3-5-8 !

C’est en mars 2010 que pour la première fois, j’ai payé les frais d’inscription à la loterie en vue de participer au Marathon de New York. À l’époque, je ne voyais vraiment pas comment je pouvais accéder autrement à cette course, une des Marathon Majors, vu que les critères d’admission pour ceux désirant participer en se qualifiant, sans passer par la loterie, étaient encore plus sévères que pour Boston.

Quelques semaines plus tard, c’est avec une certaine nervosité que j’ai “suivi” le tirage sur le site Web de l’événement. Comme vous l’aurez deviné, mon nom n’est pas sorti.

Le manège s’est répété en 2011, mais cette fois-ci, je ne me faisais pas d’illusions. Je me disais qu’au pire, j’aurais à refaire la même chose une année de plus et me retrouver avec une entrée garantie pour 2013 car tous ceux qui participaient à la loterie et dont le nom n’était pas pigé trois années de suite avaient un droit d’accès pour la quatrième année. Bien évidemment, le sort ne m’a pas avantagé en 2011 non plus.

2012, nouvelle politique: vu le très grand nombre de demandes dans toutes les catégories (qualifications par atteinte des standards, inscriptions à la loterie, charité, etc.), l’organisation décida de resserrer encore plus les standards de qualification (!) et d’abolir le privilège donné aux gens qui avaient mordu la poussière trois années de suite à la loterie. Heureusement, une clause grand-père a été instaurée et certaine dernière politique ne serait appliquée qu’à partir de l’édition 2016 du Marathon.

Bref, même après l’annulation de l’épreuve en 2012, j’ai obtenu mon droit d’entrée pour 2013, vu qu’encore une fois, mon nom n’avait pas été tiré. Et à partir du 24 avril dernier, j’avais un mois pour me prévaloir de ce privilège. Après une courte discussion avec ma tendre moitié, à savoir si nous avions envie de nous taper les mesures de sécurité qui seront fort probablement accrues suite aux événements de Boston, nous avons décidé d’y aller. Nous adorons tous les deux New York et avoir la chance de visiter cette ville en courant, je ne pouvais pas passer à coté de ça. Et c’est sans compter le fait que je voulais me faire plaisir en faisant un bras d’honneur aux terroristes.

J’ai donc rempli le formulaire d’inscription. C’est quand est venu le temps de payer que mon coeur a raté quelques pulsations. J’ai dû regarder à 3 ou 4 occasions pour être bien certain que je ne rêvais pas ou que ma presbytie naissante ne me jouait pas des tours. Mais non, je voyais très bien: devant mes yeux, trois chiffres: 3-5-8.  358 $ !!!  Pardon ?!?  Ça va pas ?  On peut avoir des foutues bonnes places pour un spectacle de U2 à ce prix-là (pour les Rolling Stones, on repassera, mais de toute façon, on ne peut pas dire que ça m’intéresse vraiment). Mon amour, il va falloir appeler le conseiller financier: on a besoin d’une deuxième hypothèque !

Hé oui,  l’inscription coûte 347 $ pour les coureurs étrangers comparativement aux Américains qui doivent débourser 255 $ alors que pour les membres du club qui s’occupe de l’organisation, les New York Road Runners, ça revient à la “modique” somme de 216 $. À ce montant s’ajoutent les 11 $ de frais de transaction que tous doivent payer. Voulez-vous bien me dire qu’est-ce qui peut bien coûter si cher dans le processus d’inscription pour qu’ils nous chargent 11 $ ?  Il y a quelqu’un à quelque part qui s’emplit les poches… Et, fait à noter, tous ces frais ne sont pas remboursables (sauf en cas d’annulation de la course et même là, ils gardent le 11 $ !).

On me dit que l’organisation est vraiment, mais vraiment exceptionnelle là-bas. Que Boston, c’est bien, mais New York… Je veux bien, mais à ce prix-là ?  Je serais curieux de savoir qu’est-ce qui coûte si cher. Cette course est tout de même commanditée par une grande banque (ha, c’est ça les frais d’administration…). Et ça demeure “seulement” un marathon. Je concède que la sécurité et le déploiement policier pour une telle épreuve sont hors normes. Mais assez pour charger 150 $ de plus que Boston ?  J’ai bien hâte de constater ça sur place…

Bref, contrairement à Boston, à New York, ils me verront vraiment pour la première et la dernière fois.

Un week-end de course chargé

La fin de semaine dernière, pendant que je retrouvais mes sentiers sur le bord du fleuve samedi et que je reprenais l’entrainement sérieux dimanche au mont St-Bruno en vue du Ultimate XC de St-Donat, plusieurs courses qui se déroulaient dans le nord-est du continent ont retenu mon attention.

Le tout a commencé vendredi par le Défi de la Tour du Stade olympique. C’était une épreuve assez inusitée. En effet, elle consistait en une course de 4 km suivie de l’ascension des 850 marches de la Tour.  Certainement pas facile comme défi, les participants devant se garder des réserves durant la partie « course » afin de pouvoir grimper la tour à un bon rythme…

La course a été remportée, en 19:59 et avec 44 secondes d’avance, par le sympathique David Le Porho dont j’ai déjà parlé sur ce blogue. Disons que lorsque David s’aligne au départ d’une course, particulièrement au Québec, il la gagne plus souvent qu’autrement. Je m’attends à le voir (en fait, à ne pas le voir, justement) devant à St-Donat… Mon amie Chantale, celle qui m’a donné le goût de me mettre à la course jadis, était de la partie. Elle a terminé en 30:27.

Le lendemain avaient lieu les courses de 1, 2, 5 et 10 km dans le cadre du même événement. Des grosses pointures étaient présentes: le 5 km a été remporté par Baghdad Rachem en 15:27 et le 10 km, par Amor Dehbi en 32:33. Chantale n’est pas demeurée en reste, réalisant un impressionnant 24:41 sur le 5 km. Sous les 5 minutes/km de moyenne !  Un gros bravo pour ton week-end de course !!!  🙂

Toutefois, ce jour-là, c’était plutôt le North Face Endurance Challenge de Bear Mountain qui retenait mon attention, particulièrement l’épreuve-reine: le 50 milles. Remportée par l’Américain Jordan McDougal en 7:13:52, cette épreuve a mis en évidence la progression des coureurs québécois dans le domaine de la course en sentiers: 4 des 8 premiers sont effectivement originaires de la Belle Province. Parmi eux, Sébastien Roulier, qui a gagné une course de 100 km en mars et qui était à Boston où il a fait 2h38. Il s’est « contenté » de la huitième place à Bear Mountain. Une vraie machine.  Je me demande encore et toujours comment il fait…

J’avais un sentiment ambivalent en regardant les résultats « entrer ». J’aurais vraiment aimé y être, mais j’avais anticipé (avec raison) ne pas être totalement remis de Boston à ce moment-là. Que voulez-vous, je ne suis qu’un pauvre être humain, alors que d’autres… J’espère y être l’an prochain, mais Boston sera encore plus près dans le temps et je n’aurai pas eu plus de temps pour m’entrainer en sentiers. Enfin, on verra bien.

Puis dimanche, c’était dimanche de course dans la région de Toronto avec les deux marathons ennemis qui se déroulaient en même temps: celui de Toronto dans la ville-reine et celui de Mississauga, en banlieue.

Le premier a été assombri par le décès d’une jeune fille de 18 ans qui en était à son premier marathon et qui s’est effondrée dans les derniers kilomètres. Ce sont des choses qui arrivent malheureusement assez régulièrement et qui s’expliquent difficilement. On parle souvent de problèmes cardiaques congénitaux, condition inconnue des personnes qui en sont atteints. Ces personnes sont souvent des coureurs expérimentés qui ont déjà plusieurs courses à leur actif. C’était le cas de la jeune fille en question, qui avait fait plusieurs demi-marathons. Fait étonnant, la grande majorité des cas, ce sont des hommes qui succombent suite à un tel malaise. Peut-être suis-je moi aussi en train de mettre ma vie en danger parce que j’ai une malformation cardiaque dont j’ignore même l’existence. Mais pensez-vous que je vais arrêter « au cas où » ?  Jamais.

Du côté sportif, le marathon de Toronto a été remporté par un Québécois très connu dans le milieu, Terry Gehl, en 2h37. Preuve que cette course n’attire vraiment pas l’élite, le temps relativement lent du vainqueur et le fait qu’il soit âgé de… 44 ans !  Du côté de Mississauga, ça s’est gagné en 2h29… par un autre homme dans la quarantaine. Décidément…

Ce qui m’intéressait le plus dans ces deux courses, ce n’était pas tant les exploits sportifs que le niveau de participation. À Toronto, 1694 personnes étaient de la partie alors que dans sa banlieue, à peine la moitié, soit seulement 850, y étaient pour souligner le 10e anniversaire de cette épreuve. Ceci qui confirme le déclin de cette dernière, car nous étions 250 de plus en 2011, quand j’y ai participé. Mais on dirait bien  que la controverse qui a suivi la disqualification de deux coureurs d’élite cette année-là suite à une erreur des cyclistes-guides fait encore mal. Il faut dire que le parcours, moche à souhaits par bouts, ne doit pas aider non plus…

J’ai comme l’impression que le Marathon de Mississauga est appelé à disparaitre à moyen terme, car il n’est pas normal qu’en plein boom de course à pied, une épreuve connaisse une telle régression dans son niveau de participation. Il va falloir que ce marathon se renouvelle s’il veut tout simplement réussir à survivre.

