Sur la route, entre Hopkinton et Wellesley

Les 5 premiers kilomètres

La course est lancée. On sent une clameur, puis… rien. C’est toujours comme ça que ça se passe dans une grande course. La fébrilité du début, puis le monde attend de pouvoir avancer. On commence en marchant, puis on arrête. On repart, jogge un peu… autre arrêt. Finalement, en haut de la montée menant à la ligne de départ, ça s’éclaircit devant moi et je peux me mettre à courir. Pour les 185 à 200 prochaines minutes, je vais courir sans arrêt. Vaut mieux ne pas y penser…

Le parcours commence par une descente assez abrupte merci. À ma première expérience, fort de mes aptitudes de coureur des bois, je l’avais dévalée à toute vitesse. Cette stratégie s’était avérée payante à Philadelphie quelques mois plus tôt, alors pourquoi pas ici ? Sauf que tous les experts du parcours disent d’éviter de faire ça, alors cette fois-ci, je demeure dans le milieu de la route et suit le rythme de mes compagnons de course.

Le premier kilomètre se fait tout de même rapidement en 4:12 (je crois que j’avais fait 4:11 l’an passé !). Premier problème: le protecteur que je porte au genou droit est déjà descendu. À l’entrainement, je m’arrêterais tout simplement, puis repartirais. Mais ici, pas question. Je réussis à le remonter à peu près en me disant que la course va être longue (par chance, il demeurera finalement en place jusqu’à Boston)…

Suit la première montée et le ton est donné: nous monterons et descendrons sur 42.2 kilomètres. Je m’efforce de demeurer « en dedans », c’est-à-dire de courir sans faire d’effort. J’essaie de me détendre, d’y aller relaxe. Mais en même temps, pas facile car je suis parti avec des coureurs un peu plus rapides que moi. J’ai beau essayer de faire ma course et de ne pas m’occuper des autres, l’effet d’entrainement est toujours là.

Ceci dit, Boston n’est pas propice aux « amitiés » soudaines entre coureurs. Habituellement en course, je me retrouve toujours avec un ou quelques coureurs/coureuses avec qui je fais un petit bout de chemin. Mais ici, à cause du relief, pas moyen. En effet, personne ne fait les côtes de la même façon, que ce soit en montée ou en descente. Ajoutez le contingent de coureurs qui est le plus fort au monde et ça donne une course où on passe son temps à dépasser et à se faire dépasser.

Ma cadence finit par se stabiliser autour de 4:18/km pour un passage en 21:41 aux 5 kilomètres (il y a toujours une erreur sur la Garmin par rapport au parcours officiel; je me fie toujours sur la Garmin pour maintenir ma cadence). J’ai beau vouloir demeurer « en dedans », je suis déjà plus rapide que l’an passé…

Les kilomètres 5 à 15

Depuis le départ, les paysages ruraux et les petites villes de banlieue défilent sous nos yeux. Déjà que les gens de Boston sont plus chaleureux et accueillants que ceux des autres grandes villes américaines, imaginez les campagnes environnantes. L’ambiance est magique, c’est la fête pour tout le monde ici. Le parcours est peut-être difficile, c’est le plus beau que j’ai eu la chance de voir en marathon. Et de loin !

Dans une descente, je sens une panique derrière moi. Je me retourne au moment précis où une fille que je viens à peine de dépasser se retrouve le visage contre le sol. Ouch !  Comme nous sommes en descente, notre vitesse se situe probablement autour de 16-17 km/h, alors l’atterrissage a dû être brutal. Je songe à arrêter pour l’aider, mais nous sommes en marathon, pas en trail, alors je poursuis ma route en espérant qu’elle puisse se relever et reprendre la course (il y a également des équipes médicales un peu partout sur le parcours, au besoin). Je prie également pour que personne n’ait trébuché sur elle.

10e kilomètre: 43:37. Bon, encore un peu rapide, mais je vais bien. Très bien même. Je ne me sens pas totalement « en dedans », mais au moins aussi bien qu’à New York au même moment dans la course, alors pourquoi ne pas continuer ainsi ?

Autour du 12e kilomètre, je décide de prévenir le teen blues en avalant un gel (saveur jet blackberry, j’adore). Qu’est-ce que le teen blues ?  C’est un phénomène que j’ai observé lors de mes longues sorties et de mes marathons. J’ai toujours un down entre les 13e et 16e kilomètres, comme si mon corps me disait: « Ouf, il en reste encore beaucoup ! ».  L’an passé, j’en avais frappé un très solide, au point que je ne m’imaginais pas finir. Est-ce qu’il existe un meilleur moyen qu’un peu de sucre et de caféine pour prévenir ça ?  Jusqu’à ce que j’en trouve un, ce sera celui-là que j’utiliserai. 🙂

Ce petit boost n’aurait peut-être pas été nécessaire car presque immédiatement après, j’entends crier: « Team Hoyt on the left !  Team Hoyt on the left ! ». Ha, Team Hoyt… L’inspiration de millions de coureurs. Il s’agit de leur 32e et dernière présence ici. Ils sont encore là, Dick, 73 ans, poussant son fils handicapé Rick, 52 ans. Il y a quelques années, ils ont fait le parcours en 2h42, un exploit gigantesque. Aujourd’hui, le père Dick n’est plus en mesure de courir, alors c’est en marchant qu’il fait le parcours. Dans la descente où nous les dépassons, il semble avoir de la difficulté à retenir le baby jogger dans lequel est installé son fils. L’admiration que nous éprouvons tous pour cet homme demeure et nous les applaudissons, lui et son fils, alors que nous passons à côté d’eux. Ce fut un privilège de partager le parcours avec vous, monsieur Hoyt.

teamHoyt

Team Hoyt à l’oeuvre. Remarquez les applaudissements…

Nous entrons ensuite dans la charmante municipalité de Natick où on retrouve une enseigne identique à celle installée à l’entrée de Las Vegas et qui dit, bien évidemment, « Welcome to fabulous Natick ». Tout près de l’enseigne, un band et le chanteur, qui semble habillé comme Elvis (je ne suis pas certain, il y a beaucoup de monde) chante le classique « Always on my Mind ».

