Boston et son avant-course

Boston et New York ne sont vraiment pas des marathons comme les autres. En effet, en plus de faire partie des World Marathon Majors, ils présentent la particularité d’offrir un départ et une arrivée très éloignés l’un de l’autre géographiquement. Ceci amène son lot d’inconvénients et nécessite une logistique hors du commun pour transporter un immense contingent de coureurs vers le lieu du départ. Et qui dit logistique complexe dit… délais. J’en ai parlé abondamment par le passé.

Ainsi donc, malgré un départ à 10h, il est autour de 5h30 quand je me présente à la station de métro située tout près de l’appartement que nous avons loué dans Cambridge. Comme d’habitude, j’ai prévu tous les retards possibles et imaginables et comme d’habitude, tout se passe rondement. Je vois 5:44 sur la montre d’un autre coureur quand nous arrivons à la station Park, d’où les autobus qui nous amèneront à Hopkinton partiront. Merde. Je vais partir avec les premiers autobus, ce qui signifie que je vais sécher au froid encore plus longtemps une fois rendu là-bas…

Le parc Boston Common est bigrement tranquille pour un matin de marathon. Des bénévoles commencent à s’activer tranquillement, un café à la main, et c’est à peu près tout. On nous annonçait une sécurité accrue, je ne vois pas grand chose de différent de l’an passé. En tout cas, rien à voir avec la folie de New York et ses milliers de policiers.

Je fais le tri de mes affaires, puis passe au dépôt des sacs. Car oui, on peut laisser un sac contenant des vêtements de rechange en consigne ici. La jeune bénévole me demande de lui montrer mon dossard. J’ai toutes les misères du monde à le faire parce que pour me protéger du froid (il fait 3 ou 4 degrés), je porte mon chandail laid et un imperméable jetable par dessus mon t-shirt de course. « I swear I have a bid » que je lui dis en riant. Ce ne sera pas la dernière fois de la journée où je peinerai à montrer mon dossard.

Après une pause-pipi, je me dirige vers les autobus. Les accès sont très contrôlés, pas moyen d’en approcher sans son dossard (la difficulté à le déterrer sous mes couches de vêtement ajoutant évidemment aux délais) . On finit par nous diriger vers l’un des monstres jaunes. Tout comme à l’école secondaire, les premiers qui entrent s’assoient soit devant, soit derrière, comme si les bancs du milieu étaient radioactifs. Je choisis l’arrière, comme si je faisais partie des hots de l’école. Je me dis que c’est là que j’ai la meilleure chance d’être seul sur mon banc. Car vous savez, une heure en autobus jaune, avec de l’espace pour les jambes conçu pour accommoder des enfants… En tout cas, j’espère sincèrement pour le gars du banc d’à côté qu’il sera seul: c’est un mastodonte (pour la course, on s’entend). Il fait au moins 6’4 » et tape le 225 livres, c’est certain. Son dossard dans les 6600 (comme moi) m’indique qu’il « vaut » 3h06. Je n’en reviens pas…

Quand le convoi s’ébranle, l’autobus n’est même pas complet, ce qui fait que nous, les tannants à l’arrière, sommes seuls sur nos bancs. Indice que le monde fait partie de la première vague, il n’y a qu’une seule femme à bord. Je jase un peu avec les autres. Celui devant, un jeune, vient de Minneapolis. Il en sera à son 2e Boston. Un autre vient de Vancouver. Il nous raconte qu’il était inscrit à New York en 2012 et que c’est à l’aéroport qu’il a appris que le marathon avait été annulé. Vancouver ?  Minneapolis ?  Et moi qui demeure à 5 heures de route et ne veux pas revenir ici parce que je n’aime pas attendre au froid… Serais-je plaignard ?  Ou chiâleux peut-être ?  Pas nécessaire de me répondre. 😉

Rapidement, les conversations s’arrêtent et tout le monde retourne dans sa bulle. Je somnole durant une bonne partie du trajet. Comme nous approchons d’Hopkinton, je remarque que notre autobus ne fait plus partie d’un convoi. Arrivé près de la Middle School où est situé le village des athlètes, il ne tourne pas. Les gens commencent à s’inquiéter. Quoi, vous êtes vraiment pressés de sortir du confort pour aller vous les geler ?  Il ne retournera pas en ville avec nous, vous savez…

Finalement, après quelques détours, on nous dépose à l’avant de l’école. Encore là, rien de spécial côté sécurité. J’ai bien remarqué quelques soldats supplémentaires sur la rue principale, mais personne pour nous fouiller en débarquant comme à New York. Il y a aussi un chien renifleur, mais il ne semble pas trop s’énerver. Boston et sa banlieue, c’est relaxe. Il n’y a pas meilleure façon de faire un pied-de-nez aux terroristes.

Je ne sais pas si j’ai fait 10 pas qu’un photographe m’arrête. Bon, va encore falloir faire du défrichage de dossard…

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On prend la pose pendant qu’on a encore le sourire ! 🙂

On nous annonce qu’il est 7h25. Je dois trouver un endroit pour m’installer au soleil et à l’abri du vent. Tiens, un arbre au soleil qui est entouré de terre. Ce sera parfait: le sol sera moins humide et je risque moins de grelotter. Mon plan est de demeurer au village jusqu’à 8h30 environ, puis de me rendre tranquillement au centre-ville (façon de parler). J’assisterai aux départs des fauteuils roulants, des femmes et tout le reste, puis attendrai le mien sans me presser.

Mon super-plan est rapidement bousillé. Un bénévole s’approche de moi et me demande gentiment d’entrer dans le village (mon arbre est situé juste de l’autre côté de la clôture). Je proteste un peu, il me répond qu’il est désolé, mais s’il laisse un coureur à l’extérieur, il devra en laisser 2, 5, 10, …

Je ne lui en veux pas, je comprends très bien qu’au niveau de la logistique, de la gestion des coureurs, ils n’ont pas le choix d’agir ainsi. Mais j’avoue que je suis vraiment irrité par cet incident. On nous enferme à l’intérieur d’une clôture comme si on était du bétail. Je cours en bonne partie à cause du sentiment de liberté que ça me procure. Et là, je vais me retrouver entassé avec mes semblables, au froid et à l’humidité, pendant des heures (ok, j’exagère; de trèèès longues minutes). Vivement les courses en trail, bout de viarge !