Boston: un bilan

La course étant maintenant loin dans le rétroviseur, vu qu’elle est chose du passé depuis plus de trois semaines, il est peut-être un peu tard pour faire un bilan. Par contre, avec le recul, j’ai eu l’occasion de réfléchir, de repenser aux événements, revoir la situation sous plusieurs angles différents. Je vous présente ce soir mes conclusions, qui me serviront également d’aide-mémoire en septembre prochain, quand je me demanderai si je retourne à Boston ou pas.

Les événements

J’ai eu quelques réactions à chaud sur ce blogue après avoir appris la nouvelle de l’attentat. Je ne sais pas si ça a paru, mais durant les heures qui ont suivi, j’étais tout simplement enragé. J’étais en colère contre cet acte d’une lâcheté et d’une barbarie sans nom. S’attaquer à un événement familial, où la bonne humeur règne, où on voit des gens heureux, tellement fiers de ce qu’ils ont accompli, afficher sourires par dessus sourires, je trouvais ça tellement, mais tellement injuste…

Des experts en terrorisme, dont une dame qui est passée à Tout le monde en parle, ont dit que des attentats comme celui-là, où des enfants trouvent la mort, il y en a à tous les jours à Bagdad, et on n’en fait pas de cas. Ça m’a donné une certaine perspective… jusqu’à ce que je me dise: cette dame, est-ce qu’elle était à Boston le 15 avril dernier ?  Est-ce qu’elle a fait le marathon ?  Est-ce qu’elle court depuis des années avec comme objectif de faire cette épreuve si mythique ?  Est-ce qu’elle a fait comme moi, passer à moins de 50 pieds de l’endroit où les bombes ont explosé ?  NON !!!  C’est bien cute les belles théories, mais quand on fait partie des événements, on ne voit pas ça du même oeil.

Nous avions beau être rendus loin quand c’est arrivé, nous avons tout de même été touchés. Barbara et moi sommes en couple depuis 26 ans. Notre histoire a commencé par un amour d’adolescence qui s’est solidifé avec les années. Nous avons traversé ensemble les épreuves des études universitaires, le stress des différents emplois, la maladie, les deuils. Nous avons évidemment eu des accrochages bien légitimes dans notre vie commune, c’est inévitable. Mais jamais nous nous sommes chicanés, jamais nous n’avons élevé la voix l’un contre l’autre. Je sais que ça peut paraitre bizarre, mais ce n’était jamais arrivé… jusqu’au mercredi suivant la course. Ce soir-là, nous avons tous les deux élevé la voix pour une histoire d’une banalité sans nom. C’était un peu surréaliste. Et c’est à ce moment que nous avons réalisé que l’attentat nous avait perturbés.

Alors les grands penseurs avec leurs grandes théories élaborées à partir leur tour d’ivoire…

Côté sportif

En ce qui concerne l’aspect sportif, ce marathon m’a surpris. Je l’avoue: comme le parcours n’est pas admissible pour un record du monde à cause de son dénivelé avantageux et sa linéarité,  je l’ai pris à la légère. J’avais entendu, de plusieurs personnes, qu’il était difficile, que je devais me conserver pour les Newton Hills, de faire attention, etc.  J’ai fait l’erreur de me fier à mon expérience en ultra pour me dire que ces côtes-là, ce ne sont pas vraiment des côtes… J’en ai payé le prix.

Ce matin-là, j’avais un 3h06-3h08 dans les jambes… sur un parcours comme Ottawa ou Philadelphie. Pour Boston, j’avais 3h10. Or, j’ai couru comme 3h06, ce qui m’a fait perdre énormément de temps dans les derniers kilomètres.

Mon résultat: 3:12:26, avec un deuxième demi 6 minutes plus lent que le premier, le tout bon pour une 4211e place au classement général. Ça donne une excellente idée de la force du contingent de coureurs présents. Moi qui vise toujours le top 10% dans une course (j’ai déjà fait 5-6%), j’étais environ à 18% là-bas. C’est certain que si on compare mon rang (4211) à mon numéro de dossard (6883), on voit une très nette progression. Mais je devine bien que les numéros 1 à 6882 ne se sont certainement pas tous présentés au départ, alors ma progression par rapport aux autres, je ne sais pas tellement où la situer.

Donc satisfait, dans les circonstances. Mais j’aurais pu faire mieux.

Retourne ou pas ?

Bien honnêtement, avant même le début de la course, j’avais décidé que je ne retournerais pas. J’aime bien arriver d’avance sur les lieux d’une course, mais 3 heures d’avance ?  Prendre une navette pour prendre une autre navette ?  L’enfer.  J’étais heureux d’être là, c’était un rêve que je caressais depuis des années. Faire Boston, c’est en quelque sorte la consécration pour le coureur du dimanche, alors c’était certain que je ne pouvais pas manquer ça. Mais y retourner ?  J’avais d’autres courses en vue et je comprenais difficilement ceux qui y retournent année après année.

Puis, deux choses m’ont fait changer d’idée. La première, malgré le fait que je me sois promis durant toute la course que plus jamais je ne ferais ce parcours de mes deux, est que je ne voulais pas garder un mauvais souvenir de Boston pour le restant de mes jours. Alors je devais y retourner pour me prouver que j’étais capable d’y faire une belle course. Mais ce n’était pas nécessairement pour 2014, même si je suis déjà qualifié. Je me disais qu’à partir de 2015, j’aurai 45 ans et le standard passera à 3h25 pour moi, alors j’aurai probablement bien d’autres occasions de me faire valoir (ça j’en ai rêvé longtemps: avoir la chance de pouvoir choisir si je vais à Boston ou pas :-)). Pour 2014, j’avais d’autres plans.

Sauf que ces plans ont été chamboulés. Maintenant, tout ce que je veux, c’est montrer à ces lâches que je n’ai pas peur. Et je sens que c’est mon devoir d’aller rendre un hommage aux victimes de ces actes d’une bassesse inimaginable.

Alors l’an prochain, j’estime présentement à 90% les chances que j’y serai. Je compte même utiliser mon 3h06 de Philadelphie 2012 à l’inscription, question d’avoir la certitude d’être accepté, même si ça veut dire être placé avec des coureurs plus rapides au départ.

Et puis, nous avons une ville à visiter…

Marathon de Boston: de Wellesley College à l’arrivée

Note: j’ai écrit le récit qui suit, tout comme celui de la première moitié, en tentant de me remettre dans le même état d’esprit que celui dans lequel je me retrouvais durant la course et juste après. Les événements qui ont suivi ont toutefois altéré ma perspective par rapport à ma performance, qui est bien secondaire maintenant…  Je reprends donc la course où je l’avais laissée, soit à Wellesley College.

“Awesome !  Awsome !”

C’est le gars qui court à côté de moi. Nous venons de terminer la traversée du scream tunnel et nous sommes revigorés. Et en plus, ça descend (vu que ça ne monte pas), alors nous y allons gaiement. Et moi de lancer: “Already done ?”. Ben quoi…

Ok, revenons aux choses sérieuses. Je passe le demi en 1:33:13, un peu mieux qu’à Philadelphie. Mais je sais pertinemment que je ne pourrai pas faire mieux dans la deuxième moitié du parcours, à cause des côtes. Mais un 1h35 pour un temps dans les 3h08 est envisageable. Surtout que j’ai un plan pour les 3 prochains milles. Il est simple: ralentir. Le but: me garder du jus pour les fameuses Newton Hills et puis ensuite, profiter de mon expérience en ultra pour regagner du temps dans les descentes.

Sauf qu’il y a un premier hic à tout ça: je me rends compte que je n’ai rien mangé depuis le départ, à part deux gels. Shit, je dois prévoir le mur, c’est impératif. Je commence donc à fouiller dans mes poches pour prendre un morceau de Power Bar. Après m’être battu avec le foutu ziploc cheap, je réussis à en prendre un et à l’avaler. Puis j’en prends un autre. Aussitôt l’opération complétée, je sens mon estomac plein: en fin de compte, je n’avais pas besoin de manger.

J’essaie de prendre un verre d’eau pour faire passer le tout: je me sens encore plus plein. Merde !  Ok, ça va descendre, ça va descendre… Pas tellement plus loin, je sens un reflux gastrique. Et là, mon esprit se met à imaginer toute la nourriture que j’ai engloutie depuis ce matin qui trempe dans l’acide de mon estomac, avec les bubulles, les émanations et tout le tralala. Merveilleux comme pensée durant un marathon, il n’y a pas à dire.

Au point d’eau suivant, je ne prends même pas d’eau. Au 15e mille, je regarde ma cadence: je n’ai pas ralenti, trop préoccupé par mon système digestif. On aurait pu croire que ça aurait pu, que ça aurait dû me ralentir, mais non, j’ai conservé la même vitesse. Donc, pas suivi le plan. Et je me sens un peu juste, surtout avec les côtes à venir.

