelque chose de rassurant, courir sur une piste. Les toilettes sont toujours proches, les ravitaillements aussi. Et en hiver, ce n’est pas trop déplaisant de courir sans spinner. Je ne sais pas si je vais récidiver, mais je ne ferme certainement pas la porte.

La victoire – Dès le premier des 500 virages à effectuer durant la course, j’étais seul en tête. Pendant près de 4 heures, je me suis demandé si j’allais tenir le coup, s’il y avait un coureur qui me suivait et attendait que je faiblisse pour m’achever. Comment aurais-je pu savoir que Denis, celui qui m’encourageait à chaque fois que je le dépassais, était mon plus proche poursuivant ?

Puis, dans le dernier tour, on a prononcé les mots magiques: « vainqueur » et « record ». Ça m’a fait vraiment bizarre. On n’était évidemment pas en présence du contingent de coureurs du Marathon de Boston, mais j’ai tout de même savouré cette grande première.

Quant au record, il a tenu le coup lors de l’édition montréalaise des Marathons intérieurs JOGX et il ne sera pas en danger en 2015 pour la simple et bonne raison qu’on n’y tiendra pas d’épreuve de 50 km.

L’attente –  Hopkinton, le lundi 21 avril. Après New York quelques mois plus tôt, je me retrouve encore à attendre le départ d’un grand marathon en gelant comme un creton. Ça durera des heures. À ce moment précis, je me dis « Plus jamais ».

L’émotion – Quand les Japonais tout près ont fini par finir de jacasser, un silence complet s’est installé dans la grande cour de l’école secondaire où tous les coureurs étaient réunis. Les images de l’horreur qui avait secoué Boston et le monde entier me sont revenues en tête. Si j’étais là, c’était pour les victimes, pour montrer à tous les illuminés que cette terre peut porter que jamais, au grand jamais, ils ne me feront reculer.

Je ne sais pas si c’était la rage ou la tristesse, mais j’ai senti une vive émotion monter en moi. Et ai laissé échapper quelques sanglots.

Le parcours – Pourtant je le savais. Ce parcours-là tend un piège au coureur pour le bouffer tout rond par la suite. Je ne cessais de me répéter de prendre ça cool, de relaxer, de demeurer « en dedans ».

Rien à faire. Après avoir eu l’illusion que je pourrais être dans un grand jour (du con !), les premières crampes ont fait leur apparition avant même d’arriver à Newton, au 26e kilomètre. Heureusement, fort d’une expérience acquise à la dure (c’est le moins que l’on puisse dire !), j’ai réussi à gérer ma fin de course relativement convenablement et à terminer avec mon 3e meilleur temps en « carrière ».

Je me demande si un jour, je réussirai à traverser la petite banlieue de Brookline sans souffrir le martyr… Pour ça, va falloir que je refasse la course, ce dont je ne suis pas certain d’avoir envie.

Lapin-accompagnateurMarathon d’Ottawa. Pour la première fois, j’allais accompagner quelqu’un pour un marathon. J’avais bien peur de ne pas être à la hauteur. En effet, que faire et quand le faire ?  Encourager « positivement » ou « botter le derrière » ?  Et si Maggie frappait le mur ?

Disons que j’ai beaucoup appris ce jour-là. Des détails, mais qui peuvent faire toute une différence. Par exemple, les côtes sont beaucoup plus difficiles pour les coureurs moins rapides, car ils n’ont pas le même momentum à la base. Ils doivent donc travailler plus fort durant la montée qui semble alors plus longue pour eux. Aussi, prévoir que les ravitos pourraient être moins bien garnis et surtout, trainer de l’argent la prochaine fois. Quand Maggie a constaté que des Mr Freeze (il faisait chaud) avaient été distribués et qu’il n’en restait plus pour nous, j’ai senti son moral en prendre un coup. Si j’avais pu faire un arrêt au dépanneur à ce moment-là…

Lapin-accompagnateur (bis) – Sylvain, le coureur le plus rapide que j’ai eu l’occasion d’accompagner, faisait sa première incursion dans le monde du demi-marathon (en fait, le Tour du Lac Brome fait 20 kilomètres, mais bon…). J’ai eu l’occasion de me reprendre un peu, m’amusant à déconner avec mon ami, question de lui changer les idées durant l’épreuve.