Je me trouve un spot et commence l’attente. Tout autour, les autres font de même. Pour tuer le temps, je mange un peu, question de ne pas manquer de jus durant la course. L’animation est très présente, comme l’an passé. Ils ont d’ailleurs un don: se mettre à parler durant les meilleures chansons. C’est immanquable.

Puis arrive le moment. Juste au ton que prend l’animateur, je sais qu’il va parler des attentats de 2013. Il nomme les victimes, une à une, puis demande un moment de silence. Des Japonais tout près continuent de jacasser comme s’ils n’avaient rien compris. Un gars leur lâche un « TCHIIIIT !!! » bien senti. Le message passe instantanément.

Une fois le silence bien installé, je me mets à penser à ce qui s’est passé il y a 12 mois. Les explosions. La fumée. Le chaos. L’émotion m’envahit, mes inspirations et expirations deviennent saccadées. Les premiers sanglots se préparaient à sortir à l’instant où l’animateur nous remercie. Une larme coule sur ma joue et je songe au ridicule de ma frustration d’avoir à attendre le départ ici. Ces gens aimeraient bien pouvoir être là pour attendre à ta place, du con.

À 9h05, on appelle les coureurs des 3 premiers corrals de la première vague. Puis les corrals 4 à 6. Enfin, les 7 à 9 (je suis dans le 7). C’est dans cet ordre que nous nous rendrons au départ, situé à 1 km de là. Bien que les instructions qui nous été données depuis le début soient contraignantes, j’avoue que la méthode fonctionne bien et la circulation en direction du départ se fera avec beaucoup de fluidité.

Comme le mercure a grimpé considérablement depuis notre arrivée, je laisse mon imperméable,  mes vieux pantalons en coton ouaté ainsi que ma tuque du Marathon de Magog sur place. J’avoue que celle-là me fait un peu mal au coeur, elle n’aura servi qu’aujourd’hui. Que voulez-vous, on ne peut pas faire ramener des vêtements à l’arrivée…

La rue principale d’Hopkinton est totalement fermée à la circulation, nous permettant, nous coureurs, de nous rendre tranquillement vers le départ. À chaque année, les gens de cette petite ville voient leur univers complètement chamboulé. Et pourtant, ils sont souriants. Ils nous souhaitent bonne chance, nous offrent à boire et à manger. Évidemment, je ne peux manquer la pancarte sur laquelle il est écrit: « Beer, donuts and cigarettes ». Hé oui, des gens trinquent déjà à cette heure matinale. Privé de houblon depuis plus d’une semaine (c’est un exploit pour moi), je fais semblant d’être hypnotisé et me dirige vers eux, déclenchant quelques fous rires.

Dernière pause-pipi (il fallait évidemment que je me retrouve dans la file qui n’avançait pas), puis j’enlève mon horrible chandail. Celui-là ne me manquera pas. Quand je le donne à la préposée, je lui dis: « It was my ugliest sweater ! » en feignant de pleurer. Ha, sac à blagues que je suis !  Je me demande combien de personnes l’ont sortie, cette niaiserie-là…  Elle a tout de même la politesse de rire. À moins que ce soit mon accent qui la fasse rire ?

Bon, c’est quoi ça ?  Un ventre qui gargouille ?  Moi qui avais trop mangé l’année dernière, ne me serais-je pas assez nourri cette fois-ci ?  Merde, tu parles d’un beau tata… Mais ai-je vraiment faim ?  J’ai toujours mes en-cas, soient un gel au beurre d’arachides et ma Power Bar coupée en morceaux. Pour me rassurer, je fouille dans mes poches et trouve… ce qui ressemble à une bouse de vache enveloppée dans un ziploc. Le chocolat a ramolli et les morceaux ont «fusionné» pour donner un look pas trop appétissant à ma bouffe de secours. Bon, je ne suis pas tellement bien placé bon jouer au difficile, alors je vais faire avec !

L’animateur nous demande de nous tourner vers le drapeau le plus proche parce qu’ils vont maintenant faire jouer l’hymne national. Ha les Américains et leur patriotisme… Le corps droit, la casquette sur le coeur, alouette. Par respect, j’arrête de bouger et attends. Il est tout de même beau, leur hymne national. Pour le drapeau, j’ai laissé faire. Remarquez, il y en a partout, alors peu importe comment on se place…

Une fois le tout terminé, on nous présente les principaux coureurs d’élite qui prendront part au marathon en même temps que nous. Bien sûr, ce sont les coureurs américains qui sont nommés en premier, le golden boy Ryan Hall passant même avant Meb Keflezighi, qui a pourtant un palmarès beaucoup plus étoffé. Mais que voulez-vous, ce n’est pas un «vrai», il est né en Afrique…  Pourtant, en théorie, Ryan Hall ne devrait même pas être là vu qu’il n’a pas complété de marathon depuis les qualifications olympiques de 2012. Sur ces bases, il n’est donc pas qualifié, comme nous tous. Bon, je sais, les élites n’ont pas à se qualifier (certains font de Boston leur premier marathon, alors…).

Le directeur de course s’adresse ensuite à nous. Le ton qu’il utilise est très motivant, il nous dit presque de «tuer» le parcours pour gagner l’arrivée. Inspirant.

