Anecdotes, avant et après Massanutten

Bière en Pennsylvanie

Vivre avec l’arthrite rhumatoïde, ce n’est pas évident. Vivre avec l’arthrite rhumatoïde ET avec un ultramarathonien, c’est encore moins évident. Non seulement on est accablé par des douleurs qui se présentent sous toutes formes, mais on doit vivre avec une fatigue inexplicable ET partager sa vie avec un fou qui est prêt à faire des heures et des heures de route pour aller prendre part à une course dont personne de sensé n’a jamais entendu parler dans le coin le plus reculé qui puisse exister sur cette terre.

C’est la réalité de ma douce moitié. Contrairement à bien des gens, les longs voyages en voiture peuvent la mettre à plat pour des jours et des jours. Pour cette raison, nous avons décidé de couper le voyage vers Luray, Virginie (petite ville située tout près du lieu de départ/arrivée du Massanutten) en deux. C’était ça ou bien elle ne pourrait pas faire partie de mon dream team. Disons que je n’ai pas eu à y penser longtemps.

Après quelques recherches pour trouver un hôtel qui acceptait les terreurs comme notre Charlotte, nous avons arrêté notre choix sur un hôtel de Bethlehem, en Pennsylvanie.

Nous sommes arrivés sur place sur l’heure du souper, alors j’ai proposé à Barbara qu’elle nous « installe » un peu dans la chambre pendant que j’irais chercher à souper à l’épicerie juste à côté. Avant de partir, je lui ai demandé : « Prendrais-tu une bière avec ça ? ». Sa réponse: «D’après toi ?». Après ça, le monde se demande ce que je peux lui trouver…  😉

J’en aurais pour 5 minutes, 10 max. Arrivé à l’épicerie, j’ai trouvé rapidement de quoi manger, mais pas de bière. Hum… Il sont où, les réfrigérateurs à bière ?  Après avoir parcouru l’épicerie dans tous les sens, j’ai dû me rendre à l’évidence : il n’y en avait pas. Que faire ?  J’avais promis de la bière, j’avais le goût d’une bière, j’aurais de la bière.

Je suis sorti et suis allé voir au Walmart à côté, au cas où. Niet. J’ai donc interrogé le GPS pour une autre épicerie. À 6 km, il y en avait une qui s’appelait « Friendly Food Market ». Si c’était si friendly, il y aurait de la bière, non ?

Bon, 6 kilomètres, c’était en ligne droite. J’ai dû reprendre l’autoroute, mais j’ai fini par trouver l’endroit: un véritable trou. En fait, c’était une insulte pour tous les autres trous que j’ai pu voir dans ma vie: un dépanneur hyper-miteux dont je n’oserais jamais manger la supposée friendly food. Mais bon, de la bière, c’est dans un contenant fermé, non ?  Aussitôt entré, aussitôt ressorti : pas de business à faire là. Je commençais à avoir des doutes : comment un dépanneur pouvait ne pas avoir de bière à vendre et réussir à survivre dans un tel état de délabrement ?

La pharmacie juste à côté, peut-être ?  Je n’y croyais plus trop, mais nous achetions notre houblon dans une pharmacie à Lake George, peut-être ici… Nope.

C’était maintenant une question de principes. Un peu comme le très tenace coyote qui ne veut plus vraiment manger le Road Runner, mais juste se prouver qu’il peut l’attraper, j’allais trouver de la bière. J’ai donc traversé le boulevard pour aller voir dans l’autre dépanneur, moins miteux, de l’autre côté de la rue.

Évidemment, rien à boire. Moi qui ne demande jamais d’aide, je l’ai fait à la jeune fille qui tenait la caisse. Sa réponse ?  Elle ne savait pas où on pouvait acheter de la bière parce qu’elle n’avait pas encore 21 ans et que donc, elle ne connaissait pas ces choses-là.

Hein ?  Elle avait au moins 19 ans et elle ne savait pas ça ?  À son âge, je savais ça, et depuis très longtemps !  C’est la base de la vie, non ?  Vrai qu’on était au pays des Amish et que ces gens ont réussi l’exploit d’élire (et de réélire !) Rick Santorum… En tout cas, elle m’a reféré aux gens qui travaillaient au comptoir à bouffe à l’arrière.

Je devais avoir l’air d’un foutu alcoolo de Québécois, avec l’accent et tout le kit. Mais je n’allais pas baisser les bras. La dame à l’arrière m’a dit qu’il y avait un endroit (comment ça, UN ?!?) qui s’appelait Pavlish, pas très loin. Je trouvais que ça commençait à faire prohibition et mafia, cette affaire-là.

Elle m’a écrit les indications sur un bout de papier. Tourne à gauche ici, 5 pâtés de maisons plus loin, tourne à droite sur telle rue, etc. Malgré le petit bout de papier, après 4 ou 5 indications, je me suis évidemment perdu.

Je tournais en rond, prêt à abandonner, quand je suis tombé sur l’endroit par hasard. Je m’attendais à un style Beer Store, comme en Ontario. Ou à un endroit illégal. Mais non, c’était un… garage !  Oui, ils vendaient de la bière dans un garage !  Je n’en revenais pas.

Je me suis stationné, question d’en avoir le cœur net. À l’intérieur dudit « garage », une surprise m’attendait : de la bière du plancher au plafond, de toutes les sortes : locales, importées, micro-brasseries. Deux employés, hyper-gentils, m’ont demandé s’ils pouvaient m’aider. Heu, avez-vous de la bière ?

Ben non, j’ai demandé s’ils en avaient de la froide. Là-dessus, le choix était plus limité : fallait que je me « contente » de bières américaines. J’ai vu une caisse de Corona dans la partie réfrigérée, alors j’ai poussé ma chance : vous n’auriez pas de la Heineken froide ?  Hé oui !  Le coyote avait finalement attrapé le Road Runner !

Pendant que je payais, une dame est entrée en voiture dans ledit « garage » et là j’ai compris : c’était un drive-thru. Les gens pouvaient entrer en voiture, faire charger le précieux liquide et repartir sans que personne ne les voit faire !  Un peu comme les sections fermées de films pour adultes dans nos défunts clubs vidéos (ça vaut la peine d’aller voir le petit vidéo sur le site).

Maintenant, je comprends pourquoi les fans des équipes professionnelles de la Pennsylvanie (Philadelphie et Pittsburgh) sont parmi les plus enragés de tout le sport : ils sont frustrés !  😉

Et pour la petite histoire, je n’ai pas oublié de ramener également à manger… 🙂

Le buckle

Dimanche 17 mai, autour de midi. J’ai terminé la course depuis environ 4 heures, j’ai fraternisé avec les boys, mangé un peu, puis j’ai pris le chemin du chalet, conduit par ma fidèle équipe de support.

En arrivant, mon estomac a (encore) retourné la marchandise, puis, me sentant mieux, j’ai pris une bonne douche (haaaa !!!) et un presque aussi bon bain. Et maintenant, je somnole, étendu dans le lit, laissant glisser l’air du ventilo de plafond sur ma peau. Cette fois-ci c’est vrai, cette foutue course est bel et bien terminée !

Pression à la vessie, je dois aller aux toilettes. Je m’y rends pas trop péniblement, je suis même surpris d’être en mesure de me déplacer presque normalement. Pendant que je m’exécute, je sens que je commence à être un tantinet engourdi. Ayant déjà fait des chutes de pression, je me dis que je devrais peut-être m’asseoir par terre…

« Reviens à moi mon chéri. Oui, c’est ça, reviens… ». C’est la douce voix de Barbara qui me tient dans ses bras, tout en me passant une débarbouillette d’eau froide sur le visage et la poitrine. Oups, j’ai vraiment perdu la carte… (Pour ceux que ça intéresserait, j’avais eu le temps de terminer ce que je faisais avant de quitter temporairement notre merveilleux monde)

Après avoir repris mes esprits et être retourné au lit, Barbara me dit, encore tout doucement : « Je pense que ce ne serait pas une bonne idée d’aller à la remise des prix ». Elle vient de se taper une nuit blanche pour moi, elle vient de me ramasser par terre dans la salle de bain, je ne suis pas pour argumenter. Ok, je n’irai pas. Ça me fait un peu chier, j’aurais beaucoup aimé y être pour voir Joan recevoir ses prix. Mais bon…

Un peu plus tard, en reprenant contact avec les boys via Face de Bouc, je les mets au courant de ma mésaventure. Ils se demandaient si j’allais bien, sont un peu rassurés d’avoir de mes nouvelles. Et Pierre d’ajouter : « On a oublié de prendre ton buckle, il faudrait peut-être que tu contactes le directeur de course ».

Hein, j’avais droit à un buckle ?!?

Pour les non-initiés, la boucle de ceinture, communément appelée buckle, est le prix ultime pour l’ultramarathonien ordinaire. Je sais, se taper 100 miles à pied pour un buckle, c’est un peu beaucoup ridicule. N’essayez pas de comprendre, c’est comme ça, un point c’est tout.

Habituellement, les organisations en donnent aux coureurs qui réussissent à faire le parcours en-dessous d’un certain temps. Pour la plupart, ce seuil se situe à 24 heures, comme pour proclamer qu’on a réussi à faire 100 miles en une journée. Pour certains c’est un peu moins, d’autres, un peu plus. Je me disais que pour Massanutten, la limite était peut-être 25 heures, 26 au mieux. Alors à 28h12, mon chien était mort, j’allais me contenter de ma casquette.

Erreur. Ils en donnent à tous ceux qui terminent. De couleur argent pour ceux qui font moins de 24 heures, de couleur bronze pour les autres. J’avais donc droit à un !

Lundi matin 8h, je prends donc la route pour aller sur le site de la course, au cas où j’y croiserais quelqu’un de l’organisation. Sur place, ne restent que le chapiteau et les toilettes. Aucune âme qui vive. En sortant, je croise un monsieur et j’apprends que l’organisation loue l’endroit pour la fin de semaine et que tout le monde a foutu le camp. Damn !  Je veux mon buckle, bon !

Je contacte le directeur de course par courriel. Il me répond assez rapidement qu’il ne vit pas dans la région, alors…

Je me mets en frais de retrouver où il vit. Il n’exagérait pas : il demeure à Frederick (je ne niaise pas !) dans le Maryland, à deux heures de route. Le gars est directeur d’une course qui se déroule à deux heures de chez lui !  Je capote un ti peu, moi là…

Petit calcul Google; ce serait un détour de 30 minutes sur le chemin du retour. C’est quoi, 30 minutes pour un buckle ?  Je lui en fais part, il me répond qu’il lui en reste justement un chez lui, qu’il va le laisser dans la boîte à lait (???) sur le bord de sa porte d’entrée si je veux passer sur le chemin du retour.

Hé bien, j’ai retrouvé sa maison (un fichue de belle) et effectivement, le buckle, MON buckle, était là, m’attendant sagement. Il est magnifique. Sans mauvais jeu de mots, la boucle était bouclée, nous pouvions retourner à la maison.

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Pour ceux qui ne l’auraient pas déjà vue, photo des mes « trophées » rapportés de Massanutten: le buckle, la casquette « finisher » et en prime, 10 « black toes »

Massanutten, les 53.7 derniers miles… en équipe

Pierre avait son sourire si caractéristique, mais son visage était marqué par l’effort.

