De la route aux sentiers: deuxième partie

Ce soir, deuxième partie sur le thème « ce que j’aurais aimé savoir quand j’ai commencé à courir des ultras en sentiers ».

Ok, chose essentielle qu’il faut développer pour bien réussir son ultra: sa facilité d’adaptation. Car entendons-nous bien, sur la route, les courses durent habituellement  moins de 4 heures. Les conditions sont connues au départ et changent peu durant le déroulement de l’épreuve. On peut donc choisir son équipement (c’est-à-dire, son habillement et c’est à peu près tout) en conséquence. En ultra ?  Les courses sont parfois tellement longues qu’on peut souffrir d’hyperthermie et d’hypothermie… durant la même épreuve !  Ce qui fait que des petits détails peuvent créer une énorme différence. Comme choisir un réservoir plus grand pour transporter du liquide. Ou avoir un imperméable avec soi quand la pluie se met à tomber. Car c’est bien beau être en mesure de garder sa chaleur en courant, si ça se met à tomber alors qu’on est dans une section lente…

Il faut dire que les conditions météo viennent jouer un rôle de premier plan en ultra, pas mal plus que sur la route en tout cas. Voyez-vous, en général, les courses sur route (et particulièrement les marathons) sont organisées à des moments de l’année où les conditions sont habituellement favorables à l’effort physique, soient le printemps et l’automne. Bien sûr, il arrive que Dame Nature ait des sursauts et amène des températures chaudes quand on ne s’y attend pas vraiment, mais règle générale, tout est mis en place afin maximiser les chances de bonnes performances de la part des athlètes.

En ultra ?  On dirait que les organisateurs se disent que si on est assez fous pour se taper plus d’un marathon sur nos deux jambes, aussi bien nous rendre ça plus difficile encore. Tant qu’à faire. Ce qui fait que plusieurs courses sont organisées… en plein été. Je me souviendrai toujours, au moment où je suis sorti de la voiture la veille de l’Eastern States,  m’être demandé comment je pourrais bien être en mesure de faire 100 (102.9, en fait) miles sur mes deux pattes alors qu’il faisait 35 degrés avec une humidité avoisinant les 100%. Ben oui, en Pennsylvanie au mois d’août, tu t’attendais à quoi, du con ?

L’adaptation, c’est aussi apprendre à poursuivre malgré certains bobos: ampoules, irritations cutanées causées par le frottement répété (petit conseil messieurs: quand ça atteint les parties intimes, n’essayez pas le Deep Relief), quads détruits par les descentes, problèmes gastriques… Toutes des choses que je ne connaissais pas du temps où je ne faisais que du bitume. J’ai donc dû apprendre, quand c’est possible, à traiter ces bobos avec les moyens du bord. Ou à les endurer. De toute façon, ce sont des épreuves d’endurance, non ?  Mais l’idéal, c’est de les prévenir. Par exemple, en tentant de diminuer la longueur des enjambées dans les descentes pour sauver les quads. Sauf qu’il y aura toujours quelque chose, quelque part qui ne fonctionnera pas comme on l’avait anticipé. Faut vivre avec.

Dans un autre créneau, un grand principe que j’essaie le plus possible d’appliquer : toujours, toujours avancer. Comme ils disent en anglais: keep moving forward. C’est que voyez-vous, contrairement à la route où on attrape un verre au vol en passant en coup de vent aux points d’eau, la tendance est à prendre ça plus relaxe lors des courses en sentiers. On s’arrête, on se change, on regarde le « menu », on rigole avec les copains, on jase avec l’équipe de support. Et on a parfois le don de niaiser, comme on dit en bon français.

J’essaie donc de ne pas perdre trop de temps, autant aux ravitos qu’ailleurs. Les selfies et les vidéos en course, ce n’est pas le genre de la maison. Bien évidemment, quand je dois remplir mon réservoir ou changer de vêtements/chaussures, je prends le temps qu’il faut, mais j’essaie le plus possible de ne pas m’attarder. Je dois manger ?  Je prends des choses avec moi et je mange le tout en marchant. 5 minutes d’arrêt à chaque poste de ravitaillement, s’il y a 20 postes sur le parcours, ça fait 100 minutes au final. Si je peux en sauver ici et là…

Pour ce faire, il faut savoir se préparer avant d’arriver à un ravito. Donc, quand j’approche, j’essaie de faire une liste mentale des choses que j’aurai à faire. Ai-je besoin d’un remplissage ?  Qu’est-ce que j’ai le goût de manger ?  Est-ce que je prends un coupe-vent ?  Ou mes lampes frontales ?  Le but étant de ne pas perdre de temps inutilement tout en prenant soin de ne rien oublier dans la précipitation.

Évidemment, ce n’est pas infaillible et il m’arrive encore (trop) souvent de zigonner devant une table à ne pas savoir quoi prendre, puis de repartir en oubliant des trucs. Ça arrive surtout la nuit, quand on est fatigué et que le cerveau commence à se laisser aller.

Ha, la nuit… La belle affaire !  Quand elle se présente à nous, on a habituellement entre 12 et 16 heures de course dans les jambes et ce, après avoir peu dormi la veille. Bref, la fatigue commence à nous envahir. Ce qui fait que le cerveau devient… moins fiable, disons.

À la lueur des lampes frontales, les arbres et plantes de la forêt prennent des allures bizarres et produisent des jeux d’ombres… étonnants, je dirais. On finit par s’y habituer, à savoir que ce qu’on voit n’est pas vraiment la réalité, mais on y porte tout de même attention. Et on n’avance pas, Dieu qu’on n’avance pas !  Sur les portions de route, ce n’est pas si mal, mais dans les sentiers, surtout s’ils sont le moindrement techniques…

Le manque de sommeil, vous demandez ?  Pour ma part, c’est très variable. À Bromont, les deux fois j’ai traversé mes nuits sans avoir à combattre. Mais il m’est aussi arrivé d’avancer comme un zombie, luttant de toutes mes forces pour demeurer réveillé. Le pire que j’ai vécu s’est produit à Eastern States où je me sentais comme dans un cours de philo jadis: ça m’a pris tout mon petit change pour ne pas littéralement tomber endormi en plein milieu du sentier.

Quant à la peur du noir, ça dépend des gens. Un ultramarathonien m’a déjà confié qu’il avait abandonné son premier 100 miles parce qu’il avait eu la peur de sa vie durant la nuit. Moi, on dirait que je redeviens un adolescent et suis inconscient du danger potentiel. Les ours ?  Bah, les autres devant les auront certainement fait partir !  Un serpent à sonnette ?  Il doit être parti avec les ours…  Une blessure en pleine nuit ?  On trouvera bien un moyen…

Certains se demandent comment on peut bien faire pour demeurer en course aussi longtemps. Avant de le vivre, je ne comprenais pas moi non plus. Je me souviens m’être levé un beau samedi matin et être allé voir comment mes amis se débrouillaient à Virgil Crest, qu’ils avaient débuté quelques heures plus tôt. Je suis allé faire ma course matinale et suis revenu. Mes amis couraient encore. J’ai fait mes étirements, dîné, vaqué à mes occupations. Ils couraient encore. Le souper, la petite marche avec le chien, la douche, le petit film avant d’aller se coucher. Hé oui, ils couraient encore ! Et quand je me suis levé le lendemain matin, ils venaient à peine de terminer. Je n’en revenais tout simplement pas.

Eh bien voilà ce que j’ai appris depuis : quand on est dedans, ce n’est vraiment pas si pire que ça. On trouve même ça « normal ». On a une « job » à faire, on la fait, c’est tout. Et quand on fait quelque chose qu’on aime, le temps passe tellement vite, c’est fou.

Ça ne doit pas être la même chose pour les équipes de support. Dans le cadre des courses sur route, nos proches viennent parfois assister à nos « exploits » en tant que spectateurs, rien de plus. Ha, il arrive qu’on leur laisse un cossin ou deux en passant, mais à part ça… Il en est tout autre quand on fait un ultra. En effet, pour ceux qui ont la chance d’en avoir une, l’équipe de support peut jouer un rôle déterminant dans le déroulement d’une épreuve. Car non seulement sa présence nous permet de découper mentalement le parcours en sections plus courtes, mais elle nous assure également qu’on pourra disposer de toutes nos affaires à plusieurs endroits prédéterminés. Ceci permet au coureur de profiter de sa saveur de boisson sportive préférée tout au long de l’épreuve ou que s’il se produit un pépin, il n’aura pas à faire trop long avant de pouvoir régler son problème. Et ça, c’est très rassurant.

Mais ce que ça doit être long… Il m’arrive de quitter un ravito et de dire à mon équipe qu’on devrait se revoir « dans trois heures ». C’est presque la durée d’un marathon !  Si on compte un maximum de 30 minutes pour trouver le ravito suivant, ça fait quand même 2 heures et demi à tuer… J’avoue que ça m’impressionne et ça me met un peu mal à l’aise. Mais à chaque fois, les membres de mon équipe m’ont assuré avoir adoré l’expérience et bon, si mon père a toujours été de la partie, je me dis qu’à quelque part, il doit aimer ça !

Et si on n’a pas d’équipe de support, on fait quoi ? On doit utiliser des sacs d’appoint ou drop bags. Ça, c’est la planification à l’état pur puisque non seulement on doit prévoir ce dont on aura besoin durant la course, mais on doit également prévoir où on en aura besoin. En effet, ces sacs sont laissés à des endroits pré-déterminés et ne « suivent » pas le coureur de ravito en ravito.

Personnellement, je ne m’en suis servi qu’une seule fois, lors de la Petite Trotte en juin, et ça s’est plutôt bien passé. Mais bon, les conditions de course ont été pas mal uniformes ce jour-là, alors…

Quant aux pacers, il semblerait qu’on les retrouve seulement de ce côté-ci de l’océan. Si j’ai déjà joué le rôle à deux reprises, je n’ai pas encore pu profiter de la présence de quelqu’un qui me changerait les idées durant les longues heures de fin de course. Comme je dis souvent à la blague quand on me demande en cours de route si j’aurai un pacer plus tard: je n’ai pas assez d’amis pour ça !  😉

Il faut dire qu’il est recommandé d’être accompagné par quelqu’un de proche et idéalement, de son calibre ou à peu près. Car à la fin d’une longue épreuve, on peut devenir un véritable trou du c… et perdre facilement patience pour des niaiseries. D’où l’idée que la personne accompagnatrice connaisse suffisamment son coureur pour ne pas lui en tenir rigueur.

J’ai entendu des histoires de coureurs qui s’engueulaient littéralement avec leur pacer, entrainant des « congédiements » et/ou « démissions » sur le champ. Je dois avouer que j’éprouverais probablement un plaisir coupable à assister à un tel spectacle… Non mais, deux zigotos qui s’enguirlandent en pleine nuit, dans le milieu de nulle part, ça doit être surréaliste.

Je reviendrai justement sur la partie plus « humaine » de notre sport très prochainement.

Ultimate XC St-Donat 2015: la course

J’entame la course dans le milieu du peloton, ou à peu près. J’aime bien la première section du « nouveau » parcours : elle est ondulée, assez roulante, pas trop technique. Parfaite pour une mise en jambes en début de course. Je constate toutefois sas tarder que Dan nous a encore emplis avec son histoire de « parcours plus sec que jamais ». Ben oui, Chose. Déjà à ce point, il me semble y avoir plus de boue que l’an passé. Rien à voir avec 2013, bien évidemment, mais quand même.

Guillaume, un de mes lecteurs, me rejoint et me reconnait, probablement grâce à mes maudits protecteurs aux genoux dont je n’arrive pas à me débarrasser. On jase un peu, du parcours, surtout. Quand je lui demande si c’est sa première fois ici, il me répond que oui. Je lui demande alors s’il est bon dans les descentes et aussitôt, autre réponse affirmative… suivie d’un petit rire gêné. Ha, un vrai coureur : il n’aime pas se vanter. Mais entre nous, il n’y a pas de honte à se dire si on est plus habile dans tel ou tel aspect de la course, bien au contraire.

Toujours est-il que lorsque je réponds par un simple « Non » à sa question à savoir si je sens que j’ai récupéré de Massanutten, on dirait que ça lui donne un coup de fouet et il s’envole, comme s’il s’était dit que bon, calquer sa course sur celle d’un gars qui n’est pas remis d’une course qui a eu lieu 6 semaines auparavant, ce n’était pas vraiment une bonne idée.

Denis est un autre que j’ai vite perdu de vue. Il me suivait depuis le départ, puis soudain, il m’a dépassé et lui aussi semble parti pour la gloire. Décidément…

Le rythme est plutôt rapide depuis le début et c’est avec un certain soulagement que je vois la première montée se pointer. Ça va me permettre de regagner un peu de terrain.

Tiens, il me semble que c’est moins efficace mon affaire. Encore une fois, je rejoins du monde, mais moins que les autres années. Peut-être suis-je simplement parti plus à l’avant du peloton ?  Toujours est-il que je réussis tout de même à reprendre Guillaume, mais il demeure collé à mes baskets. C’est qu’il grimpe bien, le jeunot, particulièrement pour un gars de sa taille. S’il est le moindrement fort en descente…

Au sommet, je me tasse pour lui laisser le passage. Il me sourit et se transforme en véritable fusée. Pas moyen d’observer sa technique, question d’apprendre un peu, il est déjà hors de ma vue. Ayoye !  Il va vraiment falloir qu’il « casse » pour que j’aie la moindre chance de le rejoindre !

Dans la section technique nous amenant au pied de la Grise, je jure comme un bûcheron à chaque fois que je m’enfarge, c’est-à-dire très souvent. Non mais, c’était quoi l’idée que tu avais de rêver à un podium ici ?  Tu es nul en descente, presque aussi nul dans le technique, c’est quoi qui t’est passé par la tête ?  Tu as eu une crampe au cerveau ou quoi ?  Du con…

Je me retrouve seul, déjà. Mais en quelle position puis-je bien être ?  10e ?  15e ?  20e ?  Aucune espèce d’idée. Peu importe, la course est encore jeune. Et il commence à faire moins froid. Donc, out les arm warmers. Mais où les foutre ?  Mes poches sont pleines, alors pas le choix : dans mes shorts. À la guerre comme à la guerre !

Au sommet de la Grise, je décide d’arrêter pour relacer mes souliers, trouvant que mes pieds s’y promènent un tantinet trop allègrement. Toutefois, les moustiques ont décidé que tout arrêt était interdit ici et se mettent en meute pour m’attaquer. Au final, un seul soulier verra ses lacets resserrés, étant dans l’incapacité d’endurer ces voraces bestioles une seconde de plus.

Dans la petite montée avant la grande descente, je rejoins Denis qui me dit qu’il a bien tenté de demeurer avec Laurent et Benoit, mais qu’il a décidé de les laisser aller. Dans la descente, miracle, un coureur qui ne va pas plus vite que moi ! On la fait donc ensemble, pour ensuite arriver au Nordet (12.5 km).

Sur place, pas de verre. Bah, je m’en tire en utilisant un couvercle de thermos. Ici, le système utilisé par l’organisation n’est pas au poil, chaque coureur devant attendre après la pompe qui tire l’eau directement d’une cruche de 18 litres. Dans les autres courses, les bénévoles utilisent des pichets, ce qui accélère le processus. J’avoue que c’est un peu chiant, devoir attendre que l’autre coureur ait fini de remplir sa bouteille avant de pouvoir prendre une ou deux gorgées d’eau.

La première femme arrive comme je lève les feutres. Bon, vais-je me faire chicker encore une fois cette année ?  Bah, on verra si elle est encore sur mes talons dans la montée de la Noire. Et puis cout’ donc, si elle est plus forte que moi, elle passera, un point c’est tout !

Dans la section plus technique nous menant au lac à l’Appel (19 km), Denis me distance plus ou moins. Quand on est ensemble, lui aussi se pose des questions sur le parcours supposément plus sec que jamais. « Il avait l’air de quoi, avant ? ». T’aurais dû voir… Mais je demeure persuadé qu’il était dans un meilleur état l’an passé.

Au ravito, je demande des nouvelles des coureurs du 38 km. On me dit qu’ils sont tous passés. Ha oui ?  Déjà ?  Seraient-ils plus forts ?  Ou peut-être est-on partis en retard ?

Enfin, je ne perds pas de temps à la station : je mange quelques morceaux de banane, avale un verre d’eau et reprends aussitôt les sentiers. Denis, qui remplit son réservoir, me rejoindra bien assez vite. Quant à moi, je juge pouvoir me rendre au lac Lézard (29.8 km) avec ce que j’ai.

Tiens, ne fallait-il passer dans le lac ici ?  Je ne sais plus. Peu importe, c’est en traversant un petit pont en bois que je croise les « fermeuses» de parcours de la course de 38 km. Je vais donc bientôt me mettre à rejoindre des coureurs.

Ce qui se produit effectivement un peu plus loin. Je les encourage en passant à chaque fois, puis entame la montée de la Noire. J’aime bien cette montée : longue, ardue et même technique par moments, elle se fait en plusieurs sections, ce qui peut décourager les gens à la longue. J’espère bien y gagner quelques positions.

Malheureusement, à chaque fois que je vois une silhouette se profiler, c’est celle quelqu’un qui prend part à la course de 38 km. Pas un chat du 60 km en vue, ça en est frustrant. Arrivé au sommet, mise à part une vue superbe, rien. Par les années passées, le ravito était installé ici, mais cette année, il est 3 km plus loin, à l’endroit où les parcours des deux courses se séparent momentanément. Petit coup à la réserve sur mon dos : ok je devrais me rendre, surtout que ça descend.

Ça descend, mais c’est technique, bout de viarge !  Je réussis quand même à gagner du terrain sur quelqu’un. Ce n’est pas un gars de ma course, je ne peux pas croire… Je parviens à diminuer progressivement la distance qui nous sépare, puis soudain, il se retourne et me lâche la question qui tue : « Tu ne trouves pas que ça fait longtemps qu’on n’a pas vu un flag rose ? »

Ha ben, TABAR… !!!

Effectivement, on n’en voit pas autour. Je retourne sur mes pas et en aperçois un au loin. Ok, nous sommes sur le bon chemin. Nous poursuivons, mais les rubans se font rares… On en voit de temps en temps, mais ils sont tous défraichis. L’autre gars aperçoit une aile d’avion. « Ce n’est pas la première fois que tu le fais ?  As-tu déjà vu un avion écrasé ? ». Ils en parlent sur le site de la course, mais non, je ne l’ai jamais vu…

MERDE !!!

Je m’entête. Trouvant que ça n’avance pas assez vite, je pars devant, suivant le sentier. Pas de rubans. Je poursuis, m’enfonce. Je me doute bien, non, je SAIS que je ne suis plus sur le parcours.  À chaque enjambée, je m’éloigne du point où je devrais revenir. Mais je ne retournerai pas. Pas question. Où je m’en vais ?  Aucune espèce d’idée. Mais je ne retournerai pas, un point c’est tout.