La prochaine fois, ce sera pour la grande course. Il est prêt, ne reste plus qu’à le convaincre. Je crois même qu’il a le potentiel pour faire Boston dès sa première tentative.

Le feu – Ils étaient (presque) tous bien installés autour quand nous sommes arrivés. Les participants de la course de 120 km de l’Ultimate XC de St-Donat avaient trouvé la nuit particulièrement difficile. Pas tellement encourageant de voir des coureurs de ce calibre avoir le moral dans les talons après avoir complété (en sens inverse) le parcours qui nous attendait. Parmi les sept, seulement deux se joindraient à nous pour les 60 kilomètres restant.

Question de nous enlever le peu de confiance en nous qui nous restait, Joan s’est permis d’ajouter: « Vous allez vous amuser ! ». Moi qui avais trouvé l’épreuve particulièrement pénible 12 mois auparavant…

Les crampes (bis) – Je devrais plutôt dire LA crampe, soit celle qui semblait contracter tous les muscles de mon corps suite à une chute à quelques kilomètres du village de St-Donat. L’espace d’un instant, j’ai cru que jamais je ne me relèverais.

Le sourire – Celui de Luc quand il m’a aidé à me relever. Celui de Luc encore quelques minutes plus tard quand il m’a dit « Allez, on finit ça ensemble ! ». Et celui qu’on avait tous les deux quand on a traversé la ligne d’arrivée, main dans la main. C’est ce que j’aime par-dessus tout de la course en sentiers: on passe des heures et des heures sur le parcours et pourtant, on termine à égalité, la position n’ayant que finalement pas tellement d’importance (nous avons tout de même terminé en 14e place).

Le coup de pied – Celui de Pat. Donné sur le bout pied au sens propre, mais au derrière au sens figuré. En 2-3 phrases, il m’a convaincu que j’étais prêt pour un 100 miles. Il avait crissement raison.

L’imagination – Quelques jours après St-Donat, le travail m’a amené à effectuer un premier de très (trop ?) nombreux déplacements en Abitibi. Les longues heures, la fatigue accumulée, un nouvel environnement, plusieurs obstacles se sont dressés pour m’empêcher de vivre ma passion.

J’ai dû faire preuve d’imagination, mais j’ai trouvé à la fois le temps et les endroits pour courir. J’ai même pu parcourir à fond la caisse des sentiers de quads qui étaient ma foi fort praticables et très agréables.

Un collègue (beaucoup plus jeune que moi) m’a demandé où je trouvais l’énergie pour aller courir après des journées comme on se tapait au boulot. Honnêtement, j’aurais trouvé infiniment plus difficile d’aller m’enfermer dans ma chambre d’hôtel…

La bibitte rare – Dans un monde où les engins à moteur sont pratiquement élevés au niveau des dieux (j’exagère à peine), la perception qu’ont les gens d’un gars maigrichon qui court beau temps mauvais temps, pluie ou neige, varie à l’intérieur de la fourchette allant de l’extra-terrestre à la nuisance publique.

Mes collègues de la place, à force me côtoyer, ont semble-t-il adopté le terme « bibitte rare » pour me décrire. Un être humain en apparence tout à fait normal, mais bon, le soir, il court. Que voulez-vous, personne n’est parfait…

Mais on dirait que ce n’est pas toute la population locale qui ait aussi bien assimilé la présence d’oiseaux rares. En effet, pour la première fois depuis des années, j’ai entendu a un cabochon qui m’a lancé un « Cours Forrest, cours ! » comme je passais tout près. Moi qui croyais que cette race avait quitté la surface de la planète… Puis, le même soir, il y a un autre tata, au volant de son giga-pickup, qui s’est mis à me klaxonner (et ce n’était pas un petit coup de klaxon pour m’avertir de sa présence, c’était la version frénétique des klaxons à répétition ayant l’air de dire: « Tasse-toi de mon chemin ! ») alors que la rue était suffisamment large pour accommoder 5 ou 6 engins du calibre de celui dans lequel il semblait essayer d’exprimer sa virilité. Du con…