« J’ai bien pensé que tu n’étais pas loin. Martin était trop fort, je l’ai laissé partir. Moi, j’ai explosé. Tout ce que je pense maintenant, c’est que je veux juste finir. Pis toi, comment ça va ? »

Explosé, c’était exactement ça. J’avais explosé. On était à la même place. Alors quand il a suggéré qu’on fasse un bout ensemble pour se soutenir, j’ai sauté sur l’occasion. À deux, peut-être qu’on avancerait toujours au rythme du plus lent, mais on serait là pour s’encourager et peut-être que le plus lent, justement, le serait moins.

Avant de quitter, le bénévole nous donna ses conseils. « Profitez bien des 6 prochains kilomètres (oui, il a parlé en kilomètres !  Je ne sais pas si c’est parce que nous avions un accent…  ;-))  pour aller le plus vite que vous pourrez parce que c’est de la route et ça roule bien. Rendus à Habron Gap, mangez jusqu’à ce que votre ventre soit sur le bord d’exploser (tant qu’à être sur ce thème): la section suivante est très longue et très difficile. »

Encourageant, il n’y a pas à dire…

Détail que le gentil bénévole avait omis dans son équation : nous étions à bout. 11 heures à courir, marcher et grimper dans la chaleur et les roches, c’est dur. Pierre et moi étions d’accord : on allait courir relaxe sur les plats et les descentes, mais les montées se feraient à la marche. Et tout comme la mienne, la définition de Pierre du terme « montée » était prise au pied de la lettre : à partir de 1% de dénivelé positif, on appellerait ça une montée.

Ça ne nous a pas empêchés d’arriver à Habron Gap (mile 54.0) au bout du rouleau, ou presque. Mon dream team était là, nous attendant patiemment. J’ai senti une certaine inquiétude dans la voix et le regard de ma tendre moitié. Mon père non plus n’avait pas l’air rassuré par ce qu’il voyait. « On a explosé », ai-je dit simplement.

Mon père, ne comprenant pas trop ce que ça voulait dire, Barbara lui « traduisit » : nous avions frappé le mur. En fait, ce n’était pas vraiment ça. Le fameux « mur », ça arrive en marathon quand les réserves de glycogène sont vidées. Nous, nous avancions à peu près sur nos graisses depuis le départ, mais nous étions quand même fatigués. N’empêche, ça faisait image.

Malheureusement, à cause de la chaleur, je n’avais pas vraiment le goût de m’empiffrer pour la simple et bonne raison que je n’avais pas faim. Je m’entretenais aux gels et c’était à peu près tout. J’avais bien pris quelques bananes et quelques bidules ici et là, mais rien de vraiment consistant. Erreur…

Je me suis donc, un peu à contrecœur, emparé d’un sandwich gelée – beurre d’arachides que je me promettais d’avaler en avançant, dans un bout un peu plus lent (comme s’il y avait des bouts rapides, duh !).

Avant de partir, nous avons averti mon équipe: nous en aurions pour environ 3 heures pour couvrir les 9.8 miles nous séparant de Camp Roosevelt. « Je pense qu’on a le temps d’aller souper au chalet » proposa mon père. Ils avaient le temps en masse, je leur ai confirmé. Si je pouvais sauver de pénibles heures d’attente à mon équipe, je le ferais.

Lueur d’espoir pour la suite : de gros nuages noirs s’étaient amassés au-dessus de nos têtes. L’orage était imminent. Il serait très, très bienvenu.

Avoir de la compagnie, ce ne fut pas seulement un plaisir, ce fut une bénédiction.  Au début, j’avais peur de ralentir Pierre, sachant qu’il est plus rapide que moi. Plus rapide sur route (il est descendu sous les 3 heures à Toronto en mai 2014), meilleur dans le technique (il m’avait mis 20 pleines minutes dans le buffet à St-Donat en 2013). Si je l’avais devancé à Harricana, c’était parce qu’il s’y était momentanément perdu. À Bromont ?  Le petit drapeau mal placé lui avait perdre une vingtaine de minutes et le froid de la nuit avait terminé le travail.

Je lui ai fait part de mes « craintes », il les a repoussées du revers de la main. Je dirais que 95% du temps, c’était lui qui était devant et durant les premières heures, je lui ai répété à maintes reprises que s’il avait le goût d’y aller, de ne pas m’attendre. À chaque fois, il a refusé net. À la fin, j’ai cessé de le harceler avec ça, trop content qu’il soit là pour me montrer le chemin à suivre.

Chemin qui a croisé celui d’un serpent qui n’était pas trop rassurant pour des ignorants comme nous dans le domaine. Habitués que nous sommes aux petites couleuvres moumounes de notre coin de pays, celui-là faisait un bon mètre de longueur et possédait un diamètre qui était ma foi tout à fait respectable. Ayant déjà croisé un spécimen semblable durant une reconnaissance, je m’étais renseigné et bien qu’on retrouvait des serpents venimeux en Virginie, ils ne ressemblaient pas à ça. Mais bon, admettons que ce serpent-là était venimeux et qu’il ne savait pas qu’il n’aurait pas dû être là, on ferait quoi s’il nous mordait, hein ?  On lui dirait qu’il n’était pas supposé être là ?  La belle affaire.  Bref, nous l’avons laissé tranquille et n’avons pas lésiné pour déguerpir.

L’orage a commencé tout doucement pour se transformer ensuite en véritable déluge. Le sentier dans lequel nous devions grimper est devenu un ruisseau, ce qui faisait que nous avions parfois de l’eau aux chevilles, mais on s’en foutait : la pluie était tellement rafraichissante qu’on aurait accepté n’importe quoi. Ou presque.

Quant à la foudre ?  J’y ai pensé un peu, mais pas trop. Ça fait partie des risques. Mais le sol est tellement rocailleux que je doute que la foudre tombe souvent sur les arbres dans ces montagnes. Je m’imaginais juste Michel Morin annoncer aux nouvelles TVA que deux ingénieurs québécois avaient été frappés par la foudre en faisant un ultramarathon en Virginie. Puis j’entendais d’ici Pierre Lavoie, en entrevue exclusive du super bureau d’enquête, dire que les ultras, ce n’était pas bon, que c’était dangereux et patati et patata.

Je pense que j’ai trop d’imagination…

Toujours est-il que l’orage et la bonne compagnie ont fait que je n’ai pas vraiment vu passer cette section supposément infernale. Et quand nous sommes arrivés à Camp Roosevelt (mile 63.9), Barbara nous a fait remarquer que nous avions bien meilleure mine qu’à Habron Gap. Et effectivement, bien que la fatigue ne s’en allait pas, je me sentais beaucoup mieux. Toute idée d’abandonner m’avait maintenant… abandonné. Pour de bon, je l’espérais.

La pause à Camp Roosevelt fut de relativement longue durée, vu que Pierre, qui faisait la course dans la catégorie solo, devait fouiller dans son drop bag pour récupérer sa lampe ainsi que ses vêtements de rechange. Ça faisait bien mon affaire. J’en ai profité pour me reposer et aussi changer ma camisole pour un t-shirt léger, soit celui de Washington.

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Petite pause bienvenue à Camp Roosevelt. Pierre, en arrière-plan, récupère ses choses dans son drop bag.

Pierre s’est aussi amusé à se foutre de ma gueule, racontant à mon équipe que ma technique de « pipi sans arrêter » ne le rassurait pas tellement, vu qu’il était souvent (lire: toujours) devant et que bon, il ne savait jamais ce que je pouvais faire… Ce qui était bon signe, c’est justement que j’avais recommencé à uriner.

Bref, le moral était revenu quand nous avons quitté pour Gap Creek I (mile 69.6). Tous deux avions accepté le fait que la performance, fallait oublier ça, alors nous avancions sans nous presser. D’ailleurs, nous avons beaucoup discuté et ri de l’obsession du temps qu’on a quand on court sur route. Même en marathon, on s’en fait pour des mini-minutes perdues. En ultra ?  Une mauvaise passe peut nous coûter des heures !  On a bien rigolé quand je lui ai raconté mon « sprint » effréné à la fin du Marathon de New York alors que j’essayais de descendre sous les 3h10 (et que j’ai raté… par 8 secondes !). Non mais, on s’en câl…-tu de descendre sous les 3h10 ?!?

Une fois la nuit tombée, avancer rapidement était presque hors de question. Dans des sentiers hyper-techniques, courir relève souvent de l’exploit en plein jour, alors imaginez la nuit… Et comme pour me montrer qu’elle aussi était fatiguée, ma Garmin, après 16 heures de bons et loyaux services, rendit l’âme.

Nous sommes tout de même parvenus à Gap Creek sans trop de problèmes. En tout cas, pas à ce que je me souvienne… J’ai juste eu un petit moment de panique quand j’ai vu le chrono de ma montre n’avait pas démarré au départ. Puis je me suis dit que j’étais encore capable faire des petites soustractions en me basant sur l’heure. Des fois, quand  on est aussi longtemps dans le bois, le cerveau…

Sur place, autre remplissage de la part de mon équipe, fidèle au poste. On nous a appris que Joan était en quatrième position aux dernières nouvelles et bien, bien en avant de nous. Quant à Martin, il voguait en douzième position, une heure et demie devant. Wow, ils étaient en train de nous sortir des performances incroyables !  C’était dément. Nos amis brûlaient le parcours, j’étais très fier d’eux. Je ne pouvais attendre de les revoir à l’arrivée.

Comme je m’apprêtais à repartir, j’ai vu que Pierre était en grande conversation avec James Blanford, un récent vainqueur ici. Homme qui a la réputation d’être extrêmement taciturne, j’ai été surpris de le voir parler si facilement. Puis je me suis dit : a-t-il déjà terminé ?  Calv… !

« Are you done ? » que je lui ai demandé. « Yeah ! » a été sa réponse. Puis, avec un sourire, il a ajouté qu’il s’était blessé au tendon d’Achille et avait abandonné au 38e mile.

Ouf !  Avant qu’on quitte le ravito, il nous a glissé qu’il serait de l’Eastern States, en août. L’Eastern States ?   La Pennsylvanie, en août ?  Vraiment ? Ça va pas, non ?  En plus, ça prend un doctorat pour réussir à acheter de la bière dans cet état (histoire que je vous raconterai un de ces jours) !  Il nous a souhaité bonne chance en nous serrant la main. Cout’ donc, sympathique monsieur, quand même.

Direction Visitor Center (mile 78.1). La section débute (ho surprise !) par une longue montée. Et, fait particulier, c’est une montée que les coureurs doivent se taper deux fois, ce qui la rend si « célèbre » dans le milieu. Je ne sais pas pourquoi, je m’étais toujours imaginé qu’elle se faisait sur la route. Hé non. Après quelques hectomètres sur un chemin de quads assez large qui nous permettait de la faire côte à côte, c’était le retour en single track… et dans la roche.

Dans le single track, je pouvais apercevoir deux lampes frontales en contre-bas qui semblaient grimper très rapidement. J’étais certain que c’était Brian Rusiecki et son pacer.

« Pierre, je pense qu’on va se faire lapper.. .»