Au niveau où je me trouve dans le peloton, il y a un petit magasin de sport. Et devant ledit magasin, une jeune fille court sur un tapis roulant. Et sur l’écran dudit tapis roulant, on voit défiler un chemin de campagne. C’est certainement le parcours du marathon qu’elle est en train de faire. Je ne sais pas pourquoi, je trouve ça un peu bizarre comme coup de pub… Non mais, je m’en câl…-tu moi de ton tapis roulant ?  Je cours dehors, moi !  Je demeure tout de même fasciné…

Le départ va bientôt être donné. Je songe à ma préparation. Les côtes à répétition, les longues sorties au mont St-Bruno. Je connais maintenant mieux le parcours, je ne le sous-estime plus. Je me sens confiant, mais pas arrogant. Je n’ai pas d’objectif de temps précis, mais quelque chose sous les 3h10 me ferait bien plaisir. Si mes genoux pouvaient tenir le coup…

Puis je me rends compte d’une chose: je n’ai pas froid, l’air s’étant beaucoup réchauffé. Mauvais signe. Ne pas avoir froid avant le départ d’un marathon signifie qu’on aura chaud plus loin. Hum…

La longue journée

DC’est la même chose à chaque fois: l’avant-veille d’un marathon aux USA, une très longue journée nous attend. Hier n’a pas fait exception.

Comme c’est maintenant notre habitude, nous sommes partis tôt. Et pour la première fois depuis Philadelphie en 2012, nous étions seuls, Barbara et moi. Tout s’est vraiment bien passé sur la route. Et c’est à peine si nous avons dû attendre aux frontières. Comme l’année dernière, nous avons dîné dans la très jolie ville de Concord, NH. Le seul bouchon de circulation sur lequel nous sommes tombés s’est présenté à nous après que nous ayons quitté l’autoroute. Mais à part ça…

En arrivant, il y a toujours un petit stress. Est-ce que l’appartement va être prêt ?  Est-ce qu’ils ont bien eu notre réservation ?  Est-ce que seulement il existe ?  On entend tellement d’histoires de monde qui font des réservations par Internet et qui se font avoir…

Toutes nos craintes sont tombées quand nous avons vu les femmes de ménage à l’œuvre (nous étions évidemment en avance). Le temps de comprendre les restrictions et permis de stationnement dans la rue et d’aller faire un brin d’épicerie, notre petit nid pour les 4 prochains jours était prêt.

Ok, mettons que l’endroit est vieillot. Et il y a quelques messages pas trop rassurants d’inscrits sur les murs, comme celui nous demandant de laisser couler un filet d’eau si la température extérieure descend sous le point de congélation. Il y a aussi que la porte d’entrée donne directement sur le lit et que l’oreiller supplémentaire est orné d’une trace dont la couleur et la forme quasi-circulaire ne laissent aucun doute quant à son origine… virile, si on peut dire. Comme il n’y a pas de taie supplémentaire pour recouvrir ledit oreiller, il est resté dans son placard pour la nuit…

Pour le reste, rien à redire. Le quartier est à la fois tranquille et animé, avec des bistrots tout près. Nous l’avons exploré un peu en nous rendant au métro avec l’expo-marathon comme destination.

Rendus en ville, au lieu de transférer à Park pour nous rendre au Hynes Convention Center, nous sommes débarqués, question de marcher un peu. Après avoir traversé Boston Common et le Boston Public Garden (deux parcs rappelant le parc Lafontaine à Montréal), nous avons descendu Boylston.

Les trottoirs étaient bondés. Rarement pouvait-on marcher côte à côte. Les terrasses aussi étaient remplies, la température étant parfaite. À tous les 10 pas, une bière en fût me faisait de l’œil. Quelle torture !

Heureusement, la rue était fermée à la circulation automobile autour de la ligne d’arrivée du Marathon, ça nous a permis d’avancer plus librement. Barbara était fébrile, n’ayant jamais pu l’approcher l’an passé. Il y avait beaucoup de monde. plusieurs se faisant photographier. Nous n’avons évidemment pas fait exception. Tant qu’à être là…

J’ai cherché du regard où avaient bien pu exploser les satanées bombes, mais rien n’a été mis en évidence pour nous rappeler leur existence. Et c’est bien ainsi. Pas nécessaire de donner une publicité supplémentaire aux enfoirés qui ont fait ça. Les hommages aux victimes, ils peuvent très bien se faire ailleurs.

Nous sommes ensuite parvenus au Convention Center. Premier signe de l’augmentation de la sécurité: mon sac à été fouillé à l’entrée. Bof, moins pire qu’à New York où nous étions passés par le détecteur de métal…

La récupération du précieux dossard s’est super bien passée, la bénévole attitrée à mon groupe de numéros semblant aussi occupée qu’un réparateur Maytag. Même chose pour le t-shirt, qui est d’un beau bleu, beaucoup plus sobre que le jaune pétant de l’an passé.

Quant à l’expo-marathon… Pas tellement mon style, je dirais. Trop, beaucoup trop de monde. Et comble de malheur, j’avais des emplettes à faire. On se marchait déjà sur les pieds dans la boutique Adidas, mais quand nous en sommes sortis… L’enfer. Pas moyen d’avancer, c’était jammé partout. Je ne sais pas pourquoi, mais on dirait que les kiosques Power Bar sont toujours les moins bien fichus. Des employés à la limite de l’impolitesse, des produits dont la date de péremption est passée (au Marathon de Boston, à la quantité de clients qui passent, avouez qu’il faut le faire !), de la confusion dans les prix… Pas fort.

J’avais aussi besoin « d’arm warmers » parce que j’avais oublié les miens à la maison. J’en ai trouvé: des jaunes, roses, verts, mauves… Noir, vous connaissez ?  Ha pis de la schnoutte, je gèlerai  !

À mesure que les achats s’accumulaient, le poids des sacs où ils s’empilaient faisaient évidemment de même. Essayer d’avancer dans la foule avec des sacs pleins qui pèsent une tonne et prennent toute la place. Grrr !  Au kiosque GU, encore des prix extraordinaires sur les gels et le GU Brew. Une fois ces achats effectués, je ne pensais qu’à une chose: SORTIR !  Pus capable de voir plein de monde, de me faire bousculer, d’essayer de me faufiler.

Nous n’étions pas au bout de nos peines: il fallait reprendre le métro. Le premier qui est passé débordait presque. Je n’avais pas vu une voiture de métro si remplie depuis mon séjour au Japon. Nous avons décidé d’attendre le suivant… qui était tout aussi plein.