Le « froid » abitibien – Un seul mot pour le décrire: exagéré. Vent pour ainsi dire absent, humidité presque aussi rare, les conditions y sont quasi-idéales pour pratiquer des sports en hiver. Pour une même température, je porte une couche de moins de vêtements que dans la région de Montréal.

-20 degrés en Abitibi ?  C’est plus facile à endurer qu’un -10 dans le sud de la province. Je n’ai toutefois pas connu leurs fameux -40…

Lake Placid –  Nous avions tellement aimé, nous y sommes retournés. Un terrain de jeux incroyable pour un fou de la trail qui en a profité au maximum, encore une fois. Le Flume Trail System n’a maintenant plus aucun secret pour moi. Les heures que j’ai passées à l’arpenter dans tous les sens m’ont donné une base inestimable en vue des courses automnales.

La meilleure organisation ? – On dit souvent que ce sont les petits détails qui font la différence. Et l’organisation de l’UT Harricana semble particulièrement attentive à ces petits détails.

Par exemple, la présence de toilettes portables au départ. Ou le marquage des kilomètres sur le parcours. Ces petits riens qui font passer l’expérience de course d’agréable à très agréable.

Savoir s’adapter est également une très belle qualité pour une organisation. 300 coureurs qui finissent par aboutir dans un single track, ce n’est pas jojo. Ainsi, l’épreuve de 80 km ne reviendra pas en 2015 et sera remplacée par un 125 km qui partira de plus loin. Donc, moins de congestion à « subir » avec les coureurs du 65 km.

Ceci dit, nous devrions nous compter extrêmement chanceux que des gens passionnés mettent sur pied des épreuves de grande qualité comme St-Donat, Harricana et Bromont (je compte bien « rendre visite » aux autres ultras de la Belle Province dans un avenir rapproché). Pour avoir vécu l’expérience aux USA, les nôtres n’ont absolument rien à envier, bien au contraire, à nos voisins du sud. Et pourtant, ceux-ci devraient posséder une plus vaste expérience dans le domaine…

La bonne formule pour moi ? –  Après avoir lu le Field Guide to Ultrarunning d’Hal Koerner, j’ai décidé de faire un test à Harricana: j’allais prendre un gel à environ toutes les 30 minutes, sauf dans le cas où je boufferais aux ravitos. Résultat: aucune baisse d’énergie, aucun down pendant les 9h20 que j’ai passées dans les sentiers. J’allais certainement répéter.

Pas le plus rapide, ni le plus habile, mais… – Je suis parti en milieu de peloton, ou à peu près. Dans le single track, j’avais l’impression d’être une nuisance. Je ne comptais plus les coureurs que j’avais dû laisser passer.

Puis, je me suis rendu compte que les autres s’éternisaient aux ravitos, alors que je passais presque en coup de vent. Puis je rattrapais des coureurs, un à un, et ne me faisais jamais reprendre. Je poursuivais mon petit bonhomme de chemin, un point c’est tout. « Keep moving forward » que je ne cessais de me répéter.

Au final, une 13e place sur environ 150 partants, malgré une contracture au mollet droit. Serais-je fait pour les très longues distances ?

L’inconnu – 100 miles. 160 foutus kilomètres. En sentiers, en montagne. Il faut être fou pour faire ça, non ?  Pourtant, quelques minutes avant le départ de l’épreuve-reine du Bromont Ultra, je ne ressentais pour ainsi dire aucune nervosité, même si je me lançais dans l’inconnu. J’allais faire ce que j’aime le plus au monde pendant une journée complète. Quoi demander de mieux ?