Finalement, non, ce n’était pas lui. Nous sommes parvenus aux fameuses assiettes à tarte (des assiettes à tarte jaunes, avez-vous déjà vu ça ?). L’une indiquait à ceux qui avaient parcouru 70.9 miles de tourner à gauche. Pour ceux qui avaient fait 98.1 miles, c’était tout droit. Nous avons évidemment pris la gauche, mais j’avais foutrement hâte de repasser là…

Un peu plus loin, sur la crête de la montagne, un gars est arrivé derrière et s’est mis à nous suivre. Je lui ai offert le passage à quelques reprises, mais non, il préférait suivre le guide. C’était une section hyper-rocailleuse, ça en était presque ridicule. À un moment donné, je n’ai pas pu m’empêcher de dire que ce n’était pas un sentier. Non mais c’est vrai : si je ne peux y amener mon chien pour une promenade, ce n’est pas un sentier. C’est… un foutu paquet de roches, un point c’est tout !

Le nombre de fois où je me suis enfargé… La fatigue aidant (bah, pas besoin de fatigue pour ça, mais bon), j’alignais les combinaisons de mots religieux à une fréquence pour le moins appréciable. Au bout d’un certain temps, pour blaguer, j’ai cru bon de préciser à notre compagnon : « That’s swearing ». Sa réponse ?  « Yeah, I figured it out ». Comme quoi jurer, c’est un langage universel !  🙂

Vu que c’était technique, Pierre me distançait régulièrement et à un moment donné, dans une descente, j’ai raté un virage et me suis retrouvé devant… rien. Heu…

« Pierre !  T’es où ? »

« Fred ?  Ça va ? »

Sa voix venait de plus haut. Notre poursuivant, qui ne s’était pas enfoncé dans le bois, en a profité pour me dépasser et se diriger vers mon ami. Pour ma part, j’ai dû escalader le bout que j’avais fait en trop pour retrouver le « sentier ».  C’est quoi cette manie que j’ai de me perdre alors que je n’avance pas ?

Soulagé de m’être débarrassé de ce parasite, c’est dans la bonne humeur que ce qui nous séparait de Visitor Center a été franchi. En dépassant un gars, je lui ai demandé si ça allait (parce que forcément, si un gars va moins vite que moi, il a des problèmes), il m’a simplement répondu que ses quads étaient trashés. Il allait finir en marchant, considérant qu’il avait encore pas mal de temps avant la coupure.

« I have plenty of time, right ? » s’inquiéta-t-il tout de même.

«Yeah, you have plenty. Good luck, buddy !».

Ha Visitor Center… À la lecture des récits, je m’imaginais une belle grande bâtisse propre et moderne avec des kiosques pour choisir des cartes des sentiers, des préposés pour renseigner les visiteurs, des cartes postales qu’on pourrait acheter. Lors de ma reconnaissance vendredi, c’est sur une vieille bicoque semi-abandonnée sur laquelle je suis tombé. Elle était fermée et semblait l’être depuis belle lurette. Il y avait bien quelques tables à pique-nique et des bancs pour s’asseoir, mais tout ça criait pour une couche de peinture et le gazon n’avait pas été coupé depuis… je n’ose dire quand.

Bref, ça faisait dur et j’étais content de passer là en pleine nuit pour m’éviter un tel spectacle. Toujours présente, Barbara m’attendait vêtue de bottes en caoutchouc et portait maintenant un buff sur la tête. Tout sourire, elle avait encore et toujours tout ce dont je pouvais avoir besoin. Quant à mon père, il était parti trouver Picnic Area, la station supposément située tout près que nous n’avons jamais réussi à trouver… même en plein jour. Il est revenu à temps pour nous voir repartir.

3.5 petits miles avant Bird Knob (mile 81.6). Petite étape facile, non ?

Maudit que je peux faire dur ! Quand est-ce que je vais apprendre ? Il n’y a jamais rien de facile à Massanutten. Jamais.

En fait, c’est un nouvel ennemi que je devais maintenant combattre : le sommeil. Je m’endormais de plus en plus, malgré toute la caféine absorbée à travers les gels ou le Mountain Dew aux ravitos. Un petit chocolat à la caféine avait fait son effet en quittant Visitor Center, mais ça n’avait pas duré. J’avais gobé une des pilules de caféine que m’avait fournies Gary Knipling, mais sans résultat.

Faisant part de mon état à Pierre, il m’a dit qu’il fallait qu’on parle plus pour se tenir éveillés. Pas qu’on s’était vraiment tus depuis Indian Grave… Car c’est fou à quel point on peut échanger quand on passe des heures et des heures avec quelqu’un. Nous avons abordé un paquet de sujets, sur le sport, le travail, la vie en général. Je connaissais le camarade de course toujours souriant, j’ai appris à connaitre l’homme. Ces échanges que nous avons eus seront, et de très loin, mes meilleurs souvenirs de ce Massanutten.

Toujours est-il que j’étais en mode zombie quand nous sommes arrivés à Bird Knob, un immense ravito constitué d’une table et d’un petit chapiteau et occupé par un grand total de 3 bénévoles. Personne d’autre en vue, la station n’étant pas accessible aux équipes de support.

J’avais remarqué que Pierre s’assoyait à chaque ravito. Pas longtemps, mais il le faisait à chaque fois. Ça faisait presque 24 heures que j’étais réveillé, je venais de passer les 21 dernières debout. Peut-être qu’une chaise me ferait du bien après tout…

“Beware of the chair” qu’ils disent. J’y serais bien demeuré encore des heures, mais Pierre était prêt à repartir. Coup de pied virtuel au derrière et je le suivais dans le sentier.

Les 6.4 miles avant de rejoindre Picnic Area (mile 87.9) furent interminables. J’avais des hauts et des bas, mais plus souvent qu’autrement, j’étais dans le creux de la vague. Par bouts, je dormais littéralement en marchant. J’essayais de parler, mais ça me demandait un effort de concentration hors normes. Sans la présence de mon partner, je crois bien que je me serais étendu quelque part sur une roche.

J’étais dans le plus creux des creux à Picinic Area. Complètement épuisé, j’avais peine à avancer. Me voyant, Barbara s’est précipitée sur moi pour m’annoncer la mauvaise nouvelle : Martin avait abandonné, trahi par un genou.

L’idée de le rejoindre ne m’a pas que traversé l’esprit, je la considérais très sérieusement. Mais merde, je n’étais pas blessé, j’étais juste fatigué. Très fatigué.

Lisant dans mes pensées, Barbara me dit gentiment : « Si tu veux abandonner, c’est correct, tu sais». Je pense lui avoir répondu que je ne savais pas si j’abandonnerais, mais je ne me voyais vraiment pas repartir. La dernière étape de 6.7 miles ne me faisait pas peur, mais celle de 8.9 qui la précédait, je la voyais comme le mont Everest. Impossible pour moi de seulement la considérer à ce moment-là.

Martin était assis sur le bord du feu, enroulé dans une couverture que Barbara lui avait fournie. Il avait les yeux du gars serein avec sa décision. Je l’enviais un peu, je dois avouer. Barbara m’amena un café, mais je cognais tellement des clous qu’elle devait m’aider à le tenir pour éviter que je le renverse sur moi (avec le recul, ça m’aurait peut-être réveillé…).

Je ne bois jamais de café, je déteste le goût. Je me suis tout de même forcé à en prendre quelques gorgées. Rien à faire, c’était trop mauvais (on m’a ensuite dit qu’il était très fort; comment je peux savoir ça, moi ?). « Il vous reste juste 24 kilomètres » a dit Martin à Pierre qui était venu aux nouvelles.

24 kilomètres. Ce n’était rien et pourtant, c’était trop. Beaucoup trop. Je ne pouvais pas repartir. Je devais dormir. « Un petit 15 » comme on dit. Ça avait marché pour Joan à Bromont, ça avait déjà sauvé une journée en installation suite à une soirée légèrement (hum hum) arrosée, ça me prenait ça, ici et maintenant.

Un lit de fortune avait été aménagé, avec des couvertures et tout le kit. Il était libre et n’attendait que moi. Avant de m’étendre, j’ai confirmé à Pierre que nos chemins se quittaient ici, que je ne pouvais plus avancer. Je lui ai donné l’accolade, l’ai remercié pour tout ce qu’il avait fait pour moi. Puis, je me suis étendu, demandant qu’on me réveille 15 minutes plus tard. Un bénévole m’a bordé, comme on le fait avec un enfant. La dévotion des bénévoles dans les ultras dépassera toujours l’entendement…

C’est alors qu’un phénomène bizarre s’est produit. Tourbillon d’idées dans ma tête. L’effet du café peut-être ?  J’entendais la musique, le bruit. Il y avait beaucoup d’activité sur place. 15 secondes, je ne dormais pas. 30 secondes, je ne dormais toujours pas. Je faisais quoi ? Je repartais ou j’essayais de dormir ?

La voix de Pierre est parvenue à mes oreilles. Il était toujours là ! C’était ma chance, je devais la saisir. Là, tout de suite. 2 secondes plus tard, j’étais assis sur le lit et je clamais haut et fort que je repartais.

Pierre m’a sorti son plus merveilleux des sourires. « T’as changé d’idée ?  Tu viens avec moi ? ». Oui monsieur, pis de la marde si je me plante.

Mon dream team n’était pas trop rassuré de me voir retourner ainsi dans l’obscurité. Pas certain qu’ils m’auraient laissé repartir si j’avais été seul. Une chance que ma mère n’était pas là… C’est à ce moment que je me suis rendu compte de l’utilité que pouvait avoir un pacer dans de telles circonstances : assurer la sécurité du coureur. Là, j’aurais Pierre avec moi, je serais correct.

En partant, nous avons pris la résolution de parler, parler, encore parler. Je me suis donc mis à lui raconter plein de choses un peu plus personnelles (mais pas trop là, fallait pas qu’il s’endorme non plus !). Le café faisait effet, nous avancions bien. Mais bon, le café, c’est dur pour l’estomac et… vous devinez le reste.

Sans vraiment avertir, il y a eu retour d’ascenseur. Arrêtés moins d’une minute, nous sommes repartis, Pierre étant un peu étonné de me voir reprendre aussi rapidement. Puis vint la deuxième « attaque ». Et la brève perte de contact avec la réalité.

Retour au temps présent…

Maintenant, je ne soupçonne plus seulement le café, mais toute mon alimentation depuis le début de la course. Les gels, c’est sucré. Et le GU Brew, c’est acide. À la longue… On le sait, c’est toujours le système digestif qui lâche le premier. C’est ce qui est en train de se produire pour moi. Cool, hein ?

L’effet de réveil de ces « vidanges » ne durera évidemment pas. On dit que lorsque le soleil se lève, on a un regain d’énergie et l’envie de dormir s’en va. Mais quand est-ce qu’il va se lever, votre foutu soleil ?

Décidant de risquer, j’avale un gel bourré de caféine. Quelques centaines de mètres plus loin, il ressort. Même chose avec le GU Brew un peu plus tard. Et comble de bonheur, les efforts que je déploie pour faire sortir les surplus ont des répercussions jusque dans la balle de golf qui a poussé entre mes fesses durant la première partie de la course. Hé oui, mon derrière aurait besoin d’être sauvé !  C’est la joie. (Et pour ceux qui se poseraient la question, non, ça ne faisait pas partie des sujets un peu plus « personnels » que nous avons abordés !)