Je ne sais pas si c’est à ce moment-là que j’ai décidé que ce serait mon dernier Boston… Toujours est-il qu’il était 20h quand nous avons enfin pu nous asseoir à l’appartement et manger.

Je n’ai pas eu besoin d’une berceuse pour m’endormir. Ce soir par contre…

 

C’était une belle journée

La température était fraiche, juste comme il faut. Il faisait un beau soleil et les vents étaient légers. Des conditions idéales pour la course, quoi.

J’avais perdu mon combat contre le parcours par décision partagée: au 34e kilomètre, j’avais été assailli par des crampes. Je ruminais à ça, paisiblement allongé dans le bain. Qu’est-ce que j’aurais pu faire de différent ?  Comment allais-je attaquer ce parcours accidenté la prochaine fois ?  Est-ce qu’il y aurait seulement une prochaine fois ?  J’avais déjà mon ticket pour l’année suivante, mais est-ce que ça me tentait vraiment ?

Puis LA nouvelle est arrivée à nous. Incrédulité. Stupeur. Consternation. Les images montrant l’aire d’arrivée étaient terrifiantes, d’une horreur sans nom. On venait de s’en prendre à mon sport. On venait de s’en prendre à ma communauté. J’étais passé à quelques mètres des bombes, j’aurais pu faire partie des victimes.  On nous avait attaqués. Nous, les coureurs.

Du coup, comme des millions de mes semblables à travers le monde, j’ai perdu mon innocence. Notre monde ne serait plus jamais pareil. Ha, les conversations et rigolades d’avant et d’après-course seraient toujours de mise. Après l’arrivée, je féliciterais et recevrais des félicitations de la part des autres coureurs, comme avant. Mais nous aurons toujours ÇA en arrière-pensée.

Ça s’est passé le 15 avril 2013, il y a un an. Jamais je n’oublierai.

Une année en dents de scie

Les rétrospectives, c’est une tradition à ce temps-ci de l’année. Je l’ai fait l’an passé, alors pourquoi ne pas remettre ça cette année ?  Pour moi, l’année 2013 a été synonyme de hauts de de bas, mais à la fin, une chose demeure: la course à pied est une véritable passion que je désire continuer à partager avec vous, fidèles lecteurs.

Voici donc l’année résumée en quelques thèmes.

La consécration. Hopkinton, le 15 avril, 9h55. J’étais dans mon couloir, attendant le départ du Marathon de Boston. Le plus ancien et le plus prestigieux marathon de la planète. Après des années de travail acharné, j’y étais enfin. À ce moment, j’ai éprouvé un très grand sentiment de fierté, probablement ce qu’un athlète de haut niveau peut vivre quand il se retrouve à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. C’était à la fois simple et magique, je vais m’en rappeler le restant de mes jours.

Mauvaise évaluation. J’ai carrément sous-estimé la difficulté du parcours. Je me disais que je suis un ultrarunner, que les côtes de moumounes comme sur le parcours nous amenant à Boston, ça ne pouvait jamais être si difficile que ça… J’en ai payé le prix. Dans les dernières encablures de la Heartbreak Hill, j’ai crampé. Les 8 derniers kilomètres ont été infernaux.

L’horreur. J’étais arrivé depuis un bon bout de temps. Nous avions quitté les lieux et étions probablement en train de débarquer du métro quand les bombes placées près de l’arrivée ont explosé. Mais l’horreur des événements nous a tous touchés. À l’hôtel, les gens étaient en état de choc, personne ne parlait plus de rien d’autre. La question sur toutes les lèvres: pourquoi ?

La résilience. Celle des coureurs qui retourneront car ils refusent de se laisser intimider. Je fais partie de ceux-là. Celle de la merveilleuse ville de Boston qui a décidé elle aussi de se tenir debout devant l’adversité et de faire un pied-de-nez à ceux qui voudraient lui faire peur. Je ne suis pas un amateur de hockey, mais ce qui s’est passé deux jours plus tard avant le match des Bruins m’a donné les frissons.

La vague. Celle d’amour qui a déferlé de partout. Nos amis, notre parenté, nos collègues. Des personnes avec qui nous n’avions pas eu de contact depuis des années se sont inquiétées pour nous et nous ont demandé, nous ont ordonné même de leur confirmer que nous allions bien. Rien ne m’a jamais fait autant chaud au cœur. Merci à tous, encore une fois !

La bouette. St-Donat, le 29 juin. Le printemps avait été pluvieux, il venait de tomber une trentaine de millimètres de pluie. Devant nous, 58 kilomètres de sentiers. Un parcours déjà considéré comme difficile à la base avait été transformé en véritable soue à cochons. De l’eau jusqu’aux épaules dans la rivière, une traversée interminable du « Vietnam », des descentes impossibles à négocier. À maintes reprises, je me suis promis que « plus jamais ». Et pourtant, j’ai eu du plaisir et serai fort probablement de retour. Faut croire que je suis maso. Ce vidéo de Michel Caron qui a terminé une vingtaine de minutes avant moi est une véritable pièce d’anthologie.

LA blessure. Elle s’est manifestée au lendemain de la tragédie à Lac-Mégantic (question de me donner un peu de perspective). Une semaine plus tard, j’étais sur la liste des blessés. Ça a duré des semaines. Des semaines d’enfer au cours desquelles j’ai dû annuler ma participation à deux courses que je voulais vraiment faire cette année: le 65k du XC Harricana et le Vermont 50.

L’ostéo. Son prénom: Marie-Ève. Sa discipline: l’ostéopathie. Je ne connaissais pas ça, mais on m’avait fait plusieurs suggestions en ce sens, alors je me suis dit que j’essaierais. Elle a sauvé ma fin de saison, un point c’est tout. Sans elle, je ne serais pas allé à New York. Chaque sou que j’ai investi dans ses traitements a été un sou bien investi. Elle me chargerait le double du prix que j’y retournerais sans hésiter.