Maudit que j’ai la tête dure…

Après le technique, du roulant. Je fonce à vive allure, comme si c’était pour améliorer la situation. Je ne retournerai pas. Si je me perds, il y a bien quelqu’un qui va me retrouver et j’aurai mon premier DNF. Mais je ne retournerai pas. C’est-tu assez clair ?

Je croise des randonneurs. Avez-vous vu des coureurs ?  « Oui, pas tellement loin, en montant sur la droite. »  Ça me conforte dans mon idée. Mais « pas tellement loin », ça veut dire combien, ça ? C’est parce que je commence à être très bas côté liquide…

Après une éternité à rouler, j’entends des voix. Serait-ce le ravito ?

Je poursuis, à pleine vitesse, puis arrive sur une montée. En haut, des tables, du monde qui parle fort. Le ravito. Ouf !

Il est rempli de coureurs du 38 km. J’en aperçois un seul du 60, un gars qui m’a dépassé plus tôt. Il a l’air vidé et se laisse tomber sur une chaise. Le plus dur est passé, mec, si ça peut t’encourager.

Avec l’aide d’une bénévole très efficace (ils le sont tous à cet endroit), je remplis mon réservoir et vide deux sachets de « LG » (la boisson énergétique de Louis Garneau, un test en vue du Vermont 100) dedans. Petite bouffe et je prends le (bon) sentier exclusif à notre gang du 60k.

Cette section est un peu décourageante, car relativement longue et répétitive. Elle se fait bien, n’est pas trop technique, mais on a l’impression de ne pas avancer, qu’elle ne finit plus.

Mais ce n’est pas le sentier qui me préoccupe en ce moment. J’ai plutôt des problèmes de conscience. De sérieux problèmes de conscience. À Bromont, je m’étais trompé de la même façon, mais sur pas mal moins long et je savais que je ne m’étais pas avantagé, autant sur la distance que sur la difficulté du chemin emprunté.

Ici, je ne le sais pas. Côté distance, ma Garmin semble dire que c’est équivalent. Mais pour ce qui est de la difficulté ?  Là est le problème. Et si ce petit « détour » m’avait fait sauver du temps ?  Et s’il me permettait de gagner une ou plusieurs places ?  Déjà, est-ce que j’aurais rejoint le gars que j’ai vu au ravito ?

Et que dire si je termine devant Guillaume ou quelqu’un d’autre qui m’a déjà dépassé ? Et si je terminais sur le podium ?  Ça non, je ne pourrais pas vivre avec cette idée. Faire un podium illégalement, jamais. Je me dénoncerais.

De toute façon, théoriquement, je n’ai pas suivi le parcours, alors je devrais être disqualifié, peu importe mon rang. Ha, que faire ?

C’est décidé, je vais terminer cette course, mais en arrivant, je vais aller me dénoncer. Voilà, c’est la bonne chose à faire.

Bon, on a beau avoir l’esprit occupé, la section ne passe pas plus vite. Et toujours personne devant, personne derrière. À croire que je suis le seul à faire cette satanée course. Quand se présente finalement la montée menant vers Inter-Centre (38.3 km), c’est une véritable bête que j’ai à affronter. Elle est longue, ardue par moments. De plus, les mouches à chevreuil m’obligent à me métamorphoser en ado et retourner ma casquette, palette vers l’arrière. C’est qu’elles ont le don de venir me bouffer le cuir chevelu juste par le petit trou situé derrière… Sales bestioles !

Pendant que je monte, je songe à ce que je ferai une fois rendu au ravito. C’est un des avantages de connaitre le parcours : on sait quand on approche et on peut se préparer au lieu de se planter devant les tables en se demandant ce dont on a besoin.

Pendant que je pige dans les chips, on m’apprend que je suis dans les premiers. Ha non, ne me dites pas que je suis premier… « Non, mais vous êtes dans les premiers ! ».  Shit, définitivement que je vais devoir me disqualifier en arrivant.

Direction Vietnam. Après une belle petite descente, on entre dans le vif du sujet. Pour une fois, Dan exagérait à peine : il y a effectivement beaucoup de petits rubans roses. Pas aux 6 pouces, mais quand même. La première section passe plutôt bien, puis je crois reconnaitre l’endroit où j’étais demeuré coincé en 2013. Cette fois, ça passe comme du beurre dans la poêle. La traversée des rivières ?  Bof…

Puis le Vietnam, le vrai, celui qui est annoncé avec une pancarte, se pointe. Ouch !  C’est le retour dans le monde du « si vous ne vous tenez pas aux arbres, vous allez faire un plongeon; note: les arbres pourraient toutefois être déjà déracinés ». Ça, il n’y en avait pas l’an passé, je suis prêt à le jurer. On ne s’enfonçait pas dans la boue jusqu’à la taille non plus. Ha, espèce de Dan Des Rosiers à la m… !

Je rejoins une nouvelle fois les derniers du 38 km. Leur verbal et leur non-verbal sont unanimes : ils détestent ça !  J’avoue que j’ai aussi hâte que ça finisse et c’est avec un certain soulagement que je me retrouve sous la 329, de l’eau jusqu’aux genoux.

Suite à la remontée du ruisseau, que je fais évidemment du mauvais côté, question d’avoir des acrobaties à accomplir pour le traverser et regagner le sentier, c’est la montée qui m’amènera au Chemin Wall (42.2 km). Ha, on peut relaxer…

Hé non. Ça monte, oui, mais c’est aussi faux-plat par bouts et ce n’est pas un 100 miles que je fais, c’est un 60k, alors je dois courir. Avec ces maudites mouches à chevreuil qui tournent et tournent encore… Et quand elles piquent, elles partent avec un morceau viande, les espèces de…

J’aperçois une chaise, à l’endroit même où un bénévole devrait normalement se tenir pour annoncer nos numéros aux autres qui sortiraient nos sacs.  Et là, il n’y… qu’une chaise. Bizarre.

J’arrive sur place, les trois bénévoles sont en pleine discussion sur la délinquance chez les poissons rouges en Amazonie ou quelque chose du genre. Heu, s’cusez, c’est que j’ai une course à faire, moi là…

Ils se mettent alors à chercher mon sac. Moi qui ai hésité avant de décider si je le réclamerais ou pas, voilà que je perds du temps à l’attendre. Vous me direz : oui mais on s’en fout, tu vas te disqualifier de toute façon… Ben… peut-être pas. Comme je ne vois personne depuis belle lurette, je suppose que les coureurs plus rapides, ceux qui étaient devant, sont toujours devant. Alors si c’est le cas… Bref, après de longues recherches, on me tend mon sac. Je l’ouvre.

Mais il est où, mon Playboy ?

La blague tombe un peu à plat. Ok, j’avoue qu’elle fait très « années ‘80 », mais quand même… Et puis, est-ce que ça existe encore, le Playboy ?

Je récupère des sachets de LG et redonne mon sac aux bénévoles afin qu’ils puissent reprendre leur conversation de haute importance. Pas de changement de souliers, ni de casquette, ni de t-shirt cette année. J’ai appris que ça ne servait pas à grand-chose.

Tant qu’à arrêter, je fais faire un dernier plein (cette bénévole est pas mal plus efficace que ceux attitrés aux drop bags) de mon réservoir, puis reprends les sentiers. Ça devrait être la dernière fois que je m’astreins à l’opération.

La section m’amenant au lac Lemieux (46 km), je la connais sans vraiment la connaitre. Je sais qu’elle est technique et je sais qu’elle monte. Longtemps. Je la fais donc sans me presser, mais sans niaiser non plus. Et elle me semble encore une fois beaucoup plus longue que les 3.8 km qu’elle mesurerait officiellement.

Ha merde, j’ai oublié de laisser mes arm warmers dans mon drop bag. Pas fort. Finalement, ils auront passé 5 kilomètres sur mes bras et 55 dans mes shorts…

Au ravito, un grand gaillard et deux femmes. Du monde du 38 km ?  Hum, ils ont l’air pas mal trop forts pour être du genre que je rejoins… Coup d’œil à leurs dossards : ils sont de la petite trotte à Joan !  Wow, ce monde-là est dans les sentiers depuis 24 heures maintenant, ils sont en train de finir l’aller-retour de ce parcours infernal !

Disons que la course semble avoir laissé des traces. Une des deux filles a l’air complètement écoeurée. Le bénévole tente de lui offrir de l’aide, tout semble la déranger. Elle est à bout. Je connais, mettons. J’essaie de les encourager en leur faisant part de mon admiration. J’espère que ça va marcher un tantinet…

Direction Lac Bouillon (49 km), par une autre section qui mesure 5 kilomètres alors qu’elle est affichée à 3. La section est roulante à souhait et je me sens comme à Washington: je dois garder le rythme, serrer les dents alors que tout mon corps me demande d’arrêter ou au pire, de ralentir. Pourtant, je ne lève pas le pied et tiens le coup.

Je dépasse plusieurs concurrents du 38 km, mais toujours personne du 60 km. Cout’ donc, ils sont où ?  Je n’en ai pas vu un seul depuis la mi-parcours ! Je regarde ma Garmin. Elle indique 6h26. Comme je me donne 1h30 à partir du lac Bouillon, je constate que ça va être très juste si je veux faire sous les 8 heures… Et le foutu lac Bouillon, je ne le vois toujours pas !

Je m’attends à tomber sur un chantier de construction, c’est plutôt un joli petit développement de condos en bois bâtis sur le bord du lac qui m’accueille finalement, avec en prime, trois, oui trois spectateurs qui me crient des « Bravo » et des « On lâche pas ! ». Même si on est habitué à un relatif anonymat en sentiers, ça fait toujours plaisir à entendre.

En sortant du « quartier » neuf, j’arrive au ravito où cette fois, ce sont des percussionnistes qui soulignent mon arrivée. Ouais, bon, je ne suis pas tellement « musique » quand je cours, surtout après des heures et des heures. Mais je ne suis pas pour leur faire savoir.

Un bénévole, tout sourire, me tend un petit verre contenant un liquide qui semble précieux. C’est quoi, ça ? « De l’eau d’érable » qu’il me répond. Ha non, je n’ai pas envie de me chier le corps, surtout avec le maudites bibittes qu’il y a ici !

Aussitôt dit, aussitôt regretté. J’ai été bête et surtout vulgaire envers un bénévole et c’est un sacrilège. Ces gens-là sacrifient leur journée pour nous, la moindre des choses, c’est de les remercier, qu’ils fassent un bon travail ou pas. En plus, celui-là était très attentionné. Pas fort, mon affaire.

Il ne semble pas m’en vouloir, car aussitôt l’eau d’érable reposée sur la table, il se met à énumérer tout ce qu’il y a de bon à manger. Et comme je m’emplis un peu l’estomac, il m’offre de me verser une verre d’eau dans le cou. Puis un deuxième. Il est si gentil. Je ne me prive pas de le remercier abondamment, espérant compenser un peu pour mon impair, puis prends la direction de la côte de l’enfer.

Après une partie roulante ou je me permets tout de même de petites pauses-marche d’une dizaine de pas pour reposer mes jambes, j’arrive au pied de ladite côte. Regard vers le haut : aussi loin que je puisse voir, je ne vois absolument personne. Bout de viarge…

Prenant soin d’éviter de regarder le chrono, j’entame la première montée en face de cochon. Je sens que je grimpe bien. Arrive la deuxième partie : toujours personne devant, même pas le moindre coureur d’une autre épreuve. Ben voyons…

Arrivé au sommet, je fais part de mon « inquiétude » aux bénévoles : est-ce qu’il y a quelqu’un qui fait cette course ?  Oui oui, il y en a justement qui viennent de passer. Ok, merci de me rassurer. Coup d’œil à la Garmin : 7h. Ok, une heure pour terminer, c’est jouable.

Je finis par rejoindre des gens dans la partie très technique avant la descente. Enfin, du monde !  Parmi eux, le gars avec qui je me suis « perdu » plus tôt. Lui aussi, il est théoriquement « DQ », tout comme le « dude » qu’il a vu là-bas. Heu, le « dude », il te parle présentement. Tu ne le reconnais pas ?

La descente, la dernière vraie descente, est une véritable torture pour l’empoté que je suis. Technique au possible, abrupte comme la côte de l’enfer, je la déteste profondément. En fait, je me lève la nuit pour la détester…

À la station Ravary (54.5 km), un autre band, de cornemuses cette fois, est là pour nous coureurs. Pas certain d’apprécier vraiment ce son grinçant, je dois avouer… De toute façon, le chrono me rappelant que je dois déguerpir sans tarder, je me lance dans la section assez technique, mais bien agréable qui suit. Il y a bien des petits bouts boueux, mais rien pour écrire à sa mère.

J’arrive en peu de temps au poste d’Hydro. Yes, le dernier ravito est proche ! Sur place, une dizaine de bénévoles, mais ils semblent tous trop occupés à discuter du problème de prostitution chez les mammouths au Brésil pour prendre soin des coureurs. Je devine bien qu’ils sont là depuis un bon bout de temps, qu’ils ont vu passer les coureurs de toutes les autres épreuves et que la journée commence à se faire longue pour eux, mais je trouve désolant d’arriver à une station d’aide avec 57 kilomètres dans les jambes et de me faire complètement ignorer.

En fait, il y a en une qui est empressée et qui fait tout pour m’aider. Mais les autres… C’est au point que lorsque vient le temps de partir, j’arrive pour les remercier, puis me ravise: je m’adresse seulement à la dame qui s’est affairée à nous aider. Les autres ?  C’est comme si je n’étais pas là, de toute façon.

Honnêtement, c’est la première fois que je vois ça dans le monde de la course en sentiers et en fait,  je n’avais vu ça qu’au 40e kilomètre du Marathon de Mississauga, où j’avais carrément engueulé les ados qui « s’occupaient » du dernier point d’eau. Ils s’étaient probablement bien bidonné du vieux frog qui les avait enguirlandés en français, mais ça m’avait fait du bien.

Les pancartes décroissantes des 3.5 derniers kilomètres ont fait leur apparition. C’est roulant jusqu’à la route, mais j’évite de me faire des illusions: il reste du beurre de peanut, je le sais. Mais je me fais des espoirs: peut-être en reste-t-il moins que dans mes souvenirs ?

À la traversée, les deux gentils bénévoles me confirment qu’il me reste encore quelques parties boueuses. Puis je tombe sur une section de schnoutte qui s’étend à perte de vue. Ha, calv… !  Était-ce vraiment nécessaire ?  Celle-là, j’avoue bien candidement que je m’en serais passé. Et le chrono qui égraine les secondes…

Je parviens à passer, parfois en prenant carrément le côté du bois. C’est fou de voir à quel point c’est dégueux comme bouette. Et le fait que tout le monde ait piétiné le parcours à cet endroit n’arrange pas les choses. Mais ça finit par se traverser et après quelques autres sections à « obstacles », je tombe définitivement sur du roulant. Ondulé, mais roulant. Enfin !

2 kilomètres, il me reste un peu plus de 10 minutes. Ça va être juste, mais j’ai des chances. Dernier kilomètre: 5:45 de jeu. Je relâche un peu: je vais l’avoir.

Tiens, un photographe. Petit sourire. 🙂

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Le look ado à 45 ans, avec 59 kilomètres dans les jambes, bof…

Puis, surprise sur ma droite: un sentier balisé avec des rubans roses. Dois-je passer par là ?  Dans le dernier kilomètre ?  Ça ne me dit strictement rien. Tic-tac, tic-tac, j’entends le chrono qui continue à avancer…

Nah !!!  Je ne me souviens pas de cette section, je poursuis sur le roulant. 500 mètres. Good, je suis sur le bon chemin !  J’entends l’animation, le bruit provenant du parc des Pionniers. Je suis à pleine vapeur, les spectateurs m’applaudissent.

Voilà, ça achève. Je passe devant le chrono, il indique 8h01. Hein ?!?  C’est quoi, cette affaire-là ?  Quand je traverse la ligne, le mien indique 7:58:44. Mission accomplie… ou presque.

Pour la petite histoire, après avoir placoté un bon bout avec Gilles à l’arrivée, je suis allé voir les résultats affichés. Constatant que je n’étais pas dans les 10 premiers (contrairement à Guillaume, toutes mes félicitations, mon cher !), j’ai vu que ça ne donnait vraiment pas grand chose d’aller me « dénoncer ». Plus tard, quand j’ai vu que j’avais terminé en 13e position, 9 minutes derrière le 12e et presque 17 minutes devant celui qui me suivait, j’en suis venu à la conclusion que mon « écart » n’avait rien changé au classement final. De plus, ma Garmin m’indiquait que j’avais parcouru la même distance que l’année passée, alors les résultats sont « moralement » acceptables. Mais un petit bémol demeure tout de même…

En terminant, je vous laisse sur un petit film tourné par mon ami Pierre et son frère lors de leur expédition. Ça donne une excellente idée de quoi ça a l’air, l’Ultimate XC…

Ultimate XC St-Donat 2015: l’avant-course

Quand on veut participer à l’Ultimate XC de St-Donat, il y a un incontournable : on doit se taper le trafic des Montréalais qui fuient la grande ville le vendredi pour aller passer la fin de semaine dans le nord. Peu importe l’heure de l’après-midi, on ne s’en sort pas: il faut s’armer de patience et attendre que ça finisse.

Ce qui fait qu’il est autour de 17h20 (mon GPS me prédisait une arrivée à 16h10 au départ de chez moi) quand je me pointe à l’hôtel de ville pour ramasser mon dossard. Bah, ce ne sera pas long, il n’y a jamais d’attente quand on vient chercher son dossard ici. Dans 5 minutes, je serai reparti et avant 18 heures, je serai dans ma super (comme dans « Super 8 ») chambre d’hôtel à Ste-Agathe.

J’ai cependant oublié un léger détail dans mon équation : il est fini le temps où en attendant l’autobus le matin de la course, un inconnu aux cheveux longs et à l’accent franco-québécois m’avait demandé si je savais où il y avait des toilettes dans le coin. Sur le coup, j’avais trouvé qu’il semblait un peu « différent », mais son allure trahissait quelqu’un de très fort. Il allait certainement me planter ce jour-là (ce qu’il a fait, d’ailleurs)…

Aujourd’hui, je connais plutôt bien Joan et on peut dire qu’il ne m’est plus vraiment inconnu ! Un peu grâce à ce blogue, je connais également plusieurs autres personnes dans la communauté des coureurs en sentiers et bon, bien que je ne sois pas la personne la plus sociable sur cette terre, je me sens toujours à l’aise dans cette gang-là.