Traitez-moi que feffi de romantique fini, je m’en fous: j’adore cette chanson. À la fois simple et profonde, elle me touche, que voulez-vous ?  Et tout de suite, mes pensées se retrouvent 27 kilomètres plus loin (j’ai passé les 15k en 1:05:32), à l’arrivée, où Barbara est peut-être déjà rendue. Oui, je pense à toi, mon amour. Tout le temps, même si ça ne parait pas toujours… (Je sais, la chanson est écrite au passé par un gars qui regrette ce qu’il a fait, mais j’ai droit de l’adapter au présent et garder seulement le titre, non ?)

Du kilomètre 15 au demi

La traversée de Natick se poursuit sans anicroche. Progressivement, ma cadence moyenne a monté et est maintenant rendue à 4:21/km, ce qui est une bonne chose. Le gel a fait des merveilles et le teen blues ne s’est jamais manifesté. Je continue à m’hydrater régulièrement, cueillant un verre d’eau à chaque mille et complétant le tout avec mon GU Brew.

Autour du 19e kilomètre, nous arrivons dans Wellesley. Ha, le fameux scream tunnel qui approche !  🙂  Sur les côtés, des spectateurs nous offrent des lingettes humides et après m’être dit que je n’en avais pas besoin, je décide du contraire. Je bifurque donc rapidement et coupe un autre coureur au passage. Oups, erreur de débutant. Je m’excuse et lui explique que je veux me débarbouiller avant de recevoir mon bec. Puis je corrige: avant de recevoir MES becs. Ben là, tant qu’à y être…  🙂  Le gars sourit, mais c’est tout. Je pense qu’il va demeurer du côté gauche de la route une fois rendu sur place.

Plusieurs histoires ont été racontées au sujet du fameux scream tunnel. On dit que les étudiantes de Wellesley College (l’alma mater d’Hillary Clinton, quand même) y crient tellement fort qu’on peut les entendre un mille avant d’arriver à leur hauteur. C’est un petit peu exagéré. Mais on les entend clairement avant d’arriver. Et une fois sur place, le bruit est assourdissant. Les cris des jeunes filles sont perçants, elles doivent avoir un satané mal de gorge le lendemain, c’est comme rien…  Ce petit vidéo donne une excellente idée de l’ambiance qui y règne. 🙂

Je suis à peine arrivé au début du « tunnel » que j’aperçois une jeune asiatique qui tient une pancarte sur laquelle est écrit: « Kiss me, I want my PR ! ». Bon ben, pas le choix, si la demoiselle vise un record personnel, faut que je me dévoue… Je me penche donc pour qu’on échange un baiser simultané sur la joue, mais la petite me surprend en m’enlignant drette sur le kisser, comme on dit (Always on my Mind, Always on my Mind, Always on my Mind…). Ouais, elle va l’avoir, son record personnel à ce rythme-là !  🙂  J’aurais protesté, mais que voulez-vous, pas le temps, j’ai un marathon à courir moi..  😉

Je reprends ma course et m’arrête une autre fois, au hasard. Moi aussi, j’y vais tout de même pour un record personnel. La jeune étudiante, probablement moins attirée par les vieux pépés, me tend la joue. Ouais, bon, pas pour finir de même, alors un peu plus loin, autre arrêt où j’échange un double-joue simultané avec une jolie jeune fille qui était grimpée sur la clôture. Je n’étais tout de même pas pour la décevoir.

Bon, record personnel établi, retour aux vraies affaires. J’échange quelques high fives en m’en allant, puis j’aperçois une pancarte sur laquelle je lis: « Kiss me, I’m single ! ». Pauvre chouette. Je me sacrifie donc, encore une fois. Et ladite célibataire de me tendre… la joue !  Ha ben, tu vas rester seule longtemps toi ! J’aurais dû garder ma « trilogie ». Ça, c’est comme dans les films. Il y a eu trois Godfather, mais quatre Lethal Weapon et quatre Indiana Jones. Et dans les deux cas, le quatrième était de trop. Même chose pour moi à Wellesley. Moi pis ma gentillesse aussi…  😉

Comme l’année dernière, cet intermède m’a fait du bien. Cette tradition, si unique à Boston, met toujours de la bonne humeur dans le peloton. Ça nous sort de notre bulle « route-cadence-hydratation-alimentation ». Maintenant, retour aux choses sérieuses.

En traversant le centre-ville de Wellesley, nous atteignons la mi-parcours. Le chrono me dit 1:32:37. Je trouve (encore) mon temps de passage trop rapide, mais je me sens bien. Pas au top-top-top, mais vraiment bien. Si les 5 prochains kilomètres ne causent pas de dommage, je me sens d’attaque pour les Newton Hills.

Et si j’étais dans un grand jour ?

Des nouvelles des grands marathons

La fin de semaine dernière, je regardais les résultats du Marathon de Tokyo. Bien évidemment, il a été dominé par les Kenyans qui ont pour ainsi dire monopolisé le top 10. En effet, parmi les 10 premiers, on retrouve pas moins de 7 Kenyans !