Descente vers Charles River et j’atteins la pancarte du 16e mille. Ok, plus que 10, soit 16 km. J’essaie de me convaincre qu’il ne me reste plus qu’une sortie de semaine à faire, sans les intervalles. Mais mes jambes ne sont jamais fatiguées à ce point quand je pars courir la semaine. En plus, mes pieds ont commencé à enfler et je me sens trop serré dans mes souliers. Pas le temps de m’arrêter, je dois endurer car j’ai un ennemi à abattre: le chronomètre. Le maudit chronomètre. Au moins, mon estomac semble s’être replacé.

Arrivée à Newton: le party commence. Et ça monte, ça monte. Définitivement la côte la plus difficile du parcours jusqu’à présent. Pourtant, je suis perplexe. Dans un petit vidéo sur YouTube, Bill Rodgers, 4 fois vainqueur de l’épreuve (je plains le patient qui va vouloir me faire courir ce marathon-là 4 fois !  Quoique la dernière étudiante de Wellesley…  ;-)), nous faisait faire une petite reconnaissance de ces fameuses côtes. Or, selon ma mémoire, il nous disait que tout commençait à la caserne des pompiers de la ville (en fait, il le dit clairement: c’est la deuxième côte qui se présente après ladite caserne; moi et ma mémoire…). C’est que je n’ai jamais vu de caserne, moi… Et ça monte toujours !  Ne me dites pas que cette côte-là ne fait pas partie du lot ?  Ça en ferait 5 ?  Bande de sadiques !

Suite à mes (pas tellement efficaces) devoirs d’avant-course, j’avais prévu perdre une seconde sur ma moyenne globable à chaque côte. J’arrive en haut de ce que j’espère être la première Newton Hill (elle était vraiment longue !) avec une moyenne globale de 4:25/km. Comme prévu, j’ai perdu 1 seconde. Pas de dommage par ailleurs. So far, so good.

Je continue de chercher la fameuse caserne du regard, profitant du plat relatif avant la suite des choses. Finalement, à la hauteur du 17e mille, la fameuse caserne. Mais au moins, je suis certain qu’il ne reste plus que 3 montées, car je suis rendu trop loin. Je pousse un ouf relatif. Nous tournons sur Commonwealth Avenue et la voilà, devant nous, la deuxième. Shit, elle semble assez abrupte merci… Celle-là me rentre un peu plus dans les jambes. Vive les ultras où on se donne le droit de monter en marchant. Au moins, elle est plus courte et comme prévu, j’arrive en haut à 4:26 de moyenne globale.

Le parcours nous donne un certain répit en nous offrant une descente en douceur avant la suite des choses. J’entends d’autres coureurs se plaindre que les descentes sont difficiles pour les jambes. Vous ne savez pas c’est quoi, des descentes, vous autres !  Malheureusement, je ne peux toutefois pas me laisser aller comme je l’aimerais, mes jambes me réclamant une certaine récupération.

30e kilomètre en 2:13:41. Plus que 12. Allez, t’es rendu !  Je calcule qu’à 5 minutes du kilomètre, je me requalifie. C’est déjà ça de pris. Sauf que le simple fait que je me rassure avec ce calcul m’inquiète. Mon subconscient saurait-il des choses que j’ignore ?

19 mille: troisième Newton Hill. À peu près identique à la précédente. Celle-là fait mal. Ce que j’aimerais que ce soit la dernière !  Il fait beau, il vente légèrement, la température est fraiche, nous sommes tous des coureurs expérimentés. Et pourtant, le parcours fait des victimes. Certains marchent. Je tiens le coup, mais ce n’est pas facile. Moyenne en haut: 4:27.

20e mille, le fameux 20e mille. C’est ici que le mur peut commencer à se dresser. Je ne crois pas que ça va m’arriver, j’ai fait mes devoirs de ce côté. 6 sorties de 32 km et plus, quelques gels durant la course, un estomac bien rempli, mes réserves devraient être suffisantes. Mais le reste ?

Une autre montée se pointe. Est-ce Heartbreak Hill ?  Ça doit être Heartbreak Hill. Il FAUT que ce soit Heartbreak Hill !   Les autres autour de moi se posent la même question. Ils ne pourraient pas l’indiquer clairement, question de nous encourager ?  J’ai l’impression de ne plus avancer. Tant qu’à faire, je pourrais bien marcher, comme en ultra ?  C’est aussi efficace et moins fatigant. Je regarde mon GPS pour voir… Ma cadence est encore largement sous les 6 minutes/km, malgré la montée. Merde, si je marche, ça va vraiment me ralentir, je dois continuer à courir. Plusieurs marchent, s’arrêtent sur les côtés. Ce n’est plus que la volonté qui me permet de continuer de courir. Si on peut appeler ça courir…

Comme la pente comence enfin à s’adoucir, je jette un oeil à ma moyenne: 4:28. Cool !  J’ai tenu le coup. Mais la joie est de très courte durée. J’ai à peine baissé mon bras que ma jambe droite en entier, du mollet jusqu’à l’ischio, est terrassée par une crampe, me faisant perdre l’équilibre. J’en ai pour 3 ou 4 foulées à tituber avant de me redresser. “Shit, merde, fuck, TABARNAK !!!” (désolé pour la vulgarité, mais c’est comme ça que c’est sorti). Au même moment, j’entends un son très caractéristique: un gars est accoté sur une clôture, en train de se vomir les tripes. Je l’envie presque. Si j’étais pris comme lui, j’aurais une excuse pour arrêter…

J’essaie de reprendre mes esprits. 21e mille, plus que 5. Ok, c’était certainement HeartBreak Hill. Maintenant, ça descend jusqu’à l’arrivée. Un petit 8 km, t’es capable ! Sauf que je suis maintenant en mode damage control. Je n’ai pas le choix, je dois avancer à petites enjambées et ralentir le rythme, sinon les crampes vont revenir, plus fortes et plus rapprochées. Et cette descente qui se présente, elle est si belle !  Je devrais la faire à 4:00/km, j’en suis réduit à 4:30-4:40. En descente !

À partir de maintenant, je ne pense qu’à une seule chose: finir. Je ne vois plus le parcours, plus les spectateurs. Je sais qu’il y en a maintenant des milliers, mais je ne les vois pas, ou à peine. Chaque mille dure une éternité (vive les kilomètres !). Je dépasse certains coureurs plus maganés que moi, mais je me fais dépasser beaucoup. J’ai horreur de cette sensation: ne pas m’être ménagé assez et me faire dépasser par des gens qui ont mieux géré la course que moi. J’aime terminer en force et là, je suis en damage control. Maudit que j’haïs ça !

23e mille. Cout’ donc, elle est où, votre ville ?  On est encore en banlieue. Ce n’est pas supposé être le marathon de Boston ? À un certain moment, je sens que ma jambe a récupéré, alors j’y vais un peu plus fort. Aussitôt, la crampe revient. Merde !  J’ai l’impression de ne plus avancer, ce que confirme mon GPS: 4:46-4:48/km, ma moyenne est maintenant rendue à 4:29. Je risque de ne pas être en mesure de battre mon temps d’Ottawa…

24e mille. Plus que deux et des poussières. 3.5 km et tout sera fini. Moyenne à 4:30/km. Re-merde. Ça vas-tu finir par finir ?  Plus jamais Boston, plus jamais !  Comme pour nous rappeler que nous sommes toujours en train de faire le Marathon de Boston, il y a une petite côte pour nous avant d’atteindre le 25 mille.  Elle est probablement insignifiante, mais dans l’état où je me trouve…

RuesBoston1

La souffrance des derniers milles…

Enfin la pancarte “One mile to go !!!”. Moyenne à 4:31/km. Pendant une éternité, je pense à ce blogue et me demande si je suis bel et bien dans le dernier kilomètre. En tout cas, je vis la course en microcosme: c’est dur, je souffre, j’ai hâte que ça finisse et me promets encore une fois de ne plus jamais revenir !

Puis, c’est Boylston Street. Et à l’autre bout du monde, l’arrivée. On la voit de loin, de très loin. Je bloque mon regard dessus et avance, une mini-foulée à la fois. Je n’entends ni ne vois la foule. La ligne semble s’éloigner. Maudit que c’est dur !

Finalement, j’atteins l’arrivée. J’aperçois 3:16 sur le chrono officiel. J’arrête mon GPS: 3:12:26. Je suis vidé, complètement brûlé. Sur mes 10 marathons, je le classerais 3e au niveau de la souffrance. Côté performance, je le classerais 2e, mieux qu’à Ottawa où j’avais été une quarantaine de secondes plus rapide, mais sur un parcours tellement plus facile que je n’ose même pas comparer.

La nuée de bénévoles se met alors à l’oeuvre autour de moi. Aussitôt la ligne d’arrivée franchie, on me couvre d’une couverture de survie. Il y a même des bénévoles attitrés à coller un morceau de ruban gommé pour l’aider à tenir en place. Je reçois ma médaille. Ho, très class, je dois dire !  Jamais je n’ai autant senti avoir mérité ma médaille à l’arrivée d’un marathon !

ApresArrivee

Heureux d’avoir terminé, après une performance tout de même pas si mal

Commence alors le long processus qui m’amènera à la sortie. On nous donne de l’eau, du Gatorade, des Power Bar, un petit lunch. Pendant que j’attends en ligne, je me permets enfin de regarder autour de moi. Je regarde la ville, si belle. Et je me dis: “Wow, tu viens de terminer Boston !”. La souffrance se  transforme subtilement en émotion. Je me sens envoûté par ce qui se passe autour de moi. Ça me prend tout mon petit change pour retenir mes larmes. Si Barbara était là, juste à côté, je m’effondrerais dans ses bras, c’est certain.