Je tombe donc sur Pat en arrivant. Et il placote avec qui ?  Pierre, mon inséparable compagnon de route de Massanutten. Trop content de les revoir, on parle-parle, jase-jase. Des vraies mémères. Pat nous parle entre autres du Western States, où son nom a été pigé lors du tirage, mais auquel il ne peut pas participer. Il a averti l’organisation et quelle a été leur réponse ?  Merci de nous tenir au courant. Votre paiement ?  Ha non, impossible de vous rembourser… La grande classe. Il nous fait également une mise à jour sur sa blessure qui l’a tenu à l’écart ce printemps, l’obligeant à rater Massanutten et Ottawa. Il fera le 38 km ici et devrait être en mesure de compléter son 5e Vermont 100 dans 3 semaines.

Quant à Pierre, il accompagnera un autre Frédéric pour cette course: son frère, qui en sera à son premier ultra. Athlète accompli, il a deux Iromen derrière la ceinture, mais ne semble pas trop confiant à l’idée d’avoir à affronter 60 km de racines, de roches, de boue et de montagnes…

Puis je sens que quelqu’un me pince dans le milieu du dos. Mais qui est-ce ?  C’est Julie, mon amie blogueuse hyper-sympa qui a commencé à courir il y a peu de temps (2, 3 ans maximum) et qui peut se proclamer ultramarathonienne depuis Bear Mountain. Ici, elle fera le 38 km, mais je ne doute aucunement en ses capacités à faire le 60. Mais elle y va progressif, ayant couru le 22 km ici l’an dernier. On ne peut pas lui reprocher une telle façon de faire !

Toujours est-il que ça n’arrange pas la malformation qui se développe au niveau de ma mâchoire et l’empêche de fermer quand ça concerne la course. Il faut donc que mon estomac commence à crier famine pour me rappeler que je dois y aller à un moment donné…

Je prends alors mon dossard (numéro 895, ce que je trouve un peu bizarre; ne devrait-on pas avoir un petit numéro ?), mon drop bag et emprunte la route vers Ste-Agathe, non sans avoir au préalable redonné à Julie la serviette qu’elle m’avait si gentiment prêtée… à Bromont !

Pierre m’a bien offert de partager leur condo avec eux, mais la chambre au Super 8 était déjà réservée et payée depuis belle lurette. Et finalement, c’est une chambre bien correcte à laquelle j’ai droit, pas mal mieux que ce que le très vieillissant Manoir des Laurentides a pu m’offrir ces deux dernières années. J’ai suffisamment de place pour étendre mes affaires, une petite table pour avaler mon repas de pâtes et le lit king est vraiment bien. Non, rien à redire.

Après une plutôt bonne nuit de sommeil, c’est sous un épais couvert de brouillard que je reprends la route direction St-Donat. Il fait frais, presque froid : la température indiquée dans l’auto est de 8 degrés. Ouf, Widy a dû trouver la nuit froide !  Une nuit dans les Laurentides, ce n’est pas comme à la TransMartinique, pas vrai Widy ?

Surprise en arrivant aux toilettes portables: il y en a une de prise. Hein ?  Déjà quelqu’un d’arrivé ?  Je constate vite que c’est plutôt un gars, un « vrai », qui a passé la nuit dans son auto. D’ailleurs, dans le stationnement municipal, on retrouve quelques autos qui ont fait de même, ainsi que des motorisés et une roulotte. Mais est-ce légal ?  Aucune idée. Bah, tant que ça ne dérange personne…

C’est bien installé dans l’auto que j’observe la faune arriver, peu à peu. Je songe à mes objectifs. En regardant la liste des engagés, aucun gros nom ne m’a sauté aux yeux, les podiums des dernières éditions ne s’y trouvant pas. Il y a bien Laurent et Benoit qui sont définitivement meilleurs que moi, mais à part ça ?  Ben, il y a Pierre, c’est une évidence, mais il va demeurer derrière, avec son frère. Si je réussissais à faire un 7h30, peut-être pourrais-je me faufiler sur le podium, qui sait ?

Mais c’est plus un rêve qu’autre chose. Les années précédentes, plusieurs coureurs qui m’étaient inconnus m’avaient laissé sur place. Le parcours, très technique, avantage les gens habiles, particulièrement dans les descentes. En plus sa longueur, relativement courte, ne me permet pas de compenser avec mon endurance, comme j’ai pu le faire à Washington en avril.

De toute façon, 7h30, c’est un peu trop optimiste. Avec un 8h12 dans des conditions sèches l’an passé, toute course sous les 8 heures serait la bienvenue. Ajoutez à ça un top 10 et je serai très heureux.

Je finis par me rendre au pick-up qui amènera les drop bags. Comme à chaque année, on nous a avertis que tout sac pesant plus de 5 livres sera rejeté. Et comme à chaque année, les sacs ne sont pas pesés. Ainsi va la vie dans le merveilleux monde des ultras !

J’aperçois Pierre et son frère, prêts à embarquer. Comme j’arrive tout près du superbe autobus jaune, Denis, mon fan numéro un lors du 50k à Sherbrooke (qui peut se vanter d’avoir un fan qui a un PB de 2h51 sur marathon ?  Qui ?) me rejoint. Il semblerait que je suis facile à reconnaitre, étant le seul à porter des genoux pour courir.

On fait le voyage ensemble. Excellent coureur sur route (PB de 2h51, duh !), Denis s’est lancé dans les ultras de style « tourne en rond » contre le temps il y a quelques années. Il s’y débrouille d’ailleurs plutôt bien. Quant à son expérience en sentiers, elle se limite à Bromont, où il n’a finalement pas eu une très bonne journée, ayant à négocier pour ne pas se faire exclure à la mi-parcours pour ensuite devoir abandonner après 93 km de course.

On parle de tout : Boston, Ottawa, nos lieux d’entrainement, nos courses. Notre conversation est toutefois interrompue par un arrêt brutal de l’autobus : un coureur doit faire un pit stop urgent. Je n’ai pas la « chance » d’assister à qui se passe, mais je suppose que c’est le déjeuner qui a décidé de sortir par le chemin où il est entré. Certains disent qu’un ultra n’est pas vraiment commencé tant qu’on n’a pas vomi. Hé bien, pour le gars au sourire gêné qui remonte dans l’autobus sous les applaudissements, on peut dire que la course est déjà partie !

Nous arrivons sur le lieu du départ. Contrairement à l’année passée, personne sur place. C’est donc dire que les concurrents de La petite trotte à Joan sont repartis, mis à part les 4 (sur 13) qui se sont retirés et dont Pierre m’a parlé dans l’autobus. Il semblerait que, si on exclut une équipe de 3 personnes, tout le monde a commis la même erreur que Pierre et sa bande l’an passé, soit emprunter le parcours du 38 km au niveau du lac à l’Appel. Mais selon Dan, notre directeur de course unique et préféré, c’est encore la faute des coureurs qui n’ont pas porté attention et non celle du marquage. Ha, ce cher Dan, on l’aime comme ça !

Aussitôt les portes des autobus ouvertes, tout le monde se garroche dans les buissons pour faire pipi. C’est comme si nous souffrions d’une espèce d’incontinence collective. Denis, peu habitué à ce monde plus « nature », se sent un peu gêné de s’exécuter devant les dames. Tu n’as pas à t’en faire, mon ami, depuis que j’en ai vu une faire ça debout, je ne me gêne surtout pas…

L’arrivée de quelque 60-70 coureurs constitue un véritable buffet pour les insectes de tout acabit. J’ai décidé de ne pas amener de chasse-bibittes, car selon mes souvenirs, je n’en avais pas eu besoin durant la course. Toutefois, la présence des bestioles me rappelle qu’il y a 12 mois, Joan m’avait joyeusement aspergé avant le départ. Shit…

Heureusement, Denis a la gentillesse de m’en offrir. Je lui en serai éternellement reconnaissant.

Dan sort de nulle part et commence immédiatement son discours. Il a l’air sur le Red Bull. En fait, il a toujours l’air sur le Red Bull, mais cette fois-ci, on dirait qu’il est vraiment pressé dans le temps. Bizarre.

Il nous rappelle les règlements de base, nous parle du marquage du parcours « avec des flags roses aux 20 pieds; si vous avez faites plus de 20 pieds sans voir de flag, vous vous êtes trompés de chemin ! ». Oui Dan, on le sait… Quant au Vietnam, il serait marqué « à tous les 6 pouces » et serait divisé en deux parties cette année, à cause du castor qui n’aurait pas construit sa digue à la place habituelle ou je ne sais pas trop.

Pour ce qui est du parcours, Dan nous dit que malgré la pluie du printemps, il n’a jamais été aussi sec. Est-ce que c’est moi ou il nous avait dit exactement la même affaire l’année passée ? Puis, après avoir demandé qui parmi nous en était à sa première expérience ici, il a demandé à nous, les « vétérans », de garder une minute de silence pour les pauvres « recrues ». Ce gars-là va toujours me faire rire !

Coup d’œil à sa montre…

3-2-1, GO !!!

Et c’est comme ça que débute ma troisième aventure ici, moi qui m’étais pourtant juré de ne jamais y revenir…

Massanutten, les 53.7 derniers miles… en équipe

Pierre avait son sourire si caractéristique, mais son visage était marqué par l’effort.

« J’ai bien pensé que tu n’étais pas loin. Martin était trop fort, je l’ai laissé partir. Moi, j’ai explosé. Tout ce que je pense maintenant, c’est que je veux juste finir. Pis toi, comment ça va ? »

Explosé, c’était exactement ça. J’avais explosé. On était à la même place. Alors quand il a suggéré qu’on fasse un bout ensemble pour se soutenir, j’ai sauté sur l’occasion. À deux, peut-être qu’on avancerait toujours au rythme du plus lent, mais on serait là pour s’encourager et peut-être que le plus lent, justement, le serait moins.

Avant de quitter, le bénévole nous donna ses conseils. « Profitez bien des 6 prochains kilomètres (oui, il a parlé en kilomètres !  Je ne sais pas si c’est parce que nous avions un accent…  ;-))  pour aller le plus vite que vous pourrez parce que c’est de la route et ça roule bien. Rendus à Habron Gap, mangez jusqu’à ce que votre ventre soit sur le bord d’exploser (tant qu’à être sur ce thème): la section suivante est très longue et très difficile. »

Encourageant, il n’y a pas à dire…

Détail que le gentil bénévole avait omis dans son équation : nous étions à bout. 11 heures à courir, marcher et grimper dans la chaleur et les roches, c’est dur. Pierre et moi étions d’accord : on allait courir relaxe sur les plats et les descentes, mais les montées se feraient à la marche. Et tout comme la mienne, la définition de Pierre du terme « montée » était prise au pied de la lettre : à partir de 1% de dénivelé positif, on appellerait ça une montée.

Ça ne nous a pas empêchés d’arriver à Habron Gap (mile 54.0) au bout du rouleau, ou presque. Mon dream team était là, nous attendant patiemment. J’ai senti une certaine inquiétude dans la voix et le regard de ma tendre moitié. Mon père non plus n’avait pas l’air rassuré par ce qu’il voyait. « On a explosé », ai-je dit simplement.

Mon père, ne comprenant pas trop ce que ça voulait dire, Barbara lui « traduisit » : nous avions frappé le mur. En fait, ce n’était pas vraiment ça. Le fameux « mur », ça arrive en marathon quand les réserves de glycogène sont vidées. Nous, nous avancions à peu près sur nos graisses depuis le départ, mais nous étions quand même fatigués. N’empêche, ça faisait image.

Malheureusement, à cause de la chaleur, je n’avais pas vraiment le goût de m’empiffrer pour la simple et bonne raison que je n’avais pas faim. Je m’entretenais aux gels et c’était à peu près tout. J’avais bien pris quelques bananes et quelques bidules ici et là, mais rien de vraiment consistant. Erreur…

Je me suis donc, un peu à contrecœur, emparé d’un sandwich gelée – beurre d’arachides que je me promettais d’avaler en avançant, dans un bout un peu plus lent (comme s’il y avait des bouts rapides, duh !).

Avant de partir, nous avons averti mon équipe: nous en aurions pour environ 3 heures pour couvrir les 9.8 miles nous séparant de Camp Roosevelt. « Je pense qu’on a le temps d’aller souper au chalet » proposa mon père. Ils avaient le temps en masse, je leur ai confirmé. Si je pouvais sauver de pénibles heures d’attente à mon équipe, je le ferais.

Lueur d’espoir pour la suite : de gros nuages noirs s’étaient amassés au-dessus de nos têtes. L’orage était imminent. Il serait très, très bienvenu.

Avoir de la compagnie, ce ne fut pas seulement un plaisir, ce fut une bénédiction.  Au début, j’avais peur de ralentir Pierre, sachant qu’il est plus rapide que moi. Plus rapide sur route (il est descendu sous les 3 heures à Toronto en mai 2014), meilleur dans le technique (il m’avait mis 20 pleines minutes dans le buffet à St-Donat en 2013). Si je l’avais devancé à Harricana, c’était parce qu’il s’y était momentanément perdu. À Bromont ?  Le petit drapeau mal placé lui avait perdre une vingtaine de minutes et le froid de la nuit avait terminé le travail.

Je lui ai fait part de mes « craintes », il les a repoussées du revers de la main. Je dirais que 95% du temps, c’était lui qui était devant et durant les premières heures, je lui ai répété à maintes reprises que s’il avait le goût d’y aller, de ne pas m’attendre. À chaque fois, il a refusé net. À la fin, j’ai cessé de le harceler avec ça, trop content qu’il soit là pour me montrer le chemin à suivre.

Chemin qui a croisé celui d’un serpent qui n’était pas trop rassurant pour des ignorants comme nous dans le domaine. Habitués que nous sommes aux petites couleuvres moumounes de notre coin de pays, celui-là faisait un bon mètre de longueur et possédait un diamètre qui était ma foi tout à fait respectable. Ayant déjà croisé un spécimen semblable durant une reconnaissance, je m’étais renseigné et bien qu’on retrouvait des serpents venimeux en Virginie, ils ne ressemblaient pas à ça. Mais bon, admettons que ce serpent-là était venimeux et qu’il ne savait pas qu’il n’aurait pas dû être là, on ferait quoi s’il nous mordait, hein ?  On lui dirait qu’il n’était pas supposé être là ?  La belle affaire.  Bref, nous l’avons laissé tranquille et n’avons pas lésiné pour déguerpir.

L’orage a commencé tout doucement pour se transformer ensuite en véritable déluge. Le sentier dans lequel nous devions grimper est devenu un ruisseau, ce qui faisait que nous avions parfois de l’eau aux chevilles, mais on s’en foutait : la pluie était tellement rafraichissante qu’on aurait accepté n’importe quoi. Ou presque.

Quant à la foudre ?  J’y ai pensé un peu, mais pas trop. Ça fait partie des risques. Mais le sol est tellement rocailleux que je doute que la foudre tombe souvent sur les arbres dans ces montagnes. Je m’imaginais juste Michel Morin annoncer aux nouvelles TVA que deux ingénieurs québécois avaient été frappés par la foudre en faisant un ultramarathon en Virginie. Puis j’entendais d’ici Pierre Lavoie, en entrevue exclusive du super bureau d’enquête, dire que les ultras, ce n’était pas bon, que c’était dangereux et patati et patata.

Je pense que j’ai trop d’imagination…

Toujours est-il que l’orage et la bonne compagnie ont fait que je n’ai pas vraiment vu passer cette section supposément infernale. Et quand nous sommes arrivés à Camp Roosevelt (mile 63.9), Barbara nous a fait remarquer que nous avions bien meilleure mine qu’à Habron Gap. Et effectivement, bien que la fatigue ne s’en allait pas, je me sentais beaucoup mieux. Toute idée d’abandonner m’avait maintenant… abandonné. Pour de bon, je l’espérais.

La pause à Camp Roosevelt fut de relativement longue durée, vu que Pierre, qui faisait la course dans la catégorie solo, devait fouiller dans son drop bag pour récupérer sa lampe ainsi que ses vêtements de rechange. Ça faisait bien mon affaire. J’en ai profité pour me reposer et aussi changer ma camisole pour un t-shirt léger, soit celui de Washington.

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Petite pause bienvenue à Camp Roosevelt. Pierre, en arrière-plan, récupère ses choses dans son drop bag.

Pierre s’est aussi amusé à se foutre de ma gueule, racontant à mon équipe que ma technique de « pipi sans arrêter » ne le rassurait pas tellement, vu qu’il était souvent (lire: toujours) devant et que bon, il ne savait jamais ce que je pouvais faire… Ce qui était bon signe, c’est justement que j’avais recommencé à uriner.

Bref, le moral était revenu quand nous avons quitté pour Gap Creek I (mile 69.6). Tous deux avions accepté le fait que la performance, fallait oublier ça, alors nous avancions sans nous presser. D’ailleurs, nous avons beaucoup discuté et ri de l’obsession du temps qu’on a quand on court sur route. Même en marathon, on s’en fait pour des mini-minutes perdues. En ultra ?  Une mauvaise passe peut nous coûter des heures !  On a bien rigolé quand je lui ai raconté mon « sprint » effréné à la fin du Marathon de New York alors que j’essayais de descendre sous les 3h10 (et que j’ai raté… par 8 secondes !). Non mais, on s’en câl…-tu de descendre sous les 3h10 ?!?

Une fois la nuit tombée, avancer rapidement était presque hors de question. Dans des sentiers hyper-techniques, courir relève souvent de l’exploit en plein jour, alors imaginez la nuit… Et comme pour me montrer qu’elle aussi était fatiguée, ma Garmin, après 16 heures de bons et loyaux services, rendit l’âme.

Nous sommes tout de même parvenus à Gap Creek sans trop de problèmes. En tout cas, pas à ce que je me souvienne… J’ai juste eu un petit moment de panique quand j’ai vu le chrono de ma montre n’avait pas démarré au départ. Puis je me suis dit que j’étais encore capable faire des petites soustractions en me basant sur l’heure. Des fois, quand  on est aussi longtemps dans le bois, le cerveau…

Sur place, autre remplissage de la part de mon équipe, fidèle au poste. On nous a appris que Joan était en quatrième position aux dernières nouvelles et bien, bien en avant de nous. Quant à Martin, il voguait en douzième position, une heure et demie devant. Wow, ils étaient en train de nous sortir des performances incroyables !  C’était dément. Nos amis brûlaient le parcours, j’étais très fier d’eux. Je ne pouvais attendre de les revoir à l’arrivée.

Comme je m’apprêtais à repartir, j’ai vu que Pierre était en grande conversation avec James Blanford, un récent vainqueur ici. Homme qui a la réputation d’être extrêmement taciturne, j’ai été surpris de le voir parler si facilement. Puis je me suis dit : a-t-il déjà terminé ?  Calv… !