Dans l’article, on nous apprend que le gagnant, Dickson Chumba (2:05:42), n’a pris que 14:21 entre les kilomètres 35 et 40. Je n’en revenais tout simplement pas. Ici au Québec, je doute honnêtement qu’il y ait quelqu’un qui soit en mesure de faire un tel temps sur un 5 km. Chumba a accompli cet exploit à la toute fin d’un marathon. Incroyable…

Autre chose que j’ai remarquée en regardant ces résultats: les temps et les athlètes qui les ont réussis. Bien que je sois loin d’être une référence en la matière, il y a un seul nom qui sonnait des cloches quand je l’ai vu: Abel Kirui, deux fois champion du monde et médaillé d’argent à Londres, qui a terminé en 10e place en 2:09:04. Tous les autres m’étaient inconnus et pourtant,  ils sont “descendus” sous les 2h08. C’est sidérant qu’un pays puisse produire autant de coureurs de si grande qualité. Un championnat national au Kenya, ça doit être tout un spectacle !

Mais vous savez ce qu’il y a d’encore plus étonnant ?  Ce pays n’a produit qu’un seul champion olympique au marathon. Hé oui, il s’agit de Samuel Wanjiru qui aurait probablement été le plus grand coureur de tous les temps (il n’avait pas encore 22 ans quand il a remporté le marathon des Jeux de Pékin)… s’il n’avait pas été pris en flagrant délit d’adultère par son épouse. En effet, cette dernière, le trouvant au lit avec une autre femme, enferma le couple dans la chambre située au deuxième étage. Wanjiru a alors tenté de sauter à partir du balcon (on ne sait pas trop pourquoi) et la chute a été mortelle. Un peu loser comme façon de mourir, pas vrai ?

Marathon de Boston. J’ai appris la semaine dernière mon numéro de dossard et mon couloir de départ. Numéro 6693, 7e couloir de la première vague. Ouch !

Pourquoi je dis ça ?  Parce que malgré un temps de qualification 5 minutes et demi plus rapide, je me retrouve dans le même couloir que l’an passé, avec à peu près le même numéro de dossard. Ça veut donc dire que le contingent de coureurs présents cette année sera très, très fort. Pour vous donner une idée, le “temps de coupure” de la première vague est de 3:12:52. Oui, 9000 coureurs qui ont fait moins de 3h13 !  Tout autour de moi, il y aura des gens qui “valent” 3h06, alors que moi, je suis bien loin de ça. Au mieux, je vaudrai 3h10… Il n’y en aura pas de facile !

Côté sécurité, l’organisation met tout le monde en garde, y compris évidemment les spectateurs: les forces policières seront omniprésentes sur le parcours et tous doivent s’attendre à être fouillés. J’espère que l’enthousiasme de la foule n’en sera pas atténué, ça fait partie du charme de cette course. Entre autres, je pense évidemment au fameux scream tunnel des étudiantes de Wellesley College, une tradition à Boston. S’il fallait que la sécurité empêche les coureurs d’avoir leur petit bec au 20e kilomètre…

Marathon de Chicago. Moi qui ai toujours cru qu’il fallait s’inscrire à une loterie ou faire partie d’un groupe caritatif pour participer à ce marathon, voilà que j’ai appris en navigant sur le site de l’événement qu’on pouvait se qualifier et ainsi, obtenir une place garantie. Les critères de qualification ?  D’une simplicité hors du commun: pour l’édition 2014, toute personne qui aura réussi le standard demandé (3h15 pour les hommes et 3h45 pour les femmes) sur un parcours accrédité après le 1er janvier 2012 sera admise. Point final. Pas de zigonnage avec les catégories d’âge.

J’ai trouvé ça intéressant. Ça veut dire que si je voulais courir Chicago, je serais déjà assuré de pouvoir le faire cette année et l’an prochain. Hum, une troisième grand Marathon dans ma besace ?

Bémol cependant: 1350 km, soit la distance entre Montréal et Chicago. C’est deux fois plus loin que se rendre à Philadelphie. Ça pourrait se faire en voiture, mais c’est un peu long à mon goût. Surtout pour courir “seulement” un marathon. L’avion ?  Beaucoup de frais supplémentaires. Et pour une destination pas tellement intéressante, dans le fond. San Francisco, Vancouver, l’Europe, c’est à voir. Mais Chicago ?  Bof…

Marathon de New York. Les inscriptions en vue de la loterie fermaient mardi. Je souhaite la meilleure des chances à ceux qui ont tenté le coup car New York, ça vaut vraiment la peine de le faire une fois dans sa vie.

Cette semaine, j’ai reçu le livre-souvenir de l’édition 2013 par la poste. La grande classe. En papier glacé, on y retrouve quelques articles et surtout, tous les résultats. Ça m’a permis de vérifier si mon nom y était inscrit pour l’éternité et il l’est, à la 1500e place précisément. Je n’ai pas pu m’empêcher d’aller voir le temps de la personne qui a terminé à a 50134e et dernière place. En fait, ils sont deux à partager cet honneur en arrêtant le chronomètre en 10:17:52. Oui, plus de 10 heures pour compléter un marathon !  Je présume qu’une des deux personnes souffrait d’un handicap, je ne peux pas croire…

Marathon de Boston: de Wellesley College à l’arrivée

Note: j’ai écrit le récit qui suit, tout comme celui de la première moitié, en tentant de me remettre dans le même état d’esprit que celui dans lequel je me retrouvais durant la course et juste après. Les événements qui ont suivi ont toutefois altéré ma perspective par rapport à ma performance, qui est bien secondaire maintenant…  Je reprends donc la course où je l’avais laissée, soit à Wellesley College.

“Awesome !  Awsome !”