En fait, je n’ai pas vraiment de douleur à ce niveau, heureusement  (pour votre info, je n’ai pas eu pas à utiliser le petit cadeau de Knipling, soit la révision H d’un onguent très connu). Mais je dois me résigner à ne plus boire ni manger jusqu’à Gap Creek II (mile 96.8). Je ferai une couple d’entorses à cette règle, prenant des mini-gorgées pour demeurer le moindrement hydraté, mais sans plus. Vivement le dernier ravito pour boire de l’eau !

Finalement, peu de temps avant d’aboutir sur un chemin de terre, il commence à faire clair. C’est vrai que le corps répond mieux dans de telles conditions. Nous courons donc côte à côte, espérant apercevoir le ravito à tout moment.

« Là-bas Pierre, il y a une madame qui nous fait des grands signes ! On est proches ! ». Petit problème cependant : mon ami ne la voit pas.  Et comme nous approchons, elle s’évapore. Hallucination. Ha ben, elle est bonne celle-là !

« Là, sur la gauche, un gazébo !  C’est la station ! ». Trop gentil pour me dire que j’ai encore une hallucination, mon coéquipier se contente de me répondre qu’il ne voit pas ça non plus. Finalement, c’était un méchant bosquet d’arbres qui avait décidé de me jouer un mauvais tour. Ha le vilain !

Au loin, une voiture. « Je vois un char, Pierre. Tu ne vas pas me dire que j’hallucine un char !?!  C’est une Volvo, elle est noire ! »  Cette fois-ci, nous hallucinons la même chose. Enfin, le dernier ravito !

Sur place, Barbara m’attend avec un gallon de GU Brew préparé d’avance. Je la mets au courant de mes malheurs : le GU Brew, c’est fini. Tout comme les gels. Je vide mon sac par terre et le fais remplir d’eau. J’essaie de la rassurer en même temps : j’ai eu une très mauvaise passe, mais ça va mieux. Il va falloir que le directeur de course me passe sur le corps avec un bulldozer s’il veut m’empêcher de terminer.

Parlant de lui, Kevin est justement en train de jaser avec Pierre. Ils semblent avoir un running gag entre eux depuis qu’ils se connaissent, soit depuis… vendredi soir finalement.  Si ma mémoire m’est fidèle, il le surnomme « Master », mais je ne sais pas pourquoi. Il quitte le ravito en nous interdisant de prendre plus d’une heure et demie pour faire le reste du parcours.

Une heure et demie ?  Il est fou ou quoi ?  Ça va nous prendre deux heures, minimum !  Est-ce qu’il sait que cette dernière section commence par une maudite montée qui ne finit pas ?

Après avoir dit un dernier bonjour à un Martin souriant et somnolant qui a pris place dans notre RAV4 pour retourner au départ/arrivée, je me mets en frais de me trouver un surnom pour compléter celui de « Master » qu’on a affublé à Pierre. Je suggère « Vomit Man ». Ou pourquoi pas: « The Puker » ?  Il la trouve très drôle et ne semble pas revenir que j’aie réussi à remonter la pente à ce point. Moi non plus, d’ailleurs…

Allez, une dernière côte. On la monte à un rythme raisonnable pour se retrouver aux assiettes à tarte. En fait, à l’assiette à tarte, parce que celle du virage à gauche a été enlevée. Ok, plus qu’une petite descente, puis ce sera le chemin de terre du début qui nous ramènera au point de départ.

« Ils vont nous avoir tenus jusqu’au bout, hein ? ». Commentaire de Pierre dans la « petite » descente. Des roches, encore et toujours des roches. Mes pieds que je sens rendus au vif n’en peuvent plus de freiner.

Finalement, le chemin. Extase. Un coureur est là, le regard dans le vide. Qu’est-ce qui se passe ?

Il n’est pas certain de quel côté aller et il ne veut pas faire un seul pas de trop. Voyant que le ruban a été installé du côté droit à la sortie du sentier, j’en viens à la déduction qu’il faut aller à droite. En plus, ça descend de ce côté et c’est supposé descendre jusqu’à l’arrivée, non ?

Les deux Québécois ne faisons ni une, ni deux, et partons vers la droite. Quelques centaines de mètres plus loin, un ruban jaune nous le confirme : nous sommes dans la bonne direction. L’odeur de l’arrivée nous a revigorés (la pente descendante ne nuit certainement pas), nous courons à pleines jambes. 6 kilomètres. C’est fini.

En point de mire, un autre coureur et son pacer. Nous fonçons sur lui, il n’a aucune chance. Il nous félicite au passage. Une autre position de gagnée.

Je tiens le coup, tant bien que mal. Puis Pierre laisse glisser : « On n’a pas vu la pancarte des 100 miles …».

Ha non, ce n’est pas vrai !  Je ne veux pas voir cette foutue pancarte-là !  Depuis un petit bout, j’espère que nous sommes en-dessous des 6 kilomètres. Il en reste quoi, deux ?  Trois peut-être ? S’il fallait que nous croisions cette maudite pancarte pour ramener la distance restante à 6 kilomètres, je pense que je me mettrais à brailler drette là.

Devant, une autre « victime ». Celle-là marche péniblement. Autre position de gagnée, une troisième depuis que nous avons rejoint la route. Mais mon attention n’est orientée que vers une seule chose : le changement de surface. Quand on sera sur l’asphalte, on sera près. À chaque petit pont, je crois que ça y est. Mais non, il y en a encore et encore. Nous pensions bien que rendus à la montagne, nous aurions à tourner. Négatif, on doit la contourner. Ça vas-tu finir ?

Finalement, l’asphalte. Puis, une indication pour entrer dans le camping. Nous sommes tous près. Il fallait tout de même une dernière montée… Pierre la ferait bien à la course, mais je lui signifie que je n’en peux plus, je vais la marcher. Il m’attend et c’est ensemble que nous reprenons, à la course.

« Je ne sais pas pourquoi, je deviens toujours émotif dans les fins de course ». J’ai peut-être le cœur tendre, mais mon ami l’a encore plus, je crois. Il gardera toutefois sa contenance. Après 17 heures passées ensemble, des liens se sont tissés entre nous et il aurait bien pu se laisser aller. En tout cas, moi je n’aurais eu aucune gêne à le faire.

Nous traversons un petit pont de bois, puis le voilà enfin : le grand champ. Il fallait le courir, nous le faisons sans la moindre hésitation. Je tends la main à mon compagnon, mon coéquipier. Il m’a littéralement tiré jusqu’ici. Je ne sais pas comment je pourrai un jour le remercier.

Joan s’est emparé du micro pour annoncer notre arrivée en français. Puis Kevin prend la relève avec un porte-voix, annonçant le « French Canadian Duo ». Il nous accueillera alors que nous traversons la ligne ensemble.

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L’arrivée du « French Canadian Duo »

Ça faisait 28 heures, 12 minutes et 36 secondes que nous étions partis…

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Avec Kevin Sayers, le directeur de course

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C’est fini, mon amour. Merci pour tout…

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Joan, great job pour ta super 3e place ! You rock !!! Mais dis-moi, me trouverais-tu dégoûtant par hasard ? 😉

 

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Ha ben non, tu veux me prendre dans tes bras maintenant ! 🙂

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Les quatre mousquetaires québécois. De gauche à droite: Pierre, moi, Joan et Martin. Qui est-ce qui a l’air le plus brûlé ?

2014, mieux que 2012 ?

Une autre année qui s’achève. La tradition étant maintenant bien établie, je vous offre aujourd’hui chers lecteurs une petite rétrospective de mon année de course à pied. Avec mes bons et mes moins bons coups.

Tourner en rond – La dernière fois que j’en ai parlé, c’était lors d’une conférence donnée par Joan. Il présentait l’ultramarathon sous toutes ses formes et parmi celles-ci, il y avait la version consistant à courir 50 kilomètres sur une piste. La première réaction des gens quand ils prennent connaissance de telles épreuves se résume généralement à un gros « Ouach ! » ou un « Beurk ! » de dégoût.

Et pourtant, je dois avouer que je n’ai pas détesté l’expérience. Ça a quelque chose de rassurant, courir sur une piste. Les toilettes sont toujours proches, les ravitaillements aussi. Et en hiver, ce n’est pas trop déplaisant de courir sans spinner. Je ne sais pas si je vais récidiver, mais je ne ferme certainement pas la porte.

La victoire – Dès le premier des 500 virages à effectuer durant la course, j’étais seul en tête. Pendant près de 4 heures, je me suis demandé si j’allais tenir le coup, s’il y avait un coureur qui me suivait et attendait que je faiblisse pour m’achever. Comment aurais-je pu savoir que Denis, celui qui m’encourageait à chaque fois que je le dépassais, était mon plus proche poursuivant ?

Puis, dans le dernier tour, on a prononcé les mots magiques: « vainqueur » et « record ». Ça m’a fait vraiment bizarre. On n’était évidemment pas en présence du contingent de coureurs du Marathon de Boston, mais j’ai tout de même savouré cette grande première.

Quant au record, il a tenu le coup lors de l’édition montréalaise des Marathons intérieurs JOGX et il ne sera pas en danger en 2015 pour la simple et bonne raison qu’on n’y tiendra pas d’épreuve de 50 km.

L’attente –  Hopkinton, le lundi 21 avril. Après New York quelques mois plus tôt, je me retrouve encore à attendre le départ d’un grand marathon en gelant comme un creton. Ça durera des heures. À ce moment précis, je me dis « Plus jamais ».

L’émotion – Quand les Japonais tout près ont fini par finir de jacasser, un silence complet s’est installé dans la grande cour de l’école secondaire où tous les coureurs étaient réunis. Les images de l’horreur qui avait secoué Boston et le monde entier me sont revenues en tête. Si j’étais là, c’était pour les victimes, pour montrer à tous les illuminés que cette terre peut porter que jamais, au grand jamais, ils ne me feront reculer.

Je ne sais pas si c’était la rage ou la tristesse, mais j’ai senti une vive émotion monter en moi. Et ai laissé échapper quelques sanglots.

Le parcours – Pourtant je le savais. Ce parcours-là tend un piège au coureur pour le bouffer tout rond par la suite. Je ne cessais de me répéter de prendre ça cool, de relaxer, de demeurer « en dedans ».

Rien à faire. Après avoir eu l’illusion que je pourrais être dans un grand jour (du con !), les premières crampes ont fait leur apparition avant même d’arriver à Newton, au 26e kilomètre. Heureusement, fort d’une expérience acquise à la dure (c’est le moins que l’on puisse dire !), j’ai réussi à gérer ma fin de course relativement convenablement et à terminer avec mon 3e meilleur temps en « carrière ».

Je me demande si un jour, je réussirai à traverser la petite banlieue de Brookline sans souffrir le martyr… Pour ça, va falloir que je refasse la course, ce dont je ne suis pas certain d’avoir envie.

Lapin-accompagnateurMarathon d’Ottawa. Pour la première fois, j’allais accompagner quelqu’un pour un marathon. J’avais bien peur de ne pas être à la hauteur. En effet, que faire et quand le faire ?  Encourager « positivement » ou « botter le derrière » ?  Et si Maggie frappait le mur ?