« Are you done ? » que je lui ai demandé. « Yeah ! » a été sa réponse. Puis, avec un sourire, il a ajouté qu’il s’était blessé au tendon d’Achille et avait abandonné au 38e mile.

Ouf !  Avant qu’on quitte le ravito, il nous a glissé qu’il serait de l’Eastern States, en août. L’Eastern States ?   La Pennsylvanie, en août ?  Vraiment ? Ça va pas, non ?  En plus, ça prend un doctorat pour réussir à acheter de la bière dans cet état (histoire que je vous raconterai un de ces jours) !  Il nous a souhaité bonne chance en nous serrant la main. Cout’ donc, sympathique monsieur, quand même.

Direction Visitor Center (mile 78.1). La section débute (ho surprise !) par une longue montée. Et, fait particulier, c’est une montée que les coureurs doivent se taper deux fois, ce qui la rend si « célèbre » dans le milieu. Je ne sais pas pourquoi, je m’étais toujours imaginé qu’elle se faisait sur la route. Hé non. Après quelques hectomètres sur un chemin de quads assez large qui nous permettait de la faire côte à côte, c’était le retour en single track… et dans la roche.

Dans le single track, je pouvais apercevoir deux lampes frontales en contre-bas qui semblaient grimper très rapidement. J’étais certain que c’était Brian Rusiecki et son pacer.

« Pierre, je pense qu’on va se faire lapper.. .»

Finalement, non, ce n’était pas lui. Nous sommes parvenus aux fameuses assiettes à tarte (des assiettes à tarte jaunes, avez-vous déjà vu ça ?). L’une indiquait à ceux qui avaient parcouru 70.9 miles de tourner à gauche. Pour ceux qui avaient fait 98.1 miles, c’était tout droit. Nous avons évidemment pris la gauche, mais j’avais foutrement hâte de repasser là…

Un peu plus loin, sur la crête de la montagne, un gars est arrivé derrière et s’est mis à nous suivre. Je lui ai offert le passage à quelques reprises, mais non, il préférait suivre le guide. C’était une section hyper-rocailleuse, ça en était presque ridicule. À un moment donné, je n’ai pas pu m’empêcher de dire que ce n’était pas un sentier. Non mais c’est vrai : si je ne peux y amener mon chien pour une promenade, ce n’est pas un sentier. C’est… un foutu paquet de roches, un point c’est tout !

Le nombre de fois où je me suis enfargé… La fatigue aidant (bah, pas besoin de fatigue pour ça, mais bon), j’alignais les combinaisons de mots religieux à une fréquence pour le moins appréciable. Au bout d’un certain temps, pour blaguer, j’ai cru bon de préciser à notre compagnon : « That’s swearing ». Sa réponse ?  « Yeah, I figured it out ». Comme quoi jurer, c’est un langage universel !  🙂

Vu que c’était technique, Pierre me distançait régulièrement et à un moment donné, dans une descente, j’ai raté un virage et me suis retrouvé devant… rien. Heu…

« Pierre !  T’es où ? »

« Fred ?  Ça va ? »

Sa voix venait de plus haut. Notre poursuivant, qui ne s’était pas enfoncé dans le bois, en a profité pour me dépasser et se diriger vers mon ami. Pour ma part, j’ai dû escalader le bout que j’avais fait en trop pour retrouver le « sentier ».  C’est quoi cette manie que j’ai de me perdre alors que je n’avance pas ?

Soulagé de m’être débarrassé de ce parasite, c’est dans la bonne humeur que ce qui nous séparait de Visitor Center a été franchi. En dépassant un gars, je lui ai demandé si ça allait (parce que forcément, si un gars va moins vite que moi, il a des problèmes), il m’a simplement répondu que ses quads étaient trashés. Il allait finir en marchant, considérant qu’il avait encore pas mal de temps avant la coupure.

« I have plenty of time, right ? » s’inquiéta-t-il tout de même.

«Yeah, you have plenty. Good luck, buddy !».

Ha Visitor Center… À la lecture des récits, je m’imaginais une belle grande bâtisse propre et moderne avec des kiosques pour choisir des cartes des sentiers, des préposés pour renseigner les visiteurs, des cartes postales qu’on pourrait acheter. Lors de ma reconnaissance vendredi, c’est sur une vieille bicoque semi-abandonnée sur laquelle je suis tombé. Elle était fermée et semblait l’être depuis belle lurette. Il y avait bien quelques tables à pique-nique et des bancs pour s’asseoir, mais tout ça criait pour une couche de peinture et le gazon n’avait pas été coupé depuis… je n’ose dire quand.

Bref, ça faisait dur et j’étais content de passer là en pleine nuit pour m’éviter un tel spectacle. Toujours présente, Barbara m’attendait vêtue de bottes en caoutchouc et portait maintenant un buff sur la tête. Tout sourire, elle avait encore et toujours tout ce dont je pouvais avoir besoin. Quant à mon père, il était parti trouver Picnic Area, la station supposément située tout près que nous n’avons jamais réussi à trouver… même en plein jour. Il est revenu à temps pour nous voir repartir.

3.5 petits miles avant Bird Knob (mile 81.6). Petite étape facile, non ?

Maudit que je peux faire dur ! Quand est-ce que je vais apprendre ? Il n’y a jamais rien de facile à Massanutten. Jamais.

En fait, c’est un nouvel ennemi que je devais maintenant combattre : le sommeil. Je m’endormais de plus en plus, malgré toute la caféine absorbée à travers les gels ou le Mountain Dew aux ravitos. Un petit chocolat à la caféine avait fait son effet en quittant Visitor Center, mais ça n’avait pas duré. J’avais gobé une des pilules de caféine que m’avait fournies Gary Knipling, mais sans résultat.

Faisant part de mon état à Pierre, il m’a dit qu’il fallait qu’on parle plus pour se tenir éveillés. Pas qu’on s’était vraiment tus depuis Indian Grave… Car c’est fou à quel point on peut échanger quand on passe des heures et des heures avec quelqu’un. Nous avons abordé un paquet de sujets, sur le sport, le travail, la vie en général. Je connaissais le camarade de course toujours souriant, j’ai appris à connaitre l’homme. Ces échanges que nous avons eus seront, et de très loin, mes meilleurs souvenirs de ce Massanutten.

Toujours est-il que j’étais en mode zombie quand nous sommes arrivés à Bird Knob, un immense ravito constitué d’une table et d’un petit chapiteau et occupé par un grand total de 3 bénévoles. Personne d’autre en vue, la station n’étant pas accessible aux équipes de support.

J’avais remarqué que Pierre s’assoyait à chaque ravito. Pas longtemps, mais il le faisait à chaque fois. Ça faisait presque 24 heures que j’étais réveillé, je venais de passer les 21 dernières debout. Peut-être qu’une chaise me ferait du bien après tout…

“Beware of the chair” qu’ils disent. J’y serais bien demeuré encore des heures, mais Pierre était prêt à repartir. Coup de pied virtuel au derrière et je le suivais dans le sentier.

Les 6.4 miles avant de rejoindre Picnic Area (mile 87.9) furent interminables. J’avais des hauts et des bas, mais plus souvent qu’autrement, j’étais dans le creux de la vague. Par bouts, je dormais littéralement en marchant. J’essayais de parler, mais ça me demandait un effort de concentration hors normes. Sans la présence de mon partner, je crois bien que je me serais étendu quelque part sur une roche.

J’étais dans le plus creux des creux à Picinic Area. Complètement épuisé, j’avais peine à avancer. Me voyant, Barbara s’est précipitée sur moi pour m’annoncer la mauvaise nouvelle : Martin avait abandonné, trahi par un genou.

L’idée de le rejoindre ne m’a pas que traversé l’esprit, je la considérais très sérieusement. Mais merde, je n’étais pas blessé, j’étais juste fatigué. Très fatigué.

Lisant dans mes pensées, Barbara me dit gentiment : « Si tu veux abandonner, c’est correct, tu sais». Je pense lui avoir répondu que je ne savais pas si j’abandonnerais, mais je ne me voyais vraiment pas repartir. La dernière étape de 6.7 miles ne me faisait pas peur, mais celle de 8.9 qui la précédait, je la voyais comme le mont Everest. Impossible pour moi de seulement la considérer à ce moment-là.

Martin était assis sur le bord du feu, enroulé dans une couverture que Barbara lui avait fournie. Il avait les yeux du gars serein avec sa décision. Je l’enviais un peu, je dois avouer. Barbara m’amena un café, mais je cognais tellement des clous qu’elle devait m’aider à le tenir pour éviter que je le renverse sur moi (avec le recul, ça m’aurait peut-être réveillé…).

Je ne bois jamais de café, je déteste le goût. Je me suis tout de même forcé à en prendre quelques gorgées. Rien à faire, c’était trop mauvais (on m’a ensuite dit qu’il était très fort; comment je peux savoir ça, moi ?). « Il vous reste juste 24 kilomètres » a dit Martin à Pierre qui était venu aux nouvelles.

24 kilomètres. Ce n’était rien et pourtant, c’était trop. Beaucoup trop. Je ne pouvais pas repartir. Je devais dormir. « Un petit 15 » comme on dit. Ça avait marché pour Joan à Bromont, ça avait déjà sauvé une journée en installation suite à une soirée légèrement (hum hum) arrosée, ça me prenait ça, ici et maintenant.

Un lit de fortune avait été aménagé, avec des couvertures et tout le kit. Il était libre et n’attendait que moi. Avant de m’étendre, j’ai confirmé à Pierre que nos chemins se quittaient ici, que je ne pouvais plus avancer. Je lui ai donné l’accolade, l’ai remercié pour tout ce qu’il avait fait pour moi. Puis, je me suis étendu, demandant qu’on me réveille 15 minutes plus tard. Un bénévole m’a bordé, comme on le fait avec un enfant. La dévotion des bénévoles dans les ultras dépassera toujours l’entendement…

C’est alors qu’un phénomène bizarre s’est produit. Tourbillon d’idées dans ma tête. L’effet du café peut-être ?  J’entendais la musique, le bruit. Il y avait beaucoup d’activité sur place. 15 secondes, je ne dormais pas. 30 secondes, je ne dormais toujours pas. Je faisais quoi ? Je repartais ou j’essayais de dormir ?

La voix de Pierre est parvenue à mes oreilles. Il était toujours là ! C’était ma chance, je devais la saisir. Là, tout de suite. 2 secondes plus tard, j’étais assis sur le lit et je clamais haut et fort que je repartais.

Pierre m’a sorti son plus merveilleux des sourires. « T’as changé d’idée ?  Tu viens avec moi ? ». Oui monsieur, pis de la marde si je me plante.

Mon dream team n’était pas trop rassuré de me voir retourner ainsi dans l’obscurité. Pas certain qu’ils m’auraient laissé repartir si j’avais été seul. Une chance que ma mère n’était pas là… C’est à ce moment que je me suis rendu compte de l’utilité que pouvait avoir un pacer dans de telles circonstances : assurer la sécurité du coureur. Là, j’aurais Pierre avec moi, je serais correct.

En partant, nous avons pris la résolution de parler, parler, encore parler. Je me suis donc mis à lui raconter plein de choses un peu plus personnelles (mais pas trop là, fallait pas qu’il s’endorme non plus !). Le café faisait effet, nous avancions bien. Mais bon, le café, c’est dur pour l’estomac et… vous devinez le reste.

Sans vraiment avertir, il y a eu retour d’ascenseur. Arrêtés moins d’une minute, nous sommes repartis, Pierre étant un peu étonné de me voir reprendre aussi rapidement. Puis vint la deuxième « attaque ». Et la brève perte de contact avec la réalité.

Retour au temps présent…

Maintenant, je ne soupçonne plus seulement le café, mais toute mon alimentation depuis le début de la course. Les gels, c’est sucré. Et le GU Brew, c’est acide. À la longue… On le sait, c’est toujours le système digestif qui lâche le premier. C’est ce qui est en train de se produire pour moi. Cool, hein ?

L’effet de réveil de ces « vidanges » ne durera évidemment pas. On dit que lorsque le soleil se lève, on a un regain d’énergie et l’envie de dormir s’en va. Mais quand est-ce qu’il va se lever, votre foutu soleil ?

Décidant de risquer, j’avale un gel bourré de caféine. Quelques centaines de mètres plus loin, il ressort. Même chose avec le GU Brew un peu plus tard. Et comble de bonheur, les efforts que je déploie pour faire sortir les surplus ont des répercussions jusque dans la balle de golf qui a poussé entre mes fesses durant la première partie de la course. Hé oui, mon derrière aurait besoin d’être sauvé !  C’est la joie. (Et pour ceux qui se poseraient la question, non, ça ne faisait pas partie des sujets un peu plus « personnels » que nous avons abordés !)

En fait, je n’ai pas vraiment de douleur à ce niveau, heureusement  (pour votre info, je n’ai pas eu pas à utiliser le petit cadeau de Knipling, soit la révision H d’un onguent très connu). Mais je dois me résigner à ne plus boire ni manger jusqu’à Gap Creek II (mile 96.8). Je ferai une couple d’entorses à cette règle, prenant des mini-gorgées pour demeurer le moindrement hydraté, mais sans plus. Vivement le dernier ravito pour boire de l’eau !

Finalement, peu de temps avant d’aboutir sur un chemin de terre, il commence à faire clair. C’est vrai que le corps répond mieux dans de telles conditions. Nous courons donc côte à côte, espérant apercevoir le ravito à tout moment.

« Là-bas Pierre, il y a une madame qui nous fait des grands signes ! On est proches ! ». Petit problème cependant : mon ami ne la voit pas.  Et comme nous approchons, elle s’évapore. Hallucination. Ha ben, elle est bonne celle-là !

« Là, sur la gauche, un gazébo !  C’est la station ! ». Trop gentil pour me dire que j’ai encore une hallucination, mon coéquipier se contente de me répondre qu’il ne voit pas ça non plus. Finalement, c’était un méchant bosquet d’arbres qui avait décidé de me jouer un mauvais tour. Ha le vilain !

Au loin, une voiture. « Je vois un char, Pierre. Tu ne vas pas me dire que j’hallucine un char !?!  C’est une Volvo, elle est noire ! »  Cette fois-ci, nous hallucinons la même chose. Enfin, le dernier ravito !

Sur place, Barbara m’attend avec un gallon de GU Brew préparé d’avance. Je la mets au courant de mes malheurs : le GU Brew, c’est fini. Tout comme les gels. Je vide mon sac par terre et le fais remplir d’eau. J’essaie de la rassurer en même temps : j’ai eu une très mauvaise passe, mais ça va mieux. Il va falloir que le directeur de course me passe sur le corps avec un bulldozer s’il veut m’empêcher de terminer.

Parlant de lui, Kevin est justement en train de jaser avec Pierre. Ils semblent avoir un running gag entre eux depuis qu’ils se connaissent, soit depuis… vendredi soir finalement.  Si ma mémoire m’est fidèle, il le surnomme « Master », mais je ne sais pas pourquoi. Il quitte le ravito en nous interdisant de prendre plus d’une heure et demie pour faire le reste du parcours.

Une heure et demie ?  Il est fou ou quoi ?  Ça va nous prendre deux heures, minimum !  Est-ce qu’il sait que cette dernière section commence par une maudite montée qui ne finit pas ?

Après avoir dit un dernier bonjour à un Martin souriant et somnolant qui a pris place dans notre RAV4 pour retourner au départ/arrivée, je me mets en frais de me trouver un surnom pour compléter celui de « Master » qu’on a affublé à Pierre. Je suggère « Vomit Man ». Ou pourquoi pas: « The Puker » ?  Il la trouve très drôle et ne semble pas revenir que j’aie réussi à remonter la pente à ce point. Moi non plus, d’ailleurs…

Allez, une dernière côte. On la monte à un rythme raisonnable pour se retrouver aux assiettes à tarte. En fait, à l’assiette à tarte, parce que celle du virage à gauche a été enlevée. Ok, plus qu’une petite descente, puis ce sera le chemin de terre du début qui nous ramènera au point de départ.

« Ils vont nous avoir tenus jusqu’au bout, hein ? ». Commentaire de Pierre dans la « petite » descente. Des roches, encore et toujours des roches. Mes pieds que je sens rendus au vif n’en peuvent plus de freiner.

Finalement, le chemin. Extase. Un coureur est là, le regard dans le vide. Qu’est-ce qui se passe ?

Il n’est pas certain de quel côté aller et il ne veut pas faire un seul pas de trop. Voyant que le ruban a été installé du côté droit à la sortie du sentier, j’en viens à la déduction qu’il faut aller à droite. En plus, ça descend de ce côté et c’est supposé descendre jusqu’à l’arrivée, non ?

Les deux Québécois ne faisons ni une, ni deux, et partons vers la droite. Quelques centaines de mètres plus loin, un ruban jaune nous le confirme : nous sommes dans la bonne direction. L’odeur de l’arrivée nous a revigorés (la pente descendante ne nuit certainement pas), nous courons à pleines jambes. 6 kilomètres. C’est fini.

En point de mire, un autre coureur et son pacer. Nous fonçons sur lui, il n’a aucune chance. Il nous félicite au passage. Une autre position de gagnée.

Je tiens le coup, tant bien que mal. Puis Pierre laisse glisser : « On n’a pas vu la pancarte des 100 miles …».

Ha non, ce n’est pas vrai !  Je ne veux pas voir cette foutue pancarte-là !  Depuis un petit bout, j’espère que nous sommes en-dessous des 6 kilomètres. Il en reste quoi, deux ?  Trois peut-être ? S’il fallait que nous croisions cette maudite pancarte pour ramener la distance restante à 6 kilomètres, je pense que je me mettrais à brailler drette là.

Devant, une autre « victime ». Celle-là marche péniblement. Autre position de gagnée, une troisième depuis que nous avons rejoint la route. Mais mon attention n’est orientée que vers une seule chose : le changement de surface. Quand on sera sur l’asphalte, on sera près. À chaque petit pont, je crois que ça y est. Mais non, il y en a encore et encore. Nous pensions bien que rendus à la montagne, nous aurions à tourner. Négatif, on doit la contourner. Ça vas-tu finir ?

Finalement, l’asphalte. Puis, une indication pour entrer dans le camping. Nous sommes tous près. Il fallait tout de même une dernière montée… Pierre la ferait bien à la course, mais je lui signifie que je n’en peux plus, je vais la marcher. Il m’attend et c’est ensemble que nous reprenons, à la course.

« Je ne sais pas pourquoi, je deviens toujours émotif dans les fins de course ». J’ai peut-être le cœur tendre, mais mon ami l’a encore plus, je crois. Il gardera toutefois sa contenance. Après 17 heures passées ensemble, des liens se sont tissés entre nous et il aurait bien pu se laisser aller. En tout cas, moi je n’aurais eu aucune gêne à le faire.