Lake Placid. Coup de cœur ou coup de foudre ?  Le beau temps a certainement aidé, mais nous sommes tombés sous le charme de cette petite ville du nord de l’état de New York. Là-bas, le sport et le plein-air sont rois. Des montagnes, des sentiers de randonnée, des routes dans un état impeccable… Nous nous promettons évidemment d’y retourner prochainement. Très prochainement.

Le plus bel entrainement. XC Harricana, le 7 septembre. Mon genou m’ayant empêché de m’entrainer convenablement, j’ai troqué le 65k pour le 28k avec dans l’idée de le faire comme un entrainement. Un vrai entrainement là, pas le moment de me tuer à l’ouvrage. Ça a été ma sortie la plus plaisante depuis le Vermont 50 2012. J’ai eu un plaisir inégalé dans la montée du mont Grand-Fonds, les sentiers de quads, la montée de la montagne Noire et tout le reste. Une course à l’organisation impeccable, des sentiers très bien marqués, une super belle expérience avec à la clé, une 15e place complètement inattendue. À répéter un jour, c’est certain.

La bonne décision. À la fin septembre, lors d’un entrainement, ma tendinite au genou est revenue. Je me suis tout de suite arrêté et dans la journée, ai contacté mon ostéo qui a réussi à me traiter dès le lendemain. Quatre jours plus tard, je reprenais l’entrainement. Nous coureurs avons l’habitude d’ignorer les signes que nous envoie notre corps jusqu’à ce que ça devienne insupportable. Ce jour-là, j’ai pris une bonne décision et ça a payé. Je devrais faire ça plus souvent…

Le plaisir entre amis. Mont Orford, le 19 octobre. Des conditions parfaites, une course que je faisais avec des amis dans un endroit superbe. Et beaucoup, beaucoup de plaisir. J’adore accompagner des amis dans une course, même si parfois je me sens un peu inutile. Pour 2014, j’ai déjà deux « accompagnements » de prévus. Et j’ai hâte.

La Grosse Pomme. New York. Ça faisait des années que j’y rêvais. Pas pour les mêmes raisons que Boston où il faut se qualifier. Ha, on peut aussi se qualifier pour New York, mais les standards sont vraiment trop stricts pour moi. J’ai donc dû passer par la loterie et attendre 3 ans avant de pouvoir faire partie du contingent de coureurs qui s’élanceraient du Verrezano-Narrows Bridge en direction de Central Park.

Des spectateurs par centaines de milliers tout au long du parcours, une organisation extraordinaire à la hauteur de cette ville qui n’a pas d’égale à travers le monde. Une expérience unique que je recommande fortement à tout le monde qui en a la chance.

À la fin, un deuxième meilleur temps à vie sur un parcours difficile et la tête remplie de souvenirs.

Pour 2014. Beaucoup de belles courses en vue. Un premier 100 km, peut-être un premier 100 milles. Va définitivement falloir que les genoux et le sciatique se tiennent à carreau !  🙂

Sur ce, un très joyeux Noël à tous ! 🙂

Je vais pleurer…

Il sera peut-être autour de 9 heures, le 21 avril prochain, quand je serai à l’intérieur le village des athlètes situé dans la cour arrière d’une école secondaire d’Hopkinton, Massachusetts. Ou ça attendra à 10 heures, quand nous serons rendus dans la montée de la rue principale, près de l’église. Mais ça va arriver, c’est écrit dans le ciel: on va nous demander de garder une minute de silence. En mémoire des victimes de l’attentat qui a lieu à l’arrivée du dernier Marathon de Boston, bien évidemment.

À ce moment, je vais cesser de bouger, baisser la tête et repenser à ce qui est arrivé. Je vais songer aux victimes, à la belle innocence de ce sport qui est perdue à jamais, à la bêtise humaine. Je vais sentir l’émotion monter en moi. Je ne sais pas quelle forme ça prendra. Les yeux humides ?  Une larme qui coule sur une joue ?  Plusieurs larmes ? Des sanglots, même ?  Je l’ignore. Mais je vais pleurer, c’est certain.

Toutefois, j’en ai eu la confirmation vendredi, j’y serai. Et nous serons 36000 à montrer aux abrutis de ce monde que nous ne nous laisserons pas intimider.

Des nouvelles de Boston

La semaine dernière, je suis allé voir sur le site du Marathon de Boston, question de savoir quand les inscriptions allaient débuter. Comme les gens qui n’avaient pu terminer l’an passé à cause des événements avaient le privilège de « passer » avant et que ce processus de pré-inscription était en cours, il était seulement indiqué que les inscriptions pour les « autres » allaient se faire en septembre. Heu, pourriez-vous être moins précis ?

Autre petit coup d’œil mardi, puis courriel de confirmation en après-midi: les inscriptions commencent lundi prochain, le 9 septembre (c’est daté du 29 août, yeah right !), pour ceux qui ont devancé les standards par plus de 20 minutes. Puis, comme lors des deux dernières années, une suite de séances d’inscriptions seront ouvertes, s’il reste de la place. Dans mon cas, ma performance à Philadelphie me donne droit d’accès à l’inscription du vendredi 13 septembre. Je préfèrerais utiliser mon temps de Boston, moins bon, mais plus représentatif de mon état de forme. Sauf que vu les événements d’avril dernier, je tiens à être présent, alors mes chances d’être accepté sont meilleures si j’utilise mon record personnel. Et puis, j’y ai droit, alors pourquoi m’en priver ?

Justement, parlant des événements… Les gens qui avaient franchi la moitié de la distance  et qui n’avaient pas pu terminer ont tous été contactés (il y en avait plus de 5000) et il semblerait qu’environ 4500 aient décidé de se prévaloir de leur privilège de ne pas avoir à se qualifier à nouveau. Par contre, ça n’affectera pas vraiment le nombre de places disponibles pour les autres qui avaient à se qualifier car  le nombre maximal de participants  passera de 27000 à 36000 et selon ce que j’ai compris, ça n’aurait même pas rapport avec les événements. Il semblerait en effet que l’organisation tentait depuis plusieurs années de faire grossir le contingent de coureurs à prendre part annuellement au Marathon. Ils ont pu finalement s’entendre avec les plusieurs municipalités impliquées.