La tente médicale – Après les 55 premiers kilomètres, premier passage au camp de base. Sous la tente, deux ou trois coureurs qui se tordent de douleur. Dans ma tête l’épreuve vient à peine de commencer, alors je trouve bizarre de voir autant de concurrents amochés. Du coup, je gagne plusieurs places au classement…

Première expérience – Je n’avais jamais couru à l’obscurité. On dit qu’il faut tester toutes le conditions de course, mais bon, je n’en avais pas eu l’occasion, alors…

En octobre, la nuit dure environ 13 heures. J’aurai passé tout ce temps à parcourir les bois et les chemins de campagne à la lueur de la frontale. Qui serait assez fou pour aller courir dans des sentiers à 3 heures du matin en temps « normal » ?  Personne, probablement. Mais dans le cadre d’une course, on dirait que c’est « normal », justement.

On avance plus lentement, les ombres font parfois (souvent) croire à la présence d’animaux bizarres, on se sent seul au monde, on réussit à se perdre même si on se déplace à la vitesse d’une maman paresseux affolée. Et pourtant, on se sent à sa place. Jamais je n’ai souhaité être ailleurs cette nuit-là.

« T’es deuxième !!! » – Thibault l’air serein, bien installé sur une chaise, une couverture sur les jambes, ses bâtons de marche à ses pieds. Il se retirait de la compétition, les quads fichus. Ces mots sortis de la bouche de ma douce moitié confirmaient ce que je venais de réaliser: il ne restait plus qu’un seul coureur devant moi, Joan, qui n’est tout simplement pas dans ma ligue. Derrière: trois ultramarathoniens aguerris. 56 longs kilomètres me séparaient encore de l’arrivée. Tellement de choses pouvaient encore se produire…

1h15 – C’est l’avance que j’avais sur Pierre, Louis et Martin lors de mon dernier passage au camp de base. À ce moment-là, ça m’est tombé dessus: j’allais vraiment terminer mon premier 100 miles en deuxième position. Wow !

L’équipe de support –  Sans elle, pas de deuxième place, point à la ligne. L’anticipation de voir mon père et ma tendre moitié à chaque poste de ravitaillement m’a littéralement transporté.

Mention spéciale à ma douce qui possède un don: celui de deviner mes besoins. Elle ne court pas et pourtant elle sait. Comment fait-elle pour deviner ?  Aucune idée, mais c’est bigrement efficace !

La belle surprise – Joan, sachant que j’en étais à ma première expérience, a attendu mon arrivée pendant presque deux heures. Je ne sais pas s’il peut savoir à quel point ça m’a fait plaisir…

L’anonymat – Réservé, même dans le monde composé d’introvertis des coureurs longue distance, j’étais peu connu du milieu au moment de prendre le départ. Durant toute la course, j’étais le « coureur inconnu qui avance bien ».

Maintenant, je ne pourrai plus évoluer sous le radar de la même manière. Mon amie Maryse a même tenté de me convaincre que je faisais partie de l’élite de la course en sentiers au Québec. C’est bien gentil de sa part, mais c’est juste que tout est tombé en place pour moi ce jour-là, un point c’est tout. L’élite, moi ?  Jamais de la vie !

L’entrevue – Une première pour moi. Il fallait que ce soit avec 160 kilomètres dans les jambes et 28 heures sans sommeil. Essayant de répondre par autre chose que « Oui » et « Non », les pensées se bousculaient dans ma tête… à la vitesse qu’elles pouvaient bien se bousculer !

J’ai tenté de profiter de l’occasion pour faire la promotion de notre merveilleux sport, de faire comprendre aux lecteurs tout ce que ça implique, etc. Le résultat n’a pas été si mal, mais aurait pu être mieux…

« Félicitations ! » –  Durant toute la journée, le cerveau ralenti par l’alcool (désolé Julie si je n’ai pas toujours été cohérent lors de nos conversations de jour-là !), je ne comptais plus les gens qui me félicitaient quand ils me croisaient. À chaque fois, je remerciais la personne bien humblement, gêné de toute cette attention.