Nous traversons un petit pont de bois, puis le voilà enfin : le grand champ. Il fallait le courir, nous le faisons sans la moindre hésitation. Je tends la main à mon compagnon, mon coéquipier. Il m’a littéralement tiré jusqu’ici. Je ne sais pas comment je pourrai un jour le remercier.

Joan s’est emparé du micro pour annoncer notre arrivée en français. Puis Kevin prend la relève avec un porte-voix, annonçant le « French Canadian Duo ». Il nous accueillera alors que nous traversons la ligne ensemble.

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L’arrivée du « French Canadian Duo »

Ça faisait 28 heures, 12 minutes et 36 secondes que nous étions partis…

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Avec Kevin Sayers, le directeur de course

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C’est fini, mon amour. Merci pour tout…

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Joan, great job pour ta super 3e place ! You rock !!! Mais dis-moi, me trouverais-tu dégoûtant par hasard ? 😉

 

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Ha ben non, tu veux me prendre dans tes bras maintenant ! 🙂

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Les quatre mousquetaires québécois. De gauche à droite: Pierre, moi, Joan et Martin. Qui est-ce qui a l’air le plus brûlé ?

Bromont Ultra: la suite

Sections 9 et 10 (kilomètres 55 à 71 : le lac Gale)

Pierre a quitté le camp de base avant moi, son compagnon juste après. Celui-ci me rejoint dans le stationnement menant au chemin de terre que nous allons emprunter. En passant, je l’entends me murmurer : « On ne lâche pas le jeune ! ». De quessé ?  Hé, je ne me souviens pas la dernière fois où je me suis fait appeler comme ça… et je ne pensais bien que ça ne m’arriverait plus jamais ! 😉

La petite route est roulante, mais comme elle est en montée, je préfère la faire en marchant. Je vois les deux autres courir et s’éloigner. Je suis confortable avec ma décision: avec plus de 100 kilomètres encore à parcourir, je me dis que la route est encore longue. Très longue. Dans le meilleur des cas, je courrai quand je repasserai, dans quelques (ok, plusieurs) heures. Demain matin, en fait !  Hé oui, je vais encore courir demain matin.

Entrée dans les sentiers : ils sont larges, pas tellement techniques. J’adore. Dans une longue montée, je gagne du terrain sur Pierre, assez pour l’entendre raconter à des cyclistes de montagne que nous avons pris le départ à 9h ce matin. J’ai un peu perdu la notion du temps, mais à voir la réaction des gens et aussi et en y pensant le moindrement, je me rends bien compte que nous sommes en fin d’après-midi. Ces personnes achèvent probablement leur journée de vélo alors que nous n’avons pas encore franchi la moitié de notre parcours. C’est vraiment débile comme course.

Sur les bords du lac Gale, je suis frappé par la beauté des lieux. Après à peine un kilomètre à longer les berges du lac, nous arrivons au ravito Balnéa (kilomètre 62). Déjà ?  Mon Dieu, une petite étape facile !  Pierre me surprend en s’assoyant. Il faut dire que l’endroit est invitant: bien à l’abri, beaucoup de tables, de la bouffe en grandes quantités, des gens accueillants et de la musique au son de laquelle je m’amuse à « danser », au grand plaisir des bénévoles qui sont d’office. C’est certain que pour les gens dits normaux, ce ne devrait pas être l’air qu’on a après 60-65 kilomètres de course. Mais bon, c’est l’air que j’ai, alors…

Notre compagnon quitte le premier, Pierre et moi suivant pas tellement loin derrière. Sauf que mon « modèle » croise sa famille en chemin et s’arrête pour leur jaser un peu. Je poursuis donc seul, jusqu’à ce que j’arrive sur les traces de celui-dont-je-ne-saurai-jamais-le-nom. Son non-verbal indique clairement qu’il est dans un creux. Il n’offre aucune résistance quand je le dépasse. Je le perds de vue rapidement. Serait-il cuit ?

J’évolue donc maintenant complètement seul dans les beaux sentiers du secteur du lac Gale. Au bout de 2 ou 3 kilomètres, je croise un coureur qui ne fait pas partie de la course. Je lui dis bonjour, il me répond… que je suis en quatrième position !  Je cite alors Robert DeNiro : « C’est à moi que tu parles ? ». Car je trouve totalement incongru que je sois en quatrième position, surtout que je sais pertinemment que Joan et Thibault sont devant. Je ne peux pas croire qu’il n’y a seulement qu’un autre coureur devant moi.

« Tu es dans le 160 kilomètres solo, non ? ». Heu, oui… « Ben t’es en quatrième position, mon loup. ». Mon loup ?  C’est ma femme qui m’appelle comme ça, tu sauras !  Mon loup, franchement… Mais la nouvelle qu’il m’apporte est tellement bonne que je ne lui en tiens pas rigueur.

Je vogue donc, profitant de chaque instant de ce bonheur que je suppose passager. Très passager même, car j’entends maintenant des pas derrière. La cadence est rapide, je suis définitivement en train de me faire shifter. Au revoir quatrième position !

Je me retourne. Une fort jolie fille est effectivement en train de me rattraper. Mais j’ai à peine l’occasion de commencer à réfléchir qu’elle me dit qu’elle court le relais. Ouf !  N’empêche qu’elle court vite quand même !  En temps normal, je n’aurais pas de difficulté à la suivre, bien au contraire, mais on dirait que mon corps entier est conditionné à une seule et unique tâche : faire la distance. Je laisse donc partir l’inconnue.

Le sentier finit par se corser et devenir ma foi, très technique. Je ne m’attendais pas à ça. Monte, monte, monte encore. Mais tout en haut, je me rends compte que l’effort en valait la peine : la vue sur le lac est à couper le souffle. Pour la première fois de ma vie, j’ai envie de prendre un selfie. Mais mon téléphone est bien emballé dans un ziploc, il prend une éternité à allumer… Peut-être tantôt ?

Ouais, il commence à faire sombre dans le bois, vivement le camp de base. En descendant sur le chemin de terre qui m’y ramène, je vois une indication pour la course de 12 kilomètres. Mais moi, je fais le 160, dois-je passer par là ?  Je décide de ne pas prendre de chance et retourner au camp de base par le chemin où je suis passé plus tôt.

Il semblerait que ce n’était pas la chose à faire car j’arrive du mauvais côté de la tente où je dois faire prendre mon poids. Oups. L’important est que je ne me sois pas raccourci et il semblerait que non. Sous la tente, Allister. Aussitôt, je lui lance un gros : « I hate you !!! ». Voyant son hésitation quant à savoir si je suis sérieux ou pas, je me jette dans ses bras et lui fait l’accolade. « C’est vraiment un beau parcours que tu nous as fait » que je prends soin d’ajouter.

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Oups, j’arrive du mauvais bord…

Je reconnais ensuite ma gang qui m’attend avec un bel enthousiasme. Parmi eux, un intrus : Pat, qui porte des vêtements chauds et une tuque. Ha non, il a dû abandonner… Shit !  Mon expression doit trahir ce que je pense, car il s’empresse de me dire, sur un ton très calme : « C’est pas grave. C’est vraiment pas grave. On va se reprendre !»  Je lis la sérénité dans ses yeux, ce qui me rassure un peu. Il n’a pas l’air blessé, probablement qu’il a encore son exploit de l’UTMB dans le corps. Je suis quand même déçu pour lui. C’est un peu beaucoup grâce à lui si je suis ici aujourd’hui… Il nous raconte ce qui s’est passé ici. Oui, on va se reprendre Pat.

Ok, de retour à ce que je peux un tant soit peu contrôler : ma course. La pesée: 146 livres.  J’ai perdu 2 livres depuis le départ, c’est parfait. Juste pour satisfaire ma curiosité, je m’informe de ma position. Après vérification, on me confirme : je suis quatrième. Holy shit…

La section a été plus courte que prévu : 15 ou 16 kilomètres plutôt que les 18 annoncés. Ça ne me fera pas pleurer. Mais définitivement que je dois ajouter allonger mes vêtements et partir avec mes lampes frontales. Barbara me demande si je veux « ma » frontale. Je lui réponds que ça m’en prend deux en lui expliquant que c’est essentiel : en effet, si les piles deviennent faibles sur ma lampe, comment les changer si on n’a pas une autre source lumineuse ?  Comme pour appuyer mon argumentation, je demande confirmation à Pat qui répond : « Hé oui, toujours deux lampes ».

Ma douce, prévoyant toujours l’imprévisible, sort une deuxième frontale du sac qu’elle transporte. Elle est incroyable ! J’enfile donc mon t-shirt à manches longues jaune-flashant de Boston (autre idée de ma tendre moitié, question que je sois plus visible la nuit), place une lampe autour de ma taille et pendant que Patrick le super bénévole omniprésent (il est partout !) aide Barbara à remplir ma veste, j’enligne l’autre frontale à l’endroit où elle devrait être : sur mon front, bien évidemment ! Dernier accessoire : ma cloche à ours. Pas que ça me tente vraiment, mais bon, au cas où…

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Kilomètre 71, je commence à me déguiser en ultrarunner…

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Laissant Barbara et Patrick s’occuper des tâches nécessitant le moindrement d’habileté…

Plus que la petite boucle du mont Oak et j’aurai la moitié de parcourue.

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À l’assaut de la petite boucle du mont Oak

Sections 11 et 12 : (kilomètres 71 à 80, le mont Oak)

C’est au joyeux son des gueling-gueling de ma cloche que j’attaque le petit bout très roulant dans le champ menant aux sentiers. Je ne peux pas croire que je vais endurer ça toute la nuit… Je pénètre ensuite dans les sentiers du mont Oak, les premiers que j’ai faits à la course lors d’un séjour en camping dans la région il y a quelques années. Dans la forêt, l’obscurité se fait vite sentir et je vis une première : courir à la lueur de la frontale.

Cette section a été affublée de plusieurs surnoms : le labyrinthe et le jour de la marmotte en sont des exemples. Pour ma part, je dirais plutôt des spaghettis. On a l’impression de parcourir un enchevêtrement infini de sentiers constitués de dizaines de virages en épingle. À la longue, à l’obscurité, on finit par attraper le tournis. À maintes occasions, je me demande si je ne suis pas déjà passé par là et ne suis pas en train de refaire le même trajet, encore et encore.

C’est avec joie que j’aboutis sur un poste de ravitaillement (Canaël, kilomètre 77 supposément). Good, je ne me suis pas perdu. Je m’attendais à un petit relais cucul, mais non, c’est un full ravito, alors j’en profite pour m’empiffrer. Juste un peu là… C’est l’heure du souper, non ?

Un peu plus loin dans les dédales interminables, je crois reconnaître quelqu’un. En fait, c’est son manteau que je reconnais : c’est Pierre-Olivier !  Je suppose évidemment qu’il est derrière moi (c’est dire à quel point ces sentiers sont mêlants : on ne sait même pas si quelqu’un est devant ou derrière !) et me dis que finalement, il n’a pas eu trop de problèmes. Tant mieux pour lui. Menacerait-il ma super quatrième place ?

C’est quand je me rends compte quelques minutes plus tard qu’il est devant que je commence à sérieusement me poser des questions. Comment se fait-il qu’il est là ?  Je le rejoins, on échange quelques mots. Je vois bien qu’il ne me reconnaît pas, alors je lui plante carrément ma lampe dans la face, question d’être bien sûr que c’est lui (les bonnes manières finissent par se perdre avec les heures de course…).

« Fred ?  Qu’est-ce que tu fais derrière moi ? ». Je me demande plutôt ce que tu fais devant moi, chose !  Aussitôt, je lui demande s’il a fait les sentiers du lac Gale. « C’est quoi ça ? ». Tu n’as pas vu le lac ? Le sentier sur le bord, la vue d’en haut… « Non. ». Ha ben bout de viarge, il n’a pas fait la boucle du lac Gale !  J’ai au moins 15 kilomètres de plus que lui de parcourus !  Je lui demande s’il a un GPS, question de vérifier la distance parcourue. Négatif. Évidemment. Cout’ donc, qui est-ce qui court sans GPS de nos jours ?  En tout cas, j’en suis à peu près certain: les indications n’étaient pas assez claires au camp de base et il est parti sur la droite au lieu de prendre la gauche. Moi, je connais un peu la géographie du coin, mais ce n,est pas pareil pour tout le monde.

On se suit un petit bout, puis je le distance peu à peu. Après des milliers de zigzags, je sors finalement du bois et me retrouve dans un champ. Il fait maintenant vraiment très noir. La seule façon de me retrouver, c’est de suivre les petits fanions roses plantés à même le sol, un à un. Quand j’aperçois des obstacles fixes utilisés pour les concours équestres, je sais que je me rapproche du camp de base.

Finalement, la section ne faisait pas 7 kilomètres, mais plutôt 9, peut-être même 10 !  J’arrive à une table où il n’y a aucune victuaille d’offerte, ni même d’eau. De quessé ?  C’est l’endroit où on peut récupérer son drop bag. Ouais… Le bénévole, voyant que je cherche de l’eau, m’offre sa propre bouteille. Les bénévoles en ultra, c’est vraiment un monde à part.

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Le lieu de récupération des drop bags. Je n’ai pas vraiment d’affaire là…

Barbara me demande si je veux me changer. Non, je me sens correct pour continuer comme ça. « Tu ne vas pas partir de même ? » demande Marie-Claude. Heu… oui. Tu sais, je bouge un petit peu, genre. Pas certain que je vais faire la nuit comme ça, mais pour le moment, pourquoi m’encombrer ?

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La moitié du chemin de fait. Ça va bien, mais ça ne veut pas dire qu’on trouve ça facile…

Pierre et son compagnon arrivent comme je suis pour partir. Avec eux, Pierre-Olivier qui leur dit qu’il s’en va faire le lac Gale. Je ne peux qu’admirer cette honnêteté. Il aurait pu facilement « oublier » cette boucle-là et partir tout de suite pour un deuxième tour. Bon, l’organisation se serait peut-être rendu compte de quelque chose vu que nos numéros sont pris en note à chaque ravito, mais quand même…

Mes supporters vont maintenant quitter, me laissant aux bons soins de Barbara et de mon père. Je les remercie de leur présence. Ça fait tellement chaud au cœur de voir des gens se déplacer ainsi pour venir nous voir… J’avertis mon équipe qu’il se pourrait bien que ça me prenne 2 heures pour franchir les 13 prochains kilomètres. En effet, ils sont techniques par bouts et je n’ai aucune expérience en course la nuit, alors ça risque d’être encore plus long. Je préfère les avertir.

Avant de quitter, mon père me dit : « À partir de maintenant, c’est du bonus. Tu sais, tu n’as jamais couru aussi loin. Alors si ça ne va pas, il n’y a pas de mal à t’arrêter. Ce sera quand même le plus long que tu n’auras jamais fait. ».

C’est drôle, mais l’idée ne m’avait même pas effleuré l’esprit. Dans ma tête, je suis à mi-chemin. Abandonner ? Peut-être l’envisagerai-je plus tard, mais pour le moment, il n’en est même pas question.

Coup d’œil à la Garmin : 10h30 depuis le départ. Ok, on va oublier les 20 heures. Même 22 heures va être difficile. J’essaierai de faire 24 heures, mais à la base, ce que je veux, c’est terminer.

Sections 13 et 14 : camp de base (80k) à Versant du Lac 2 (93k)

Commence mon deuxième tour. Dans l’herbe mouillée, encore une fois. Bien content de ne pas avoir changé de souliers, ça aurait été une pure perte de temps. Une fois dans le sentier qui longe la route, Barbara me klaxonne au passage, je lui envoie la main. À tantôt mon amour !

Dans la partie technique, une belle surprise : elle me semble infiniment plus complexe que lors du premier tour. C’est fou la différence par rapport à mon premier passage ici. C’est comme… le jour et la nuit (duh !).

Suivant les conseils donnés par Joan, je cours avec les deux lampes allumées. Celle à mon front éclaire en permanence où mes yeux regardent alors que celle à ma taille se charge de me donner une bonne idée des petites variations dans le relief. Au fur et à mesure que je progresserai, je vais allumer cette dernière dans les sections techniques et l’éteindre dans les parties plus roulantes, question d’économiser les piles.

Je découvre rapidement un inconvénient majeur à ma frontale. En effet, on peut ajuster l’angle selon lequel on veut qu’elle éclaire. Sauf qu’à chaque fois où mon corps subit un coup le moindrement brusque (genre sauter en bas d’une petite butte), elle s’abaisse et éclaire mes pieds. Je le sais où ils sont mes pieds, espèce de frontale à la con ! Je t’ai achetée pour que tu éclaires devant, pas mes pieds, bout de sacrament.. Des heures durant, elle me fera damner et sortir tous les saints de l’église. Au final, la cloche à ours n’aura peut-être pas servi à grand-chose…  😉

Au relais Cercle des Cantons 2 (kilomètre 87), je m’apprête à faire un squat pour prendre de l’eau à même la champlure du 5 gallons, comme un peu plus tôt dans la journée. C’est à ce moment que je me rends compte que mes quads commencent à me demander grâce : impossible pour moi de faire cette manœuvre !  Oups. Ok, je peux me passer d’eau, mais s’il fallait que je sois obligé de soulager un numéro deux dans le bois… Je préfère ne pas y penser.

Bon, est-ce moi ou est-ce l’obscurité ?  On dirait vraiment qu’il y a plus de montées et de descentes que lors du premier tour. Peut-être que je m’en rends plus compte parce que plus tôt, j’avais de la compagnie, alors que maintenant, je suis seul. D’ailleurs, j’ai tellement l’impression de ne pas avancer que je m’attends à ce que Pierre et son comparse me rejoignent d’un moment à l’autre. Mais chaque fois que je me retourne, rien. Pas la moindre lumière. Ça en est presque louche.

J’arrive au ravito Versant du Lac 2 (kilomètre 93) 1h58 après avoir quitté le camp de base. Pas mal comme prévision, hein ?  Et surprise : le coureur qui me précède est là. C’est Martin, que je connais de nom, mais que je ne reconnais pas. Avoir su… C’est tout de même la première personne à avoir fait 100 miles à la course en sol québécois (c’était au Pandora 24 en juillet). Il part juste comme je me pointe le nez, mais c’est la première fois que je le vois. Alors que je pense que je perds du terrain, serais-je en train d’en gagner ?

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Mon accueil au 93e kilomètre. Pourquoi ai-je l’impression que madame est moins empressée que monsieur ? 😉

Mon équipe est là, fidèle au poste. Je décide de changer de vêtements : j’opte pour le combo t-shirt – coupe-vent, plus chaud pour la nuit et plus flexible aussi car je peux enlever les manches du coupe-vent. Je garderai toutefois les shorts, ne ressentant aucun inconfort à ce niveau (mise à part la foutue clé du RAV4 qui s’amuse à frotter sur mon monsieur).