Ok, un peu de retenue, je me laisserai aller tantôt… Je poursuis ma lente progression vers la sortie. Les indications sont claires, les bénévoles tout autant. Sur une affiche, je vois les temps des premiers. Ça s’est gagné en 2:10:22 ?  Il me semble que c’est lent, non  (ok, j’adorerais être « lent » comme ça) ?  Ça m’encourage un peu, par rapport à ma relative contre-performance.

J’arrive à l’autobus qui est supposé avoir ramené le sac jaune contenant mes affaires que j’avais laissé en consigne avant le départ. Je me place en file devant la fenêtre où il devrait normalement se trouver et j’attends. La bénévole à l’intérieur est tout simplement incapable de trouver un sac, alors c’est long, c’est long… Les gens s’impatientent, commencent à crier leur numéro. Quand elle finit pas sortir un sac, trois numéros sont criés en même temps. Un gars à côté de moi a la bonne idée de tout simplement brandir son dossard dans les airs. Je fais de même et après une ou deux années, je revois enfin mon gros machin jaune identifié 6883.

Les longues minutes resté planté sur place, alors qu’i ne fait pas tellement chaud, ont contribué à faire figer mes muscles. J’ai les mains pleines, il y a du monde partout, mais je dois enfiler quelque chose de plus chaud: je suis vraiment en train de figer. Finalement, je me dirige vers le devant de l’autobus et dépose mes choses dans l’escalier (le sol est vraiment trop bas) , question de pouvoir me changer sans avoir à me pencher. Je réussis à enfiler un chandail avant de me faire gentiment “expulser” de l’entrée de l’autobus.

Direction aire des familles maintenant. Je cherche du regard la lettre “G” et vois tout de suite Barbara qui m’envoie la main. J’envoie la main à mon tour. Et belle surprise: ma mère est là !  Hier, elle avait manqué le souper à cause d’une migraine et nous craignions tous qu’elle ne puisse pas être présente aujourd’hui. Mais elle est là !

Je titube jusqu’à eux et me jette dans les bras de Barbara, tout heureux d’enfin la voir. Mais beaucoup de temps s’est écoulé depuis mon arrivée et la vague d’émotion s’est dissipée. Je sers ensuite ma mère et mon père dans mes bras. Je sens leur fierté. Merci à tous d’être là pour partager ce moment avec moi. Je vous aime…

Retrouvailles1

Avec ma tendre moitié, celle qui réussit si bien à s’adapter à mes horaires parfois bizarres… Merci mon amour !

Retrouvailles2

Le fou et son équipe de soutien

Marathon de Boston: d’Hopkinton à Wellesley College, le premier demi

Les couloirs sont bien définis, les groupes de coureurs étant bien séparés les uns des autres. Bref, nous avons de la place en quantité suffisante pour respirer. Pourtant, certains sont nerveux et essaient de se frayer un chemin vers l’avant. On se calme, on se calme…

On ne peut toutefois pas dire que le gars à côté de moi s’en fait avec la vie. Il regarde ma casquette (je porte celle avec la mention: “Si je tombe dans les pommes, prière d’arrêter ma Garmin”) et part à rire. Il me dit qu’il adore ma casquette. Je lui réponds que je l’ai achetée à Philadelphie, portée pour la course et ai établi mon record personnel avec, alors c’est ma casquette chanceuse. Puis je songe au fait que j’en suis seulement à ma deuxième course avec cette casquette-là…

On nous annonce que l’élite est prête, que ces messieurs ont leur game face. Jamais je ne les verrai et je trouve ça un peu dommage. J’aurais bien aimé voir courir les meilleurs au monde. Mais je sais qu’ils auront déjà plus de 1 kilomètre dans les jambes quand je franchirai la ligne de départ.

Coup de canon, coup de fusil, klaxon ?  Mon cerveau n’enregistre pas ce que c’est, mais je sais que le signal de départ a été donné. Le phénomène habituel des départs de courses se produit: on entend le signal, suit une vague d’enthousiasme puis… plus rien. Ça prend toujours un peu de temps avant que la masse se mette en branle et ici, avec la quantité incroyable de coureurs, le phénomène est amplifié. Finalement, nous commençons à remonter Main Street en marchant. Je ne peux effacer le sourire de mes lèvres: je vais courir Boston !!!

Après quelques accélérations/ralentissements, je traverse enfin la ligne de départ, située tout en haut de la montée. Comme tout le monde, je démarrage aussitôt mon GPS. Selon le chronomètre officiel, ça fait déjà 4 minutes que la course a été lancée.

J’avais beau avoir regardé le profil du parcours, je me fais surprendre: ça commence immédiatement par une descente, assez prononcée. Et mes instincts d’ultrarunner sont mis à l’épreuve: avancez, bout de viarge !  Tout le monde a décidé de prendre ça relaxe en partant. Dans ma tête, on relaxera sur le plat; quand ca descend, il faut utiliser la gravité à son avantage, pas taxer ses quads en freinant. Mais je suis coincé du côté gauche, pas moyen de passer…

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Une photo prise au départ. Ça donne une bonne idée…

Après un petit bout plus plat, re-descente. Et re-freinage. J’exaspère et passe sur la gazon. Hé oui, en plein Marathon de Boston, je passe sur le gazon. Malgré les inconvénients, j’ai fait mon premier kilomètre en 4:11, preuve que ça descendait pas à peu près. Je remarque que ledit premier kilomètre est marqué au sol, je me demande si ce sera comme ça tout le long…

Une surprise m’attend autour de ce premier kilomètre, justement: une montée. De quessé ?  Selon ma petite mémoire, les 4 premiers milles étaient en descendant. Erreur. Globalement, oui, mais en observant bien le profil, on remarque effectivement qu’il y a des petites montées. Et ce sera comme ça tout au long de la course. Arrive ensuite le premier mille, où on retrouve un chronomètre officiel. Il semblerait qu’il y en aura à chaque mille, ce qui est assez impressionnant merci. Habituellement, on en voit 3 ou 4 sur le parcours, au grand maximum.

Suit ensuite le deuxième kilomètre. Selon mon GPS, je l’ai fait en 4:26. Ok, je suis dans le rythme. Première gorgée de Gatorade à partir de mes bouteilles, comme le veut ma tradition. Je regarde tout autour et une chose me frappe: je suis en train de courir le marathon le plus prestigieux du monde… et nous sommes en pleine campagne !  Pourtant, il y a des spectateurs, encore et toujours. Pas autant qu’on m’avait dit, mais il y en a partout. Jamais de moment où on se retrouve seuls, une grande première pour moi.

Je regarde devant, je me tourne pour regarder derrière: des coureurs à perte de vue. Une autre première. Mais avec autant de coureurs du même calibre, tout se passe rondement, à part deux zigotos qui courent côte à côte, à exactement la distance chiante entre eux deux: ils sont juste assez loin l’un de l’autre pour optimiser la place qu’ils prennent, mais pas assez pour nous permettre de passer. Une fille se tanne et leur demande carrément de se tasser. Aussitôt, c’est l’avalanche de coureurs dans le trou laissé béant. Ils faisaient quoi, au juste ?

Deuxième mille, arrivée dans la petite municipalité d’Ashland. Et aussi, premier point d’eau. Ouch, ça c’est un point d’eau !  Des tables, en voulez-vous, en v’là !  Et des bénévoles ?  Encore plus !  C’est fou… Je prends un verre d’eau au passage et poursuis ma route, impressionné.

Coup d’oeil à la cadence: 4:22 de moyenne. Ouais, un peu rapide, mais bon, ça descend tout de même depuis le début… Je me sens bien, mais pas “en dedans”. J’essaie de ralentir un peu, mais c’est difficile en compétition: on n’accepte aussi facilement de se laisser dépasser.

Les kilomètres passent et j’arrive au 5e, premier point de chronométrage officiel (il y en aura à tous les 5 kilomètres): je suis en 21:56, soit 4:23 de moyenne (déjà un décalage avec mon GPS). Ok, ça ne va pas si mal. Petit calcul rapide: si je fais toutes les tranches de 5 km en 22 minutes, ça me donne 3h06 à l’arrivée, soit mon record personnel. Mais avec les Newton hills à venir, je pense y perdre au moins 2 minutes, ce qui m’amènerait à 3h08. Ce serait vraiment bien pour un marathon en avril.

Dans le “centre-ville”, on voit plus de spectateurs. Ils sont très enthousiastes, le marathon est vraiment une fête pour eux. Et ils sont dévoués. Certains offrent de l’eau aux coureurs, même s’il y a abondance de points d’eau. D’autres offrent des Mr. Freeze, mais ça ne doit pas pogner fort fort, il fait à peine 10 degrés. Ce que je vois de plus bizarre ?  Un spectateur avec une boîte… de papiers mouchoirs. De quessé ?  C’est que j’ai un petit peu passé l’âge des plaisirs solitaires, moi là… Pour se moucher vous dites ?  Il reste 35 km, je pense que je vais recommencer à morver d’ici la fin. En plus, avec la sueur, il doivent être tout mouillés une fois rendu au moment pour les utiliser, non ?  Enfin, on dirait que certains se posent moins de questions que moi et se servent.