Pour ma part, il y a quelque chose qui m’intrigue: comment vont-ils faire ?  Côté logistique, ça va être tout simplement gigantesque à organiser. Juste se rendre à l’expo-marathon et y circuler, l’avant-veille de la course, c’était l’enfer. Et le transport ? 9000 personnes, ça fait 200 autobus jaunes de plus, non ?  Aille, aille !  Est-ce qu’ils vont nous faire partir en navette encore plus tôt, question de sécher encore plus longtemps avant le départ ?  Le village des athlètes, lui ?  Il était rempli à craquer après l’arrivée du troisième convoi à Hopkinton. Je n’ose imaginer la quantité de toilettes bleues qui seront nécessaires. Je pense que l’organisation va devoir réquisitionner tous les « Johnny on the Spot » de la Nouvelle-Angleterre !  Je me demande également combien de vagues il y aura. Passerons-nous de 3 à 4 ?

En tout cas, dès que j’aurai ma confirmation, je crois que je ne niaiserai pas trop longtemps avant de réserver un hôtel…

Mais en attendant, j’ai des bagages à préparer pour un bel entrainement dans Charlevoix, moi ! 🙂

Une bonne décision de la part du Boston Athletic Association

Je sais, je suis un peu en retard sur la nouvelle: ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai appris que le Boston Athletic Association (l’organisme responsable du Marathon de Boston) avait officiellement décidé de réinviter les coureurs qui n’avaient pas pu terminer le Marathon suite aux événements que l’on sait.

On ne peut qu’applaudir cette décision qui favorisera les pauvres coureurs qui ont été arrêtés à un mille de l’arrivée, sans savoir pourquoi, et qui ont dû vivre dans l’inquiétude en tentant d’éviter de succomber à la panique, endurer le froid, la déshydratation, la faim, etc. Ces personnes auront la priorité lors de l’inscription pour l’édition 2014 et pourront enfin vivre ce que c’est, courir sur Boylston Street avec l’arrivée en vue, les milliers de spectateurs autour tout en se disant « Ça y est, j’ai fait Boston ! ».

Petit bémol cependant. Dans le communiqué, il est précisé que pour être considérés, les coureurs devront avoir été au départ (ça va de soit !) et avoir franchi au moins la moitié du parcours sans pouvoir terminer. Le problème que je vois dans cette règle, c’est que certains qui ont abandonné avant l’arrêt de la course pourraient se faufiler. Pour éviter ça, il faudrait à tout le moins que les coureurs qui faisaient partie de la première vague ne puissent se prévaloir de ce privilège. Car entendons-nous bien, il fallait avoir couru un marathon en environ 3h16 ou mieux pour pouvoir faire partie de cette première vague. Les bombes ayant explosé 4h39 après le premier départ, je doute fort qu’il restait encore de ces compétiteurs sur le parcours à ce moment-là. Si oui, ils devaient être à l’agonie… ou ils avaient triché pour faire partie de la course.

Pour ce qui est de la quantité totale de personnes qui seront admises pour le Marathon, l’organisation n’a pas encore décidé si elle sera augmentée ou non. Peut-être qu’il sera plus difficile pour les autres coureurs de faire partie de la course et ce serait bien dommage, mais en ce qui me concerne, c’était la décision à prendre.

Un gros bravo au B.A.A. !

Boston: un bilan

La course étant maintenant loin dans le rétroviseur, vu qu’elle est chose du passé depuis plus de trois semaines, il est peut-être un peu tard pour faire un bilan. Par contre, avec le recul, j’ai eu l’occasion de réfléchir, de repenser aux événements, revoir la situation sous plusieurs angles différents. Je vous présente ce soir mes conclusions, qui me serviront également d’aide-mémoire en septembre prochain, quand je me demanderai si je retourne à Boston ou pas.

Les événements

J’ai eu quelques réactions à chaud sur ce blogue après avoir appris la nouvelle de l’attentat. Je ne sais pas si ça a paru, mais durant les heures qui ont suivi, j’étais tout simplement enragé. J’étais en colère contre cet acte d’une lâcheté et d’une barbarie sans nom. S’attaquer à un événement familial, où la bonne humeur règne, où on voit des gens heureux, tellement fiers de ce qu’ils ont accompli, afficher sourires par dessus sourires, je trouvais ça tellement, mais tellement injuste…

Des experts en terrorisme, dont une dame qui est passée à Tout le monde en parle, ont dit que des attentats comme celui-là, où des enfants trouvent la mort, il y en a à tous les jours à Bagdad, et on n’en fait pas de cas. Ça m’a donné une certaine perspective… jusqu’à ce que je me dise: cette dame, est-ce qu’elle était à Boston le 15 avril dernier ?  Est-ce qu’elle a fait le marathon ?  Est-ce qu’elle court depuis des années avec comme objectif de faire cette épreuve si mythique ?  Est-ce qu’elle a fait comme moi, passer à moins de 50 pieds de l’endroit où les bombes ont explosé ?  NON !!!  C’est bien cute les belles théories, mais quand on fait partie des événements, on ne voit pas ça du même oeil.

Nous avions beau être rendus loin quand c’est arrivé, nous avons tout de même été touchés. Barbara et moi sommes en couple depuis 26 ans. Notre histoire a commencé par un amour d’adolescence qui s’est solidifé avec les années. Nous avons traversé ensemble les épreuves des études universitaires, le stress des différents emplois, la maladie, les deuils. Nous avons évidemment eu des accrochages bien légitimes dans notre vie commune, c’est inévitable. Mais jamais nous nous sommes chicanés, jamais nous n’avons élevé la voix l’un contre l’autre. Je sais que ça peut paraitre bizarre, mais ce n’était jamais arrivé… jusqu’au mercredi suivant la course. Ce soir-là, nous avons tous les deux élevé la voix pour une histoire d’une banalité sans nom. C’était un peu surréaliste. Et c’est à ce moment que nous avons réalisé que l’attentat nous avait perturbés.