C’est le gars qui court à côté de moi. Nous venons de terminer la traversée du scream tunnel et nous sommes revigorés. Et en plus, ça descend (vu que ça ne monte pas), alors nous y allons gaiement. Et moi de lancer: “Already done ?”. Ben quoi…

Ok, revenons aux choses sérieuses. Je passe le demi en 1:33:13, un peu mieux qu’à Philadelphie. Mais je sais pertinemment que je ne pourrai pas faire mieux dans la deuxième moitié du parcours, à cause des côtes. Mais un 1h35 pour un temps dans les 3h08 est envisageable. Surtout que j’ai un plan pour les 3 prochains milles. Il est simple: ralentir. Le but: me garder du jus pour les fameuses Newton Hills et puis ensuite, profiter de mon expérience en ultra pour regagner du temps dans les descentes.

Sauf qu’il y a un premier hic à tout ça: je me rends compte que je n’ai rien mangé depuis le départ, à part deux gels. Shit, je dois prévoir le mur, c’est impératif. Je commence donc à fouiller dans mes poches pour prendre un morceau de Power Bar. Après m’être battu avec le foutu ziploc cheap, je réussis à en prendre un et à l’avaler. Puis j’en prends un autre. Aussitôt l’opération complétée, je sens mon estomac plein: en fin de compte, je n’avais pas besoin de manger.

J’essaie de prendre un verre d’eau pour faire passer le tout: je me sens encore plus plein. Merde !  Ok, ça va descendre, ça va descendre… Pas tellement plus loin, je sens un reflux gastrique. Et là, mon esprit se met à imaginer toute la nourriture que j’ai engloutie depuis ce matin qui trempe dans l’acide de mon estomac, avec les bubulles, les émanations et tout le tralala. Merveilleux comme pensée durant un marathon, il n’y a pas à dire.

Au point d’eau suivant, je ne prends même pas d’eau. Au 15e mille, je regarde ma cadence: je n’ai pas ralenti, trop préoccupé par mon système digestif. On aurait pu croire que ça aurait pu, que ça aurait dû me ralentir, mais non, j’ai conservé la même vitesse. Donc, pas suivi le plan. Et je me sens un peu juste, surtout avec les côtes à venir.

Descente vers Charles River et j’atteins la pancarte du 16e mille. Ok, plus que 10, soit 16 km. J’essaie de me convaincre qu’il ne me reste plus qu’une sortie de semaine à faire, sans les intervalles. Mais mes jambes ne sont jamais fatiguées à ce point quand je pars courir la semaine. En plus, mes pieds ont commencé à enfler et je me sens trop serré dans mes souliers. Pas le temps de m’arrêter, je dois endurer car j’ai un ennemi à abattre: le chronomètre. Le maudit chronomètre. Au moins, mon estomac semble s’être replacé.

Arrivée à Newton: le party commence. Et ça monte, ça monte. Définitivement la côte la plus difficile du parcours jusqu’à présent. Pourtant, je suis perplexe. Dans un petit vidéo sur YouTube, Bill Rodgers, 4 fois vainqueur de l’épreuve (je plains le patient qui va vouloir me faire courir ce marathon-là 4 fois !  Quoique la dernière étudiante de Wellesley…  ;-)), nous faisait faire une petite reconnaissance de ces fameuses côtes. Or, selon ma mémoire, il nous disait que tout commençait à la caserne des pompiers de la ville (en fait, il le dit clairement: c’est la deuxième côte qui se présente après ladite caserne; moi et ma mémoire…). C’est que je n’ai jamais vu de caserne, moi… Et ça monte toujours !  Ne me dites pas que cette côte-là ne fait pas partie du lot ?  Ça en ferait 5 ?  Bande de sadiques !

Suite à mes (pas tellement efficaces) devoirs d’avant-course, j’avais prévu perdre une seconde sur ma moyenne globable à chaque côte. J’arrive en haut de ce que j’espère être la première Newton Hill (elle était vraiment longue !) avec une moyenne globale de 4:25/km. Comme prévu, j’ai perdu 1 seconde. Pas de dommage par ailleurs. So far, so good.

Je continue de chercher la fameuse caserne du regard, profitant du plat relatif avant la suite des choses. Finalement, à la hauteur du 17e mille, la fameuse caserne. Mais au moins, je suis certain qu’il ne reste plus que 3 montées, car je suis rendu trop loin. Je pousse un ouf relatif. Nous tournons sur Commonwealth Avenue et la voilà, devant nous, la deuxième. Shit, elle semble assez abrupte merci… Celle-là me rentre un peu plus dans les jambes. Vive les ultras où on se donne le droit de monter en marchant. Au moins, elle est plus courte et comme prévu, j’arrive en haut à 4:26 de moyenne globale.

Le parcours nous donne un certain répit en nous offrant une descente en douceur avant la suite des choses. J’entends d’autres coureurs se plaindre que les descentes sont difficiles pour les jambes. Vous ne savez pas c’est quoi, des descentes, vous autres !  Malheureusement, je ne peux toutefois pas me laisser aller comme je l’aimerais, mes jambes me réclamant une certaine récupération.

30e kilomètre en 2:13:41. Plus que 12. Allez, t’es rendu !  Je calcule qu’à 5 minutes du kilomètre, je me requalifie. C’est déjà ça de pris. Sauf que le simple fait que je me rassure avec ce calcul m’inquiète. Mon subconscient saurait-il des choses que j’ignore ?

19 mille: troisième Newton Hill. À peu près identique à la précédente. Celle-là fait mal. Ce que j’aimerais que ce soit la dernière !  Il fait beau, il vente légèrement, la température est fraiche, nous sommes tous des coureurs expérimentés. Et pourtant, le parcours fait des victimes. Certains marchent. Je tiens le coup, mais ce n’est pas facile. Moyenne en haut: 4:27.