Après une première estimation erronée pour les 4 premiers milles, j’ai fait une autre erreur pour les 12 milles suivants: je pensais que ce serait relativement plat. Hé non. On dirait bien que Boston, c’est tout sauf plat. Je sais que ça fait drôle d’entendre dire ça de la part d’un ultrarunner, mais des côtes en marathon, ce n’est pas la même chose. En course sur route, on a un ennemi: le chronomètre. À chaque fois qu’on parle d’un marathon, on parle du temps réussi. Pas du parcours, pas des conditions. On parle du temps. En ultra, on pense à une chose: vaincre le parcours. À la fin, on compare son temps au vainqueur pour se donner une idée, mais c’est tout. C’est totalement différent comme dynamique.

Malgré tout, entre les 5e et 10e kilomètres, que nous atteignons dans la ville de Framingham, je sens que je prends mon rythme de croisière. Je passe au 10e en 43:53, toujours dans la cadence. Le vent, bien que défavorable, ne dérange pas trop car il est faible et à la quantité de coureurs qu’il y a, je réussis toujours à me trouver un abri.

Puis, peu à peu, je sens une certaine lassitude s’installer. Les enchainements montées-descentes commencent à faire leur effet. Je commence à me dire que les marathons, c’est trop dur. Je suis fatigué de courir sur la route, de me battre contre le temps, passer mon temps à vérifier ma cadence. Je m’ennuie de mes sentiers, de l’air pur, des changements de directions, de la technique… Puis je me dis que ce n’est pas normal d’avoir de la misère de même après 12 km à 4:22/4:23. Ben voyons donc !

Certains ont une théorie à ce sujet: celle du “centre de commande”. Le subconscient, connaissant l’ampleur de la tâche à venir, ordonnerait au corps d’envoyer des signaux de fatigue au coureur, empêchant ainsi ce dernier de dépasser ses limites trop tôt dans la course. Ce n’est pas pour rien que la plupart des coureurs s’entendent pour dire que la course, c’est mental avant tout.

Mais bon, peu importe les grandes théories, autour du 14e kilomètre, je ne me sens pas bien. Je prends un gel expresso, question de stimuler un peu mon corps. Rien ne se passe vraiment, je continue à avancer, me sentant misérable.

Puis, coup de chance, alors que je suis en plein coeur de Natick, qui vois-je devant ?  Un monsieur qui pousse une chaise roulante. En m’approchant, je vois clairement l’inscription “Team Hoyt” sur son coupe-vent. Maintenant âgé de 73 ans, monsieur Hoyt pousse encore et toujours son fils. Je n’ai pas eu l’occasion de visionner leur petit clip avant de partir ce matin et je ne savais pas où trouver leur statue à Hopkinton. Mais ils sont là, juste devant moi. Monsieur Hoyt ne semble plus capable de courir comme avant (il a fait 2h42 ici à l’âge de 52 ans, en poussant son fils !), mais il fait encore la route, en marchant. Il persévère.

En passant près d’eux, je pose ma main sur son épaule et dit tout doucement “Mister Hoyt…”, puis les mots bloquent à la sortie de ma bouche. Je voulais tout simplement lui dire que c’était un honneur, mais ça ne sort pas. Merde !

Je manque mon temps de passage au 15e kilomètre (1:06:02, j’ai un petit peu ralenti), mais qu’à cela ne tienne, je sens une poussée d’adrénaline dans mes veines. Je commence par me sermonner: “Arrête donc de te plaindre, est-ce qu’il se plaignent, ces deux-là ?”, puis entreprends de faire ce que j’aurais dû faire depuis le départ: découper le parcours en petites tranches. Bientôt, je serai rendu au 10e mille. 2 milles plus loin, ce sera le fameux scream tunnel de Wellesley College. Puis, au 13e mille, ce sera la moitié. Ensuite, 3 petits autres milles et nous arriverons à Newton. Après, ce seront les côtes, puis ça descend jusqu’à l’arrivée. Simple non ?

Le 10e mille est rapidement passé. Je poursuis mon chemin, déterminé. Peu avant le 12e mille, une insigne: “Welcome to Wellesley”. Je ne peux retenir un petit sourire: bientôt, je verrai et entendrai enfin  les fameuses étudiantes de Wellesley College.

Leur présence ne tarde pas à se faire sentir. Au moins 500 mètres avant d’arriver à leur hauteur, on les entend crier. Non, ça ne peut pas être ça…  Hé oui !  Au loin, on les voit déjà, massées contre une clôture de sécurité, les mains tendues vers les coureurs pour donner des high five. Et elles crient, elles crient !  Assourdissant. La moitié d’entre elles tiennent des pancartes intimant les coureurs de les embrasser. Des exemples ?  “Kiss me, I’m from Oregon !” (non mais, je n’en ai rien à cirer, moi..), “Kiss me, I major in science!” (pour geeks seulement), “Kiss me, I use the tongue !” (elle doit être laide, c’est comme rien) ou la grande classique “Kiss me, I’m a call-girl !” (heu..). Hallucinant. Ce petit vidéo et celui-ci donnent une bonne idée de l’ambiance… mis à part le volume des cris, qui est beaucoup plus élevé sur place.

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Voilà le support auquel nous avions droit. Malheureusement, la dame sur la droite ne tenait pas de pancarte… 😉

Bon ben, ça fait partie des bénéfices marginaux d’une participation au Marathon de Boston, pas le choix…  En fait, nous avons l’embarras du choix, justement. Sauf que de l’angle où nous arrivons, difficile d’associer un visage et une pancarte (je sais, pervers-pépère). Je cherche une Québécoise, une Canadienne au pire. Rien. Je jette alors mon dévolu sur l’étape suivante et m’arrête à une demoiselle tenant une pancarte: “Kiss me, I’m British !”. Je lui lance: “You’re British ?  I love you !”. Excès d’enthousiasme, je l’admets.  Elle a l’air toute surprise, j’ai comme l’impression qu’elle n’a pas été très populaire depuis le départ. Elle me tend alors… la joue !  Ben voyons chose, tu tiens une pancarte demandant de t’embrasser et tu veux un petit bec sur la joue !?!  Ça m’a pris 8 marathons avant d’obtenir le droit de venir ici et tu me tends la joue ?

Enfin, pas vraiment le temps de discuter, je dépose un petit baiser sur la joue de la demoiselle et repars. Après quelques high fives supplémentaires, je m’arrête à une autre demoiselle qui réclame un baiser (et dont je ne me souviens plus la « motivation »). Jolie fille, brunette frisotée, une chose me frappe: elle pourrait être ma fille !  Sans blague, mes parents avaient mon âge quand j’étais à l’université.  C’est ça, les beaux jeunes hommes, plus rapides (il faut faire moins de 3h05 pour se qualifier quand on a moins de 35 ans), sont chose du passé et maintenant, il ne reste que les vieux bonshommes comme moi et les dames pour ces jeunes demoiselles…

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Un beau jeune homme qui a droit au traitement royal ! 🙂

Mais celle-ci ne semble pas trop s’en faire avec ça et on se dépose simultanément un baiser sur la joue, puis je repars, fier comme un paon. J’ai bien évidemment manqué mon temps de passage au 20e kilomètre (1:28:17 selon les résultats officiels) et perdu une seconde sur ma moyenne dans l’opération. Mais on s’en fout un peu, non ? 🙂

Allez, amenez-le, votre fameux deuxième demi !

Un bel événement

Ceux qui me connaissent savent que ce n’est vraiment pas mon style. J’aime courir seul, m’entrainer seul. À mon rythme, arrêter quand je veux, accélérer quand ça me tente, aller où mes jambes m’amènent.

Mais hier, c’était définitivement une occasion spéciale. Quand j’ai appris qu’un regroupement de coureurs était organisé pour rendre hommage aux victimes de l’attentat de Boston, je n’ai pas hésité une seconde: j’y serais, beau temps mauvais temps.

Les dieux de la course étaient de notre bord: il faisait frais et un soleil éclatant. Marc Cassvi, l’initiateur de ce mouvement via Twitter, avait fixé rendez-vous à tout le monde à 11 heures, au monument de Sir George-Étienne Cartier au pied du Mont-Royal.

Comme j’étais un peu d’avance, j’ai repris contact avec les sentiers avant le rendez-vous. MES sentiers. Étonnamment, ils étaient à peu près tous dans un état impeccable, peu ou pas de boue, presque plus de neige. J’y suis allé doucement, reprenant avec joie ce plaisir que je n’avais pas vécu depuis… le Vermont 50. En fait, j’étais tellement absorbé par ce que je faisais qu’il était 10h40 quand j’ai regardé l’heure. J’étais encore au sommet. Oups…

J’ai donc dévalé la montagne en passant par tous les raccourcis que je connais et suis arrivé en bas avec un gros 5 minutes d’avance. Pas que ça aurait été grave, mais les retards et moi…

Des centaines de coureurs étaient déjà arrivés, le jaune et le bleu de Boston étant bien en évidence. La télé aussi était bien présente: TVA, Radio-Canada, CBC, RDS. J’ai regardé un peu autour, personne que je connaissais. Après avoir enfilé mon t-shirt de Boston (d’un beau jaune pétant), je me suis mis à me promener dans la foule, au cas où je croiserais une connaissance.