Alors les grands penseurs avec leurs grandes théories élaborées à partir leur tour d’ivoire…

Côté sportif

En ce qui concerne l’aspect sportif, ce marathon m’a surpris. Je l’avoue: comme le parcours n’est pas admissible pour un record du monde à cause de son dénivelé avantageux et sa linéarité,  je l’ai pris à la légère. J’avais entendu, de plusieurs personnes, qu’il était difficile, que je devais me conserver pour les Newton Hills, de faire attention, etc.  J’ai fait l’erreur de me fier à mon expérience en ultra pour me dire que ces côtes-là, ce ne sont pas vraiment des côtes… J’en ai payé le prix.

Ce matin-là, j’avais un 3h06-3h08 dans les jambes… sur un parcours comme Ottawa ou Philadelphie. Pour Boston, j’avais 3h10. Or, j’ai couru comme 3h06, ce qui m’a fait perdre énormément de temps dans les derniers kilomètres.

Mon résultat: 3:12:26, avec un deuxième demi 6 minutes plus lent que le premier, le tout bon pour une 4211e place au classement général. Ça donne une excellente idée de la force du contingent de coureurs présents. Moi qui vise toujours le top 10% dans une course (j’ai déjà fait 5-6%), j’étais environ à 18% là-bas. C’est certain que si on compare mon rang (4211) à mon numéro de dossard (6883), on voit une très nette progression. Mais je devine bien que les numéros 1 à 6882 ne se sont certainement pas tous présentés au départ, alors ma progression par rapport aux autres, je ne sais pas tellement où la situer.

Donc satisfait, dans les circonstances. Mais j’aurais pu faire mieux.

Retourne ou pas ?

Bien honnêtement, avant même le début de la course, j’avais décidé que je ne retournerais pas. J’aime bien arriver d’avance sur les lieux d’une course, mais 3 heures d’avance ?  Prendre une navette pour prendre une autre navette ?  L’enfer.  J’étais heureux d’être là, c’était un rêve que je caressais depuis des années. Faire Boston, c’est en quelque sorte la consécration pour le coureur du dimanche, alors c’était certain que je ne pouvais pas manquer ça. Mais y retourner ?  J’avais d’autres courses en vue et je comprenais difficilement ceux qui y retournent année après année.

Puis, deux choses m’ont fait changer d’idée. La première, malgré le fait que je me sois promis durant toute la course que plus jamais je ne ferais ce parcours de mes deux, est que je ne voulais pas garder un mauvais souvenir de Boston pour le restant de mes jours. Alors je devais y retourner pour me prouver que j’étais capable d’y faire une belle course. Mais ce n’était pas nécessairement pour 2014, même si je suis déjà qualifié. Je me disais qu’à partir de 2015, j’aurai 45 ans et le standard passera à 3h25 pour moi, alors j’aurai probablement bien d’autres occasions de me faire valoir (ça j’en ai rêvé longtemps: avoir la chance de pouvoir choisir si je vais à Boston ou pas :-)). Pour 2014, j’avais d’autres plans.

Sauf que ces plans ont été chamboulés. Maintenant, tout ce que je veux, c’est montrer à ces lâches que je n’ai pas peur. Et je sens que c’est mon devoir d’aller rendre un hommage aux victimes de ces actes d’une bassesse inimaginable.

Alors l’an prochain, j’estime présentement à 90% les chances que j’y serai. Je compte même utiliser mon 3h06 de Philadelphie 2012 à l’inscription, question d’avoir la certitude d’être accepté, même si ça veut dire être placé avec des coureurs plus rapides au départ.

Et puis, nous avons une ville à visiter…

Un bel événement

Ceux qui me connaissent savent que ce n’est vraiment pas mon style. J’aime courir seul, m’entrainer seul. À mon rythme, arrêter quand je veux, accélérer quand ça me tente, aller où mes jambes m’amènent.

Mais hier, c’était définitivement une occasion spéciale. Quand j’ai appris qu’un regroupement de coureurs était organisé pour rendre hommage aux victimes de l’attentat de Boston, je n’ai pas hésité une seconde: j’y serais, beau temps mauvais temps.

Les dieux de la course étaient de notre bord: il faisait frais et un soleil éclatant. Marc Cassvi, l’initiateur de ce mouvement via Twitter, avait fixé rendez-vous à tout le monde à 11 heures, au monument de Sir George-Étienne Cartier au pied du Mont-Royal.

Comme j’étais un peu d’avance, j’ai repris contact avec les sentiers avant le rendez-vous. MES sentiers. Étonnamment, ils étaient à peu près tous dans un état impeccable, peu ou pas de boue, presque plus de neige. J’y suis allé doucement, reprenant avec joie ce plaisir que je n’avais pas vécu depuis… le Vermont 50. En fait, j’étais tellement absorbé par ce que je faisais qu’il était 10h40 quand j’ai regardé l’heure. J’étais encore au sommet. Oups…

J’ai donc dévalé la montagne en passant par tous les raccourcis que je connais et suis arrivé en bas avec un gros 5 minutes d’avance. Pas que ça aurait été grave, mais les retards et moi…

Des centaines de coureurs étaient déjà arrivés, le jaune et le bleu de Boston étant bien en évidence. La télé aussi était bien présente: TVA, Radio-Canada, CBC, RDS. J’ai regardé un peu autour, personne que je connaissais. Après avoir enfilé mon t-shirt de Boston (d’un beau jaune pétant), je me suis mis à me promener dans la foule, au cas où je croiserais une connaissance.