Je suis carrément tombé des nues le lendemain matin lorsque mon voisin, avec qui nous n’avons pas beaucoup de contacts (vous savez, du genre: « Bonjour, bonjour » ou « Pourriez-vous ramasser le courrier pendant nos vacances ? ») m’a crié ses félicitations alors que j’étendais péniblement mes vêtements souillés de la veille sur la corde à linge. Comment savait-il ?  « J’ai lu ça dans le journal ! ».

C’était dans la version papier du journal ?!?  Shit… Avais-je dit des conneries durant l’entrevue ?

La récup –  Longue, très longue. Chevilles et pieds enflés, deux semaines complètement arrêté, reprise pénible ponctuée d’une contracture à l’ischio droit. Comment Scott Jurek a-t-il pu gagner Badwater deux semaines après avoir remporté le Western States ?

Meilleure que 2012 ? – En 2012, j’ai connu un printemps d’enfer en alignant des records personnels sur 10k, le demi et le marathon avec à la clé, une première qualification pour Boston. Ont suivi mon premier ultra, puis un autre record personnel sur marathon à l’automne, 14 pleines minutes plus rapide que mon temps de référence en début d’année.

Et pourtant, je me demande si je n’ai pas connu une meilleure année en 2014. Parce que cette fois-ci, je me suis vraiment dépassé. Ce que j’ai perdu en vitesse, je semble l’avoir gagné en endurance. Et surtout, je me sens dans mon élément, dans le bois, à m’adapter aux différentes conditions, loin du stress de l’effort continu de la course sur route.

Aurais-je trouvé mon créneau ?

2015 – Rien d’officiel pour l’instant, mais tout comme pour Boston jadis, ce sont les grands ultras vers lesquels je porte maintenant mon attention. Et qui dit grands ultras dit courses qualificatives. À suivre…

80k UT Harricana: le premier marathon

Départ à ravito Geai bleu (8k)

L’obscurité est encore totale quand le départ est donné au son des hurlements. Car il semblerait que nous sommes une meute de loups, alors certains s’en donnent à cœur joie. Pour ma part, je n’ai jamais ressenti (ni même compris) ce besoin de faire monter l’adrénaline en début de course. Ce n’est pas un 100 mètres qui nous attend, c’est 800 fois plus !  Je considère que j’aurai besoin de chaque once d’énergie pour ce long périple. Mais bon, à chacun sa façon de faire, n’est-ce pas ?

Après une centaine de mètres dans le stationnement, nous nous engouffrons dans des sentiers de type « SÉPAQ » : le revêtement est en petit gravier et ils sont assez larges pour accommoder 2 ou 3 personnes. Ça me fait énormément penser au Mont St-Bruno. C’est donc roulant à souhait, mais avec la foule, le rythme est relativement lent. Ça fait bien mon affaire, je ne voulais pas partir trop vite de toute façon.

Cette cadence me donne l’occasion d’admirer la beauté du moment : 300 personnes qui courent ensemble dans la nature, leurs pas guidés par la seule lumière des lampes frontales. Ce que j’aimerais prendre un instantané… si j’avais le moindre talent et/ou intérêt pour la photographie. Autre beauté : la rivière, juste à côté. Je ne peux pas la voir, mais je l’entends. Dans la pénombre, je distingue la vallée, rien d’autre. Je laisse aller mon imagination et « admire » ce paysage pourtant invisible.

J’aperçois un premier panneau kilométrique : il en reste 62 avant l’arrivée… de la course de 65 kilomètres (qui en fait 64, en réalité) !  Après une belle descente, nous traversons la rivière, ce qui annonce une première montée. J’avais prévu marcher toutes les parties ascendantes, mais comme tout le monde court, je fais de même tout en prenant soin de demeurer bien « en dedans ». Je rejoins une fille qui est à bout de souffle. Vraiment, mais vraiment pas une bonne idée de se mettre dans cet état si tôt dans la course. Sait-elle seulement qu’il lui reste presque un marathon et demi à faire avant de terminer ?