Un monsieur et sa femme donnaient une entrevue à RDS. Le monsieur avait terminé 5 minutes avant les explosions et on pouvait encore lire l’émotion dans ses yeux. J’ai écouté son entrevue, puis ai échangé quelques mots avec lui. La communauté des coureurs était tissée serrée d’avance, alors après des événements comme celui-là…

Puis, sans signal ni appel particulier, la course s’est mise en branle. Pas de cérémonie, juste un rassemblement de coureurs pour un simple hommage. Ça faisait bizarre, me retrouver dans un peloton, à zigzaguer comme dans un vrai début de course. Car comme on dit, le but n’était peut-être pas de faire une course, mais à un moment donné, il faut aussi aller à un rythme qui nous convient…

Parlant de rythme, qui est apparu sur le bord du chemin Olmsted ?  Hé oui, monsieur « Courir au bon rythme » lui-même, Jean-Yves Cloutier et sa bouille sympathique. Plusieurs le saluaient au passage, il répondait avec un large sourire, semblant reconnaitre tous ceux qui appelaient son nom. Mais il n’a pas pu s’empêcher de pousser un: « Allez, on y va au bon rythme ! ». Il n’en démord, y’a rien à faire…  J’ai même eu envie de retourner pour lui dire qu’il aurait été impossible que je gagne 36 minutes sur mon temps en courant à son ridicule de « bon rythme ». mais bon, ce n’était vraiment pas le moment.

Au bout d’un certain temps, le peloton s’est étiré et j’ai fini par me retrouver en avant, avec Cassivi et quelques personnes. Tout le monde avait une histoire à raconter, que nous étions à Boston ou non. Et comme pour montrer que le « deuil » était en train de se faire, nous avons parlé des événements, oui, mais de bien d’autres choses aussi. Par exemple, un de mes compagnons s’impliquait dans la cause qui aide les jeunes provenant d’un milieu défavorisé à s’entrainer pour faire un marathon. D’autres parlaient des marathons qu’ils avaient faits, ceux qu’il recommandaient de faire. Nous avons échangé sur nos performances, nos ambitions. Je n’ai pas osé parler d’ultras, vu que ça ne cadrait pas tellement bien avec la conversation.

Preuve qu’il ne voulait pas trop déranger les habitudes des gens de la montagne, Cassivi s’inquiétait de la densité des coureurs. Finalement, le peloton s’étant étiré, nous n’avons probablement pas trop dérangé. Ou si peu.

Arrivés au chalet, nous avons entrepris de faire la boucle du sommet par la droite. Or, quand nous avons commencé à descendre, nous nous sommes mis à croiser des coureurs. Beaucoup de coureurs. Les gens avaient définitivement pris la boucle par la gauche. À toutes les 10 personnes, il y en avait une qui félicitait notre « organisateur ». Il ne l’a pas dit, mais je pense qu’il était fier de la tournure des événements.

Il a de quoi être fier. Ce qui avait été planifié comme un hommage silencieux a plutôt tourné en ce que devrait toujours, toujours être un rassemblement de coureurs: une partie de plaisir. À la fin, on s’est tous donnés la main et dits au revoir, le sourire aux lèvres.

Un bien beau rassemblement. Merci Marc…

Mon expérience à Boston: l’avant-course

Maintenant que les coupables ont été épinglés, on peut essayer de passer à autre chose. Je vais donc commencer par raconter mon aventure sportive à Boston. Aujourd’hui, l’avant-course, qui a été une expérience en soit.

Il est environ 5h15 quand je mets les pieds dans le lobby de l’hôtel, en vue de prendre la navette de 5h30 qui m’amènera aux navettes qui se rendront au départ. Hé oui, comme je disais: une navette pour aller prendre la navette. C’est ça, Boston. Le préposé de l’hôtel me donne mon lunch dans un petit sac en papier brun. Ouin, ça n’a pas l’air trop copieux comme déjeuner, une chance que j’ai fait quelques réserves tantôt…

Un monsieur dans la cinquantaine est assis, attendant tranquillement la navette. Coup d’oeil à mon sac: numéro 6883. Il me dit que je suis un petit rapide, lui a un numéro dans les 9000. Nous entamons la conversation. Il vient d’Ottawa, en sera à son 4e Boston. Je lui raconte que c’est mon premier et peut-être mon dernier. Car bien que ce soit un rêve de courir ici, ça demeure un cauchemar logistique. Quitter sa chambre à 5h15 pour un départ à 10h…

Il me dit que je dois absolument faire New York, car bien que l’organisation soit incroyable ici, il n’y aurait pas de comparaison avec celle de New York qui est parfaite. Ça tombe bien, c’est déjà prévu dans mon calendrier…

Arrive un jeune à l’air pas trop réveillé. Son numéro: 588 !  Wow !  Tout de suite on lui demande son temps: 2h44. Holly shit !  Nous ne sommes pas encore tout à fait remis de nos “émotions” quand un autre jeune arrive… avec le numéro 547 !  Quand celui au numéro 1142 se pointe le nez, nous ne sommes plus impressionnés.

Nous nous entassons dans la petite van de l’hôtel, direction centre-ville. Le chauffeur nous demande ce que nous ferons à Hopkinton, en attendant le départ. Le jeune 1142, qui n’a pas dit un traitre mot depuis son apparition, me regarde et dit tout doucement: “Try to stay warm…”. Je souris. J’essaie de renchérir, mais je m’enfarge dans mon anglais rouillé et mes blagues tombent à plat. Pas de jokes en anglais, Fred, pas de jokes en anglais… Par après, 1142 déballe le petit sac qu’on lui a donné à l’hôtel. Un véritable festin: une banane et une barre tendre (aux raisins sec, beuh…), qu’il regarde avec la face en point d’interrogation. Comme dirait l’autre, on n’ira pas chier loin avec ça, hein ?

Arrivés en ville, la foumilière est déjà en action. Tout près du parc Boston Common, une longue filée d’autobus scolaires jaunes s’étend vers l’infini. Il y a des bénévoles partout, au moins deux par autobus. Quand un autobus est plein, un bénévole lève un petit drapeau orange, avertissant les coureurs et évitant ainsi des contre-temps. Donc, après une première pause-pipi (l’organisation a évidemment prévu de très nombreuses toilettes dans le parc), j’entre dans un autobus et m’installe à côté d’une coureuse. Quand je peux, je choisis toujours de m’asseoir à côté d’une femme dans les transports en commun: elles prennent habituellement moins de place que leurs congénères masculins qui ont parfois (souvent) l’habitude de s’étendre.

Au moment où je prends place, je sens un petit soulagement: finis les soucis logistiques. Ne me reste plus qu’à me laisser conduire au départ et attendre. Vers 6h15, le convoi se met en branle. On sent la fébrilité dans l’autobus. Le soleil se lève timidement, la journée s’annonce splendide. L’organisation n’a vraiment rien laissé au hasard: les rues par où passe le convoi  sont bloquées et sur l’autoroute, nous avons droit à une escorte policière.

Il y a juste une affaire: Hopkinton, c’est loin. Peu à peu, je sens la nervosité diminuer tout autour de moi. Les yeux auparavant grand ouverts se mettent à fermer. Je me joins au mouvement, malgré une nuit de sommeil pour ainsi dire parfaite (pour la veille d’un marathon, on s’entend).

Il est environ 7h quand nous arrivons à destination. Voilà, maintenant va falloir retourner en ville à pied… Une autre armée de bénévoles dirige les autobus vers l’endroit où nous serons débarqués. Puis, nous sommes dirigés à notre tour, vers le Village des athlètes dans notre cas. Une petite marche de 5 minutes, assez longue pour qu’un coureur près de moi lance à la blague que l’an prochain, il va prendre un autobus de la fin du convoi pour ne pas avoir à marcher autant. Très drôle à entendre de la part de quelqu’un qui va se taper 42 km à la course tantôt…

Le Village des athètes est installé sur les terrains de ce qui semble être une école secondaire. C’est gigantesque. On y retrouve bien évidemment des toilettes (duh !), je n’en ai jamais vu autant de toute ma vie. Ottawa ?  Mississauga ?  Pffff !  C’est absolument rien à côté de ça.  Il y a aussi plusieurs tentes abritant les commanditaires qui distribuent ce dont tout athlète pourrait avoir besoin en attendant le départ: Power bar, café, eau, Gatorade, muffins, bagels, bananes. Avoir su, je n’aurais pas amené mon lunch… Il y a aussi de la musique, un animateur qui dirige les coureurs en rappelant certaines consignes et un écran géant.

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Carte du Village des athlètes; remarquez où est situé le départ…

Après une (autre) pause-pipi, je me mets à la recherche d’un endroit où je vais m’installer pour… trop longtemps à mon goût, finalement. Il fait frais et humide, alors le gazon ou le béton me tentent moins. L’idéal serait de trouver une planche de bois. Finalement, ma recherche s’avère infructueuse et je jette mon dévolu sur l’aire de lancer du marteau, qui en en petit gravier. Ce sera mieux que rien.