Disons que j’ai beaucoup appris ce jour-là. Des détails, mais qui peuvent faire toute une différence. Par exemple, les côtes sont beaucoup plus difficiles pour les coureurs moins rapides, car ils n’ont pas le même momentum à la base. Ils doivent donc travailler plus fort durant la montée qui semble alors plus longue pour eux. Aussi, prévoir que les ravitos pourraient être moins bien garnis et surtout, trainer de l’argent la prochaine fois. Quand Maggie a constaté que des Mr Freeze (il faisait chaud) avaient été distribués et qu’il n’en restait plus pour nous, j’ai senti son moral en prendre un coup. Si j’avais pu faire un arrêt au dépanneur à ce moment-là…

Lapin-accompagnateur (bis) – Sylvain, le coureur le plus rapide que j’ai eu l’occasion d’accompagner, faisait sa première incursion dans le monde du demi-marathon (en fait, le Tour du Lac Brome fait 20 kilomètres, mais bon…). J’ai eu l’occasion de me reprendre un peu, m’amusant à déconner avec mon ami, question de lui changer les idées durant l’épreuve.

La prochaine fois, ce sera pour la grande course. Il est prêt, ne reste plus qu’à le convaincre. Je crois même qu’il a le potentiel pour faire Boston dès sa première tentative.

Le feu – Ils étaient (presque) tous bien installés autour quand nous sommes arrivés. Les participants de la course de 120 km de l’Ultimate XC de St-Donat avaient trouvé la nuit particulièrement difficile. Pas tellement encourageant de voir des coureurs de ce calibre avoir le moral dans les talons après avoir complété (en sens inverse) le parcours qui nous attendait. Parmi les sept, seulement deux se joindraient à nous pour les 60 kilomètres restant.

Question de nous enlever le peu de confiance en nous qui nous restait, Joan s’est permis d’ajouter: « Vous allez vous amuser ! ». Moi qui avais trouvé l’épreuve particulièrement pénible 12 mois auparavant…

Les crampes (bis) – Je devrais plutôt dire LA crampe, soit celle qui semblait contracter tous les muscles de mon corps suite à une chute à quelques kilomètres du village de St-Donat. L’espace d’un instant, j’ai cru que jamais je ne me relèverais.

Le sourire – Celui de Luc quand il m’a aidé à me relever. Celui de Luc encore quelques minutes plus tard quand il m’a dit « Allez, on finit ça ensemble ! ». Et celui qu’on avait tous les deux quand on a traversé la ligne d’arrivée, main dans la main. C’est ce que j’aime par-dessus tout de la course en sentiers: on passe des heures et des heures sur le parcours et pourtant, on termine à égalité, la position n’ayant que finalement pas tellement d’importance (nous avons tout de même terminé en 14e place).

Le coup de pied – Celui de Pat. Donné sur le bout pied au sens propre, mais au derrière au sens figuré. En 2-3 phrases, il m’a convaincu que j’étais prêt pour un 100 miles. Il avait crissement raison.

L’imagination – Quelques jours après St-Donat, le travail m’a amené à effectuer un premier de très (trop ?) nombreux déplacements en Abitibi. Les longues heures, la fatigue accumulée, un nouvel environnement, plusieurs obstacles se sont dressés pour m’empêcher de vivre ma passion.

J’ai dû faire preuve d’imagination, mais j’ai trouvé à la fois le temps et les endroits pour courir. J’ai même pu parcourir à fond la caisse des sentiers de quads qui étaient ma foi fort praticables et très agréables.

Un collègue (beaucoup plus jeune que moi) m’a demandé où je trouvais l’énergie pour aller courir après des journées comme on se tapait au boulot. Honnêtement, j’aurais trouvé infiniment plus difficile d’aller m’enfermer dans ma chambre d’hôtel…

La bibitte rare – Dans un monde où les engins à moteur sont pratiquement élevés au niveau des dieux (j’exagère à peine), la perception qu’ont les gens d’un gars maigrichon qui court beau temps mauvais temps, pluie ou neige, varie à l’intérieur de la fourchette allant de l’extra-terrestre à la nuisance publique.

Mes collègues de la place, à force me côtoyer, ont semble-t-il adopté le terme « bibitte rare » pour me décrire. Un être humain en apparence tout à fait normal, mais bon, le soir, il court. Que voulez-vous, personne n’est parfait…

Mais on dirait que ce n’est pas toute la population locale qui ait aussi bien assimilé la présence d’oiseaux rares. En effet, pour la première fois depuis des années, j’ai entendu a un cabochon qui m’a lancé un « Cours Forrest, cours ! » comme je passais tout près. Moi qui croyais que cette race avait quitté la surface de la planète… Puis, le même soir, il y a un autre tata, au volant de son giga-pickup, qui s’est mis à me klaxonner (et ce n’était pas un petit coup de klaxon pour m’avertir de sa présence, c’était la version frénétique des klaxons à répétition ayant l’air de dire: « Tasse-toi de mon chemin ! ») alors que la rue était suffisamment large pour accommoder 5 ou 6 engins du calibre de celui dans lequel il semblait essayer d’exprimer sa virilité. Du con…

Le « froid » abitibien – Un seul mot pour le décrire: exagéré. Vent pour ainsi dire absent, humidité presque aussi rare, les conditions y sont quasi-idéales pour pratiquer des sports en hiver. Pour une même température, je porte une couche de moins de vêtements que dans la région de Montréal.

-20 degrés en Abitibi ?  C’est plus facile à endurer qu’un -10 dans le sud de la province. Je n’ai toutefois pas connu leurs fameux -40…

Lake Placid –  Nous avions tellement aimé, nous y sommes retournés. Un terrain de jeux incroyable pour un fou de la trail qui en a profité au maximum, encore une fois. Le Flume Trail System n’a maintenant plus aucun secret pour moi. Les heures que j’ai passées à l’arpenter dans tous les sens m’ont donné une base inestimable en vue des courses automnales.

La meilleure organisation ? – On dit souvent que ce sont les petits détails qui font la différence. Et l’organisation de l’UT Harricana semble particulièrement attentive à ces petits détails.

Par exemple, la présence de toilettes portables au départ. Ou le marquage des kilomètres sur le parcours. Ces petits riens qui font passer l’expérience de course d’agréable à très agréable.

Savoir s’adapter est également une très belle qualité pour une organisation. 300 coureurs qui finissent par aboutir dans un single track, ce n’est pas jojo. Ainsi, l’épreuve de 80 km ne reviendra pas en 2015 et sera remplacée par un 125 km qui partira de plus loin. Donc, moins de congestion à « subir » avec les coureurs du 65 km.

Ceci dit, nous devrions nous compter extrêmement chanceux que des gens passionnés mettent sur pied des épreuves de grande qualité comme St-Donat, Harricana et Bromont (je compte bien « rendre visite » aux autres ultras de la Belle Province dans un avenir rapproché). Pour avoir vécu l’expérience aux USA, les nôtres n’ont absolument rien à envier, bien au contraire, à nos voisins du sud. Et pourtant, ceux-ci devraient posséder une plus vaste expérience dans le domaine…

La bonne formule pour moi ? –  Après avoir lu le Field Guide to Ultrarunning d’Hal Koerner, j’ai décidé de faire un test à Harricana: j’allais prendre un gel à environ toutes les 30 minutes, sauf dans le cas où je boufferais aux ravitos. Résultat: aucune baisse d’énergie, aucun down pendant les 9h20 que j’ai passées dans les sentiers. J’allais certainement répéter.

Pas le plus rapide, ni le plus habile, mais… – Je suis parti en milieu de peloton, ou à peu près. Dans le single track, j’avais l’impression d’être une nuisance. Je ne comptais plus les coureurs que j’avais dû laisser passer.

Puis, je me suis rendu compte que les autres s’éternisaient aux ravitos, alors que je passais presque en coup de vent. Puis je rattrapais des coureurs, un à un, et ne me faisais jamais reprendre. Je poursuivais mon petit bonhomme de chemin, un point c’est tout. « Keep moving forward » que je ne cessais de me répéter.

Au final, une 13e place sur environ 150 partants, malgré une contracture au mollet droit. Serais-je fait pour les très longues distances ?

L’inconnu – 100 miles. 160 foutus kilomètres. En sentiers, en montagne. Il faut être fou pour faire ça, non ?  Pourtant, quelques minutes avant le départ de l’épreuve-reine du Bromont Ultra, je ne ressentais pour ainsi dire aucune nervosité, même si je me lançais dans l’inconnu. J’allais faire ce que j’aime le plus au monde pendant une journée complète. Quoi demander de mieux ?

La tente médicale – Après les 55 premiers kilomètres, premier passage au camp de base. Sous la tente, deux ou trois coureurs qui se tordent de douleur. Dans ma tête l’épreuve vient à peine de commencer, alors je trouve bizarre de voir autant de concurrents amochés. Du coup, je gagne plusieurs places au classement…

Première expérience – Je n’avais jamais couru à l’obscurité. On dit qu’il faut tester toutes le conditions de course, mais bon, je n’en avais pas eu l’occasion, alors…

En octobre, la nuit dure environ 13 heures. J’aurai passé tout ce temps à parcourir les bois et les chemins de campagne à la lueur de la frontale. Qui serait assez fou pour aller courir dans des sentiers à 3 heures du matin en temps « normal » ?  Personne, probablement. Mais dans le cadre d’une course, on dirait que c’est « normal », justement.

On avance plus lentement, les ombres font parfois (souvent) croire à la présence d’animaux bizarres, on se sent seul au monde, on réussit à se perdre même si on se déplace à la vitesse d’une maman paresseux affolée. Et pourtant, on se sent à sa place. Jamais je n’ai souhaité être ailleurs cette nuit-là.

« T’es deuxième !!! » – Thibault l’air serein, bien installé sur une chaise, une couverture sur les jambes, ses bâtons de marche à ses pieds. Il se retirait de la compétition, les quads fichus. Ces mots sortis de la bouche de ma douce moitié confirmaient ce que je venais de réaliser: il ne restait plus qu’un seul coureur devant moi, Joan, qui n’est tout simplement pas dans ma ligue. Derrière: trois ultramarathoniens aguerris. 56 longs kilomètres me séparaient encore de l’arrivée. Tellement de choses pouvaient encore se produire…

1h15 – C’est l’avance que j’avais sur Pierre, Louis et Martin lors de mon dernier passage au camp de base. À ce moment-là, ça m’est tombé dessus: j’allais vraiment terminer mon premier 100 miles en deuxième position. Wow !

L’équipe de support –  Sans elle, pas de deuxième place, point à la ligne. L’anticipation de voir mon père et ma tendre moitié à chaque poste de ravitaillement m’a littéralement transporté.

Mention spéciale à ma douce qui possède un don: celui de deviner mes besoins. Elle ne court pas et pourtant elle sait. Comment fait-elle pour deviner ?  Aucune idée, mais c’est bigrement efficace !

La belle surprise – Joan, sachant que j’en étais à ma première expérience, a attendu mon arrivée pendant presque deux heures. Je ne sais pas s’il peut savoir à quel point ça m’a fait plaisir…

L’anonymat – Réservé, même dans le monde composé d’introvertis des coureurs longue distance, j’étais peu connu du milieu au moment de prendre le départ. Durant toute la course, j’étais le « coureur inconnu qui avance bien ».

Maintenant, je ne pourrai plus évoluer sous le radar de la même manière. Mon amie Maryse a même tenté de me convaincre que je faisais partie de l’élite de la course en sentiers au Québec. C’est bien gentil de sa part, mais c’est juste que tout est tombé en place pour moi ce jour-là, un point c’est tout. L’élite, moi ?  Jamais de la vie !