20e mille, le fameux 20e mille. C’est ici que le mur peut commencer à se dresser. Je ne crois pas que ça va m’arriver, j’ai fait mes devoirs de ce côté. 6 sorties de 32 km et plus, quelques gels durant la course, un estomac bien rempli, mes réserves devraient être suffisantes. Mais le reste ?

Une autre montée se pointe. Est-ce Heartbreak Hill ?  Ça doit être Heartbreak Hill. Il FAUT que ce soit Heartbreak Hill !   Les autres autour de moi se posent la même question. Ils ne pourraient pas l’indiquer clairement, question de nous encourager ?  J’ai l’impression de ne plus avancer. Tant qu’à faire, je pourrais bien marcher, comme en ultra ?  C’est aussi efficace et moins fatigant. Je regarde mon GPS pour voir… Ma cadence est encore largement sous les 6 minutes/km, malgré la montée. Merde, si je marche, ça va vraiment me ralentir, je dois continuer à courir. Plusieurs marchent, s’arrêtent sur les côtés. Ce n’est plus que la volonté qui me permet de continuer de courir. Si on peut appeler ça courir…

Comme la pente comence enfin à s’adoucir, je jette un oeil à ma moyenne: 4:28. Cool !  J’ai tenu le coup. Mais la joie est de très courte durée. J’ai à peine baissé mon bras que ma jambe droite en entier, du mollet jusqu’à l’ischio, est terrassée par une crampe, me faisant perdre l’équilibre. J’en ai pour 3 ou 4 foulées à tituber avant de me redresser. “Shit, merde, fuck, TABARNAK !!!” (désolé pour la vulgarité, mais c’est comme ça que c’est sorti). Au même moment, j’entends un son très caractéristique: un gars est accoté sur une clôture, en train de se vomir les tripes. Je l’envie presque. Si j’étais pris comme lui, j’aurais une excuse pour arrêter…

J’essaie de reprendre mes esprits. 21e mille, plus que 5. Ok, c’était certainement HeartBreak Hill. Maintenant, ça descend jusqu’à l’arrivée. Un petit 8 km, t’es capable ! Sauf que je suis maintenant en mode damage control. Je n’ai pas le choix, je dois avancer à petites enjambées et ralentir le rythme, sinon les crampes vont revenir, plus fortes et plus rapprochées. Et cette descente qui se présente, elle est si belle !  Je devrais la faire à 4:00/km, j’en suis réduit à 4:30-4:40. En descente !

À partir de maintenant, je ne pense qu’à une seule chose: finir. Je ne vois plus le parcours, plus les spectateurs. Je sais qu’il y en a maintenant des milliers, mais je ne les vois pas, ou à peine. Chaque mille dure une éternité (vive les kilomètres !). Je dépasse certains coureurs plus maganés que moi, mais je me fais dépasser beaucoup. J’ai horreur de cette sensation: ne pas m’être ménagé assez et me faire dépasser par des gens qui ont mieux géré la course que moi. J’aime terminer en force et là, je suis en damage control. Maudit que j’haïs ça !

23e mille. Cout’ donc, elle est où, votre ville ?  On est encore en banlieue. Ce n’est pas supposé être le marathon de Boston ? À un certain moment, je sens que ma jambe a récupéré, alors j’y vais un peu plus fort. Aussitôt, la crampe revient. Merde !  J’ai l’impression de ne plus avancer, ce que confirme mon GPS: 4:46-4:48/km, ma moyenne est maintenant rendue à 4:29. Je risque de ne pas être en mesure de battre mon temps d’Ottawa…

24e mille. Plus que deux et des poussières. 3.5 km et tout sera fini. Moyenne à 4:30/km. Re-merde. Ça vas-tu finir par finir ?  Plus jamais Boston, plus jamais !  Comme pour nous rappeler que nous sommes toujours en train de faire le Marathon de Boston, il y a une petite côte pour nous avant d’atteindre le 25 mille.  Elle est probablement insignifiante, mais dans l’état où je me trouve…

RuesBoston1

La souffrance des derniers milles…

Enfin la pancarte “One mile to go !!!”. Moyenne à 4:31/km. Pendant une éternité, je pense à ce blogue et me demande si je suis bel et bien dans le dernier kilomètre. En tout cas, je vis la course en microcosme: c’est dur, je souffre, j’ai hâte que ça finisse et me promets encore une fois de ne plus jamais revenir !

Puis, c’est Boylston Street. Et à l’autre bout du monde, l’arrivée. On la voit de loin, de très loin. Je bloque mon regard dessus et avance, une mini-foulée à la fois. Je n’entends ni ne vois la foule. La ligne semble s’éloigner. Maudit que c’est dur !

Finalement, j’atteins l’arrivée. J’aperçois 3:16 sur le chrono officiel. J’arrête mon GPS: 3:12:26. Je suis vidé, complètement brûlé. Sur mes 10 marathons, je le classerais 3e au niveau de la souffrance. Côté performance, je le classerais 2e, mieux qu’à Ottawa où j’avais été une quarantaine de secondes plus rapide, mais sur un parcours tellement plus facile que je n’ose même pas comparer.

La nuée de bénévoles se met alors à l’oeuvre autour de moi. Aussitôt la ligne d’arrivée franchie, on me couvre d’une couverture de survie. Il y a même des bénévoles attitrés à coller un morceau de ruban gommé pour l’aider à tenir en place. Je reçois ma médaille. Ho, très class, je dois dire !  Jamais je n’ai autant senti avoir mérité ma médaille à l’arrivée d’un marathon !