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Un autre changement de costume

Le buffet maintenant. Qu’est-ce qu’on fait quand on a envie de tout bouffer ?  Car oui, mon estomac se porte super bien. Tiens, je vais essayer un sandwich gelée – beurre d’arachides. On va voir ce que ça donne. En tout cas, c’est bon en ta…

Ok, une grosse section devant. Je prévois 2h30, peut-être même 3 heures pour me rendre au garage du gentil monsieur, à peine 11 kilomètres plus loin. C’est dire à quel point j’ai du respect pour le parcours qu’Allister nous a concocté. J’en avertis mon équipe, au cas où ils voudraient dormir un peu. Mais ça ne semble pas être le cas, ils semblent tous les deux en super-forme.

Sections 15 et 16 : Versant du Lac 2 (kilomètre 93) à Ironhill  2 (kilomètre 104)

Je me disais que cette section serait difficile la nuit. Hé bien, je ne m’étais pas trompé !  Tout d’abord, premières protestations au niveau de mon estomac. Déjà ?  Merde, il me reste tout de même plus de 65 km à faire, est-ce que je vais être pogné à ne plus avoir le goût de rien avaler ?  Les paroles de Joan en début de course me reviennent en tête : « Les 50 derniers kilomètres sont toujours difficiles ». Comme dirait mon amie Maryse : ishhhhhh…

La première grosse montée (ce que j’avais appelé les « hors d’œuvre » durant la journée) passe plutôt bien, mais la descente qui suit est tout simplement infernale. Toujours sur les freins, toujours sur les talons. Et ma maudite frontale à la con qui s’amuse à éclairer mes pieds à la moindre secousse. GRRRRRR !!!

Toujours est-il que dans la partie plus roulante menant à la pièce de résistance, je vois quelqu’un à l’écart dans le bois, s’éclairant à la frontale et portant une veste réfléchissante. Appel de la nature. C’est loin d’être la manière la plus glorieuse de le faire, mais voilà, à cet instant précis, je monte virtuellement sur la troisième marche du podium. Je n’ose pas trop y croire. Il y a certainement quelque chose qui va se passer, l’ordre naturel des choses sera rétabli, ça ne se peut tout simplement pas.

J’entame tout de même la montée confiant de pouvoir creuser l’écart sur mes poursuivants. Les montées sont ma force, c’est le moment de l’exploiter. Je monte, monte, monte. Agrippe une racine qui, bien évidemment, s’arrache sous l’effort. Déséquilibré, j’évite la chute de justesse. Grrr !  Je pense à Julie qui aurait bien aimé faire de cette boucle de 55 km son premier ultra. Pas certain qu’elle aurait apprécié…

Je poursuis, allant d’un fanion/ruban rose à l’autre. Puis… plus rien. Je suis rendu dans des roches, des feuilles, des buissons. On dirait qu’il y a un sentier à droite. Je me dirige dans cette direction, tant bien que mal. Rien. MERDE. Je cherche, cherche, cherche. Toujours rien. Tout ce que ma frontale réussit à éclairer, ce sont des feuilles, des roches, des branches. Je ne sais même plus si j’arrive de la gauche ou de la droite, je n’ai plus aucun repère. Je dois me rendre à l’évidence : je suis perdu. Crissement perdu. Calv… !

Bon, je fais quoi là ?  Je me mets en boule et je pleure ?  Ce qu’il y a de plus intelligent à faire, c’est redescendre et espérer croiser le sentier. Je ne dois pas être bien loin, bout de sacrament !  Et puis, il y a bien du monde qui va finir par passer. Je n’aurai qu’à suivre la lumière des frontales pour retrouver mon chemin. Non mais, tu parles d’une manière loser de perdre la troisième place…  Est-ce que j’aurai bien d’autres chances de finir une course d’une telle importance à cette position ?

Justement, je vois une lumière qui s’agite un peu plus bas. Elle semble monter en se  dirigeant vers ma droite. Je regarde dans cette direction… J’aperçois un ruban autour d’un arbre. Eureka !!!

Sans plus attendre, je reprends l’ascension de plus belle. Elle est longue. À chaque fois que je pense qu’elle est terminée, elle trouve une autre façon de se poursuivre. Je n’ai jamais vu une montée faire preuve d’une telle imagination pour allonger le plaisir.

Finalement, la descente. Elle est dans toute sa splendeur lobotomique. De dangereuse le jour, elle passe à carrément suicidaire la nuit. Il y a plusieurs pitchs que je dois faire sur les fesses seulement pour rester en vie. À plusieurs reprises, je remercie le ciel d’avoir arrêté la pluie.

Je parviens sain et sauf au relais rue Knowlton 2 (kilomètre 98). Encore une fois, impossible de squatter pour prendre de l’eau, alors j’agrippe une canette de Coke vide laissée sur la table qui me servira de verre. Après presque 100 kilomètres, on est moins gesteux, mettons.

Cette section sur chemins de campagne se fait plutôt bien. Le bruit de mes pas est accompagné par le gueling-gueling incessant de ma cloche à ours, ce qui alerte à peu près tous les chiens du « voisinage ». Je n’ai pas peur de la gente canine, bien au contraire, mais à plusieurs reprises, je prie pour que les propriétaires de voix plutôt menaçantes soient attachés. Avec une chaine, de préférence.

Au ravito Ironhill 2 (kilomètre 104), une surprise m’atttend. Derrière les tables, dans le garage, qui vois-je assis confortablement sur une chaise, enveloppé dans une couverture, ses bâtons de marche à ses pieds ?  Thibault.

Au moment même où je le réalise, Barbara apparaît et me lance, cachant mal son enthousiasme : « T’es deuxième !!! ».

Ultimate XC St-Donat: le Vietnam… et le reste

Hum, ça fait 5 heures que j’avance ?  Donc, mon amie Maryse doit être à la veille de prendre le départ. J’espère que ça ira bien pour elle qui en est à sa première expérience en trail. Dans son cas, je crains surtout la fameuse côte du centre de ski, car à ce que j’ai compris en jasant avec Seb Roulier hier, les sentiers des 11 derniers kilomètres sont relativement faciles (ce que je peux comprendre mal, des fois…). Allez Maryse, on s’envoie des ondes positives, on est ensemble, comme à Ottawa l’an passé !  🙂

En quittant la station, une descente nous attend. Boueuse ?  Bien sûr !  En chemin, on doit traverser des petits ruisseaux. Probablement qu’en temps normal, on peut les franchir en sautant légèrement par dessus, mais bon, on n’est pas en temps normal, alors je dois les traverser avec de l’eau jusqu’aux chevilles. Certains ont même de forts courants… En traversant ce que j’appellerais une rivière, une pancarte: « Bienvenue au Vietnam ». Ha, le voici, le fameux Vietnam. Voyons voir s’il est si pire que ça.

Un trou de boue me semble plus profond que les autres. Hum… pas moyen de le contourner, va falloir passer au travers. Je m’attends à caler jusqu’aux mollets. Erreur:  c’est jusqu’à la taille que je m’enfonce !  Ayoye !  Définitivement que ça n’avancera pas tellement vite au cours des prochaines minutes.

Je progresse donc, du mieux que je peux, dans la soue à cochons. Je continue à boire, le plus souvent possible. Jusqu’à ce que je constate que je commence à siphonner du vide. Plus de GU Brew, merde !  Erreur de débutant: j’ai carrément oublié de vérifier mon niveau de liquide à la dernière station. Mais comme je n’avais fait qu’une douzaine de kilomètres depuis le dernier remplissage, je ne m’en souciais pas vraiment. Sauf qu’à force de boire…

Moment de panique, puis je me calme. J’ai beaucoup bu au cours des deux dernières heures et cette section, bien que laborieuse, n’est longue que de 4 km. En plus, j’ai tout de même calé plusieurs verres à la dernière station, alors je devrais m’en remettre.

Comme j’arrive à la « vraie » rivière, un gars me rejoint (ça ne descendait pas tant que ça, mais c’était technique, alors…). Ho que ça a l’air profond !  Je laisse aller mon pied gauche et touche à… rien !  C’est tellement creux que ma jambe droite plie complètement, sauf que mon pied demeure coincé à une racine. Pas d’appui en bas, coincé en haut sur la rive. Et pour combler le tout, une merveilleuse crampe dans la cuisse et le mollet droits !

L’autre m’offre de l’aide, mais je réussis à me sortir de cette fâcheuse position seul pour me retrouver avec de l’eau jusqu’à la poitrine. La rivière n’est pas large, heureusement !  J’avance à tâtons, cherchant à poser les pieds sur les branches qui jonchent le fond, question de ne pas plonger plus creux, et finis par arriver de l’autre côté. Au bout du compte, ça nettoie son homme et l’eau n’était pas si froide, juste assez pour faire du bien.

Je me masse un peu, question de passer les crampes et laisse aller mon poursuivant. Le Vietnam n’est évidemment pas terminé. On doit maintenant traverser des marais, avec de l’eau passant de la mi-cuisse au nombril, dépendant où on réussit à poser les pieds. L’équilibre est toujours précaire, alors j’essaie de me retenir avec les petits arbres qui longent le « parcours ». Sauf que certains sont déracinés et ne tiennent plus…  J’ai presque l’équivalent d’un marathon dans les jambes et je dois me taper ça.  J’ai vraiment payé pour être ici, moi ?  😉

Mais que vois-je ?  Je ne peux m’empêcher de rire: l’organisation a installé un squelette en plastique portant le t-shirt de l’événement en plein milieu du marais !  Avouez qu’elle est vraiment bonne !

Je finis par sortir de l’eau, mais les petits rubans roses sont toujours installés au-dessus de cette dernière. Shit, devrait-on « théoriquement » toujours avancer dans l’eau ?  Heille, laissez faire !  J’avance donc, dans le semblant de sentier qui longe le ruisseau, en surveillant encore et toujours les rubans roses. Finalement, j’arrive à la traversée de la route 329. Marcher dans deux pieds d’eau qu’ils disaient… Je suis très heureux d’apprendre que mes jambes ne font que deux pieds de long !  Parce que l’eau, elle est jusqu’à ma taille. Et le courant, il est assez fort merci.

Je finis par enfin sortir de l’eau pour emprunter la montée boueuse (duh !!!) qui m’amènera à la station Chemin Wall (km 40.2). Dans la montée, un bénévole avec des jumelles nous regarde arriver et crie les numéros aux autres postés à la station, un peu plus haut. Quand j’arrive sur place, mon drop bag m’attend, devant une chaise. Wow, ça c’est du service !

La bénévole est très, très dévouée. Elle m’offre de m’amener de l’eau pour me rincer les pieds, mais j’hésite: je ne sais pas si je vais changer mes souliers. Ceux que je porte sont complètement détrempés et remplis de boue, d’accord, mais est-ce que ça vaut vraiment la peine si on retrouve autant de boue par après ?  Elle me répond que tous les coureurs qui ont changé leurs souliers ont dit que c’était un pur bonheur. Bon, ok, j’accepte son offre. J’enlève mes souliers et mes bas. Ce que je découvre n’est pas tellement joli. D’accord, mes pieds ne sont pas tellement beaux d’avance, mais le 4e orteil du pied droit est complètement rouge. J’appuie dessus: ouch !  C’est dur et douloureux cette affaire-là !  On dirait qu’il y a une grosse ampoule à l’intérieur, je n’ai jamais vu ça. Bah, tant pis, si ça tient jusqu’à l’arrivée, on verra bien par après.

Tant qu’à faire, aussi bien tout changer: bas (évidemment !), t-shirt, casquette. Ok, je vais garder mes shorts, quand même… Je jette un oeil à la fille à côté de moi et lui demande: « On ne s’est pas vus, tantôt ? ».  Non non, je ne la cruise pas (de toute façon avec l’air que j’ai…). Ben oui, nono, elle fait le 38 km, alors elle a pris un raccourci, ça fait qu’on se retrouve.

Retour à la bénévole, qui m’offre d’aller à nouveau chercher de l’eau pour me rincer les pieds si j’en ai encore besoin, me demande si je désire autre chose. C’est fou à quel point ces gens-là sont serviables. Avez-vous un psychiatre de disponible ?  C’est que je commence à me questionner sur mon état mental… Je la remercie et lui glisse que plusieurs personnes risquent de manquer le cutoff . Ça fait maintenant 6 heures que je suis parti (ouais, presque une heure pour faire 4 km !), il ne reste donc qu’une heure avant la coupure qui se fait ici. Je sais que je suis loin d’être le dernier et demande des nouvelles des premiers, question de me jauger. Selon eux, les tops sont passés il y a seulement une heure et je serais autour de la 15e position.

15e, ha oui ?  De quoi me donner un petit boost. Finalement, le top 10%, c’est peut-être possible, surtout si ça devient plus roulant… Je mange et bois un peu, n’oublie pas de remplir mon réservoir (encore une fois des problèmes avec la petite poudre !) et entame la partie à-peu-près-post-marathon de la course, me sentant presque propre comme un sou neuf.

Ça ne me prend vraiment pas beaucoup de temps avant de me rendre compte que changer mes souliers a été une erreur. Car moins d’une minute après m’être engagé dans la trail, mes pieds sont à nouveau mouillés et la boue reprend progressivement ses droits. De plus, cette paire-là est vraiment usée, au point qu’il n’y a pour ainsi dire plus de crampons sur la partie avant des semelles. Pas l’équipement idéal pour remonter le véritable ruisseau qui coule dans la côte que nous devons grimper.

Suite à la descente je tombe sur deux filles du 38 km carrément arrêtées à une intersection, la face en point d’interrogation. De quessé ?  Elles sont perplexes: elles ne savent pas si elles doivent aller à gauche ou à droite, vu qu’il y a des rubans roses de chaque côté. Avec mon esprit de déduction hors norme, je dis qu’on doit aller à gauche, vu qu’il y a une flèche nous indiquant d’aller dans cette direction.  Et me voilà parti aussitôt.

Peu de temps après, j’arrive à la station Lac Lemieux (km 44). C’était donc le bon chemin. 🙂  On me demande tout de suite si je sais où est la première femme du 58 km. Ils en ont vu du 38, mais pas du 58. Je leur annonce que leur attente tire à sa fin: elle est probablement à 5 minutes derrière moi, 10 tout au plus.

Plus loin, après un peu de boue, je crois voir un mirage: un chemin de terre praticable !  Enfin, on peut avancer !  J’enclenche donc une vitesse supérieure et finis par rejoindre un autre gars. Je lui glisse au passage: « Ça va bien, hein ? », ce à quoi il me répond: « C’est bien d’enfiler les kilomètres ». Effectivement !  C’est le bonheur, enfin je suis dans mon élément: une surface comme à St-Bruno. 🙂

Et question de me motiver encore plus, la station lac Bouillon (km 47) approche. Je sais que mes parents m’y attendront avec du GU Brew tout prêt. Mais j’ai surtout hâte de les voir. J’adore voir mon monde durant une course, c’est fou à quel point c’est motivant.

Après avoir traversé un chantier de construction inoccupé, je les aperçois, bien installés avant la station. Je m’arrête, embrasse ma mère, échange une poignée de main avec mon père. Une mère, ça s’inquiète toujours, alors la mienne me demande si ça va. Je leur dis que « c’est de la cr… de m… ! « , leur parle de mes crampes et de mon orteil « d’une couleur bizarre ». Elle me suggère de faire voir ça par un aide médical, je réponds que je n’ai pas le temps. On remplit mon réservoir, pose pour la photo (finalement, le cell de mon père n’a pas fonctionné, God knows why) et je repars… en prenant soin de mon tromper de chemin en quittant la station. Heureusement qu’il y avait quelqu’un pour m’aiguiller vers le bon endroit, sinon…

Je vois la pancarte du départ du 11 km. J’ai une petite pensée pour Maryse: est-ce que ça a bien été ?  Comment s’est déroulée sa course ?  Et la côte ?  Au moins, je me dis qu’elle n’aura pas vécu la foutue bouette comme moi (ce que je peux être dans le champ, des fois)…

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Mon amie Maryse à l’arrivée. Elle m’a dit qu’elle avait trouvé ça très très dur, mais son beau sourire semble indiquer qu’elle n’a pas totalement détesté…

Je reprends un concurrent du 38 km, puis le laisse dans mon sillage aussitôt. Ça va vraiment bien mes affaires. J’arrive au pied de la montagne. Sur une enseigne: « Côte de l’enfer ». Amenez-la, votre côte !  Dans l’infolettre, l’organisation nous avertissait qu’elle prenait entre 15 et 45 minutes à gravir. Je regarde mon chrono en entamant l’ascension.

Elle est boueuse, mais on a vu pas mal pire. Toutefois, la pente est vraiment, vraiment raide. Il est même parfois difficile d’avancer sans prendre appui sur les mains. Ce que je suis content de ne pas la faire en descendant (quand je pense à Sophie et Jocelyn qui se sont tapés ça…) !  Je rejoins des concurrentes du 38 km et les perds de vue rapidement. Je continue, à un bon rythme. Le souffle est un peu court, mais ça va. Puis j’arrive au bout. C’était ça votre côte de moumoune ?

Heu non, c’est seulement un virage. À ma gauche, une autre face de cochon se présente à moi. OK… Allez, on monte encore !  Mes quads font leur travail. Les jambes font un peu mal, mais c’est très tolérable. Arrive le sommet. Est-ce vraiment le sommet ?  Il y a un indice qui ne trompe pas: les télésièges arrêtent ici, alors la montagne ne peut pas tellement monter plus haut, n’est-ce pas ?

Coup d’oeil au chrono: ça m’a pris 13 minutes. Non !?!  Plus vite que le « minimum » prévu ?   L’élite doit faire ça en moins de 10 minutes, je ne peux pas croire…

Je suis les petits rubans jusqu’à l’entrée du bois où une merveilleuse surprise m’attend: de la cr… de bouette !  Ok, pas de panique, c’est juste une petite section. Erreur. La descente de la montagne commence par un single track très étroit, à flanc de montagne. Je dois avancer les pieds penchés sur le côté, les chevilles sont sollicitées au possible. C’est extrêmement pénible. Devant moi, un gars du 38 km et je n’arrive pas à le rattraper. À un moment donné, c’est carrément un précipice qu’il y a sur ma gauche et pas moyen de prendre appui solidement. C’est débile, cette affaire-là !

Puis, c’est la descente, la vraie. Aussi abrupte que la montée de tout à l’heure, avec de la boue en bonus. Je dois me tenir aux arbres pour ne pas dégringoler, arrêter à tout bout de champ pour essayer de trouver une trajectoire le moindrement potable. Et la plupart du temps, je ne trouve rien. Un gars me rejoint, j’essaie de passer aux mêmes endroits que lui, mais il va trop vite et je finis par le perdre de vue. Maudite descente à la m… !!!