Voilà, il est 7h15 et la longue attente commence. Heureusement, il ne pleut pas. Mais je dois enfiler toutes les pelures que j’ai apportées et m’asseoir sur mon imperméable d’urgence pour garder le plus de chaleur possible. “Try to stay warm” qu’il disait… Je regarde autour (je n’ai que ça à faire de toute façon !) et constate une chose: il y en a qui sont plus habitués que d’autres. Certains ont amené un livre. Le gars à côté de moi est étendu sur un matelas de sol et bien à l’abri sous une couverture. Ouais, si je reviens un jour, moi aussi je vais être équipé et ce sera un autre gars qui va se dire: “J’aurais dû amener ça ou ça ou ça…”

Tout ce que je peux faire, c’est écouter l’animateur. Au bout d’un certain temps, il commence à me taper sur les rognons parce qu’il a un tic de langage: il finit toujours ses phrases par “if you know what I mean”. C’est vraiment gossant à la longue, surtout pour un auditif comme moi. Et comme il répète toujours les mêmes foutues consignes, à un moment donné…

Un peu comme en avion, j’essaie de vivre lentement, de découper en petites parties les longues minutes qui me séparent du départ. Ainsi, j’ai décidé de manger à 8h puis après, ce sera… hum hum.. heu, faire la file aux toilettes pour heu… if you know what I mean…

7h45, je n’en peux plus de regarder autour et essayer de me trouver une position confortable. Deux autres convois d’autobus ont déposé des milliers de coureurs et maintenant, chaque pied carré du village est occupé. Je mange un peu (quelques bretzels au beurre d’arachides, une banane, mon bagel au beurre), bois beaucoup d’eau, puis… if you know what I mean…

Par après, l’animateur nous invite à aller écouter un psychologue sportif qui nous donnera les derniers conseils avant le marathon. Heu, des conseils 90 minutes avant la course, ça va pas ? Il semble oublier que tout le monde ici a déjà au moins un marathon dans les jambes, on sait à quoi s’attendre. On sait que tout peut rouler comme sur des roulettes ou se mettre à dérailler. On est tous passés par là, pas besoin d’un psy pour installer le doute dans notre esprit.

S’ensuit une demande qu’on ne peut vraiment pas refuser: une minute de silence en hommage aux victimes de la tuerie de Newtown. Du coup, le Village au complet tombe à l’arrêt. Plus personne ne bouge, plus personne ne parle, plus un son. Sauf évidemment la traditionnelle grande gueule qui ne se rend compte de rien et qui continue de se faire aller le clapet. Hello, tu ne te rends pas compte que tu es la seule à parler, chose ?

Cette minute est tout de même très, très émouvante. J’enlève ma casquette, baisse la tête et songe aux personnes qui ont été touchées par cet acte de barbarie sauvage. Je sens l’émotion monter en moi, les larmes qui commencent à se concrétiser quand l’animateur nous remercie et la vie dans le Village reprend son cours. Ha ben cout’ donc…

9h: il commence à faire plus chaud. J’enlève mes culottes de coton ouaté. Je sais que les départs vont commencer bientôt (9h17 pour les chaises roulantes), mais on ne nous parle de rien. Je suppose que le tout se déroule sur le chemin en face de l’école, mais rien ne transpire. Bizarre. On nous dit que nous allons devoir commencer à nous rendre vers le départ dans les prochaines minutes. Déjà ?  Ben voyons, le départ est dans une heure…

Au lieu de me diriger vers l’endroit désigné, je pars dans l’autre sens, à la recherche d’un endroit tranquille pour une dernière pause-nervosité. J’ai vu un boisé pas loin, ça devrait faire l’affaire. Mais il y a des policiers et des bénévoles partout, alors je dois m’éloigner, m’éloigner. Une bénévole me demande même où je vais. Je lui réponds que je cherche de l’air, qu’il y a trop de monde dans le Village. Je me demande si elle m’a cru…

Finalement, je trouve un endroit plus tranquille, mais me fais arracher la peau des jambes et des cuisses par des arbustes remplis d’épines. Génial. Heureusement, d’autres parties de mon anatomie ne sont pas touchées…  😉

Ok, retour au Village, tout le monde semble se diriger vers l’avant de l’école. Des dizaines d’autobus jaunes y sont garés, c’est là que nous devons laisser notre sac en plastique contenant les effets personnel que nous voudrons récupérer à l’arrivée. Toujours pas de ligne de départ en vue, mais elle est où, donc ?  Comme je me pose la question, la réponse nous est annoncée dans les haut-parleurs: 3/4 de mille plus loin.

Quoi, 1.2 km pour se rendre au départ ? Ils n’auraient pas pu le mettre plus loin ?  (Et moi, je n’aurais pas pu regarder un tantinet la carte du Village des athlètes avant ?)

J’entame donc la traversée d’Hopkinton en trottinant. La plupart du monde fait comme moi. Bah, ça revient à un réchauffement…  De chaque côté de la rue, des barrières. Déjà, des spectateurs nous lancent des encouragements. Certains brunchent sur leur terrain, j’en vois même avec une bière à la main. Wow, à 9h30 le matin, la journée va être longue !

À intervalles réguliers, on voit des bénévoles avec des grands sacs qui récupèrent les vêtements laissés par les coureurs qui ne tenaient pas à les ravoir après la course. Ces vêtements seront donnés à des œuvres de charité. Il y a aussi des habitants de la place qui ramassent le linge. Le Marathon est définitivement un événement ici.

Juste avant d’arriver sur Maint Street où aura finalement lieu le départ, autre pauvre-nervosité (hé oui, encore !). Une fois de plus, des toilettes en quantités phénoménales. Je me demande sérieusement combien il y en a en tout pour cette course… Et surprise, une section exclusivement réservée aux hommes: des urinoirs portatifs !  C’est la première fois que je vois ça et je ne suis pas le seul. C’est certain que si j’avais eu un appareil-photo ou un cellulaire digne de ce nom, j’aurais immortalisé le tout !

Sur Main Street, c’est la marée humaine. Déjà, les couloirs sont bondés de coureurs qui sautillent nerveusement. La rue est en pente ascendante, ce qui me surprend un peu, vu que nous sommes supposés partir en descendant.

Je me dirige vers l’entrée du couloir numéro 7, une bénévole vérifie mon dossard et me laisse passer. J’allume ma Garmin: plus que 10 minutes. Je regarde le ciel, tout bleu, prends une bonne respiration. L’air est frais, juste comme il faut. Le vent est calme, il ne devrait pas nous déranger. Je sens la nervosité qui monte tranquillement, mais pas trop. Et la réalité me frappe soudainement: ça y est, je suis au départ du Marathon de Boston. J’ai travaillé fort pour être ici, j’en ai tellement rêvé. Hé bien là, à ce moment précis, une idée me traverse l’esprit: peu importe ce qui va se passer au cours des 3-4 prochaines heures, rien ni personne ne pourra m’enlever le fait que j’ai mérité ma place ici.

Je suis bien, je suis heureux. Je me sens à ma place. Et j’ai hâte de courir.

La chronologie de événements

À la lumière des questions qui nous ont été posées par les gens suite à l’attentat au Marathon de Boston, je me suis dit qu’une petite chronologie explicative des événements, basée sur notre point de vue, aiderait peut-être à la compréhension de ce que nous avons vécu.

Allons-y donc:

9h17: Départ des participants de la course en chaises roulantes.

9h22: Départ des participants en vélos à main.

9h32: Départ des élites femmes.

10h: Départ de la première vague, celle contenant les coureurs d’élite masculins et ceux portant un dossard rouge, dont le numéro était situé entre 101 et 8999. Je fais partie de cette vague.

10h04 (environ): Je traverse la ligne de départ.

10h20:  Départ de la deuxième vague, pour les dossards blancs (numéros entre 9000 et 17999).

10h40: Départ de la troisième vague, pour les dossards bleus (numéros 18000 et plus).

11h58: La gagnante chez les femmes se présente à l’arrivée.

12h10: Le gagnant chez les hommes arrive.

13h16: Je termine mon calvaire (j’en reparlerai une autre fois !). Débute alors l’interminable processus de sortie. Il y a beaucoup, beaucoup de coureurs à sortir. Certains sont amochés, ont besoin d’une aide médicale. On nous fournit des couvertures de survie en aluminium et on nous distribue plein de cossins: bananes, Gatorade, eau, Power Bar, petit sac de lunch, etc. Le plus long, c’est réussir à récupérer mon sac contenant mes effets personnels. Je reste planté pendant probablement 15 minutes devant l’autobus avant de finir par finir par l’avoir…

Environ 13h45: Je sors du périmètre réservé aux athlètes et retrouve enfin Barbara et mes parents dans l’aire des retrouvailles, à deux coins de rues de l’arrivée. Après quelques photos, nous nous dirigeons (lentement) vers un endroit où je pourrai me changer.

Environ 14h10: Nous entrons dans le métro, ligne orange.

Environ 14h30: Transfert sur la ligne rouge, direction Quincy.

14h50: Les deux bombes explosent.

À peu près au même moment, nous débarquons du train et entreprenons de retourner à l’hôtel. Une fois arrivés, Barbara met une photo de l’aire des retrouvailles sur Facebook et contacte sa mère par Skype pendant que j’essaie de détendre mes muscles et revis ma course dans le bain. Ce n’est que quelques minutes plus tard que nous apprenons la nouvelle.