ApresArrivee

Heureux d’avoir terminé, après une performance tout de même pas si mal

Commence alors le long processus qui m’amènera à la sortie. On nous donne de l’eau, du Gatorade, des Power Bar, un petit lunch. Pendant que j’attends en ligne, je me permets enfin de regarder autour de moi. Je regarde la ville, si belle. Et je me dis: “Wow, tu viens de terminer Boston !”. La souffrance se  transforme subtilement en émotion. Je me sens envoûté par ce qui se passe autour de moi. Ça me prend tout mon petit change pour retenir mes larmes. Si Barbara était là, juste à côté, je m’effondrerais dans ses bras, c’est certain.

Ok, un peu de retenue, je me laisserai aller tantôt… Je poursuis ma lente progression vers la sortie. Les indications sont claires, les bénévoles tout autant. Sur une affiche, je vois les temps des premiers. Ça s’est gagné en 2:10:22 ?  Il me semble que c’est lent, non  (ok, j’adorerais être « lent » comme ça) ?  Ça m’encourage un peu, par rapport à ma relative contre-performance.

J’arrive à l’autobus qui est supposé avoir ramené le sac jaune contenant mes affaires que j’avais laissé en consigne avant le départ. Je me place en file devant la fenêtre où il devrait normalement se trouver et j’attends. La bénévole à l’intérieur est tout simplement incapable de trouver un sac, alors c’est long, c’est long… Les gens s’impatientent, commencent à crier leur numéro. Quand elle finit pas sortir un sac, trois numéros sont criés en même temps. Un gars à côté de moi a la bonne idée de tout simplement brandir son dossard dans les airs. Je fais de même et après une ou deux années, je revois enfin mon gros machin jaune identifié 6883.

Les longues minutes resté planté sur place, alors qu’i ne fait pas tellement chaud, ont contribué à faire figer mes muscles. J’ai les mains pleines, il y a du monde partout, mais je dois enfiler quelque chose de plus chaud: je suis vraiment en train de figer. Finalement, je me dirige vers le devant de l’autobus et dépose mes choses dans l’escalier (le sol est vraiment trop bas) , question de pouvoir me changer sans avoir à me pencher. Je réussis à enfiler un chandail avant de me faire gentiment “expulser” de l’entrée de l’autobus.

Direction aire des familles maintenant. Je cherche du regard la lettre “G” et vois tout de suite Barbara qui m’envoie la main. J’envoie la main à mon tour. Et belle surprise: ma mère est là !  Hier, elle avait manqué le souper à cause d’une migraine et nous craignions tous qu’elle ne puisse pas être présente aujourd’hui. Mais elle est là !

Je titube jusqu’à eux et me jette dans les bras de Barbara, tout heureux d’enfin la voir. Mais beaucoup de temps s’est écoulé depuis mon arrivée et la vague d’émotion s’est dissipée. Je sers ensuite ma mère et mon père dans mes bras. Je sens leur fierté. Merci à tous d’être là pour partager ce moment avec moi. Je vous aime…

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Avec ma tendre moitié, celle qui réussit si bien à s’adapter à mes horaires parfois bizarres… Merci mon amour !

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Le fou et son équipe de soutien

Marathon de Boston: d’Hopkinton à Wellesley College, le premier demi

Les couloirs sont bien définis, les groupes de coureurs étant bien séparés les uns des autres. Bref, nous avons de la place en quantité suffisante pour respirer. Pourtant, certains sont nerveux et essaient de se frayer un chemin vers l’avant. On se calme, on se calme…

On ne peut toutefois pas dire que le gars à côté de moi s’en fait avec la vie. Il regarde ma casquette (je porte celle avec la mention: “Si je tombe dans les pommes, prière d’arrêter ma Garmin”) et part à rire. Il me dit qu’il adore ma casquette. Je lui réponds que je l’ai achetée à Philadelphie, portée pour la course et ai établi mon record personnel avec, alors c’est ma casquette chanceuse. Puis je songe au fait que j’en suis seulement à ma deuxième course avec cette casquette-là…

On nous annonce que l’élite est prête, que ces messieurs ont leur game face. Jamais je ne les verrai et je trouve ça un peu dommage. J’aurais bien aimé voir courir les meilleurs au monde. Mais je sais qu’ils auront déjà plus de 1 kilomètre dans les jambes quand je franchirai la ligne de départ.

Coup de canon, coup de fusil, klaxon ?  Mon cerveau n’enregistre pas ce que c’est, mais je sais que le signal de départ a été donné. Le phénomène habituel des départs de courses se produit: on entend le signal, suit une vague d’enthousiasme puis… plus rien. Ça prend toujours un peu de temps avant que la masse se mette en branle et ici, avec la quantité incroyable de coureurs, le phénomène est amplifié. Finalement, nous commençons à remonter Main Street en marchant. Je ne peux effacer le sourire de mes lèvres: je vais courir Boston !!!

Après quelques accélérations/ralentissements, je traverse enfin la ligne de départ, située tout en haut de la montée. Comme tout le monde, je démarrage aussitôt mon GPS. Selon le chronomètre officiel, ça fait déjà 4 minutes que la course a été lancée.

J’avais beau avoir regardé le profil du parcours, je me fais surprendre: ça commence immédiatement par une descente, assez prononcée. Et mes instincts d’ultrarunner sont mis à l’épreuve: avancez, bout de viarge !  Tout le monde a décidé de prendre ça relaxe en partant. Dans ma tête, on relaxera sur le plat; quand ca descend, il faut utiliser la gravité à son avantage, pas taxer ses quads en freinant. Mais je suis coincé du côté gauche, pas moyen de passer…

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Une photo prise au départ. Ça donne une bonne idée…

Après un petit bout plus plat, re-descente. Et re-freinage. J’exaspère et passe sur la gazon. Hé oui, en plein Marathon de Boston, je passe sur le gazon. Malgré les inconvénients, j’ai fait mon premier kilomètre en 4:11, preuve que ça descendait pas à peu près. Je remarque que ledit premier kilomètre est marqué au sol, je me demande si ce sera comme ça tout le long…

Une surprise m’attend autour de ce premier kilomètre, justement: une montée. De quessé ?  Selon ma petite mémoire, les 4 premiers milles étaient en descendant. Erreur. Globalement, oui, mais en observant bien le profil, on remarque effectivement qu’il y a des petites montées. Et ce sera comme ça tout au long de la course. Arrive ensuite le premier mille, où on retrouve un chronomètre officiel. Il semblerait qu’il y en aura à chaque mille, ce qui est assez impressionnant merci. Habituellement, on en voit 3 ou 4 sur le parcours, au grand maximum.