Après une éternité, j’atteins la station Ravary (km 52.5), un autre coureur sur mes talons. Un bénévole nous lance: « 20e et 21e » !  Quoi ?  J’ai perdu 5 places depuis le chemin Wall ?  J’aurais plutôt dit que j’étais « kif-kif », moi (j’ai dépassé pas mal de monde dans la partie roulante)… Je m’informe des premiers: toujours une heure devant. Je commence à douter de cette info, mais bon, je me dis que dans le pire, c’est 1h30.

Moi qui pensais tomber sur du roulant vers la fin, la suite mettra mon moral à dure épreuve. Roche, boue molle et profonde, un véritable calvaire. Je m’accroche aux arbres pour ne pas tomber, j’avance plus lentement qu’une tortue. Je tombe à quelques reprises, invoquant tous les saints de l’église au passage. Je suis officiellement en tab…, je me jure qu’ils ne me reverront plus ici.

Et j’ai une pensée pour Maryse, qui s’est tapée ça comme première course en trail, la pauvre. Dans le genre baptême de feu, c’est difficile de trouver mieux. Ou pire, c’est selon. J’essaie (je dis bien: j’essaie) de me consoler en me disant que les sentiers étaient peut-être dans un meilleur état quand elle est passée. Car nous, les débiles du 58 km, passons après tout le monde.

Un autre coureur arrive derrière. Comment ça se fait que les autres sont si habiles dans la boue et pas moi ?  Je le laisse passer et poursuis en silence. Finalement, je sors de la foutue boue. Un jeune garçon m’avertit que la prochaine station (329, km 54.5) est proche. C’est la dernière, je me permets un bon Coke en plus de l’eau. Quand je dis à la jeune bénévole que ça fait plus de 8 heures que je suis parti, elle passe proche de tomber dans les pommes: elle n’en revient pas qu’on puisse « courir » tout ce temps. Hé oui…

Ha, enfin, le parcours de cross !  C’est roulant, quel bonheur !  Et pour nous encourager, les distances sont maintenant marquées à tous les 500 mètres. Je cours à ce qui me semble être une très vive allure (alors qu’en fait, je vais à peine à 5:00/km !). Devant moi, le dernier qui m’a repris dans la section boueuse. Lentement, mais sûrement, je gagne du terrain sur lui. Arrivé tout près, je songe à lui jaser un peu et lui offrir de terminer ensemble. Puis je me ravise: il ne m’a pas dit un traitre mot d’encouragement tantôt, alors que j’en arrachais, qu’il aille se faire voir. C’est mon derrière qu’il aura dans son champ de vision.

Je le dépasse donc sans laisser sortir le moindre son de ma bouche. Tiens toé !  Je passe les petites pancartes, une à une. La fin est proche !  Dans les 500 derniers mètres, on sent l’effervescence. Il commence à y avoir des spectateurs, chaque personne que je croise lance des encouragements. Mes chevilles font mal, je crains des troubles au niveau des tendons, comme j’en ai déjà eu, mais ça me passe 100 pieds par-dessus la tête: rien ne va m’arrêter !

Petit bonjour au photographe en passant, et finalement, dernière petite descente et je vois l’arrivée. Sur ma droite, ils sont là: mes parents, ma soeur, une de ses amies et Maryse, ce qui m’étonne, vu qu’ils ne se connaissent pas (Barbara n’a pas pu venir, les entités canines zoothérapeutiques comme notre Charlotte étant pour ainsi dire canina non grata au nord de St-Jérôme)… Je donne des high five à tout le monde. On m’annonce au micro: 24e place du 58 km !  Quoi, 24e ?!?  Bah, on s’en fout…

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Un petit bonjour au photographe

Aussitôt la ligne d’arrivée franchie, on m’enlève ma puce électronique (comment elle a fait pour tenir à ma cheville dans cette schnoutte, je l’ignore), me félicite, me donne ma médaille. J’ai à peine le temps de sortir de l’aire d’arrivée que Maryse apparait devant moi. Elle s’est téléportée ou quoi ? On se donne la grosse accolade de coureurs, se félicite mutuellement. Puis ma famille arrive. Autres accolades (mais pas trop, je suis tellement dégueux), autres félicitations. Je suis vraiment chanceux d’avoir tout ce beau monde autour de moi…

Deux ultras derrière la ceinture. Prochaine étape: l’Ultra-trail Harricana, le 7 septembre. J’ai déjà hâte.

En terminant, je vous suggère fortement de visionner ce petit bijou  qui a fait le tour de la petite communauté. Gracieuseté de Michel Caron, un ultrarunner de Sherbrooke. Ça donne une excellente idée de ce par quoi nous sommes passés !  🙂

Ultimate XC St-Donat 2013: avant la course

De retour de vacances bien plaisantes et reposantes, loin de toute connexion internet et de la vie dite « normale ». Aujourd’hui, première partie du récit. Le reste viendra au cours des prochains jours.

Comme ça se produit souvent, je suis le premier arrivé derrière l’hôtel de Ville, lieu d’où partiront les autobus qui nous amèneront au départ du 58 km. Il fait 15 degrés et il tombe un petit crachin. Pas de mauvaises conditions pour courir, bien au contraire. Mais les 30-40 millimètres qui nous sont tombés dessus hier m’inquiètent un peu : les sentiers risquent d’être légèrement boueux.

J’aperçois un petit banc à l’abri et vais m’y installer. Peu de temps après, un gars arrive. Il va vérifier si on peut accéder aux locaux de la municipalité (on ne peut pas), puis vient me demander si on peut aller aux toilettes quelque part. « Numéro un ou numéro deux ? » que je lui demande (on est très basic, dans le petit monde des coureurs des bois). Comme c’est un numéro deux, je lui indique le chemin vers des Johnny on the Spot, près de l’église. Il semble incrédule, mais je lui assure qu’il y en a vraiment: j’en reviens.  Se rendant compte qu’il n’a rien à perdre à aller voir, il disparait. Comme il ne reviendra que dans plusieurs minutes, j’en conclus que mes indications n’étaient pas si mauvaises…  😉

Un autre arrive. Ho, il a l’air crinqué celui-là. Plutôt musclé, le petit top noir moulant (il y a des gens comme ça qui remplissent tellement bien un small), il a l’air nerveux : il court un peu partout. Heu, les nerfs bonhomme, on a quand même pas mal de distance à faire, pas la peine de te brûler tout de suite. Ha, les jeunes…

D’autres coureurs arrivent. De mon petit banc, j’observe la faune. Il y en a de tous les styles : des ultrarunners aguerris aux petits nouveaux, des nerveux aux très relaxes. Petit détail : vraiment pas beaucoup de femmes.

Les gens de l’organisation finissent par arriver à 5h40. C’est toujours la même chose : ils nous ordonnent d’être là pour 5h30, mais eux par contre… Bah, c’est ça, le monde de la course en trail, il ne faut pas s’en faire pour si peu. Les gens commencent à déposer leur sac dans une mini-van dont les portes ont été laissées ouvertes. On nous avait dit que les sacs ne devaient pas peser plus de 5 livres, que cette limite serait vérifiée avant l’embarquement et que les sacs trop lourds seraient tout simplement rejetés. Comme j’aurais dû m’en douter, personne ne pèse les sacs.

On ouvre les portes et nous nous engouffrons à l’intérieur, question de nous protéger du temps frisquet et du petit crachin. Un coureur fait remarquer que l’an dernier, tout le monde cherchait l’air climatisé. Comme quoi on n’est jamais content !  🙂  Je m’installe sur une chaise et continue à observer les autres. Plusieurs sont là en gang et jasent. Moi, je regarde leur équipement. C’est fou la disparité à ce niveau. Plusieurs ont des Camelbak, d’autres des bouteilles à la taille. J’aperçois quelques vestes, dont une ou deux comme la mienne. Quant aux souliers, autant de marques que de coureurs.

Le crinqué est vraiment sur les nerfs: il saute sur place comme s’il était pour courir un 100 mètres. Relaxe, relaxe, tu vas finir par le déchirer, ton small !  Comme pour se calmer, il s’en va demander des infos à propos parcours. J’écoute d’une oreille, sachant fort bien qu’il est difficile, technique et fort certainement en piteux état. Pour le reste, on verra bien assez vite.

Petit tour obligatoire aux toilettes. On dirait le stade Molson à la mi-temps d’une partie des Alouettes: la ligne est infinie. Et tout le monde attend pour un numéro deux (la cour d’église, les boys, la cour d’église) car les urinoirs sont libres !  J’avoue que c’est la première fois que je vois ça. Définitivement que les ultras, c’est un monde bien à part !  🙂

Finalement, les autobus jaunes arrivent et la meute se dirige tranquillement en leur direction. J’aperçois Pat. Il n’était pas certain de pouvoir être là, mais il a pu se libérer. Cool !  On échange une bonne poignée de main, quelques mots, il a l’air en forme et de bonne humeur. Ça en fait au moins un (ben non, je blague, je vais très bien)…

Mais là, question existentielle: nous sommes supposés être 123 et il y a seulement 2 autobus. Dans mon temps, il y avait 48 places dans ces machins-là et un petit calcul rapide me dit que… Hé là, pas question que je me tape 30 minutes de bus debout, je vais en avoir bien assez des heures dans les sentiers, moi !

Finalement, on dirait qu’il y a de la place pour tout le monde. Comme j’en ai déjà parlé dans un précédent post, avant le départ des autobus, le directeur de course nous informe que Sophie et Jocelyn étaient rendus au lac à la Truite (je ne sais toujours pas où c’est) à 1h30 et qu’ils seront avec nous au départ tantôt.

Une fois la petite annonce faite, le brouhaha des conversations reprend. Une chose me frappe: c’est la deuxième fois que j’emprunte une navette pour me rendre au départ d’une course, mais l’ambiance est y totalement différente. À Boston, on sentait la nervosité, la fébrilité des gens. Aujourd’hui ?  Juste de la bonne humeur. Le bonheur d’être là, l’anticipation du plaisir à venir.

Je fais donc comme toute le monde: je placotte avec mon voisin. C’est un gars de Trois-Rivières qui était ici l’an passé, mais qui n’a pas d’expérience en course sur route, alors il semble très impressionné du fait que j’ai couru 10 marathons. Ben heu… je pensais que tout le monde commençait par la route avant de se taper des distances de fous comme celle-là, non ?

On arrive dans un coin complètement perdu. Il faut vraiment savoir que le départ sera donné ici. Je ne sais pas si les autobus sont complètement arrêtés quand les premiers coureurs commencent à en descendre et se disperser partout dans le bois pour se soulager. Ça en est comique. Imaginez l’horreur qu’on lirait sur le visage des adultes si deux autobus jaunes remplis d’enfants se vidaient à cette vitesse et que les tout-petits iraient faire leur pipi doré un peu partout comme nous le faisons à ce moment-là. J’en ris juste à y penser. Et comme pour parfaire ma culture personnelle, se présente à moi l’image d’une femme qui s’exécute en se tenant debout. Un peu déstabilisant, je dois avouer. Mais bigrement efficace, ça ne doit certainement pas être la première fois qu’elle fait ça.

De retour des besoins primaires, je croise Pat à nouveau. Il a un grand sourire qui lui fend le visage en deux quand il me lance: « Tu ne vas pas courir avec ça ? » tout en chiffonnant mon imper d’urgence. Pat, il ne faut pas se fier aux apparences: je ne suis pas totalement nono. Je sais bien que courir avec ça sur le dos, je risquerais de mourir avant la première côte. T’inquiète.

Je reviens justement de me débarrasser dudit imper et de mon restant de bagel quand Dan Des Rosiers, le directeur de l’épreuve, commence son briefing d’avant-course. Il nous résume d’une manière plutôt comique les principaux règlements et détails à observer. Voici ceux que j’ai retenus:

  • Le parcours fait 58 km « plus », donc… (l’exactitude en ultra, ça n’existe pas)
  • Le profil du parcours qu’on voit sur le site a été « photoshoppé ». Il n’y aurait en réalité aucune descente, que des montées (bien honnêtement, ça ferait mon affaire, j’aurais même des chances de terminer dans les 10 premiers)
  • Éviter l’erreur que tout le monde fait en trail: suivre le coureur précédent. Ce sont les rubans roses qui montrent  le chemin à suivre, pas le derrière du coureur qui nous précède.
  • À l’aire des drop bags, ce sera à nous et non aux bénévoles de manipuler nos affaires. Ces braves gens ne sont pas payés assez cher pour se taper la manipulation du linge dégueux pendant des heures
  • Le cutoff à la station Chemin Wall (km 41) est de 7 heures. Ça veut dire que nous devons être sortis de la station 7 heures après le départ, sinon nous serons très fortement priés de quitter le parcours
  • Pour ce qui concerne la « marche excessive », le directeur nous donne l’exemple de la fille qui l’an passé s’était installée sur une chaise longue avec des amis à une station d’aide et s’était mise à boire du Red Bull. Cette année, un tel comportement ne sera pas toléré (mettons que dans mon livre, c’est plus que de la « marche excessive »….)

Il parle ensuite du fameux « Vietnam », mais je n’écoute plus vraiment. J’ai juste hâte de partir, surtout que quelques bibittes commencent à me virer autour. Je me place à la hauteur de Pat et Rachel, question d’avoir du monde d’expérience près de moi en début de course et attends.

Je ne vois pas Sophie autour et on ne nous donne pas de nouvelles d’elle et de son compagnon. Bizarre.

Puis, sans autre cérémonie, c’est le décompte et par un simple « GO !!! », la course est lancée. Enfin, mon deuxième ultra vient de commencer !

Vermont 50: les derniers milles

Avant de quitter Greenall’s, je prends bien soin, encore une fois, de m’alimenter. Jamais je n’aurais cru qu’un jour je mangerais autant de patates et de bananes dans la même journée. Et que dire des bretzels ?  Ça faisait des années que je n’en mangerais plus, jusqu’à ce que je mette aux ultras. Ainsi va la vie… 😉

Au moment de quitter la station, je passe devant un groupe de spectateurs. Deux-trois gars se mettent à pointer mes souliers et à crier: “New shoes, new shoes, man !!!”. Ouais, effectivement, mes souliers peuvent sembler totalement neufs. En fait, ils ont peut-être une cinquantaine de kilomètres au compteur, mais dans des conditions pas mal plus bénignes. Ils ont donc encore leur rouge-orange flashant d’origine et je dois probablement être le premier à passer devant eux avec des souliers aussi propres. En fait, ils en rient tellement fort qu’ils finissent par m’irriter un peu. L’effet de la fatigue, je suppose.

Je passe devant l’endroit où ont été “déposés” les drop bags. Ils sont là, par terre, recevant chaque goutte de pluie que le ciel peut envoyer. Après m’être cassé le ciboulot avec ça, j’ai tout simplement décidé de ne pas en utiliser. En effet, Barbara m’avait dit qu’à moins d’un accident, elle m’attendrait aux stations d’aide où les supporteurs ont accès (soient exactement les mêmes où on pouvait faire parvenir un drop bag), alors je me suis dit qu’elle serait pas mal plus efficace qu’un sac que je devrais chercher. Et j’ai eu raison !  En plus, je n’aurai pas le problème de récupérer le tout après la course.

Le Vermont 50 étant le Vermont 50, une belle côte dans la bouette nous attend pour commencer cette nouvelle étape. Je rejoins un gars dans la montée et lui glisse au passage qu’il faut être un peu fou pour se taper ça. Il me répond qu’il a fait la course à vélo pendant 6 ans et à chaque fois, il se disait qu’il fallait être fou pour faire le trajet à la course. “Look where I am now !” qu’il ajoute en riant. Ça résume assez bien la situation. 🙂

La pause m’a donné de l’énergie. Les sections techniques me font sourire, me font apprécier encore plus l’expérience. À un certain endroit, je reprends un autre gars qui fait la course en “five-fingers” (les genres de gants pour les pieds). Je peux comprendre l’idée sur l’asphalte, l’histoire que le pied s’adapte à la surface sur laquelle on court, que l’être humain est fait pour courir, et patati et patata. Mais dans la boue et les roches, vraiment ?  En tout cas, ça n’a pas l’air de fonctionner trop fort, son affaire. Et à le voir aller, je pense plutôt qu’il fait le 50 km. Mais bon, je passe à côté de lui et il me demande l’heure comme je suis à sa hauteur. Je m’arrête pour fouiller mes poches à la recherche de ma montre. Il est exactement… midi !  Shit, déjà plus de 5h30 que je cavale. Et les sections les plus techniques qui s’en viennent, à ce qu’il parait.

En fait oui, ça a déjà commencé. Des trails étroites, des descentes dans lesquelles on ne peut pas se laisser aller. Pas vraiment la joie par bouts.

À Fallon’s (mille 37.3, km 60.0), je me rends compte que je prends plus de temps à sélectionner ma bouffe. Je sens que je commence à en arracher. De plus, signe de fatigue, je reste planté devant les tables et les autres doivent me demander (très poliment) de me tasser. Shit, arrête de niaiser mon homme, c’est le temps de mettre en application la règle numéro un des ultras: avancer, encore et toujours. Je pars donc en marchant, question de finir ce que j’ai à manger, puis me remets à courir.

Le fait d’avoir rempli mon estomac m’aide pour quelques minutes, puis je retombe. Ça y est, je suis dans une mauvaise passe. Louise m’avait averti. Ok, pas de panique, tout le monde en vit, même les meilleurs semble-t-il (ce que je ne saurai jamais). Il suffit de ralentir un peu, de reprendre des forces et attendre que ça revienne. J’ouvre ma barre énergétique et commence à la manger par petits bouts, comme je fais en marathon. Ça va peut-être aider.

Pour me changer les idées, je me fixe comme objectif de rattraper une fille portant un t-shirt jaune qui avance avec la régularité d’une horloge, là devant. Par chance, ma technique en montée demeure efficace et je descends plus vite qu’elle, alors je me rapproche. C’est qu’elle a l’air jolie, en plus (ça m’intéresse encore: c’est bon signe). Toute petite, toute mince, les grands cheveux châtains qui sortent de sa casquette… Je la rejoins. Ha merde, lui avez-vous vu le nez ?  Déception, mais bon, je sens que je reprends du poil un peu.