Après l’obstacle, le peloton s’est étiré et je peux courir plus librement. Autour du 6e bip de ma Garmin, j’avale un premier gel. En effet, j’ai décidé de faire un essai aujourd’hui: un gel à toutes les 30 minutes pour voir où ça va me mener. Si Hal Koerner et Pat le font, pourquoi pas moi ?  Ok, je vous entends d’ici: ce n’est pas une bonne idée de tester de nouvelles affaires en compétition, et patati et patata… Ben j’ai décidé de prendre la chance, au risque de me planter. Ce n’est tout de même pas la première fois que je prends des gels. Je ne fais qu’augmenter la fréquence, c’est tout.

Côté température, mon choix de vêtements semble avoir été le bon. Mon corps s’est réchauffé rapidement, au point où je dois enlever mes gants. Mais quoi faire avec ? J’ai les poches pleines, plus un centimètre cube d’espace dans ma veste. Bon ben, à la guerre comme à la guerre, ils termineront le voyage dans mes shorts !  Je n’envisage pas les prêter à quelqu’un d’autre de toute façon, pas vrai ?

Au ravito, il n’y a que de l’eau de disponible. Et l’eau est froide en tab… !!! Que voulez-vous, elle est à la température de la pièce…  Mettons qu’on la sent très bien passer à travers les différents boyaux, un peu comme une lampée de gin à cochon. Pas tellement agréable.

Ravito Geai bleu (8k) à ravito Coyota Honda (28k)

Rapidement, on entre dans le vif du sujet : du technique, du vrai. Le sentier est étroit, le sol pas vraiment (et parfois, vraiment pas) dégagé, des racines, des roches, de la boue, des changements de direction brusques et fréquents, alouette. Je me retrouve derrière deux gars qui avancent à un rythme que je trouve convenable, parfait pour mes limitations dans le domaine.

Sauf que je sens assez vite un souffle dans mon cou. Toujours courtois, j’offre le passage. Erreur ! Une longue filée de monde passe, au moins 15 à 20 concurrents. Bout de viarge, ne venez pas me faire croire que tout ce monde-là est plus rapide que moi !  Je décide de m’insérer au travers la lignée. Non mais, il y a des limites !  À être trop gentil, on finit par passer pour niaiseux !

Le pire, c’est que ça ne leur a absolument rien donné : ça n’avance plus. On se suit tous à la queue-leu-leu, lentement. Trop lentement. « Vous devrez vous armer de patience » qu’ils disaient. Ouais ouais, facile à dire. Je suis tenté de me mettre à dépasser du monde, mais ça ne donnerait finalement pas grand-chose. Peut-être si ça se met à monter pour de vrai…

Justement, une petite montée qui se pointe. Et qu’est-ce que le gars qui est 4-5 positions devant moi fait ? Il sort ses bâtons de marche !  Pardon ?  Ici, pour cette petit côte de moumoune-là, il pense avoir besoin de ses bâtons ?  Il va faire quoi en arrivant au mont Grand-Fonds ?  Prendre le chair-lift ?  On n’est pas dans les Alpes, bout de sacrament !

Comme vous pouvez le constater, je ne me suis pas tellement bien armé côté patience. Déjà que ça n’avance pas à mon goût, ce gars-là va réussir à nous ralentir encore plus tout en élargissant l’espace qu’il prend pour se déplacer, réussissant l’exploit de rendre les dépassements encore plus difficiles. Bravo champion !