Suit ensuite le deuxième kilomètre. Selon mon GPS, je l’ai fait en 4:26. Ok, je suis dans le rythme. Première gorgée de Gatorade à partir de mes bouteilles, comme le veut ma tradition. Je regarde tout autour et une chose me frappe: je suis en train de courir le marathon le plus prestigieux du monde… et nous sommes en pleine campagne !  Pourtant, il y a des spectateurs, encore et toujours. Pas autant qu’on m’avait dit, mais il y en a partout. Jamais de moment où on se retrouve seuls, une grande première pour moi.

Je regarde devant, je me tourne pour regarder derrière: des coureurs à perte de vue. Une autre première. Mais avec autant de coureurs du même calibre, tout se passe rondement, à part deux zigotos qui courent côte à côte, à exactement la distance chiante entre eux deux: ils sont juste assez loin l’un de l’autre pour optimiser la place qu’ils prennent, mais pas assez pour nous permettre de passer. Une fille se tanne et leur demande carrément de se tasser. Aussitôt, c’est l’avalanche de coureurs dans le trou laissé béant. Ils faisaient quoi, au juste ?

Deuxième mille, arrivée dans la petite municipalité d’Ashland. Et aussi, premier point d’eau. Ouch, ça c’est un point d’eau !  Des tables, en voulez-vous, en v’là !  Et des bénévoles ?  Encore plus !  C’est fou… Je prends un verre d’eau au passage et poursuis ma route, impressionné.

Coup d’oeil à la cadence: 4:22 de moyenne. Ouais, un peu rapide, mais bon, ça descend tout de même depuis le début… Je me sens bien, mais pas “en dedans”. J’essaie de ralentir un peu, mais c’est difficile en compétition: on n’accepte aussi facilement de se laisser dépasser.

Les kilomètres passent et j’arrive au 5e, premier point de chronométrage officiel (il y en aura à tous les 5 kilomètres): je suis en 21:56, soit 4:23 de moyenne (déjà un décalage avec mon GPS). Ok, ça ne va pas si mal. Petit calcul rapide: si je fais toutes les tranches de 5 km en 22 minutes, ça me donne 3h06 à l’arrivée, soit mon record personnel. Mais avec les Newton hills à venir, je pense y perdre au moins 2 minutes, ce qui m’amènerait à 3h08. Ce serait vraiment bien pour un marathon en avril.

Dans le “centre-ville”, on voit plus de spectateurs. Ils sont très enthousiastes, le marathon est vraiment une fête pour eux. Et ils sont dévoués. Certains offrent de l’eau aux coureurs, même s’il y a abondance de points d’eau. D’autres offrent des Mr. Freeze, mais ça ne doit pas pogner fort fort, il fait à peine 10 degrés. Ce que je vois de plus bizarre ?  Un spectateur avec une boîte… de papiers mouchoirs. De quessé ?  C’est que j’ai un petit peu passé l’âge des plaisirs solitaires, moi là… Pour se moucher vous dites ?  Il reste 35 km, je pense que je vais recommencer à morver d’ici la fin. En plus, avec la sueur, il doivent être tout mouillés une fois rendu au moment pour les utiliser, non ?  Enfin, on dirait que certains se posent moins de questions que moi et se servent.

Après une première estimation erronée pour les 4 premiers milles, j’ai fait une autre erreur pour les 12 milles suivants: je pensais que ce serait relativement plat. Hé non. On dirait bien que Boston, c’est tout sauf plat. Je sais que ça fait drôle d’entendre dire ça de la part d’un ultrarunner, mais des côtes en marathon, ce n’est pas la même chose. En course sur route, on a un ennemi: le chronomètre. À chaque fois qu’on parle d’un marathon, on parle du temps réussi. Pas du parcours, pas des conditions. On parle du temps. En ultra, on pense à une chose: vaincre le parcours. À la fin, on compare son temps au vainqueur pour se donner une idée, mais c’est tout. C’est totalement différent comme dynamique.

Malgré tout, entre les 5e et 10e kilomètres, que nous atteignons dans la ville de Framingham, je sens que je prends mon rythme de croisière. Je passe au 10e en 43:53, toujours dans la cadence. Le vent, bien que défavorable, ne dérange pas trop car il est faible et à la quantité de coureurs qu’il y a, je réussis toujours à me trouver un abri.

Puis, peu à peu, je sens une certaine lassitude s’installer. Les enchainements montées-descentes commencent à faire leur effet. Je commence à me dire que les marathons, c’est trop dur. Je suis fatigué de courir sur la route, de me battre contre le temps, passer mon temps à vérifier ma cadence. Je m’ennuie de mes sentiers, de l’air pur, des changements de directions, de la technique… Puis je me dis que ce n’est pas normal d’avoir de la misère de même après 12 km à 4:22/4:23. Ben voyons donc !