Sauf qu’elle finit par me faire chier, celle-là. Elle ne marche presque jamais !  Ça fait qu’on finit par jouer au yo-yo. À toi, à moi, à toi, à moi…  À un moment donné, dans une descente faite dans un sentier assez large, ce qui me reste de quads me permet d’y aller à un bon rythme, alors je regagne du terrain sur elle. Entendant mes pieds frapper le sol et le flouche-flouche de mon Camelbak, elle me demande sans se retourner: “Are you cruising along ?” ou quelque chose du genre. Heu, de quessé ?  Elle me demande si je la cruise ?  Ben là, pas ici, drette de même. Je suis marié, moi… Et puis, je ne sais plus comment on fait, il y a si longtemps. Et il y a ce nez aussi. “What does it mean ?” est ma réponse comme je la dépasse. Sa réplique: un bel éclat de rire. Ben cout’ donc, je suis encore capable de faire rire les filles. Je suppose qu’elle me demandait si je dépassais ou pas.

Le sentier qui nous amène à Goodman’s (mille 41.1, km 66.1) est tracé dans un champ. Et je ne sais pas pourquoi, mais c’est encore à la fin d’une montée. Pas trop abrupte, alors celle qui je “cruisais” la fait en courant. Pépère Fred décide de marcher.

C’est à cette station qu’on peut commencer à se faire accompagner par un pacer. J’y aperçois Caroline, la fille qui parlait avec Barbara à Greenall’s. Elle attend son mari, un gars qui court des marathons en moins de 3 heures (ben ici, monsieur 3h12 va plus vite, lalalère !). Elle était inquiète tantôt, faut croire que son chum s’est rendu à Greenall’s… et qu’il est toujours derrière moi !  🙂  Elle est supposée le pacer pour le reste de la course.

J’avais demandé en blague à mes amis de me pacer ici et Francis l’avait même envisagé. Honnêtement, je suis très heureux qu’il ne soit pas là: se taper 4 heures de route pour attendre à la pluie que j’arrive, puis faire le reste de la course dans cette merde ?  Pas certain qu’il me l’aurait pardonné. À moins qu’il soit maso comme moi et qu’il se mette à capoter sur ce genre d’épreuve lui aussi ?

Comme je me remets en marche, un bénévole me lance: “Only 9.5 miles to go !”. Comment ça, 9.5 milles ?  Ce n’est pas supposé être moins de 9 ?  Shit, il vient de m’ajouter un kilomètre, lui là !

J’ai beau en avoir entendu parler, m’être préparé, je ne sais pas trop à quoi m’attendre pour la prochaine section. C’est la deuxième plus longue (environ 10 km), mais c’est la dernière avant de revoir Barbara. Allez, un petit coup de coeur. 15 km, c’est à peine plus d’une heure (yeah right…) !

Les amateurs de technique seront servis ici. Dans la section précédente, nous étions tombés sur des bouts sinueux, mais ici, c’est incroyable. On monte, puis on descend dans des sentiers très étroits. Si étroits qu’on doit littéralement se tasser dans le bois pour laisser passer quelqu’un. Pas moyen de prendre un rythme, on passe notre temps à virer. Puis à monter, puis à descendre. Des sentiers pour chevaux, à ce qu’on dit. Je regarde au-dessus de ma tête et me demande comment les cavaliers font pour ne pas se faire labourer la face par les branches…

J’entends des voix au loin… Déjà la station d’aide ?  Mon GPS étant complètement mêlé à cause de la multiplication des zig-zags, je ne m’y fie plus pour la distance parcourue. Je suis un peu fébrile. Sauf que je sais que la station est sur le bord de la route du village et on est en plein bois… Finalement, je débouche sur une résidence privée où les propriétaires fournissent un kit de “décrottage” des vélos de montagne. Il y en a plusieurs qui acceptent, car la boue s’est étendue partout, empêchant certains de jouer du dérailleur. Pas pratique, en montagne.

Je poursuis donc mon chemin, un peu déçu. Dans une autre partie très sinueuse, je me retrouve pris derrière un gars. Puis on rattrape une fille. Ça me permet de récupérer un peu, mais après un certain temps… Merde, comme quand on fait de la randonnée: vous ne pourriez pas vous tasser ?  Je n’avais pas eu de problèmes depuis le début, mais là, je commence à m’impatienter. Finalement, je profite d’un micro-élargissement pour shifter le gars et demande carrément à la fille de se tasser. Il y a des maudites limites ! Ça ne les dérangeait pas d’avoir quelqu’un aux fesses comme ça ?

Derrière moi est apparu le gars avec qui j’étais arrivé à Greenall’s. Il a pris un pacer, le petit coquin. Nous avions fait un autre bout ensemble depuis, mais je l’avais laissé avant mon passage à vide. On dirait qu’il en a eu un lui aussi, mais que son pacer lui donne des ailes.  Je les laisse passer, essaie de les suivre à la trace, mais comme les descentes sont techniques, je dois ralentir.

Pendant que j’évolue dans les sentiers, je pense à Francis. Ho qu’il en aurait arraché là-dedans, le pauvre !  Pas habitué à ça, des enchainements comme ceux-là, dans des conditions semblables.  Et sur 15 km en plus. Une chance qu’il n’est pas venu…

Peu avant un champ, je rejoins pour la enième fois la fille au t-shirt jaune. Je suis persuadé qu’elle va me redépasser d’ici l’arrivée, elle est tellement régulière. Je rejoins également mes deux amis et me lance dans la descente en premier. Ce n’est pas trop technique, alors je peux y aller un peu plus. Il faut juste faire attention pour ne pas se planter… Tiens, le soleil qui a envie de sortir. Ben oui, c’est bien le temps: on a presque fini ! J’entends toutefois Lennon dans ma tête: « Here comes the sun, here comes the sun… ». Pour compenser, la pluie se remet de tomber de plus belle. Trop drôle comme journée…

Peu après le champ, petite section dans le bois, puis j’aboutis sur un chemin de terre. Ça ne va pas trop mal, mais j’avoue que ma notion de “montée” commence à s’étendre un brin. Je me disais au départ que si j’avais des réserves vers la fin, je courrais les montées. Hé bien non. En fait, ça n’a plus besoin de monter tellement pour que je reprenne ma technique de marche.

Mais ho, que vois-je ?  Hé oui, c’est la route principale derrière les arbres ? Oui oui, la dernière station d’aide est proche !  Ok, petit coup d’orgueil, je recommence à courir. Même si ça monte un petit peu. Une fois rendu sur la route, la station est toute proche. Yééé !!!   J’aperçois le RAV4 et j’entends Charlotte et son chant si mélodieux…  Ok, dernière mission pour ma “Doug”: je lui laisse mon GPS qui a commencé à m’avertir que sa pile était faible, ainsi que ma ceinture d’hydratation. Je vais finir avec mon Camelbak seulement. Une caresse à Charlotte, un dernier bisou à ma tendre épouse avant la fin et pour la dernière fois, je m’apprête à quitter une station d’aide.

Mais justement, elle est où, la station d’aide ?  Il y a plein d’autos stationnées, mais pas d’abris, rien à manger, pas d’eau ?  Ben voyons…

Finalement, je comprends que je dois quitter la route principale, emprunter un petit chemin et la station d’aide est toute proche. En haut d’une côte, évidemment. Ainsi donc, me voici à Johnson’s (mille 47.2, km 75.9). Je décide d’y aller full blast côté caféine: je me cale 2 verres de Coke, 2 verres de Mountain Dew (ce sont des petits verres quand même, comme chez le dentiste) et me prends un gel expresso double caféine. Au pire, si ça ne marche pas, ça ne durera que 5 petits kilomètres.

En quittant la station, une toute petite pancarte montée sur un piquet de bois: “ 3 miles to go”. Comment ça, 3 milles ?  Ce n’est pas 2.8 ?

La pancarte ne cache pas la tâche qu’il nous reste à accomplir: une montée tout simplement infernale. Tracée dans un champ, j’ai l’impression que ceux qui montent tout en haut sont tout petits. Comme j’entame l’ascension, mes “backfires” tournent plein régime. Mon chum et son pacer sont tout juste derrière, alors je ne cesse de répéter: “Sorry about that”. Ils me rattrapent et celui qui a fait la course au complet me met la main sur l’épaule et me dit tout doucement: “No need to apologize, man”, traduction libre de: “Tu as 76 km dans le derrière, si tu as le goût de te lâcher lousse, tu as bien le droit.”  Ha les liens qui peuvent se créer sur un champ de bataille… 😉  Par contre, je ne sais pas pourquoi, mais les deux compagnons font tout de même l’effort de se tenir en avant de moi.

Un peu plus loin, j’ai une pensée pour Maryse. Elle avait elle aussi envisagé sérieusement de faire le voyage pour venir me voir. Mais la distance, le fait que Yanick soit parti en voyage d’affaires et que de son côté, elle parte en congrès dès le lendemain l’avait légèrement incitée à ne pas venir. Ha oui, il y a les 4 enfants aussi… Mais bref, si elle était venue, elle m’aurait probablement pacé sur la dernière section. Pas certain qu’elle aurait voulu me reparler après cette côte-là: regardez à quel point j’ai l’air heureux durant cette merveilleuse ascension…

Enfin rendu en haut de la côte après Johnson’s… Un gars commence à en avoir plein les baskets !

Une fois en haut, le plaisir n’est évidemment pas terminé. Je ne sais pas pourquoi, je m’attendais à des beaux petits sentiers tranquilles, bien roulants, puis une belle descente vers la station de ski pour terminer. Hé bien non. Du technique à plein avec des roches et de la boue. Des combinaisons montées-descentes sinueuses. Mon compagnon d’arme glisse dans une marre de boue en montant et se retrouve face contre terre. Aussitôt tombé, aussitôt relevé et reparti (il a probablement vraiment peur de se retrouver derrière moi…). Je ne le reverrai plus.

Autre petite pancarte: “2 miles to go !”. Merde, ça fait une éternité que j’ai passé les 3 milles… Je poursuis mon chemin, plus déterminé que jamais à en finir. Mes quads sont à l’agonie, mes bras et mes épaules font très mal. Allez, ça achève…  Mais c’est quoi ça ?  Ha ben c’est le bout: une rivière !  Il faut traverser un fleuve, bout de tab… !

Bon, j’exagère. C’est un ruisseau de montagne qui traverse le sentier. En faisant attention, je réussis à le passer à sec (si on peut être à sec aujourd’hui !) et reprends ma promenade de santé. J’ai été très prudent parce que je n’avais vraiment pas envie de me retrouver le postérieur à l’eau. Ça m’a peut-être coûté une trentaine de secondes, mais au point où j’en suis…

Ha, une autre petite pancarte, plus qu’un mille je me dis… Erreur: “1.5 mile to go !”. Juste la moitié de la distance depuis la dernière station ?  Il me semble que je l’ai quittée il y a plusieurs jours déjà, ma femme va envoyer un avis de recherche si je n’arrive pas bientôt. Une alerte Amber, même. Je baisse la tête, fonce de plus belle. Ha non, maudit parcours de mes deux, tu ne m’auras pas de même !

Après plusieurs roches glissantes et bien des trous de m…, une autre pancarte. “1.25 mile, je suppose…”. Hé bien non: “Can you smell the food ?”. Non, je ne la sens pas. Mais est-ce qu’il y a de la bière ? Ça pourrait m’intéresser…  Finalement, pas tellement plus loin, la voilà: “1 mile to go !”. J’ai 98% de la distance de parcourue, j’ai encore de l’énergie en bonne quantité. Mes quads vont tenir, il ne me reste qu’à demeurer debout.

La descente finale s’amorce. Comme il n’y a jamais rien de facile ici, celle-là ne donne pas sa place. Nous sommes sur des pentes de ski, descendons en zig-zag sur des sentiers détrempés tracés sur de l’herbe. Nous sommes à flanc de la pente, donc les pieds penchés d’un côté et c’est glissant. Pas jojo…  Tiens, un dernier photographe, un beau sourire pour la postérité.

Moins de 1 km à faire, de quoi retrouver le sourire !

Bon, comment ont-ils réussi à trouver encore des places techniques par où nous faire passer ?  Encore de la roche glissante. Jusqu’à la fin, le parcours ne nous aura donné aucun répit. Finalement, j’aperçois le stationnement sur ma droite, la vraie descente finale et l’arrivée. Ça y est, dans moins d’une minute, ce sera fait. Ce qui a commencé par un rêve un peu fou, qui s’est lentement transformé en entrainement dédié et tout aussi fou, va se concrétiser: je serai un vrai ultra-runner. Tout comme à mon premier marathon, un grand sentiment de fierté m’envahit: je l’ai fait.

Mes quads ne me permettent malheureusement pas d’y aller à fond dans la dernière descente, mais je m’y rends quand même. J’arrête mon chrono: 8:42:17. Pas le temps que j’aurais voulu, mais ça me passe 10 pieds par-dessus la tête: je suis un ultra-runner !!!

C’est fait: je suis maintenant un ultra-runner !!!

Après les photos du “triomphe”, je sers Barbara contre moi. Très fort. Et je sens son étreinte, malgré la clôture qui nous sépare. C’est la première fois que je la sens si impliquée, si emballée par une de mes courses. Et ça s’est ressenti dans ma journée: tout a été tellement plus facile grâce à son support, tant au niveau logistique que moral. Merci de tout coeur, mon amour.

Comme le chantait Bono: « Blue-eyed boy meets a brown-eyed girl… Ho ho ho, the sweetest thing »
Un grosse journée pour mon amour: merci pour tout !

Le mystère des « drop bags »

Étant nouveau dans le monde des ultras, j’ai beaucoup lu sur le sujet au cours des derniers mois. Il y a plusieurs choses qui m’étaient totalement inconnues avant de commencer mes lectures. L’une d’elles est les « drop bags ».

Je voyais sur les forums de discussions que les gens en parlaient, échangeaient sur ce qu’ils devaient mettre dedans, etc. Ça m’a pris un peu de temps à comprendre parce que le concept m’était totalement étranger. En fait, pas totalement, dans un certain sens car j’utilisais le principe dans mes marathons, quand je le pouvais. En effet, j’abusais de la bonté de ma tendre épouse ou de mes amis pour qu’ils me rencontrent à un endroit pré-déterminé sur le parcours et me laissent ce que je leur avait demandé: barre énergétique et bouteilles de Gatorade remplies, en l’occurence. Bizarrement, il m’est arrivé par deux fois de faire un marathon totalement en solo et j’y ai réussi mes deux meilleures performances. Hum… (Sans blague, ce sont les conditions météo à Mississauga l’an passé et Ottawa cette année qui m’ont permis de réaliser ces temps)

Mais bon, un ultra, par définition, ça dure plus longtemps qu’un marathon. Certains disent que pour 50 milles, il faut multiplier son temps en marathon par deux et ajouter deux heures. D’autres parlent de tout simplement multiplier par trois. Dans mon cas, ça donnerait quelque chose entre 8h15 et 9h30, à peu près. Les conditions ont donc pas mal plus de chances de changer sur une telle période que pour un marathon. Aussi, pas mal plus de choses peuvent se produire sur 50 milles dans le bois que sur 42 km dans les rues de la ville.

Entrent alors en jeu les « drop bags ». J’ai fini par comprendre qu’on peut y mettre ce dont on prévoit avoir besoin durant la course. On les dépose à un endroit précis la veille de la course et ils seront « livrés » à la station d’aide qu’on aura indiquée sur le sac. À ce que j’ai compris.

Mais bon, ça a l’air de quoi, un « drop bag » ?  Un sac d’épicerie ?  Un sac de sports ?  Un bon vieux sac vert Glad ?

Les organisateurs du Vermont 50, prévoyant qu’ils seraient envahis de néophytes comme moi, nous ont fait parvenir un merveilleux courriel cette semaine. Il était intitulé: « News you can use » et il y avait une section complète dédiée aux « drop bags ». Cool !

Première règle: ça prend des sacs souples, pas des contenants rigides style « boîtes ». Deuxième règle: le sac doit pouvoir passer par une ouverture de 9" x 9". Heu de quessé ?  Pourquoi donc ?  Prévoient-ils prévoir les passer au travers le trou d’une sécheuse ?  C’est quoi, cette affaire-là ?  Et ils y tiennent mordicus, spécifiant que les sacs ne respectant pas cette règle ne seront tout simplement pas transportés. Ayoye…

Bon, on met quoi dedans, maintenant ?  Voici leurs conseils. Première chose, être prêt à ne plus jamais revoir ce qu’on met dans un des ces sacs, donc aucun objet dispendieux genre cellulaire (il n’y a pas de réception de toute façon, ça illustre bien à quel point c’est reculé comme endroit), GPS, iPhone, iPod, etc. Aussi, aucun objet fragile qui ne peut résister à une chute de 4 pieds (traduction de: nous allons câlisser les sacs en bas de la boîte du pickup). Ok, enregistré, je sais quoi ne pas mettre. Mais quoi mettre ?

Du linge de rechange propre: bas, t-shirt. S’il fait chaud, changer de t-shirt peut être pratique. Et si c’est détrempé, une paire de bas secs peut sauver biens des ampoules. On peut même insérer une paire de souliers de rechange, quoi qu’il est stipulé que c’est très rare que les coureurs changent en cours de route. On peut aussi mettre quelques articles de premiers soins: ruban adhésif, pansements, désinfectant. Pour l’alimentation, c’est une excellente façon de faire parvenir des gels, barres énergétiques ou tout autre aliment qu’on est habitué de prendre. Les possibilités sont infinies !  😉

Pour cette course-là, il y aura trois stations d’aide où on pourra avoir accès à nos « drop bags »:  aux milles 12, 32 et 47 environ (il y a 10 stations d’aide en tout sur le parcours). C’est aussi à ces endroits que les « équipes de support » seront admises. Donc, pour ceux qui ne font pas confiance au système des « drop bags » et qui ont la chance d’avoir encore des amis et/ou un(e) conjoint(e) dont ils peuvent abuser de la bonté, ils peuvent leur donner rendez-vous à ces endroits précis sur le parcours. Tout autre aide reçue ailleurs est interdite et est passible de disqualification. On peut dire qu’ils ne niaisent pas avec le puck, les gens du Vermont…

Pour ma part, comme j’ai (encore) une épouse qui est prête à m’aider, je compte lui faire amener un sac de remplacement rempli de Gatorade pour mon Camelbak au 32e mille. Pour le reste, ça va dépendre de la température. Un certain acteur qui fait des ultras m’a dit que lui, pour une course de 50 milles, met quelques trucs dans ses « drop bags » au cas où, mais ne s’en sert à peu près jamais. Je me suis tout de même procuré des sacs imperméables de 15 et 20 litres chez MEC (ils devraient passer dans une ouverture de 9" x 9", jamais je ne croirai) pour mettre mes cossins. Je pense bien faire envoyer une paire de bas, un t-shirt, des pansements, du ruban adhésif, un imperméable jetable et peut-être une barre énergétique aux trois endroits. En plus, au 32e mille, une paire de chaussures de secours m’attendra, « au cas où ».

Mais bon, tout peut changer s’il pleut, s’il fait froid, s’il fait chaud, etc. Je vais décider ça l’avant-veille de la course. Histoire à suivre.