L’entrevue – Une première pour moi. Il fallait que ce soit avec 160 kilomètres dans les jambes et 28 heures sans sommeil. Essayant de répondre par autre chose que « Oui » et « Non », les pensées se bousculaient dans ma tête… à la vitesse qu’elles pouvaient bien se bousculer !

J’ai tenté de profiter de l’occasion pour faire la promotion de notre merveilleux sport, de faire comprendre aux lecteurs tout ce que ça implique, etc. Le résultat n’a pas été si mal, mais aurait pu être mieux…

« Félicitations ! » –  Durant toute la journée, le cerveau ralenti par l’alcool (désolé Julie si je n’ai pas toujours été cohérent lors de nos conversations de jour-là !), je ne comptais plus les gens qui me félicitaient quand ils me croisaient. À chaque fois, je remerciais la personne bien humblement, gêné de toute cette attention.

Je suis carrément tombé des nues le lendemain matin lorsque mon voisin, avec qui nous n’avons pas beaucoup de contacts (vous savez, du genre: « Bonjour, bonjour » ou « Pourriez-vous ramasser le courrier pendant nos vacances ? ») m’a crié ses félicitations alors que j’étendais péniblement mes vêtements souillés de la veille sur la corde à linge. Comment savait-il ?  « J’ai lu ça dans le journal ! ».

C’était dans la version papier du journal ?!?  Shit… Avais-je dit des conneries durant l’entrevue ?

La récup –  Longue, très longue. Chevilles et pieds enflés, deux semaines complètement arrêté, reprise pénible ponctuée d’une contracture à l’ischio droit. Comment Scott Jurek a-t-il pu gagner Badwater deux semaines après avoir remporté le Western States ?

Meilleure que 2012 ? – En 2012, j’ai connu un printemps d’enfer en alignant des records personnels sur 10k, le demi et le marathon avec à la clé, une première qualification pour Boston. Ont suivi mon premier ultra, puis un autre record personnel sur marathon à l’automne, 14 pleines minutes plus rapide que mon temps de référence en début d’année.

Et pourtant, je me demande si je n’ai pas connu une meilleure année en 2014. Parce que cette fois-ci, je me suis vraiment dépassé. Ce que j’ai perdu en vitesse, je semble l’avoir gagné en endurance. Et surtout, je me sens dans mon élément, dans le bois, à m’adapter aux différentes conditions, loin du stress de l’effort continu de la course sur route.

Aurais-je trouvé mon créneau ?

2015 – Rien d’officiel pour l’instant, mais tout comme pour Boston jadis, ce sont les grands ultras vers lesquels je porte maintenant mon attention. Et qui dit grands ultras dit courses qualificatives. À suivre…

Bromont Ultra: la première grand boucle

Suite à la course, un coureur bien connu m’a demandé (je ne suis pas certain que c’était à la blague :-)) combien de tomes aurait le récit. Je m’étais promis d’être plus concis dans mon histoire. Mais que voulez-vous, quand on a du Paul houde dans le nez… Voici donc la première partie de mon premier 100 miles, le Bromont Ultra.

Sections 1 et 2 : départ à ravito 2 (Versant du Lac, 13k)

Le départ est donné. Voilà, c’est parti : devant moi, le plus grand défi de ma « carrière » de coureur. 160 kilomètres, 100 miles à pied. On dirait que c’est trop gros pour que je me donne la peine de le réaliser.

Après un petit bout dans l’herbe détrempée du matin (on a déjà les pieds mouillés, ça commence bien), nous rejoignons le sentier C1 qui fait pour ainsi dire le tour de la montagne. Je me tiens dans le dernier tiers du mini-peloton et malgré tout, le premier kilomètre est parcouru en 5:10. Devant, Jeff s’est déjà envolé et je devine Joan pas loin derrière lui.

Assez rapidement, on se tape une plutôt longue montée. Je m’étonne de voir presque tout le monde la faire en courant. Malgré mes pulsions compétitives, je m’astreins à la marche. Pas question de brûler des cartouches si tôt dans la journée. De toute façon, je recolle dans la descente juste avant d’entrer dans le premier single track.

Comme on n’est pas nombreux (31 au départ), l’étroitesse du sentier ne pose pas problème. En tout cas, pas pour nous. Je ne dirais pas la même chose des vélos de montagne qu’on croise, par contre. Eux se demandent sérieusement s’ils vont être capables de pratiquer leur sport favori aujourd’hui. C’est que… on n’est pas beaucoup, mais on risque d’être là pour un petit bout, par contre !

Côté alimentation, vu que ça avait très fonctionné à Harricana, j’ai décidé d’utiliser la même stratégie ici : un gel à toutes les 30 minutes ou à peu près. Sans caféine pour les premières heures, avec caféine à partir de la tombée de la nuit. Je compte compléter le tout avec ce que je pourrai trouver dans les stations d’aide : patates bouillies, bretzels, bananes et éventuellement, des sandwichs… si le cœur m’en dit. Car il semblerait qu’à un moment ou un autre, c’est immanquable : le système digestif lâche et on n’a plus le goût de rien. Ça, c’est dans le meilleur des cas. Dans le pire, on retourne la marchandise.  Et vous me demandez pourquoi je fais des ultras ? Heu…

La course se décante et je me retrouve à partager les sentiers avec Pat, Louis et Pierre-Olivier, un tout jeune homme qui court avec le coupe-vent orange-flashant de Boston et abhorre même un tatouage du logo du plus vieux marathon du monde sur un mollet. Et quand je dis jeune, je n’exagère pas : il a seulement 22 ans !  Louis, qui en a 39 (mais qui semble en avoir 10 de moins), taquine Pat en disant qu’il est deux fois plus vieux que notre compagnon de course. C’est que moi aussi, j’ai le double de son âge !  Merde, je cours avec un gars qui pourrait littéralement être mon fils !  Ça y est, le poids des années me tombe dessus, avant même que la première heure de mon premier 100 miles soit complétée. Ouch !!!

On jase de nos courses précédentes, de nos lieux d’entrainement. Louis et Pat sont des vétérans aguerris, j’ai bien l’intention de demeurer avec eux un petit bout. Quant à Pierre-Olivier, il est un coureur rapide sur route (duh !), ayant fait 2h57 pour se qualifier pour Boston. Par contre, c’est un néophyte dans le monde des ultras : c’est son premier. Hiiiiii, 22 ans, premier ultra et il fait un 100 miles ?  Bonne chance mon gars !

Louis raconte à Pierre-Olivier qu’il devrait connaitre Pat parce qu’il est acteur et qu’il a joué dans plusieurs séries télévisées. Notre jeune compagnon répond qu’il n’écoute pas la télé. Pat ajoute : « Moi non plus ! », ce qui nous fait bien rire. Je ne peux m’empêcher d’ajouter mon grain de sel : « Moi, je n’écoutais pas Destinées, mais j’ai vu La marraine… C’était justement la marraine que je trouvais intéressante». Bon, on dirait que Louis non plus n’a pas vu La marraine…

Premier relais (Cercle des Cantons, kilomètre 7), un petit chapiteau et une table vide nous attendent. Aucune âme qui vive, pas la moindre goutte d’eau. Bof, on s’en fout un peu. On croise toutefois deux personnes qui courent en sens inverse dans le sentier une centaine de mètres plus loin. Seraient-ce les bénévoles qui sont en retard ?

Arrive la première montée d’une pente de ski. Pat nous laisse aller. Louis, qui le connaît très bien, nous dit que c’est souvent comme ça : ils font les premiers kilomètres ensemble, puis il se détache. Pat finit par le rejoindre une dizaine d’heures plus tard, ils font un autre bout ensemble… jusqu’à ce qu’il parte et finisse devant lui. Ça ne m’étonne pas. La fois où on a couru ensemble, Pat m’a impressionné par sa régularité. Un vrai métronome… qui disait bonjour à tout le monde qu’on croisait. Je m’attends donc à le revoir.

Dans la section nous amenant au premier ravito complet, Louis nous raconte ses expériences : Virgil Crest, Bighorn, Wasatch, Rocky Racoon. Il lui est déjà arrivé de lire dans un guide des coureurs ce qu’il fallait faire en cas de morsure par un serpent à sonnette. Il lui est aussi déjà arrivé de passer une nuit entière à craindre qu’un cougar lui saute sur la nuque. Personnellement, je trouve ça super intéressant, mais je me demande ce que notre jeune ami en pense. On dirait qu’il a l’air intimidé…

Sections 3 et 4: ravito 2 (Versant du Lac, 13k) à ravito 4 (Ironhill, 24k)

En quittant le ravito, nous savons ce qui nous attend. En fait, les deux vieux routiers le savent, mais le jeune, pas certain… Devant nous, des montées infernales. Techniques, abruptes au possible. « Un parcours qui peut se faire en courant » qu’ils disaient. Yeah right !  Comment courir dans une face de cochon, voulez-vous bien me dire ?  Quand on doit tirer sur les racines des arbres (oui, sur les racines !) pour réussir tant bien que mal à se hisser en haut… Je n’ose m’imaginer ce que ça aura l’air la nuit. Bah, on verra plus tard, une chose à la fois comme on dit.

S’ensuit une descente, hyper technique comme il se doit. Puis, un petit bout plus roulant. Bah, pas si pire finalement. C’était ça, votre fameuse « lobotomie » ?  Bof… Louis sort le parcours de ses affaires. Il s’avère que nous venons de nous farcir les hors-d’œuvre. Le plat de résistance est à venir.

La montée suivante est tout simplement infernale. À certains endroits, je doute même être capable de me hisser tellement c’est dur. On fait de l’escalade ou quoi ?  Celle-là, elle est de notre compagnon qui commence à la trouver moins drôle, on dirait. « Pis, les côtes à Boston, est-ce qu’elles étaient si dures que ça ? » que je lui lance. Pas de réponse.

Après une ou deux éternités, nous arrivons entre les deux oreilles du cochon. Maintenant, je vais comprendre pourquoi ils appellent la prochaine descente la lobotomie: quelqu’un qui fait ça en courant est forcément passé chez son neurochirurgien récemment. Je suis constamment sur les freins, craignant un emballement et une éventuelle rencontre avec un arbre. Ou une roche. Ou les deux. À certains endroits, c’est mon postérieur qui sert d’équipement de glisse. Mes compagnons, bien que plus habiles que moi, n’avancent pas tellement plus vite. Finalement, les descentes très difficiles m’avantagent peut-être car elles ont effet de nivellement par le bas. Je ne m’en plaindrai certainement pas.

Juste avant d’aboutir (enfin !) sur un chemin de terre, Thibault, équipé de bâtons de marche, nous rejoint et c’est à quatre que nous arrivons au relais rue Knowlton (18e kilomètre) qui est constitué d’une table, d’un petit chapiteau et de trois cruches de 5 gallons de type Coleman. That’s it. Je m’accroupis et avale quelques gorgées d’eau à même la champlure. À la guerre comme à la guerre.

Devant nous, 19 kilomètres de chemins de campagne.  J’avoue que ça ne me fera pas pleurer d’enfiler un peu les kilomètres. Des fois, c’est décourageant de ne pas avancer quand on est dans le technique jusqu’au cou, alors un peu de route fera du bien. C’est en nous suivant sans vraiment nous suivre que nous évoluons tous sur cette route bien dégagée.