Certains ont une théorie à ce sujet: celle du “centre de commande”. Le subconscient, connaissant l’ampleur de la tâche à venir, ordonnerait au corps d’envoyer des signaux de fatigue au coureur, empêchant ainsi ce dernier de dépasser ses limites trop tôt dans la course. Ce n’est pas pour rien que la plupart des coureurs s’entendent pour dire que la course, c’est mental avant tout.

Mais bon, peu importe les grandes théories, autour du 14e kilomètre, je ne me sens pas bien. Je prends un gel expresso, question de stimuler un peu mon corps. Rien ne se passe vraiment, je continue à avancer, me sentant misérable.

Puis, coup de chance, alors que je suis en plein coeur de Natick, qui vois-je devant ?  Un monsieur qui pousse une chaise roulante. En m’approchant, je vois clairement l’inscription “Team Hoyt” sur son coupe-vent. Maintenant âgé de 73 ans, monsieur Hoyt pousse encore et toujours son fils. Je n’ai pas eu l’occasion de visionner leur petit clip avant de partir ce matin et je ne savais pas où trouver leur statue à Hopkinton. Mais ils sont là, juste devant moi. Monsieur Hoyt ne semble plus capable de courir comme avant (il a fait 2h42 ici à l’âge de 52 ans, en poussant son fils !), mais il fait encore la route, en marchant. Il persévère.

En passant près d’eux, je pose ma main sur son épaule et dit tout doucement “Mister Hoyt…”, puis les mots bloquent à la sortie de ma bouche. Je voulais tout simplement lui dire que c’était un honneur, mais ça ne sort pas. Merde !

Je manque mon temps de passage au 15e kilomètre (1:06:02, j’ai un petit peu ralenti), mais qu’à cela ne tienne, je sens une poussée d’adrénaline dans mes veines. Je commence par me sermonner: “Arrête donc de te plaindre, est-ce qu’il se plaignent, ces deux-là ?”, puis entreprends de faire ce que j’aurais dû faire depuis le départ: découper le parcours en petites tranches. Bientôt, je serai rendu au 10e mille. 2 milles plus loin, ce sera le fameux scream tunnel de Wellesley College. Puis, au 13e mille, ce sera la moitié. Ensuite, 3 petits autres milles et nous arriverons à Newton. Après, ce seront les côtes, puis ça descend jusqu’à l’arrivée. Simple non ?

Le 10e mille est rapidement passé. Je poursuis mon chemin, déterminé. Peu avant le 12e mille, une insigne: “Welcome to Wellesley”. Je ne peux retenir un petit sourire: bientôt, je verrai et entendrai enfin  les fameuses étudiantes de Wellesley College.

Leur présence ne tarde pas à se faire sentir. Au moins 500 mètres avant d’arriver à leur hauteur, on les entend crier. Non, ça ne peut pas être ça…  Hé oui !  Au loin, on les voit déjà, massées contre une clôture de sécurité, les mains tendues vers les coureurs pour donner des high five. Et elles crient, elles crient !  Assourdissant. La moitié d’entre elles tiennent des pancartes intimant les coureurs de les embrasser. Des exemples ?  “Kiss me, I’m from Oregon !” (non mais, je n’en ai rien à cirer, moi..), “Kiss me, I major in science!” (pour geeks seulement), “Kiss me, I use the tongue !” (elle doit être laide, c’est comme rien) ou la grande classique “Kiss me, I’m a call-girl !” (heu..). Hallucinant. Ce petit vidéo et celui-ci donnent une bonne idée de l’ambiance… mis à part le volume des cris, qui est beaucoup plus élevé sur place.

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Voilà le support auquel nous avions droit. Malheureusement, la dame sur la droite ne tenait pas de pancarte… 😉

Bon ben, ça fait partie des bénéfices marginaux d’une participation au Marathon de Boston, pas le choix…  En fait, nous avons l’embarras du choix, justement. Sauf que de l’angle où nous arrivons, difficile d’associer un visage et une pancarte (je sais, pervers-pépère). Je cherche une Québécoise, une Canadienne au pire. Rien. Je jette alors mon dévolu sur l’étape suivante et m’arrête à une demoiselle tenant une pancarte: “Kiss me, I’m British !”. Je lui lance: “You’re British ?  I love you !”. Excès d’enthousiasme, je l’admets.  Elle a l’air toute surprise, j’ai comme l’impression qu’elle n’a pas été très populaire depuis le départ. Elle me tend alors… la joue !  Ben voyons chose, tu tiens une pancarte demandant de t’embrasser et tu veux un petit bec sur la joue !?!  Ça m’a pris 8 marathons avant d’obtenir le droit de venir ici et tu me tends la joue ?

Enfin, pas vraiment le temps de discuter, je dépose un petit baiser sur la joue de la demoiselle et repars. Après quelques high fives supplémentaires, je m’arrête à une autre demoiselle qui réclame un baiser (et dont je ne me souviens plus la « motivation »). Jolie fille, brunette frisotée, une chose me frappe: elle pourrait être ma fille !  Sans blague, mes parents avaient mon âge quand j’étais à l’université.  C’est ça, les beaux jeunes hommes, plus rapides (il faut faire moins de 3h05 pour se qualifier quand on a moins de 35 ans), sont chose du passé et maintenant, il ne reste que les vieux bonshommes comme moi et les dames pour ces jeunes demoiselles…

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Un beau jeune homme qui a droit au traitement royal ! 🙂

Mais celle-ci ne semble pas trop s’en faire avec ça et on se dépose simultanément un baiser sur la joue, puis je repars, fier comme un paon. J’ai bien évidemment manqué mon temps de passage au 20e kilomètre (1:28:17 selon les résultats officiels) et perdu une seconde sur ma moyenne dans l’opération. Mais on s’en fout un peu, non ? 🙂

Allez, amenez-le, votre fameux deuxième demi !