Je finis par trouver une faille et le laisser derrière… pour me retrouver encore une fois dans le derrière d’une longue filée. Grrrr ! Le coupable ?  Un autre zigoto avec ses bâtons de marche. Je me demande même pourquoi l’organisation les permet. Ils sont interdits à l’Ultimate XC de St-Donat, ils devraient l’être encore plus ici, le parcours étant plus facile côté. En plus, non seulement ses bâtons retardent le gars en question, mais il est également chaussé de souliers de route. Décidément…

Je grogne intérieurement. On ne devrait pas partir en ensemble, les courses de 65 et 80 kilomètres. 300 personnes en même temps sur ce minuscule single track, c’est une mauvaise idée. Ou à tout le moins, il faudrait mettre une sérieuse emphase sur l’étiquette à adopter en sentiers : quand un ou des coureurs plus rapides suivent de près depuis un bout et que c’est dégagé devant soi, on laisse le passage. Le gars devant ne semble même pas se rendre compte qu’il nous bloque. Et comme pour ajouter une couche à ma frustration, le rythme ralenti a fait baisser la température de mon corps et je commence à avoir froid. Non mais, est-ce que ça va avancer un jour ?!?

Un gars finit par en avoir ras le pompon et se met à shifter tout le monde. Je décide de le suivre à la trace. Une fois le retardataire-aux-bâtons dépassé, le champ est libre devant. Ha… Celui qui s’est impatienté demande à son partner s’il le suit. Heu non, c’est moi qui te suis. Le partner en question étant derrière moi, je le laisse passer pour constater… qu’il s’agit de mon sympathique voisin !  Hé oui, je retrouve les deux gars à qui j’ai donné un lift plus tôt. Le monde est petit, il n’y a pas à dire.

Rapidement, nous formons un petit groupe de 5 ou 6 et tout aussi rapidement, je me fais larguer. Ha, moi et mes aptitudes techniques ! J’ai beau les avoir travaillées dans le sentier Rock Garden près de Whiteface, ledit sentier ne faisait que 800 mètres de long. Ici, j’en aurai pour presque 20 kilomètres… Les seuls moments où je rejoins du monde, c’est quand ils s’arrêtent pour se prendre en photo devant un des nombreux magnifiques paysages que nous avons l’occasion de croiser en cours de route, paysages que le soleil levé depuis peu nous permet enfin de voir.

Je finis toutefois par reprendre un gars avant d’arriver au relais (20k). On échange quelques mots, sans plus. On joue au yoyo, mais je sens que dès que ça va monter, je vais le perdre derrière. Au relais, je transmets mon admiration et ma gratitude aux bénévoles qui se les gèlent pour nous. L’un d’eux répond qu’il préfère donner de l’eau que se taper ce qu’on se tape. Je sens par contre que l’autre aimerait bien pouvoir en courir un petit bout.

Je croise la pancarte annonçant qu’il reste 42 kilomètres à faire : plus qu’un marathon… avant d’avoir le droit de parcourir 16 autres kilomètres !  Mais ce qui est foutrement bizarre c’est que ça ne m’impressionne pas du tout. Je les prends un à la fois, sans me soucier du reste. J’ai toute la journée devant moi.

J’arrive au ravito avec un plan bien précis en tête : manger un peu et repartir sans niaiser. Comme j’arrive, je remarque que mes voisins quittent les lieux. Je vais devoir travailler pour les rattraper. Mais la course est encore jeune. D’autres sont arrêtés et ne semble vraiment pas pressés de repartir. Autant de gens qui étaient devant moi et repartiront derrière.

Dans mon plan, j’avais oublié un détail : remplir mon réservoir. Heureusement, le bénévole m’y fait penser. Non mais, tu parles d’une erreur de débutant ! Avec une section de 13 kilomètres devant, je n’aurais fort probablement pas eu assez de réserve pour la compléter. La manœuvre s’avère plutôt complexe, avec le GU Brew et tout, mais à deux, on y parvient. Je me demande comment on pourrait faire une course sans ces chers bénévoles…

Après avoir englouti des bananes et un pita, je décolle.

Ravito Coyota Honda (28k) à ravito Castor Info-Comm (41k)

C’est le ventre bien rempli que je commence cette section qui commence par une longue montée. Ha enfin, ça monte ! Une belle occasion pour rattraper du monde et devancer d’éventuels poursuivants. Détail cependant : elle ne monte pas assez à mon goût. Je passe mon temps à me demander si je dois la courir ou la marcher. Ou alterner entre les deux, je ne sais plus.