Dans une montée, Louis se met à la marche. Pierre-Olivier fait de même, mais se fait distancer peu à peu. Je le rejoins et une fois arrivé à sa hauteur, il me glisse : « Vous marchez vite !». Bon, première affaire le jeune : j’espère que le « vous » s’adresse à Louis et moi, parce qu’il y a des limites à se faire traiter de vieux !  Et de deux, qu’est-ce que tu veux que je te dise ?  Cours si tu trouves qu’on marche trop vite !

Ben non, je ne suis pas méchant à ce point-là… Je ne fais que lui dire que c’est comme autre chose, ça vient avec la pratique. Et effectivement, Louis marche vraiment vite !

Le ravito Ironhill (kilomètre 24) est installé dans le garage d’un particulier qui a eu l’immense gentillesse d’offrir sa propriété à l’organisation. J’entendrai même dire plus tard qu’il était sur place durant la nuit pour prêter main forte aux bénévoles. Comment peut-on être aussi gentil et ne pas être canonisé ?

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Le vétéran amène les deux recrues au ravito Ironhill, kilomètre 24

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La « recrue » de 44 ans qui a encore le sourire…

Mon père est sur place (je lui avais dit de laisser faire pour le ravito du 13e kilomètre, je ne prévoyais pas avoir besoin de quoi que ce soit), je vais pouvoir remplir mon réservoir pour la première fois.

Plus facile à dire qu’à faire. Prenez un homme qui a un bras dans le plâtre (mon père) et mettez-le en équipe avec un autre qui a les mains pleines de pouces et qui ne sait plus lesquels utiliser (ça, c’est moi). Bref, le gazon se retrouve engraissé de quelques onces de GU Brew, mais au final, j’ai à nouveau deux litres dans mon dos, près pour un autre bout.

Sections 5 et 6 : ravito 4 (Ironhill, 24k) à ravito 6 (Parking 7, 38k)

En sortant du garage, nous sommes dirigés vers l’arrière de la propriété, puis dans un sentier tracé en pleine forêt. Et ledit sentier est bouetteux à souhait. Mais c’est quoi cette affaire-là ?  On n’était pas supposés faire de la route pendant 19 kilomètres ?  Elle est où, notre belle route en terre ?!?

Je n’ai même pas terminé de chiâler que je la retrouve, ma route en terre. Louis et Pierre-Olivier sont devant moi, ayant quitté le ravito plus rapidement. Mais quand je vois Louis s’éclipser dans le fossé, pas besoin d’un dessin pour comprendre ce qui lui arrive !  😉

Le chemin est vallonné, les paysages seraient magnifiques… si les nuages n’étaient pas si menaçants. Un qui ne semble pas trop apprécier le paysage, c’est notre jeune ami bostonnais. Je le rejoins au creux d’un vallon et comme je passe à côté de lui, il me confie qu’il va prendre ça relaxe. C’est qu’on est dans un bout roulant, il devrait nous bouffer tout cru, vue sa pointe de vitesse. Et pourtant non. Preuve qu’un ultra et un marathon, ce sont deux choses bien différentes. Je commence à sérieusement mettre en doute ses chances de terminer.

Semblant totalement immunisé contre la fatigue, Thibault poursuit son petit bonhomme de chemin. Je joue un peu au yoyo avec lui, mais au bout d’un certain temps, je me résigne à le laisser aller. Il semble si « facile », je ne suis définitivement pas dans sa classe aujourd’hui.

Après un ou deux kilomètres sur l’asphalte, je me retrouve au relais du kilomètre 33 situé sur les bords du lac Bromont, où Barbara et mon père m’attendent. Encore un relais avec des 5 gallons sous des petits abris. Et heureusement qu’on les a, ces abris, car il pleut maintenant. Est-ce ma douce moitié qui a amené la pluie, comme pour nous rappeler ce merveilleux souvenir du Vermont 50 2012, mon premier ultra ?  Ça ne m’empêche pas de lui faire mon plus beau des sourires et de l’embrasser avant de repartir avec Louis qui m’a rejoint (et qui est définitivement plus rapide que moi pour « faire le vide ») !).

À la fin d’une montée assez corsée, nous nous retrouvons à l’intersection du chemin de Irlandais et O’Connor. Je me demande bien de quelle origine étaient ceux qui se sont établis ici… 😉  Dans le genre cliché, c’est dur à battre !  Pourquoi pas une intersection chemin des Écossais et MacLoed ?  Chemin des Vietnamiens et Nguyen ?  Chemin des Suédois et Johansson ? (Vous avez compris le concept…)

Je garde toutefois mes observations pour moi, mon partner ne me connaissant pas vraiment, il pourrait croire que je suis en train de délirer. En fait, peut-être que je délire tout le temps, qui sait ?  Toujours est-il que nous entrons ensemble dans une section qui ressemble beaucoup au mont St-Bruno : c’est large, roulant. Vraiment plaisant. Malheureusement, Louis est pris d’une autre attaque intestinale et doit encore s’arrêter. Je le plains, c’est tellement déplaisant quand ça nous prend…

Arrivé près la base des pentes de ski, j’aperçois un coureur au loin qui semble avoir raté un virage. Je crie à des passants de lui indiquer qu’il s’est trompé, ils me répondent qu’il est déjà entré dans le bois. Bah, tant pis. Peut-être se retrouvera-t-il. Je ne suis tout de même par pour courir après lui…

Je m’enfonce donc seul dans une petite section technique et juste assez rock’n’roll avec la traversée d’un ruisseau, des sentiers étroits et des enchaînements montées-descentes très plaisants. La course en sentiers à son plus pur.

Mon équipe m’attend à la station de ski (kilomètre 38). Il tombe maintenant des cordes et mon humeur s’en ressent. Dans le bois, c’était correct, mais là… Courir sous la pluie en plein été, pas de problème. Mais aujourd’hui ?  Pas sûr. Les risques d’hypothermie sont bien réels et en plus, une pluie soutenue rendrait certains sentiers impraticables. Pour ajouter la cerise sur le sundae, j’aperçois le gars qui s’était « perdu » plus tôt en train de monter la pente sous les télésièges à la sortie du poste de ravitaillement.

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En arrivant au ravito Parking 7, l’humeur devient maussade. Si ce n’était de la présence de mon père en arrière-plan, on ne devinerait pas la pluie. Et pourtant, elle tombe…

Ha ben sacrament !  Le gars a pris un raccourci. Que ce soit volontaire ou non (je doute que ce le soit), la seule raison pourquoi il est devant moi est qu’il a fait moins de chemin que moi, un point c’est tout. Et pendant que je rumine, un autre coureur arrive par le mauvais côté, mon père l’accueillant avec un « Tiens, un autre qui arrive du mauvais bord ! ». Un autre qui a pris un short cut, ouais !

J’engloutis quelques bananes et prends la direction des pentes de ski derrière Louis (qui est réapparu vêtu d’un sac à poubelle), des patates plein les mains. Mon père me dit de prendre ça relaxe, de les laisser aller, qu’il n’y a pas de presse. Oui mais, tu ne comprends pas que le gars en haut ne devrait justement pas être rendu là ?  Il devrait être derrière moi et je compte bien sur la montée pour que l’ordre soit rétabli.

Sections 7 et 8 : ravito 6 (Parking 7, 38k) à ravito 8 (Camp de base, 55k)

C’est dans ce merveilleux état d’esprit que j’entame ce que Gilles m’avait décrit comme la partie la plus difficile de tout le parcours : 17 kilomètres très techniques, beaucoup de montées, autant de descentes. Tout ça sans voir personne. Sous la pluie qui tombe maintenant comme une vache qui pisse. La joie.

Je me résous à enfiler mon imperméable de secours, dernier rempart entre l’hypothermie et moi. S’il s’avérait ne pas être suffisant…  De son côté, Louis, qui en a vu d’autres, prend le tout avec philosophie. Il lâche même des « WHOOO-HOOOO !!! » de temps à autre, comme pour défier les éléments. J’avoue que je l’envie un peu maintenant.

Tout en montant, je me rappelle les paroles de Joan lors de sa conférence: les organisateurs d’ultras finissent toujours par nous faire monter une pente de ski. Ici, j’ai l’impression qu’on se tape toutes les pentes. En montée et en descente. On aboutit sur une double-diamond à grimper. La pluie a ralenti, je sens que mes jambes poussent mieux. Lentement, mais sûrement, je gagne du terrain sur celui que je poursuis et distance Louis peu à peu.

Arrivé à ce qui semble être le sommet, je suis les petits fanions et me retrouve… parmi un groupe de coureurs, dont Pierre et Thibault, qui cherchent leur chemin. De quessé ?  Ils ont identifié le « dernier fanion », puis plus rien. Ils ont fait une tentative dans une piste, mais ont dû rebrousser chemin et remonter, étant incapables de trouver d’autres indicateurs. Je suis découragé pour eux.

Bon, on fait quoi là ?  On appelle l’organisation ?  À partir du dernier petit fanion, il n’y a rien. Rien de rien. Derrière, Louis termine son ascension et voyant qu’on est en train de se chercher, nous pointe rapidement l’endroit où on aurait dû tourner pour entrer dans le bois. Mon cerveau analyse la situation et en vient à la conclusion suivante: le fameux « dernier fanion » était de trop. Nous l’avons repéré, nous sommes dirigés vers lui et avons passé devant le virage sans le voir.  Ha, la damnée vision-tunnel… Je demande à Pierre d’enlever ce fanion, question de ne pas nuire aux autres coureurs. Il semblerait que nous n’avons pas été les seuls à nous faire tromper par lui.

C’est donc en groupe que nous entamons la descente, dans la bonne humeur (ça change vite durant un ultra…). Je laisse passer les descendeurs (Thibault, Pierre et un homme dont j’oublie le nom), puis me mets à les suivre. Louis et le gars du short cut (que je ne reverrai plus) sont derrière. À part décider où je mets les pieds, j’ai un autre problème à gérer: quoi faire avec mon foutu imperméable ?  J’ai croisé une poubelle en arrivant au sommet, mais n’ai pas osé le jeter, au cas où… Sauf que maintenant, je suis pogné avec. J’essaie de le replier, mais c’est peine perdue : je me retrouve avec une grosse boule de plastique à transporter.

Je la mets où ?  Je fais un bout avec en la tenant dans une main, mais après un certain temps, je me rends compte que j’ai besoin de mes deux mains, particulièrement dans les virages serrés ou les descentes un peu raides. Je décide de l’enfouir dans mon t-shirt. Ouais, pas confo. Sans compter le look femme enceinte… C’est finalement dans mes shorts qu’elle terminera la première boucle de 55 kilomètres.

C’est que ça semble sans fin, ces sentiers-là !  J’entends des voix devant, peut-être est-ce le relais Deltaplane (kilomètre 48) ?  Hé non. Juste des gars qui sont là à jaser. Ils font quoi, au juste ?  Jaser ?  Ici ?  2 ou 3 kilomètres plus loin, nous y parvenons enfin. C’est un relais réduit à sa plus simple expression : 3 5-gallons posés par terre, un point c’est tout. Pas de table, pas de chapiteau, encore moins de bénévoles. Bon ben, on ne niaisera pas trop longtemps ici…

Gilles m’avait dit que c’était en descente tout le long à partir de là. Hé bien non !  Ce sont encore et toujours des enchaînements, à tendance descendante toutefois. D’ailleurs, dans une partie particulièrement ardue, Pierre m’entend sacrer et me demande si je vais bien. Oui Pierre, je vais bien, c’est juste que les maudites descentes, j’HAÏS ça !!!