Un monsieur et sa femme donnaient une entrevue à RDS. Le monsieur avait terminé 5 minutes avant les explosions et on pouvait encore lire l’émotion dans ses yeux. J’ai écouté son entrevue, puis ai échangé quelques mots avec lui. La communauté des coureurs était tissée serrée d’avance, alors après des événements comme celui-là…

Puis, sans signal ni appel particulier, la course s’est mise en branle. Pas de cérémonie, juste un rassemblement de coureurs pour un simple hommage. Ça faisait bizarre, me retrouver dans un peloton, à zigzaguer comme dans un vrai début de course. Car comme on dit, le but n’était peut-être pas de faire une course, mais à un moment donné, il faut aussi aller à un rythme qui nous convient…

Parlant de rythme, qui est apparu sur le bord du chemin Olmsted ?  Hé oui, monsieur « Courir au bon rythme » lui-même, Jean-Yves Cloutier et sa bouille sympathique. Plusieurs le saluaient au passage, il répondait avec un large sourire, semblant reconnaitre tous ceux qui appelaient son nom. Mais il n’a pas pu s’empêcher de pousser un: « Allez, on y va au bon rythme ! ». Il n’en démord, y’a rien à faire…  J’ai même eu envie de retourner pour lui dire qu’il aurait été impossible que je gagne 36 minutes sur mon temps en courant à son ridicule de « bon rythme ». mais bon, ce n’était vraiment pas le moment.

Au bout d’un certain temps, le peloton s’est étiré et j’ai fini par me retrouver en avant, avec Cassivi et quelques personnes. Tout le monde avait une histoire à raconter, que nous étions à Boston ou non. Et comme pour montrer que le « deuil » était en train de se faire, nous avons parlé des événements, oui, mais de bien d’autres choses aussi. Par exemple, un de mes compagnons s’impliquait dans la cause qui aide les jeunes provenant d’un milieu défavorisé à s’entrainer pour faire un marathon. D’autres parlaient des marathons qu’ils avaient faits, ceux qu’il recommandaient de faire. Nous avons échangé sur nos performances, nos ambitions. Je n’ai pas osé parler d’ultras, vu que ça ne cadrait pas tellement bien avec la conversation.

Preuve qu’il ne voulait pas trop déranger les habitudes des gens de la montagne, Cassivi s’inquiétait de la densité des coureurs. Finalement, le peloton s’étant étiré, nous n’avons probablement pas trop dérangé. Ou si peu.

Arrivés au chalet, nous avons entrepris de faire la boucle du sommet par la droite. Or, quand nous avons commencé à descendre, nous nous sommes mis à croiser des coureurs. Beaucoup de coureurs. Les gens avaient définitivement pris la boucle par la gauche. À toutes les 10 personnes, il y en avait une qui félicitait notre « organisateur ». Il ne l’a pas dit, mais je pense qu’il était fier de la tournure des événements.

Il a de quoi être fier. Ce qui avait été planifié comme un hommage silencieux a plutôt tourné en ce que devrait toujours, toujours être un rassemblement de coureurs: une partie de plaisir. À la fin, on s’est tous donnés la main et dits au revoir, le sourire aux lèvres.

Un bien beau rassemblement. Merci Marc…

La chronologie de événements

À la lumière des questions qui nous ont été posées par les gens suite à l’attentat au Marathon de Boston, je me suis dit qu’une petite chronologie explicative des événements, basée sur notre point de vue, aiderait peut-être à la compréhension de ce que nous avons vécu.

Allons-y donc:

9h17: Départ des participants de la course en chaises roulantes.

9h22: Départ des participants en vélos à main.

9h32: Départ des élites femmes.

10h: Départ de la première vague, celle contenant les coureurs d’élite masculins et ceux portant un dossard rouge, dont le numéro était situé entre 101 et 8999. Je fais partie de cette vague.

10h04 (environ): Je traverse la ligne de départ.

10h20:  Départ de la deuxième vague, pour les dossards blancs (numéros entre 9000 et 17999).

10h40: Départ de la troisième vague, pour les dossards bleus (numéros 18000 et plus).

11h58: La gagnante chez les femmes se présente à l’arrivée.

12h10: Le gagnant chez les hommes arrive.

13h16: Je termine mon calvaire (j’en reparlerai une autre fois !). Débute alors l’interminable processus de sortie. Il y a beaucoup, beaucoup de coureurs à sortir. Certains sont amochés, ont besoin d’une aide médicale. On nous fournit des couvertures de survie en aluminium et on nous distribue plein de cossins: bananes, Gatorade, eau, Power Bar, petit sac de lunch, etc. Le plus long, c’est réussir à récupérer mon sac contenant mes effets personnels. Je reste planté pendant probablement 15 minutes devant l’autobus avant de finir par finir par l’avoir…

Environ 13h45: Je sors du périmètre réservé aux athlètes et retrouve enfin Barbara et mes parents dans l’aire des retrouvailles, à deux coins de rues de l’arrivée. Après quelques photos, nous nous dirigeons (lentement) vers un endroit où je pourrai me changer.

Environ 14h10: Nous entrons dans le métro, ligne orange.

Environ 14h30: Transfert sur la ligne rouge, direction Quincy.

14h50: Les deux bombes explosent.

À peu près au même moment, nous débarquons du train et entreprenons de retourner à l’hôtel. Une fois arrivés, Barbara met une photo de l’aire des retrouvailles sur Facebook et contacte sa mère par Skype pendant que j’essaie de détendre mes muscles et revis ma course dans le bain. Ce n’est que quelques minutes plus tard que nous apprenons la nouvelle.

Ça faisait donc un bon bout de temps que j’avais terminé quand tout s’est produit. Ce qui a induit les gens en erreur et fait craindre pour notre sécurité, c’est le chronomètre qui affichait 4:09 sur le vidéo de la première explosion. Vue l’heure à laquelle le tout a explosé, j’en ai déduit qu’il indiquait le temps depuis le départ de la troisième vague, départ qui avait été donné 40 minutes après le mien. Ça faisait donc plus de 90 minutes que j’avais terminé quand les déflagrations ont eu lieu. D’où notre totale ignorance des événements à notre arrivée à l’hôtel.

Dimanche à 11h, je ferai partie du groupe de coureurs qui répondront à l’appel de Marc Cassivi, chroniqueur à La Presse et coureur, pour rendre hommage aux victimes de ces événements au Mont Royal. J’espère que nous y serons en grand nombre.