Ça faisait donc un bon bout de temps que j’avais terminé quand tout s’est produit. Ce qui a induit les gens en erreur et fait craindre pour notre sécurité, c’est le chronomètre qui affichait 4:09 sur le vidéo de la première explosion. Vue l’heure à laquelle le tout a explosé, j’en ai déduit qu’il indiquait le temps depuis le départ de la troisième vague, départ qui avait été donné 40 minutes après le mien. Ça faisait donc plus de 90 minutes que j’avais terminé quand les déflagrations ont eu lieu. D’où notre totale ignorance des événements à notre arrivée à l’hôtel.

Dimanche à 11h, je ferai partie du groupe de coureurs qui répondront à l’appel de Marc Cassivi, chroniqueur à La Presse et coureur, pour rendre hommage aux victimes de ces événements au Mont Royal. J’espère que nous y serons en grand nombre.

Pas moyen de penser à autre chose

Ce soir, pas question de quitter l’hôtel pour se changer les idées. Nous n’en avions pas le goût et de toute façon, les autorités suggèrent fortement de ne pas sortir, alors…

Nous avons parlé avec plusieurs personnes qui ont vécu la situation de différents points de vue.

Un monsieur d’Ottawa avec qui j’ai pris la navette ce matin m’a raconté qu’il était dans le métro quand les autorités ont pris la décision de fermer la ligne qu’il avait empruntée. Il a dû sortir et marcher (je vous rappelle qu’il venait de se taper un marathon) jusqu’à une station de la ligne rouge, celle qui passe près de notre hôtel.

De leur côté, les membres de la famille d’une dame qui avait terminé 19 minutes avant les explosions l’attendaient dans l’aire réservée aux retrouvailles quand celles-ci se sont faites entendre. À ce qu’ils ont dit, un « silence de mort » a suivi les déflagrations. J’en ai encore des frissons juste à y penser.

J’ai aussi parlé à un autre monsieur dans le lobby. Pour lui, la course s’est arrêtée avec 1 mille à faire. Il a tout de même dû se rendre autour de l’arrivée pour récupérer ses affaires (il a été très chanceux de pouvoir le faire) et retrouver son épouse qui l’attendait dans l’aire des retrouvailles.

Tout le monde est bouleversé. Mais comme il s’agit probablement d’une attaque terroriste, je compte bien, même si j’ai vraiment la tête ailleurs, revenir au « service normal » sur ce blogue d’ici quelques jours. À mon humble avis, il n’y a pas meilleur moyen de combattre des actes aussi barbares que de continuer à vivre normalement. Malgré tout.

Je m’en voudrais de conclure sans souligner le raz-de-marée de courriels et de commentaires inquiets que nous avons reçus. Ça fait chaud au cœur de se savoir aimés, appréciés ainsi. Un gros gros merci à tous. Nous vous aimons aussi.

Nouvelles de Boston

Premier blogue pour moi à partir mon nouveau iPad mini. J’espère que ça ira bien… Et que vous serez indulgents ! 😉

1- Le voyage
Voyage sans histoire, finalement. Nous avions quelques craintes, à cause de la foutue tempête qui s’était abattue sur le sud du Québec vendredi et que notre RAV4 était monté sur du « dur » pour utiliser un langage de course automobile, mais finalement, rien à signaler. Depuis les routes humides et cabossées Québec et des belles autoroutes bien clean des USA, nous avons observé une diminution progressive de la couche de neige au fur et à mesure que nous nous dirigions vers le sud. Rendus à Concord NH pour dîner, la dernière tempête n’était plus qu’un mauvais souvenir.

Incident un peu « cocasse » à la fontière: quand j’ai dit au sympathique (qualilté très rare que bien peu de ses collègues possèdent) agent américain que je m’en allais faire le Marathon de Boston, il m’a demandé quel temps je visais. C’est alors que j’ai entendu une voix répondre 3h05 et c’est avec horreur que j’ai constaté que ladite voix m’appartenait. J’ai toutefois corrigé le tir tout de suite après, mon cerveau reprenant un certain contrôle. « 3:15 would be very good » que j’ai pris la peine d’ajouter.

Non mais, c’était quoi, cette affaire-là ?

2- L’hôtel
Nous sommes créchés au Best Western Adams Inn, situé à Quincy, en banlieue sud de Boston. L’endroit est correct, les chambres aussi. J’ai reçu une bonne nouvelle en arrivant: l’hôtel offre une navette gratuite ainsi qu’un petit déjeuner aux marathoniens. Cool ! 🙂

Quand est venu le temps de réserver ma place, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’une navette vers le départ, mais bien d’une navette vers les navettes nous amenant au départ. Vous me suivez ? En tout cas, c’est mieux que d’avoir à me casser le ciboulot avec les délais du métro. Je n’aurai qu’à me laisser guider.

Pour le reste, notre chambre (et celle de mes parents aussi) offre une belle vue sur une rivière et un parc de l’autre côté. Pas le grand luxe, mais bien acceptable. Léger inconvénient par contre: l’insonorisation est à chier. En plus, 50% de l’endroit était occupé par les invités d’une noce la nuit dernière. Pas tellement compatible avec les besoins en sommeil des occupants de l’autre 50%…

3- L’expo-marathon
Le système de transport en commun de la ville étant simple à utiliser, nous avons pu nous rendre au centre-ville sans problème. Nous n’étions pas débarqués du train que les couleurs du marathon, jaune flashant et bleu, nous sautaient au visage. Nous n’avons eu qu’à regarder d’où venaient les centaines de gens avec un sac jaune Adidas en plastique pour trouver notre chemin vers l’expo-marathon.

On m’avait averti, et pourtant… C’est tout simplement gigantesque ! La cueillette du dossard s’est faite très rapidement, malgré l’insistance de Barbara pour que je passe par un kiosque où je n’avais pas à faire (comme à Philadelphie, décidément… ;-)) et la demoiselle devant moi qui semblait avoir une infinité de questions â poser. Heu, c’est juste un dossard, chose, c’est-tu trop compliqué pour toi ?

Ceci dit, il y a tellement de bénévoles assignés à la remise des dossards que ça fait peur. Quand on entre dans le centre des congrès, il y a des tables à perte de vue. Impressionnant. J’ai ensuite ramassé mon t-shirt officiel (jaune flashant et bleu, bien évidemment), puis nous nous sommes dirigés vers l’expo en tant que telle.

Première station, obligatoire: la boutique Adidas, commanditaire officiel de l’épreuve. Immense (deux fois plus grande que le Running Room du Marathon d’Ottawa) et… jaune. Il y avait peut-être du stock intéressant, mais Adidas, je trouve ça tellement laid… Une fois sortis de la boutique, c’était la cohue. Du monde partout, partout, pas moyen d’avancer.

J’avais alors une seule idée en tête: sortir de là. Ma pression montait comme quand je me retrouve dans un centre d’achats, alors que je suis supposé être ici pour m’amuser. J’ai donc fait le plein de barres énergétiques et de gels, puis nous avons cherché la sortie. Finalement, nous nous sommes retrouvés dans une partie moins peuplée et avons déambulé un peu. J’ai figé devant le kiosque de The North Face qui annonçait la présence de Dean Karnazes pour aujourd’hui 15h. Hum, tentant… Mais je me suis dit que je serais mieux à l’hôtel que dans la foule à moins de 24 heures de la grande course.

4- La ville
En sortant, nous sommes allés nous promener en ville. Évidemment, ma douce moitié voulait aller dans une boutique spécialisée en bidules pour chiens qu’elle avait spottée avant de partir… 🙂 Ensuite, nous nous sommes promenés, sans but précis.

Dire que la ville est marathon serait un euphémisme. On voit du jaune et du bleu partout, autant sur les affiches que sur les gens. Une église annonçait même une bénédiction pour les coureurs à 10h30 ce matin.

Pour le reste, la propreté de Boston nous a frappés. Les bâtiments sont superbes et entretenus méticuleusement. À voir, même en dehors l’environnement de la course. C’est d’ailleurs ce que mon fan club est allé faire aujourd’hui, pendant que j’allais me promener dans le parc en face avant de me transformer en plante verte pour le reste de la journée…

5- Le marathon
Je vous avoue bien candidement un chose: j’ai hâte que ça commence. Aujourd’hui, en étant à une troisième journée sans course, je me sens en manque. J’ai hâte à 10h demain matin, hâte de me mettre enfin en marche. J’ai hâte que l’incertitude soit chose du passé, hâte de me dire: « Ça y est, cette fois-ci, c’est pour vrai ! ».

Le site AccuWeather annonce en grandes pompes que les conditions seront idéales pour courir demain. Côté température, oui (10-12 degrés durant la course, soleil et nuages), mais côté vent par contre… Hé oui, après avoir changé de direction toute la semaine, il sera finalement de l’est, soit directement dans notre figure. Les performances en seront donc grandement affectées… Et je vais vraisemblablement passer ma course en entier à suivre quelqu’un à la trace, question de me faire couper le plus de vent possible.

J’espère toujours 3h15 (3h05, je pensais à quoi, donc ?), mais bon, ce sera dans des conditions pas mal plus difficiles que lors de mes deux derniers marathons, alors si je fais plus lent, ce ne sera vraiment pas la fin du monde. Et même dans des conditions parfaites, ce ne serait pas la fin du monde non plus !

On se reparle bientôt !