Il ne le sait pas, mais il m’est d’un très grand secours durant cette partie. Il en est à son 5e 100 miles et je sais pertinemment qu’il est plus rapide que moi sur la route. Je me fie donc sur lui pour la cadence dans les parties plus roulantes. Je sais que chacun doit faire sa course, mais il n’y a pas de mal à s’inspirer des experts, non ?

Alleluia, la sortie du bois et un chemin carossable !  J’anticipe le parc équestre bientôt, surtout que la Garmin indique que j’approche les 55 kilomètres. Je n’apprendrai donc jamais… En ultra, quand on s’attend à ce que quelque chose finisse bientôt, on se trompe immanquablement. Il reste encore du technique. Ha, pas si pire, mais du technique quand même.

Puis, après 7 heures de course (j’en espérais 6), j’entrevois la fin de la première boucle de 55 (56 selon Sainte-Garmin) kilomètres. Sur place, Barbara, mon père, ma petite sœur (qui vient de terminer sa première course organisée, le 6 km; bravo Élise !), notre amie Marie-Claude et sa fille Marie-Pier.

Pour plusieurs, c’est une première expérience en tant que spectatrices d’un ultra et elles n’en reviennent pas de me voir souriant après 55 kilomètres de course. Heu, c’est que je n’ai que le tiers de fait, s’il fallait que je tombe de fatigue…  Je ne dirais pas que je suis à mon meilleur, mais je me sens d’attaque pour la suite.

Vue l’heure, je sais que j’ai le temps de faire la boucle du lac Gale (18 km) avant la tombée de la nuit. Je décide donc de ne pas prendre mes frontales tout de suite. Après quelques photos de circonstance, je me dirige, la bouche pleine, vers ma prochaine destination. Au passage, je croise Élise. On se félicite mutuellement, on se donne un gros câlin. Ma sœur et moi sommes pas mal différents, mais nous partageons une grande affection mutuelle. Ça ne m’empêche toutefois pas de penser de lui demander un autre imperméable de secours vu que j’ai réussi à faire de l’espace dans mes shorts en me débarrassant de ma boule de plastique.

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Après 55 kilomètres, j’ai retrouvé mon monde… et le sourire ! 🙂

Ce bel intermède où j’ai pu voir mon monde m’a fait un grand bien. Maintenant, back to business. 55 down, 105 to go !

Le plus difficile: ultramarathon ou Ironman?

Nous étions à la maison, en train de prendre tranquillement une bière suite à mon premier marathon en 2007 quand mon père m’a lancé tout bonnement: « La prochain étape, quoi ?  L’Ironman ? ».

Heu, hein ?  Woh minute, je ne suis qu’un être humain, moi là… Durant mon adolescence, j’ai fait beaucoup de vélo (oui Maryse, il y avait des vélos dans ce temps-là), mais toujours en mode « cyclotouriste », pas en compétition. Mes deux vélos sont des cyclos, je m’en sers pour aller travailler (et transporter une panoplie de bagages) durant l’été. Si je voulais me convertir au triathlon, je devrais commencer par me procurer un vrai vélo de course. Pour faire image, ceux que j’ai sont des chevaux de trait, les vélos de course sont des pur-sang.

Mais par-dessus tout, pour me mettre à ça, il faudrait que j’apprenne à nager. Techniquement, je sais nager et suis même capable de faire des « longueurs »… dans ma piscine hors-terre de 21 pieds. Mais faire des vraies « longueurs » ?  Impossible. Il me faudrait prendre des cours pour nager plus efficacement et même là, je ne suis pas certain que je serais très bon… Car voyez-vous, dans ma petite tête, l’être humain n’est pas fait pour se déplacer dans l’eau. Car si c’était le cas, il serait doté d’un équipement spécialisé quelconque: nageoires, pieds et/ou mains palmés, branchies à la limite. Mais il n’a rien de tout ça à sa disposition.

Vous voyez donc comment je perçois un Ironman ?  Pour moi, nager 3.8 km, faire ensuite 180 km à vélo et couronner le tout par un marathon, c’est inhumain.

Lors du Vermont 50, tout en m’attendant à Greenall’s, Barbara a piqué une petite jasette avec Caroline, la femme d’un autre participant. Celle-ci lui a raconté que son mari avait fait des Ironmen, mais que « ça (en parlant de ce qu’on était en train de faire), c’est complètement débile ». Quand Barbara m’a raconté le tout par après, je me suis posé la question: est-ce que c’est plus difficile de faire un 50 milles ou un Ironman ?  Grosse question existentielle pour un dimanche, hein ?  😉

J’ai analysé le tout sous plusieurs angles. L’Ironman nécessite de développer des capacités dans trois disciplines très différentes. Il est donc évident que techniquement, un Ironman est plus difficile que l’ultramarathon.

Côté endurance maintenant. Là, c’est une autre paire de manches. La natation est considérée comme un sport « doux » pour le corps, aucun impact n’étant impliqué. Dans une moindre mesure, le vélo aussi est moins taxant pour le corps que la course. De plus, les parcours utilisés pour les Ironmen (et pour la très grande majorité des marathons) sont habituellement relativement « faciles », c’est-à-dire à peu près dénués de relief. En tout cas, s’il y en a, ça n’a rien, mais rien à voir avec un ultra fait en montagne. Pour vous dire, après 15 milles au Vermont, jamais mes quadriceps n’avaient été autant sollicités. Pourtant, il en restait 35…

Donc, un ultra est peut-être plus « taxant » pour le corps… Mais laquelle des deux épreuves nécessite la plus grande dépense d’énergie de la part des participants ?  Hum…  Je me suis alors mis à penser: combien de temps prennent les meilleurs ?  Quelle est la limite de temps pour compléter l’épreuve ?  Au VT50, le gagnant a pris 6h27 et les coureurs avaient 12 heures pour compléter le tout. Pour l’Ironman, le record du monde est de 7h41 et les compétiteurs ont habituellement 17 heures pour le compléter.

Alors, pour moi c’est maintenant clair: un Ironman, c’est plus difficile qu’un 50 milles. En tout cas, c’est plus difficile que celui que j’ai fait, le VT50. Par contre, à force de lire sur les courses de 100 milles, je ne pense pas que l’Ironman puisse s’approcher de ça au niveau difficulté. Car normalement, les courses de 100 milles se gagnent entre 15 et 18 heures (parfois beaucoup plus selon la difficulté) et tous ceux qui terminent en moins de 24 heures sont considérés comme étant dans une forme physique remarquable.

Donc, cher papa, pour cette raison et seulement pour cette raison (hum hum), je vais skipper l’étape de l’Ironman et sauter directement aux 100 milles. 😉  Ben quoi, je ne rajeunis pas, moi là… Je n’ai pas de temps à perdre !

Toutefois, je devrais peut-être commencer par me remettre à courir, hein monsieur l’ischio-jambier ?

Le long voyage

Le plus long des voyages commence par un simple pas. C’est ce qu’on dit. Et j’avoue que j’ai très très hâte de le faire, ce premier pas.

Le premier pas d’un long périple qui sort un peu de l’ordinaire. La destination ?  West Windsor, Vermont. La date ?  Les 19 et 20 juillet 2014. Cette fin de semaine-là (en tout cas, je pense que ce sera celle-là) aura lieu le Vermont 100 Endurance Run, la course que j’ai choisie pour faire mon premier 100 milles (bon, ça y est, je vois d’ici ma mère en train de freaker devant son écran d’ordinateur). J’avais cette idée derrière la tête dès le moment où je me suis inscrit au Vermont 50 l’an passé. Je me disais que si tout se déroulait bien, j’allais me lancer dans la grande aventure, la vraie.

Car le 100 milles, c’est le nirvana de l’ultramarathonien, l’équivalent du marathon pour le coureur qui a encore toute sa tête. Le 50 milles, c’est un peu comme le demi-marathon: c’est une super belle course, ça prend un entrainement spécifique et un bon investissement de temps pour réussir. Sauf qu’il reste toujours un petit doute, on se demande toujours si on est capable de passer à la distance supérieure. Ben voilà, c’est dans cet état d’esprit que je suis: j’ai fait un 50 milles, je vise maintenant le 100.

Une de mes tantes a exprimé ce que bien des gens pensaient probablement quand ils ont appris que je courrais un 50 milles: “Pourquoi faire ?”. Hé bien, pour rien, justement. Seulement pour me prouver que je peux le faire, pour voir où sont mes limites. Et pour m’amuser parce que je ne me suis jamais autant amusé qu’en courant par ce jour pluvieux de septembre. Ce sera exactement la même chose pour le 100 milles.

Et maintenant, pourquoi attendre à 2014 ?  La réponse est plus logistique qu’autre chose. Boston est en avril et je ne veux pas le faire comme épreuve préparatoire. Je ne pense vraiment pas y battre mon PB (surtout avec cette foutue blessure qui semble vouloir s’amuser à retarder mon entrainement), mais j’aimerais bien me requalifier. Pas que ce serait très utile, vu que je suis déjà qualifié pour 2014 et que je ne compte pas y retourner de toute façon. Mais je ne sais pas, il me semble que tant qu’à aller à Boston, je savourerais plus l’expérience si je me requalifiais. Si je fais Boston “sérieux”, ça veut dire phase de tapering avant, donc diminution de l’entrainement dans les semaines précédant l’épreuve. Aussi, moins de travail en montagne et plus en vitesse.

L’autre facteur non négligeable est que je veux aller chercher plus d’expérience en ultra avant de me lancer dans un 100 milles. Ça signifie faire quelques autres courses de 50 milles avant. Entre Boston et le Vermont 100, il n’y en a pas vraiment, peut-être Bear Mountain au début mai. Mais ça demeure très proche de Boston. Il y a aussi St-Donat, qui est un 58 km, à la fin juin. À part ça…

Bref, le timing n’est pas bon pour 2013. Et de toute façon, c’est déjà complet, alors… Imaginez : le gagnant de 2012 est sur la liste d’attente !  Je compte donc me “contenter” de Boston, St-Donat, du Vermont 50, peut-être New York et probablement une ou deux épreuves plus courtes en montagne, style Sutton et/ou Orford.

Pour 2014, le plan est de faire un marathon au printemps (Barbara et moi aimerions tellement aller à Rome en mars…), Bear Mountain début mai, peut-être Ottawa, St-Donat fin juin et culminer le tout par le Vermont 100. Ensuite, ce sera de mon lit d’hôpital que je vous ferez parvenir de mes nouvelles. 😉

Beau programme, non ?  Surtout, un merveilleux voyage que j’entame. De longues heures, parfois des journées entières à passer seul, à méditer sur la vie, le bonheur, à penser à tous ceux que j’aime et qui me font l’honneur de m’aimer, malgré mes innombrables défauts, mes multiples lubies. Je compte profiter de chaque instant car comme l’a dit Dean Karnazes (ce n’est probablement pas de lui, mais bon…): ce n’est pas la destination qui compte, c’est le chemin qu’on prend pour s’y rendre.