Je parviens tout de même à rejoindre certains coureurs que je laisse aussitôt sur place. À la fin d’une partie très rocailleuse (on dirait carrément le fond d’un ruisseau asséché), je croise un gars en vélo de montagne qui me dit qu’il ne reste que 4-5 kilomètres avant le prochain ravito. Ben oui Chose !  Je sais qu’il en reste au moins 8, peut-être 10. À vélo, ça ne change peut-être pas grand-chose, mais à pied… T’aurais pas le goût de descendre de ta monture et venir en faire un petit bout avec moi, question de voir s’il ne reste vraiment que 4 ou 5 kilomètres ?

Une fois rendu en haut, je sors du bois et tombe… sur du monde en habit de camouflage !? Ils font quoi, au juste ?  Et pourquoi sont-ils habillés comme ça ?  Pourrait-il s’agir de policiers en moyens de pression ?  En tout cas, sont bien gentils mais je préfère ne pas trop m’attarder. On ne sait jamais… 😉

Arrive un chemin de terre. Large, en descente et très roulant. Ho yeah, on va pouvoir avancer un peu ! Devant moi, ma première cible : une femme. En tâchant de ne pas trop appuyer, je la rejoins. Deuxième cible : une autre coureuse, à une cinquantaine de mètres. J’ai comme l’impression que les deux se suivent sans vraiment se suivre. Toujours est-il que pour éviter de me retrouver au milieu d’une bataille de chattes, je poursuis ma progression. Définitivement que le terrain est à mon avantage.

Sauf que je trouve que ça va peut-être un tantinet trop bien. Je vois passer un kilomètre en 4:42. Trop vite. Bah, ça descendait tout de même un peu… Kilomètre suivant : encore 4:42. Merde, celui-là était ondulé, autant en montée qu’en descente ! Je vais définitivement trop vite, j’ai encore plus d’un marathon qui m’attend devant…

Je décide donc de calquer ma cadence sur celle de deux gars qui me précèdent. Ça fonctionne un certain temps… jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent. Deux choix se présentent à moi: faire semblant de pisser juste pour demeurer derrière ou passer devant. Je passe. Après qu’ils aient recommencé à courir, alors que j’ai 20-30 mètres d’avance sur eux, j’entends : « Heille !  Salut voisin !!! ».

Ha ben, ça parle au maudit ! Encore mes voisins, que je n’ai pas reconnus une fois de plus !   « Ça a l’air de bien aller, ton affaire ! ». Je réponds que oui, mais que j’essaie de me retenir. Constatant que le plus silencieux des deux semble en arracher, je préfère ne pas demeurer avec eux et poursuis mon chemin. Trop vite, bien évidemment.

Arrive le buffet. Car c’est comme ça que je décrirais le ravitaillement Castor Info Comm (est-ce que les ravitos sont commandités ? On dirait bien !). Car en plus des traditionnelles patates et bananes, on y retrouve entre autres des œufs, de la soupe et du lait au chocolat et plein d’autres patentes que la bénévole me fait l’éventail. C’est quand elle arrive aux œufs que je l’arrête, citant la tendance de mes intestins à transformer cette denrée en gaz odorant. De toute façon, comme je n’ai jamais fait d’essai à l’entrainement, je préfère demeurer conservateur (je sais, une belle contradiction  par rapport à ce que j’ai dit tantôt).

Pendant que j’engloutis une banane, je jette un œil autour. On dirait presque l’infirmerie d’un champ de bataille. Plusieurs se réchauffent autour du feu, D’autres sont confortablement installés sur des chaises. On constate les dommages causés pas la distance parcourue et surtout celle qui reste à faire. Le psychologique commence à jouer. Malgré moi, mon côté compétitif se réveille. Ces gens-là étaient tous sur place avant que j’arrive et ils repartiront (s’ils repartent) bien après moi. GOTCHA !

Aussitôt, je regrette cette pensée. Car quand on crache en l’air…